Notes du cours

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Histoire des États germaniques :
Le Saint-Empire
Quatrième cours :
L’empire « après » l’empire (1250-1378)
1 – Le point sur la situation en 1250
— La dynastie des Hohenstaufen ne s’éteint pas avec Frédéric II : en 1250, à la mort de ce denier, son fils
Conrad VI lui succéda, mais visiblement il n’eut pas envie de poursuivre la lutte contre la papauté. Il quitta
dès 1252 le territoire de l’Allemagne pour la Sicile, où il mourut deux ans plus tard.
— Un autre fils de Frédéric II fut ensuite couronné en 1258 roi de Sicile, mais il fut battu par Charles
d’Anjou en 1266, lequel s’empara du même souffle de la couronne sicilienne. Lorsque Conradin, petit-fils de
Frédéric II, qui avait tenté de reprendre la Sicile aux puissantes forces angevines, fut décapité sur ordre de
Charles en octobre 1268, la lignée dynastique directe des Hohenstaufen s’éteignit. À la grande joie de la
papauté.
— Avec l’extinction de cette troisième dynastie à être passée sur le trône impérial depuis la restauration
ottonienne du Xe siècle, c’est une page de l’histoire de l’empire, et avec elle de l’histoire germanique, qui est
tournée.
— Certes, l’empire ne disparait pas et survivra nominalement plus de 500 ans à la mort du dernier
Hohenstaufen. Mais il y a bien quelque chose de changé à partir de 1250 : plus aucun empereur ne disposera
d’un pouvoir comparable à ceux qui se succédèrent sur le trône de Charlemagne entre 938 et 1250. Et ce,
même si, comme on l’a vu, le pouvoir réel dont disposèrent ces hommes fut très variable d’un règne à l’autre.
— Pendant que, au cours de ces quelque 300 ans en Europe, plusieurs États sont parvenus à se consolider,
l’Empire n’y est pas parvenu, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Il convient de s’interroger sur les raisons de
cet échec.
— L’une des raisons les plus fréquemment évoquées dans l’historiographie traditionnelle tient à la
contingence et au hasard : la courte durée des lignées dynastiques. C’est en effet un élément important, car
dans une monarchie héréditaire, la continuité est une donnée fondamentale. D’abord sur le plan pratique, car
la passation du pouvoir de père en fils, en ligne directe, permet généralement d’éviter les guerres de
succession.
— D’autre part, la continuité dynastique permet aussi, souvent, la continuité des principes politiques qui
régissent la construction étatique. C’est le cas, par exemple, de la branche des Danilovitch qui régnèrent sur la
Moscovie pendant plus de 300 ans.
— À cet aspect pratique, il convient d’ajouter le caractère symbolique de la fonction royale : prétendant tenir
son pouvoir de Dieu, un roi assoie plus facilement sa légitimité par la voie héréditaire que par la voie
électorale, qui fait dépendre ce pouvoir d’une décision humaine.
— De sorte que, en effet, la succession de trois dynasties (plus un Welf) en trois siècles n’a pas permis aux
empereurs de consolider leur pouvoir, car chaque siècle, environ, il fallut recommencer la construction de la
légitimité, et ce, souvent après une période de forte contestation.
— La comparaison avec la France met en évidence ce rôle de la contingence : arrivé sur le trône par l’élection
d’Hugues Capet en 987, la dynastie capétienne profitera d’une continuité dynastique remarquable : d’Hugues
(987) à Jean le Posthume (1316), la règle de primogéniture mâle peut s’appliquer parfaitement.
— Plus de 300 ans ont ainsi permis à la dynastie capétienne de construire un pouvoir politique qui, bien qu’il
chancela à l’extinction des Capétiens directs, disposera de fondation assez solide pour qu’après la crise de
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succession, le processus de consolidation étatique puisse reprendre. Ottoniens, Saliens et Hohenstaufen n’ont
pas disposé de ce délai.
— Cela étant, l’Angleterre n’a pas non plus été aussi choyée que la France dans le domaine, les Plantagenets
directs n’ayant disposé que d’un siècle et demi. Pourtant, et même si ici aussi les successions entraineront des
guerres, l’État anglais, puis britannique, poursuivra sa consolidation. De sorte que, aussi valable qu’elle soit,
cette explication ne peut rendre compte à elle seule de l’incapacité du monde germanique à se doter de
structures étatiques modernes et nationales avant le XVIIIe siècle. Il faut donc chercher ailleurs.
— La superficie du territoire à gouverner constitue un autre élément important : à une époque où les moyens
de communications et de transports sont très primitifs, il est difficile pour une autorité politique d’exercer son
pouvoir loin de l’endroit où elle se trouve. Or, l’empereur doit exercer cette autorité sur le nord de l’Italie, la
Germanie et la Bourgogne (et accessoirement la Sicile), soit une superficie de près d’un million de kilomètres
carrés. Forcément, quand l’Empereur est occupé en Italie, les territoires germains remuent.
— À cela il convient d’ajouter, conséquence de cette superficie, la grande diversité des populations que
l’empereur doit diriger. Ce n’est pas tant une question de langue (le latin étant la langue savante de toute
l’Europe à cette époque) qu’une question de traditions et de mode d’organisation.
— Peu de choses en commun entre l’Italie du Nord, déjà relativement urbanisée et dans les villes de laquelle
la bourgeoisie occupe des positions politiques importantes, et le royaume de Germanie, pauvre et agricole,
dans lequel le pouvoir est essentiellement entre les mains de seigneurs terriens. Il devient donc difficile
d’élaborer et d’appliquer des politiques communes à cet ensemble complexe.
— Cela étant, superficie et diversité sont pratiquement les conditions qui définissent l’idée d’empire :
d’autres empires plus vastes et encore plus complexes ont pu supporter l’épreuve du temps, comme la
dynastie Shang en Chine antique.
