donner un nom et un visage. Dès les premières heures de la catas-
trophe, les médias et le gouvernement américains mettent en avant le
nom d’Oussama Ben Laden, un milliardaire saoudien rejeté par les
siens, exilé en Afghanistan, et qui milite au nom de l’islamisme le plus
radical depuis les années 1990.
Sous la bannière d’une organisation appelée al-Qâ`ída, Ben Laden
promeut ce qu’il appelle le jihâd contre l’Occident, en particulier
contre les Etats-Unis. Il entraîne de jeunes militants issus du Maghreb,
du Moyen-Orient et d’Europe. Une grande partie d’entre eux, ayant
échoué à fonder un « Etat islamique » dans leurs pays respectifs,
s’éloignent de leurs bases locales qui s’inséraient dans un cadre natio-
nal et deviennent, à partir des années 1990, les électrons libres1d’un
islamisme radical transnational. Leur propre Etat national, contre
lequel ils ont pu dans un premier temps s’ériger au nom de l’islam,
n’est plus leur ennemi principal. Cet ennemi, autrefois local, s’est
dilué dans un espace transnational défini par son caractère « anti-isla-
mique ». Le monde qu’ils se représentent est divisé entre l’islam et ce
qui ne l’est pas, entre le dâr al-islam, qui ne se trouve nulle part, si ce
n’est dans le groupe militant, et le dâr al-harb, étendu à l’Occident et
aux régimes arabes qu’ils considèrent comme « impies ». Ainsi, les
Etats-Unis sont le symbole du domaine de la guerre, sans être néces-
sairement le seul objet de la lutte : celui-ci est bien plus global et n’a
pas forcément de lieu propre ou d’appartenance nationale.
A partir de son réseau d’appartenance, lui-même mobile et poly-
morphe, ce migrant jihadiste peut mettre au point des tactiques qui lui
permettent d’agir contre ce qu’il perçoit comme l’ennemi. Relisons
Michel de Certeau, qui, à propos des tactiques des dominés, et en
contraste avec la notion de stratégie, écrit qu’elles consistent en « un
calcul qui ne peut pas compter sur un propre, ni donc sur une fron-
tière qui distingue l’autre comme une totalité visible. La tactique n’a
pour lieu que celui de l’autre. Elle s’y insinue, fragmentairement, sans
le saisir en son entier, sans pouvoir le tenir à distance. Elle ne dispose
pas de base où capitaliser ses avantages, préparer ses expansions et
assurer une indépendance par rapport aux circonstances. (…) Du fait
22 / POLITIQUE ÉTRANGÈRE
1. C’est l’expression qu’utilise Gilles Kepel dans Jihad, Expansion et déclin de l’islamisme, Paris, Gallimard,
2000, p. 225.