FINI
DE
RIRE
Études
Stéphane Zagdanski
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À mon frère Olivier Zagdanski, dont la confiance et
les encouragements ne se sont jamais démentis.
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«Un list ce livre pour apprendre,
L’autre le list comme envieux:
Il est aisé de me reprendre:
Mais malaisé de faire mieux.»
Ronsard,
La Franciade
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LE CORPS DE DIEU
PRÉFACE
« Le plus difficile, c’est le libre usage de ce qui nous est propre. »
Hölderlin, Lettre à Böhlendorff
L’écrivain qui décide de transmuter sa fantaisie naturelle et se met à
rédiger, « pensivement, dans la joie de la vérité »1, des textes sérieux, profonds,
documentés, originaux, médités, n’est pas longtemps dupe de l’accueil qui ne
leur sera pas fait.
Il apprend vite car il pense de même.
Quand parut en revue mon premier texte, La chair et le verbe2, je croyais
comme Poe à
l’existence
d’« intelligences humaines profondes, douées d’un
prudent discernement », qui ne pourraient « s’empêcher d’être satisfaites de mes
simples suggestions ».
Je n’y crois plus.
Tant pis pour moi. Ma naïveté était excusable, je n’avais que 24 ans. Dix
ans plus tard, je conçus Mes Moires en partie pour raconter le parcours du
combattant d’un jeune homme qui, parce
qu’il
prend l’écriture au sérieux, se
heurte à l’indifférence mêlée d’une bizarre animosité de la part de tous ceux qui
ne sont pas disposés à entendre une voix nouvelle sur d’antiques sujets.
Tant pis pour eux. Ma ténacité a fini par vaincre l’indifférence, comme un
incendie,
d’abord
modeste,
se fait enfin remarquer au loin lorsque sur les
instances dilatées des flammes éclatent les premières vitres d’une maison en feu.
L’animosité, elle, s’est au contraire largement renforcée, ce qui, en littérature,
1Hölderlin, Patmos.
2 Cf. p. 531.
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est souvent bon signe.
Il faut dire que mon caractère y est pour beaucoup. J’ai cultivé, en une
dizaine d’années
de
publication (L’impureté de Dieu parut en 1991), ces trois
qualités qui selon Chateaubriand définissent l’homme d’honneur: la pauvreté, le
combat, l’indépendance.
Je me souviens de la voix pointue de cet éditeur, à l’époque où je tentais
désespérément de faire publier en revue mes pauvres productions, m’expliquant
au téléphone que son comité avait du mal à cerner ma personnalité. Ce qui
justifiait un refus me sembla un grand compliment. J’ai toujours pris garde,
depuis, à demeurer hautement indiscernable.
L’autre raison de l’inimitié que suscitent manifestement mes textes tient, à
l’évidence, aux éloges répétés et circonstanciés que j’ai faits du judaïsme.
En France, la pensée juive reste mal vue.
En 1866, Arsène Darmesteter constatait:
« Rien n’égale l’importance du Talmud, si ce n’est
l’ignorance où l’on est à son égard. Que connaît-on généralement
de ce livre? Le
nom,
tout
au plus. On sait vaguement que c’est
une œuvre immense, étrange, bizarre, écrite dans un style plus
bizarre encore, où l’on voit amassées, dans l’incohérence du plus
complet désordre, toutes sortes de connaissances plus ou moins
exactes, de rêveries et de fables. »
Cela demeure valable après un siècle et demi. Il existe pourtant
d’excellents textes d’initiation, à commencer par les lectures talmudiques
d’Emmanuel Lévinas, certes tirées du côté de sa propre méditation éthique, mais
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