— C’est néanmoins un élément de l’idée impériale dans l’Europe médiévale qui constitue le trait distinctif et,
partant, explicatif de l’échec des dynasties germaniques à réussir en Germanie ce que d’autres dynasties
contemporaines ont pu réussir sur d’autres territoires : la confusion des pouvoirs temporels et spirituels,
conséquences de la prétention à l’universalité de l’idée impériale.
— Cette confusion a pour conséquence, on l’a vu, une lutte violente et permanente, à partir du XIe siècle,
avec la papauté. Occupés à cette lutte stérile, les empereurs n’ont eu d’autres choix que de laisser se
développer en Germanie des pouvoirs locaux forts, capables d’assurer l’ordre minimal d’une part, mais aussi
d’autre part et par voie de conséquence, de battre en brèche l’autorité impériale sur leurs terres. Cette
prétention à l’universalité a ainsi eu comme résultat paradoxal de favoriser, non pas l’unité de territoire, mais
au contraire son éclatement.
— Si encore l’empereur avait disposé de moyens matériels à la hauteur de ses prétentions. Mais au fil des
siècles, le domaine impérial a disparu, ne laissant à l’empereur que les revenus épisodiques qu’il obtient par
la confirmation des droits qu’il concède aux villes ou aux princes et les impôts perçus auprès des territoires
disposant de l’immédiateté. C’est peu et c’est surtout peu stable comme sources de revenus.
— De sorte que l’empereur doit compter sur ses domaines patrimoniaux, limités, pour étendre sa puissance
sur un domaine territorial qui est immense. Les Capétiens ont d’abord consolidé et étendu leur domaine et par
la suite seulement, prétendu avoir des droits sur l’ensemble de la France, lorsqu’ils ont eu les moyens de faire
valoir ceux-ci. En Germanie, le processus a été inversé.
— De sorte que pour ses projets impériaux, l’empereur doit compter sur la bonne volonté des princes
d’empire, qui n’ont pour leur part aucune envie de contribuer financièrement à l’établissement ou à la
consolidation d’un pouvoir qui aura pour conséquences la diminution et la disparition du leur.
— Alors ils mettent la main à la poche avec beaucoup de réticence et préfère choisir pour empereur un
homme disposant d’une richesse suffisante pour ses besoins personnels, mais insuffisante pour ses projets et
sa volonté d’étendre son pouvoir et de matérialiser sa puissance, qui reste pour l’essentiel symbolique.
— Peut-être aurait-il été plus sage pour l’empereur de renoncer lui-même à ses revendications en matière
religieuse, comme le firent les rois de France et d’Angleterre, mais il convient de rappeler que la prétention à
l’universalité des empereurs ne tenait pas qu’à la charge symbolique du titre, car il impliquait aussi des droits
sur le royaume d’Italie, cette Lombardie dont la richesse des villes était nécessaire pour compenser la
pauvreté des territoires du nord.
— Bien sûr, le Très-Chrétien, en France, avait aussi certaines prétentions religieuses, mais il n’entendait pas
d’abord se placer au-dessus de la papauté, même sur le territoire français : ce n’est qu’à l’époque de Philipe le
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Bel que le conflit avec Rome dégénérera, mais à ce moment, la construction étatique royale sera déjà assez
forte pour que le conflit ne remette pas en question l’autorité du monarque.
— Cependant, on aurait tort de croire que la Germanie n’existe pas même en l’absence d’un État germanique
à proprement parler : malgré les distinctions et les spécificités de leurs langues, de leurs cultures et de leur
environnement politique et économique, les élites de Germanie commencent dès cette époque à se désigner
comme des habitants des Deutsche Lande, des terres de ceux qui parlent le diutsch, le tudesque, la langue du
peuple. L’institution du Reichfürstenstand illustre bien l’existence d’une sorte d’unité nationale.
— À côté de l’institution impériale et parallèlement à celle-ci, le siècle des Hohenstaufen a vu l’apparition de
pouvoirs locaux qui ont commencé, et vont poursuivre dans les siècles suivants, le développement sur leurs
territoires des éléments de l’administration étatique moderne.
— De sorte qu’autour des grands ensembles territoriaux, qui ne sont plus « ethniques », mais dynastiques, qui
ne seront plus à l’ouest mais à l’est, vont se mettre en place, en collaboration avec l’institution impériale qui
s’éteint peu à peu, des pouvoirs qui assureront la relève. Mais le processus sera long.
2 — Évolution politique
2.1 — Le Grand interrègne (1254-1273)
— En attendant, l’empire continue d’exister, même si pour les deux décennies suivantes, la chose n’est pas
évidente. Cette période est qualifiée de Grand interrègne dans l’historiographie, ou encore de Kaiserlos Zeit,
c’est-à-dire, d’époque sans empereur. Ce qui est en apparence paradoxal, car au cours de ces deux décennies
il y presque toujours au moins deux hommes pour se prétendre empereur...
— L’anti-empereur Guillaume de Hollande, couronné en 1247 du vivant de Frédéric II, s’éteint en 1256 et le
trône devient vacant. Il fallut trouver un remplaçant. L’intérêt historique de cette élection réside dans le fait
que l’on voit apparaître pour la première fois le collège électoral à peu près sous la forme qui sera codifiée un
siècle plus tard par Charles IV.
— Deux prétendants, dépensant des sommes importantes pour ce qui est encore la première responsabilité
politique de la chrétienté, furent élus par deux moitiés du collège électoral à quelques semaines d’intervalles.
Aucun des deux ne convenait au pape, qui suggéra le roi de Bohême Ottokar, lequel était rejeté par les
Grands de Germanie, car ce prince déjà très puissant aurait alors acquis un pouvoir écrasant.
— Dans l’ensemble, l’élite dirigeante se satisfaisait de cette situation, qui leur laissait les coudées franches
pour poursuivre les processus de consolidation de leurs pouvoirs sur leurs territoires respectifs. Plus encore,
cette vacance du pouvoir leur permit pendant deux décennies d’accroitre leurs possessions au détriment de
celles de l’empire.
— Les villes d’empire, au contraire, voyaient d’un très mauvais œil la situation, car elles se trouvaient ainsi
directement menacées par l’appétit des seigneurs. Afin d’assurer leur défense, certaines se constituèrent en
Ligue dès 1254.
— Autre conséquence du vide politique, la recrudescence des guerres privées que Saliens et Hohenstaufen
s’étaient employés à combattre, sans jamais parvenir à les éliminer. L’une des causes de l’accroissement des
troubles résidait dans la multiplication, au cours du siècle précédent, du recours par les empereurs, pour les
seconder dans la direction de l’État, à des officiers qui ne disposaient pas de domaines héréditaires et qui
étaient payés en terres.
— Dirigeant de minuscules seigneuries, réduits au chômage par l’effacement de l’État, ces chevaliers
vivaient de pillage et de rançonnage. Si les paysans étaient victimes, ce sont avant tout les villes qui en
souffraient, autre raison pour elle de tenter de s’organiser en dehors d’un cadre étatique qui semblait ne plus
exister.
— Les princes étrangers ne se privèrent pas non plus pour participer à la Curée : ce sont les Français,
particulièrement le prince d’Anjou, qui en profitèrent. Non content de s’être emparé de la Sicile, Charles
s’employait à asseoir son autorité sur le nord de l’Italie, pendant que le roi Philipe le Bel plaçait Lyon sous
son sceptre et faisait d’Otton IV de Bourgogne son vassal. De plus en plus, l’Empire se résumait à la
Germanie.
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— À moyen et long termes, cette perte de contrôle des autres royaumes de la couronne fut sans doute
bénéfique aux États allemands, car leurs souverains durent ainsi se concentrer sur leurs propres terres qui
avaient bien pâti des ambitions impériales. Même sur le court terme, on peut croire que ces ingérences ont
joué un rôle dans la prise de conscience par les Allemands de leur identité.
2.2 — Le premier Habsbourg : Rodolphe (1273-1291)
— En 1272 lorsque s’éteint « l’empereur » Richard de Cornouailles, fils de Jean sans Terre, qui n’avait que
peu séjourné en Germanie, dont l’élection de 1257 n’avait pas conduit à un couronnement officiel et dont
l’autorité était contesté par Alphonse de Castille et par ceux des Grands qui le soutenait, le pape lui-même,
désireux de ne pas rester seul en charge de la chrétienté, fit pression pour les Grands parviennent à s’entendre
sur un successeur.
— Ainsi, après avoir œuvré pendant plus d’un siècle à affaiblir le pouvoir impérial, la Curie redécouvrait les
vertus de l’empire. L’ironie n’est cependant qu’apparente, car, menacé désormais par la dynastie angevine au
sud, le pape avait à nouveau besoin d’un contrepoids au nord.
— De même, l’échec des Croisades de Louis IX avait laissé les États latins d’Orient dans une situation
difficile et une nouvelle croisade était nécessaire. Or, qui d’autre qu’un empereur pouvait prétendre guider la
chrétienté?
— Écartant à nouveau Ottokar, les Grands choisirent un personnage surprenant pour succéder sur le trône aux
grands empereurs médiévaux : Rodolphe de Habsbourg devint alors roi des romains. Ce dernier n’était
aucunement lié aux dynasties précédentes et ne disposait pas d’une puissance matérielle qui fut menaçante
pour les princes. Son patrimoine n’était pas non plus insignifiant, ce qui semblait garantir que l’empereur
n’aurait pas recours aux « contributions » des grands trop fréquemment.
— De sorte que le 1er octobre 1273, avec le couronnement de Rodolphe, la famille Habsbourg fait son entrée
dans l’histoire allemande. Si à la fin du Moyen-âge les thuriféraires des Habsbourg parvinrent à faire
remonter l’origine de la famille jusqu’aux Romains, à l’époque de l’accession au trône de Rodolphe, les
généalogistes ne pouvaient remonter qu’au XIe siècle, en 1020, précisément.
— Le premier comte de Habsbourg semble s’être affublé du titre au début du XIIe siècle, alors qu’il régnait
sur un domaine de ce nom, fort modeste, dans la région de Zurich, en Suisse contemporaine. Peu à peu, les
possessions de la famille Habsbourg s’étendirent dans la région de l’Alsace, mais au moment de son
couronnement, Rodolphe n’était même pas prince d’empire.
— À la fois pieux (ce qui plaisait à Rome) et proche des Hohenstaufen (ce qui plaisait aux Grands), Rodolphe
accède au trône dans la cinquantaine déjà, ce qui était à la fois un gage de son expérience et offrait la
certitude qu’il ne serait pas empereur très longtemps.
— Modeste mais conscient de ses responsabilités, il employa son règne principalement à deux choses : la
paix intérieure et la consolidation des possessions de sa famille.
— C’est donc naturellement qu’il se tourna contre les chevaliers-brigands, qui avaient profité de l’interrègne
pour empiéter sur les biens d’empire, lesquels furent récupérés en recourant à la méthode forte, alors que de
nombreux châteaux forts appartenant à ces chevaliers furent capturés et détruits.
— Cette mise au pas attira sur le roi des Romains la sympathie des premières victimes des chevaliers : la
population des villes, qui lui fournirent les forces militaires et les sommes nécessaires à ce travail de policier.
De nombreuses villes en furent remerciées par l’obtention officielle de l’immédiateté et prirent le titre de
villes d’empire.
— Quant aux possessions familiales, il dû à l’arrogance d’Ottokar de Bohème la chance qui lui fut donnée
d’en accroitre l’étendue. Ce dernier ne considérant pas Rodolphe comme étant son seigneur légitime, refusa
de lui demander l’investiture de ses titres et en 1275, il fut mis au ban de l’empire. La guerre qui s’en suivit
fut favorable à Rodolphe et Ottokar dut s’avouer vaincu en 1276.
— Après une deuxième guerre en 1278 qui entraina la défaite et la mort d’Ottokar, son royaume fut dépecé et
si son fils Wenceslas conserva la Bohême, ses possessions autrichiennes furent en 1282 confiées aux fils de
Rodolphe. Cette date est historique : dès lors, la maison de Habsbourg s’établissait en Autriche.
— Ailleurs dans l’empire, Rodolphe reprit pied en Italie en renonçant à la Romagne, qu’il céda à la papauté,
alors qu’en Bourgogne la diplomatie dut s’appuyer sur la force pour permettre le rétablissement de l’autorité
impériale. Rodolphe crut pouvoir consolider son pouvoir en épousant la sœur du duc de Bourgogne (alors
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âgée de 15 ans...), mais prise en étaux entre les prétentions de Philipe le Bel et celles d’Otton, duc de
Franche-Comté, la Bourgogne ne fut pas solidement rattachée à l’empire.
— D’ailleurs, le roi n’avait pas été couronné empereur : il avait songé à la couronne, mais l’occasion ne
s’était jamais présentée et les négociations avec la papauté n’avaient pu aboutir. Il mourut en 1291, sans avoir
pu ceindre la couronne impériale.
2.3 — Les Électeurs tout-puissants (1292-1313)
— Seul un empereur peut dans la tradition politique germanique désigner son successeur en le faisant élire roi
des Romains. Rodolphe n’en eut pas la possibilité et ne put conséquemment que recommander aux électeurs
de voter pour l’un de ses fils. Les cadets Hartmann et Rodolphe furent ainsi proposés, mais ils moururent
avant leur père. Quant à l’aîné, Albert, Rodolphe lui avait confié le domaine familial et comme il préférait
que les deux fonctions soient distinguées, il se garda de le recommander.
— De sorte qu’en 1292, les électeurs purent exercer leur droit de vote sans contraintes, d’autant qu’ils ne
voyaient pas d’un œil favorable la possibilité qu’en succédant à son père, Albert puisse permettre la
consolidation d’une nouvelle dynastie sur le trône.
— Sous les pressions de l’électeur archevêque de Cologne, qui obtint de son protégé des avantages
importants en matières fiscales et légales, le comte Adolphe de Nassau fut couronné le 24 juin 1292. Ce
dernier s’employa cependant rapidement à s’affranchir des contraintes, provoquant la grogne de ceux qui
l’avaient porté au pouvoir.
— Plus grave, aux yeux des Grands de Germanie, Adolphe « vendit » pour 60 000 marcs d’argent l’amitié
allemande à l’Angleterre d’Édouard 1er, alors en lutte avec la France de Philipe le Bel, avant de vendre à
nouveau cette amitié à la France pour 80 000 marcs... Cette vénalité du roi lui fut bien sûr reprochée et servit
de prétexte aux Grands que gênait déjà la rupture du contrat tacite qu’il avait conclu avec eux.
— De sorte que le 23 juin 1298, lors d’une assemblée princière tenue sous la protection d’Albert de
Habsbourg, Adolphe de Nassau fut déposé. S’ensuivit une guerre que remporta Albert, qui obtint la couronne
comme récompense de ses bons services.
— Les Grands avaient donc choisi de se débarrasser d’un roi trop autonome, au profit d’un autre, qui s’avéra
encore plus indépendant : Rodolphe n’avait guère les moyens de cette indépendance, alors qu’Albert, maître
des riches marches autrichiennes, disposait des ressources nécessaires pour mener la politique qu’il désirait :
accroitre sa puissance pour asseoir sa dynastie, quitte à céder des territoires de la Bourgogne à la France en
échange du soutien du Très Chrétien.
— L’opposition contre Albert se cristallisa autour de la question hollandaise, dont le Habsbourg désirait
s’emparer à la mort sans héritier de son maître, ce qui aurait fait du roi le maître du Rhin, de la Meuse et des
profitables péages qui leur sont associés. L’électeur de Cologne, première victime de cet accroissement de
puissance, fomenta donc en 1300 un complot auquel se joignirent trois autres Électeurs.
— Albert réagit promptement, d’abord en isolant politiquement les électeurs rebelles en s’appuyant sur les
autres princes, puis en les écrasant par la force l’un après l’autre. Dès 1302, la victoire d’Albert était
complète.
— La fronde vaincue, Albert voulut faire ce que son père n’avait pas pu faire, c’est-à-dire asseoir sa lignée.
Pour cela, il devait être couronné empereur, ce qui nécessitait de s’entendre avec le pape. Boniface VIII, qui
était déjà très remonté contre le fait qu’Albert avait été choisi sans qu’il fût consulté n’appréciait par les
bonnes relations du roi avec Philipe le Bel et exigea qu’il renie son entente avec le grand ennemi de la
papauté. Albert y consentit en août 1303, en vain : 2 mois plus tard, le pape mourrait sans que le
couronnement ait pu avoir lieu.
— Le reste de son règne, Albert le passa à étendre le patrimoine familial à l’est, du côté de la Bohême, mais
les succès qu’il y remporta d’abord n’eurent pas de suite, son fils Rodolphe n’ayant survécu que quelques
mois à son couronnement en tant que roi de Bohême. Quant au roi lui-même, il fut assassiné dans le château
familial de Habsbourg par un neveu en colère tenu à l’écart des fortunes de la famille.
— C’est donc un concours de circonstance qui permit aux Électeurs de reprendre leur rôle. Philipe le Bel,
dont la puissance était à ce moment sans égal sur le continent, proposa la candidature de son frère Charles de
Valois, mais les Électeurs, craignant justement cette puissance, choisirent plutôt Henri VII de Luxembourg, le
frère de l’électeur de Trêves, pour devenir le prochain roi des Romains, le 27 novembre 1308.
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— Le choix était astucieux : Henri était un homme actif et ambitieux, mais ses ressources familiales modestes
ne lui permettaient pas d’assouvir ces ambitions. Cependant, Henri sut profiter de l’occasion qui lui fut
offerte à l’est : une alliance matrimoniale fit de son fils Jean le roi de Bohême, alors même que ce royaume
entamait l’ascension qui allait faire de lui le centre de l’empire. Comme la famille Habsbourg avant elle, la
famille Luxembourg voyait le centre de gravité de ses possessions passer à l’est.
— Mais Henri s’intéressait surtout à l’Italie et à la couronne impériale, désireux qu’il était d’assurer la
pérennité de sa famille sur le trône, mais aussi de compenser la faiblesse de son autorité réelle en l’assoyant
sur la couronne impériale. Surtout, l’Italie et ses richesses offraient la possibilité au futur empereur de
compter sur des ressources que ses territoires du nord ne pouvaient lui fournir : près d’un siècle après le sacre
du dernier empereur, le piège italien allait de nouveau jouer son rôle funeste.
— Henri, qui pouvait monnayer sa reconnaissance aux villes et n’hésita pas à le faire pour garnir ses coffres,
se trouva rapidement mêlé à la guerre civile italienne opposant guelfes et gibelins depuis près d’un siècle.
— Malgré les défaites qui affaiblirent son armée, il parvint à se faire couronner en juin 1312. Mais le sacre
n’apaisa pas la résistance de ses adversaires, bien au contraire, et malgré l’appui manifeste et enthousiasme
des gibelins (les tenants du pouvoir temporel), dont celui du célèbre Dante Alighieri, il alla de défaite en
défaite, jusqu’au 24 août 1313, alors qu’une brusque maladie l’emporta.
2.4 — Louis IV de Bavière (1313-1347)
— Henri n’avait pas eu le temps d’asseoir l’autorité de son fils en faisant de lui le roi des Romains avant sa
mort et conséquemment, les Électeurs reprirent le rôle de faiseurs de rois qui était le leur depuis déjà près
d’un demi-siècle, trop heureux encore une fois d’empêcher la consolidation d’une dynastie qui aurait rogné
leur pouvoir.
— Même si les malheureuses péripéties italiennes d’Henri n’avaient concernées la Germanie que de très loin,
l’implication politique renouvelée du roi des Romains dans les affaires italiennes provoqua un sursaut dans ce
conflit entre l’empereur et le pape que l’on croyait résolu depuis la mort de Frédéric II.
— Il faut dire que la situation semblait favorable à une revanche de l’institution impériale : depuis 1309,
Clément V, ancien évêque de Bordeaux et très proche de Philipe le Bel avait élu résidence à Avignon,
prétextant entre autres l’impossibilité pour lui de diriger la chrétienté dans le contexte de la guerre civile
italienne. Ce geste avait déplu souverainement aux Romains et remis en question l’autorité de Clément V, vu
par beaucoup comme une simple marionnette du Très Chrétien.
— Cependant, l’institution impériale était elle aussi sérieusement affaiblie par presque un siècle de vacances
et par l’évolution politique du royaume de Germanie dans lequel, on l’a vu, la primauté politique était passée
des mains du roi de Rome aux princes d’empire, puis à celles des Électeurs.
— De sorte que si ces derniers avaient favorisé Jean de Bohême, ils auraient sans doute permis la remise en
question du concordat de Worms, mais au détriment de leur propre pouvoir. Au côté de Jean, plusieurs autres
personnages prétendaient à la couronne, dont le fils de Philipe le Bel, qui fut écarté pour des raisons
évidentes. Il y avait aussi Frédéric d’Autriche, un Habsbourg, dont l’arrivée sur le trône aurait conduit à une
restauration dynastique dont les électeurs ne voulaient pas.
— C’est donc dans le but de rester les maîtres du jeu que les électeurs se tournèrent vers une autre lignée
princière, celle de Bavière, en la personne de Louis. Les bonnes relations que les Habsbourg entretenaient
avec leur voisin et le fait que la famille de Luxembourg était prête à se rallier à ce compromis donnèrent
l’illusion que la passation de pouvoir se ferait en douceur.
— Ce ne fut malheureusement pas le cas et les Électeurs se divisèrent autour des candidatures de Louis et de
Frédéric, plongeant l’empire dans une guerre civile qui ne prit fin qu’avec la victoire militaire de Louis sur
Frédéric, huit longues années plus tard.
— Rarement un règne aussi long (près d’un tiers de siècle) aura laissé si peu de traces. Ce n’est pas que Louis
était dépourvu de qualités, mais la longue séquence de domination des Électeurs avaient eu un effet pervers
sur l’autorité royale : puisque ceux-ci semblaient vouloir tout faire pour empêcher une consolidation
dynastique, les différents monarques, et Louis en est la meilleure illustration, finirent par se consacrer avant
tout à la consolidation de leurs patrimoines familiaux, au détriment des intérêts de l’empire.
— Louis ne fut bien sûr pas aidé par la résistance des papes, qui refusèrent de le reconnaitre et de le
couronner, allant même jusqu’à l’excommunier, mais d’une certaine façon, ce match-revanche de l’empereur
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contre le pape, qui se solda par un match nul et ne remit donc pas en question le partage des pouvoirs de
l’époque du Concordat de Worms, aurait pu permettre à Louis de se poser en champion de l’intérêt national
contre les ingérences de la Curie dans le processus politique.
— Cependant, l’intérêt qu’il portait avant tout à son patrimoine finit par indisposer les princes à son égard et
c’est à son successeur que reviendra la gloire de trancher le lien historique, devenu si lourd à supporter, entre
l’empereur et le pape.
— Car Louis voulut surtout consolider la puissance de sa famille : après avoir fait de Munich la capitale de
l’empire, il confia à son fils Louis le Brandebourg, devenu vacant en 1324. La même année, il épousa en
secondes noces l’héritière de la Hollande puis en 1341, son margrave de fils épousa la comtesse du Tyrol.
— La famille de Bavière se trouva ainsi à la tête d’un territoire si riche et si étendu que les princes d’empire
en prirent ombrage. Comme Louis avait été excommunié dès 1324 dans le cadre de son conflit avec la
papauté, les électeurs ecclésiastiques se rallièrent en 1346 à la proposition de Clément VI d’élire roi des
Romains le margrave de Moravie, Charles de Luxembourg, le fils de Jean de Bohême.
2.5 — Charles IV (1347-1378)
2.5.1 — Le règne
— La guerre civile menaçait à nouveau, d’autant que Louis conservait de solides appuis, particulièrement
dans les villes, qui voyaient d’un très mauvais œil l’élection de Charles, qu’ils considéraient comme une
marionnette des hiérarques religieux et du pape. La lutte aurait pu s’éterniser n’eût été le secours de la
providence : victime d’une crise cardiaque, Louis IV de Bavière s’effaça dès octobre 1147, laissant le champ
libre à son chanceux rival.
— Après près d’un siècle de chaos, provoqué par des règles électorales fluctuantes, mais surtout par les
ambitions contradictoires des princes, du clergé et des rois, la Germanie allait enfin connaître un règne digne
de ce nom, même si les trois décennies de Charles IV ne furent bien sûr pas sans zones d’ombres. C’est
particulièrement vrai pour l’historiographie allemande du XIXe siècle, pour qui Charles IV n’a fait que peu
de choses pour l’Allemagne, tout occupé qu’il fût à sa chère Bohême.
— Les origines familiales de celui à qui revint la tâche de mettre un peu d’ordre dans l’empire sont à l’image
de celui-ci : complexes et diverses. Fils du roi de Bohême, Jean de Luxembourg, élevé à la cour du TrèsChrétien, Charles IV (où il prit le nom de Charles), Wenceslas était tchèque par sa mère, Habsbourg par son
grand-père et bien sûr pétri d’une culture française, à laquelle il était très attaché, comme en témoigne son
mariage avec la demi-sœur de Philipe VI.
— Polyglotte, cultivé, curieux, il fut initié aux affaires de l’État sous le patronage de son père, devenu
aveugle en 1339, et c’est à la tête de la Bohême qu’il prépara minutieusement son élection au trône de Rome,
laquelle ne fut pas acceptée immédiatement par de nombreux princes allemands. Il parvint cependant à
manœuvrer et à rallier ses critiques et il fut couronné officiellement en juillet 1349.
— Il avait eu l’occasion de séjourner en Italie et il gardait en mémoire les mésaventures de son grand-père
dans la péninsule. De sorte qu’il prépara avec soin son périple sur son territoire, étape obligée du
couronnement. Parti de Bohême accompagnée de 300 cavaliers à l’automne 1354, il fut couronné par le pape
en janvier suivant. Une fois la couronne obtenu, il s’empressa de partir, s’arrêtant seulement pour confirmer
ou concéder, moyennant finance, des représentants dans les villes italiennes. Il ne revint jamais sur ce
territoire.
— Charles prenait très au sérieux son rôle, mais il comprenait aussi très bien les limites de son pouvoir. La
situation financière de la cour impériale était très difficile (ses revenus étaient d’à peine 150 000 florins
annuellement, alors que le roi de France disposait de plus de 2 millions), ce qui limitait ses possibilités
d’action. De sorte que les fonds manquaient pour mener à bien les réformes qu’il aurait souhaité accomplir.
— Ce qu’il ne put faire en tant qu’empereur, il le fit en tant que roi de Bohême (d’où les critiques formulées à
son endroit par l’historiographie allemande), qui devint une sorte de laboratoire des réformes dont les autres
princes, puis ses successeurs au trône impérial purent s’inspirer.
— En Bohême, dont il consolida la cohésion territoriale, il s’employa à mettre en place un véritable État.
Après avoir fait inventorier ses ressources et repris le contrôle des territoires tombés sous la domination de
chevaliers-brigands, il s’employa à faire de Prague une véritable capitale, qui accueillit une administration
digne de ce nom.
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— Pour bien faire fonctionner celle-ci, il fonda à Prague dès 1348, une université, la première de l’empire du
côté nord des Alpes, laquelle favorisa la transformation de la ville en un centre urbain unique en Europe
centrale. Cependant, son manque de goût pour le luxe le rendit incapable d’attirer à Prague la noblesse de
Bohème, qu’il avait en outre de la difficulté à contrôler.
— Il tenta de réduire à son profit les prérogatives de la haute noblesse, en retirant à celle-ci le droit de rendre
justice et en constituant à sa place un système codifié, chapeauté par une cour suprême, mais la résistance fut
si farouche qu’il dût reculer. Néanmoins, ses efforts pour faire de la Bohême le socle de l’empire lui valurent
éventuellement le titre de Père de la Bohème.
— À l’exception de la Bulle d’Or, les réformes à l’extérieur de ses États patrimoniaux furent plus modestes,
malgré le temps et les efforts qu’il y consacra. Il se heurtait systématiquement aux réalités d’un pouvoir que
l’évolution du dernier siècle avait considérablement affaibli, et les faibles moyens financiers de la couronne
ne permettaient pas de mettre en place des institutions centralisées, comme un système judiciaire ou des
services de police. Sans système d’imposition centralisée, impossible de créer un État central et les Grands,
les villes ou les domaines ecclésiastiques ne voulaient rien entendre d’un impôt central.
— De sorte qu’il consacra surtout ses modestes ressources financières à des dépenses somptuaires qui, à
défaut d’accroitre le pouvoir effectif de l’institution impériale favorisaient son pouvoir symbolique, comme la
reconstruction d’une partie de la chapelle palatine d’Aix, la ville de naissance de l’empire.
— Sa politique étrangère raisonnable fut consacrée à maintenir l’ensemble impérial en respectant les
prérogatives de ses différentes composantes, mais aussi en s’employant à freiner les appétits des voisins. La
Bourgogne se trouvait justement au croisement de ces deux orientations, puisque la couronne française s’y
intéressait activement. Comprenant que le rapport de force n’était pas à sa faveur, il s’employa à conserver
l’essentiel plutôt que la totalité, en rattachant la Savoie directement à sa couronne.
— À l’est, il suivit une politique semblable, basée sur le réalisme, et laissa Casimir, le roi de Pologne,
poursuivre sa politique de revanche à l’endroit de la Prusse, que Charles ne considérait pas de toute façon
comme étant défendable. Bref, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’empire, la principale force de Charles
était de connaître ses faiblesses.
2.5.2 — La bulle d’or
— Malgré la pauvreté relative des réalisations de Charles, son règne est néanmoins passé à l’histoire grâce à
son plus important acte législatif, première tentative de codifier le fonctionnement de l’empire et surtout, la
procédure d’élection qui avait déjà provoqué tant de guerres civiles sur le territoire.
— Cette procédure d’élection a évolué grandement depuis la fin de l’époque carolingienne, sans jamais être
fixée par écrit, de sorte qu’il est très difficile d’en retracer l’évolution. On sait cependant qu’à l’origine, et
même si théoriquement tout homme libre pouvait participer à l’élection du roi, ce n’étaient en fait que les
grands propriétaires terriens et les hommes investis de fonctions laïques ou religieuses qui comptaient
vraiment. À cette époque, on ne comptait vraisemblablement pas les voix, recherchant plutôt le consensus.
— Au fil du temps, une discrimination s’est opérée parmi ceux qui participaient à la procédure, sans qu’il soit
toujours facile d’expliquer pourquoi certains princes perdirent leur droit de vote, alors que d’autres le
conservèrent. Sous Barberousse, on l’a vu, cette discrimination fut codifiée, alors que 105 princes d’empire
reçurent le droit de participer.
— Puis à partir du milieu du XIIIe siècle, en 1257, précisément, émergera un collège électoral composé de
sept membres : trois princes archevêques (ceux de Cologne, Trêves, et Mayence — celui-ci obtenant la
dignité de chancelier de l’empire) et quatre princes laïcs (le conte palatin, le duc de Saxe, le margrave de
Brandebourg et le roi de Bohème). Il fallut cependant attendre la Bulle d’or de 1356 pour que l’institution fût
codifiée.
— Cette Bulle d’or, qui portait originellement le nom de Code impérial, fut élaborée tout au long de
l’année 1356. Composé de 31 articles, ce code était essentiellement consacré à régler enfin dans le détail la
procédure électorale et à préciser les attributions des princes-électeurs. Seuls quatre articles s’intéressaient à
d’autres questions.
— Outre la définition officielle des princes disposant du droit de vote, la Bulle proclama l’indivisibilité des
électorats et affirma le principe de primogéniture mâle en matière de succession pour les électorats laïcs (la
procédure prévue par le Concordat de Worms demeurant en place pour les électorats religieux). Si une lignée
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venait à s’éteindre, il revenait à l’empereur de décider à qui confier la succession (sauf pour la Bohème, où
l’élection du roi était du ressort de la noblesse du pays).
— La bulle précisait de même les modalités d’élections : l’unanimité n’était pas nécessaire, la majorité
(quatre voix) étant suffisante, même si le corps électoral était incomplet. L’ordre dans lequel les princes se
prononçaient était également défini, l’archevêque de Mayence, responsable du processus s’exprimant en
dernier. À noter qu’obligation était faite aux princes électeurs de parler, et d’apprendre à leurs enfants, le
tchèque et le latin, afin de bien affirmer le caractère multinational de l’empire.
— Charles choisit de ne pas évoquer la question de l’approbation de l’élection par le pape, ce qui revint à
exclure toutes les prétentions de la Curie sur le processus électoral et même si par la suite certains papes
revendiqueront leur voix au chapitre, le changement ici est fondamental : désormais, la procédure d’élection
du roi de Rome ne concernait officiellement plus que les princes de Germanie et on supposait que le pape
n’aurait qu’à procéder au couronnement de l’homme ainsi choisi par les électeurs. La séparation des pouvoirs
était ainsi clairement codifiée.
— L’empereur, dont la venue sur le trône avait suscité certaines réticences, parvint à faire des princes
électeurs de solides alliés, non seulement en leur réservant le droit de vote, mais aussi en les associant
officiellement à la direction de l’empire; une fois par année, l’empereur devait convoquer le conseil des
princes-électeurs pour débattre avec eux de la gouvernance de l’empire.
— En outre, les électorats obtenaient le transfert de la plupart des droits régaliens sur leur territoire et
disposaient de la souveraineté territoriale. En fait, les prérogatives dont disposaient désormais les électorats
faisaient pratiquement d’eux des États souverains.
— De sorte que la forme administrative de l’empire était enfin codifiée : celui-ci se présentait désormais sous
la forme d’une fédération dans laquelle l’empereur jouait un rôle s’apparentant à celui d’un président dont les
attributions étaient cependant mal définies.
— Le spectre de la monarchie héréditaire était désormais évacué, ce qui paradoxalement favorisa la mise en
place du principe héréditaire, qui bénéficiera bientôt aux Habsbourg : les princes électeurs n’avaient
désormais plus de raisons de craindre l’essor du despotisme, car ils étaient désormais
« constitutionnellement » les supérieurs de l’empereur.
— Enfin, les quatre articles de la Bulle non consacrés à la procédure électorale revêtent aussi une grande
importance : l’un deux fixent les limites de la « guerre privée », fléau des villes et des campagnes, un autre
interdit la création de ligues urbaines (il sera peu appliqué), un troisième limite l’octroi du droit bourgeois aux
gens habitant en ville (compte tenu de l’essor des villes, cette limitation était importante pour les seigneurs) et
le quatrième condamne les péages illégaux (dans le but de donner le monopole de ces péages aux princes et à
l’empereur).
— Malgré ses insuffisances, la Bulle d’Or va permettre la fin des conflits liés à l’accession au trône impérial.
Son efficacité est par ailleurs mise en évidence par le fait que, de la proclamation de la Bulle jusqu’à la fin de
l’institution, on ne comptera qu’une seule destitution et aucune double élection.
3 — Démographie et économie de la Germanie
3.1 — La situation avant 1348
— Selon les estimations des historiens, au tournant du XIVe siècle, la population de la Germanie seule
s’établit dans une fourchette de 15 à 20 millions d’habitants, ce qui constitue une forte hausse depuis trois
siècles, alors qu’à la mort d’Otton III, la population du territoire était probablement de 5 millions d’habitants
environ.
— Si pour expliquer cette croissance importante, il convient de ne pas oublier l’expansion territoriale vers
l’est, le fait que ces territoires soient (encore aujourd’hui, d’ailleurs), moins densément peuplé que ceux du
« vieux Reich » met en évidence une croissance importante sur les territoires des anciens « duchés
ethniques ».
— À quels facteurs peut-on attribuer cette croissance? Sans doute d’abord à la contingence, à l’amélioration
des conditions climatiques dans le nord de l’Europe, car les données dont nous disposons semblent faire état
d’un réchauffement général des températures, qui a permis aux sols déjà cultivés de donner des rendements
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supérieurs, mais aussi de mettre en culture des terres qui, trop froides, ne pouvaient précédemment pas être
utilisées.
— C’est le point de départ : l’augmentation des rendements permet un accroissement de la population et
celle-ci peut alors mettre en valeur davantage de terres, dans un effort de « colonisation intérieure »
important : on note ainsi sur le territoire une réduction des surfaces forestières au bénéfice des terres
cultivées, ce grand effort de défrichage étant mené par tous les propriétaires terriens.
— Peu à peu, les zones utiles de l’ancien Reich ont été occupés, mais comme la population continuait de
croître, il fallut porter l’effort sur les terres de l’autre côté de l’Elbe, rattachées plus récemment à l’influence
germanique.
— Même si on note l’apparition de nouveaux outils et de nouvelles techniques agricoles, il est peu probable
qu’ils aient eu un impact important sur la croissance démographique, car les rendements, tout en augmentant
légèrement grâce à ces innovations, demeurent très faibles.
— Il va de soi que, malgré les progrès de l’urbanisation, la population de Germanie au XIVe siècle est à
90 %, voire 95 % paysanne. De même, de nombreux citadins sont en fait des « bourgeois à champs » qui
habitent à l’intérieur des villes, car ils pratiquent un métier commerçant ou artisanal, mais leurs revenus
dépendent en grande partie des terres, grandes ou petites, qu’ils exploitent à l’extérieur des enceintes.
— Cependant, et grâce aux surplus agricoles qui apparaissent, le commerce se développe peu à peu et
l’économie se monétise et le troc recule au bénéfice des monnaies : il n’y existe pas de monnaie commune à
l’ensemble du territoire, mais l’or et l’argent permettent d’unifier malgré tout, dans une certaine mesure, le
système monétaire.
— La monnaie devient nécessaire au paysan pour payer ses redevances, car les Grands veulent « tenir leur
rang » et ont grand besoin d’espèces pour se procurer les biens de luxe qui se diffusent sur le territoire, alors
que le rétablissement progressif des liens commerciaux avec le monde méditerranéen permet une
diversification des échanges, dont profitent bien sûr les marchands. Dans les villes, de grandes fortunes
commencent peu à peu à se constituer.
— Quant au paysan, il obtient les espèces monétaires nécessaires au paiement des redevances grâce à ses
surplus agricoles, mais aussi par le biais de sa production artisanale, laquelle se diversifie. Il n’est cependant
pas le seul, car dans les villes l’artisanat se développe aussi très bien à travers le pays, alors qu’orfèvres,
armuriers, tailleurs profitent de la croissance des échanges extérieurs et de l’augmentation de la demande
intérieure.
— La condition paysanne, malgré tout, demeure difficile, car comme les rendements sont faibles, une année
de mauvaise récolte suffit à faire plonger des régions entières dans la misère. La situation est envenimée par
la multiplication des dépendances, qui obligent le paysan à sacrifier aux redevances une part considérable de
ses moyens.
— En plus de la dîme, dont la pratique s’est généralisée, le paysan a souvent plusieurs maîtres : il doit verser
des redevances diverses au propriétaire de la terre qu’il cultive, mais aussi à celui à qui il appartient, qui est
parfois le même, parfois non.
— Quant aux paysans libres, ils deviennent au fil des siècles de plus en plus rares : dans un premier temps, la
colonisation des terres de l’est avait permis la survivance d’une paysannerie autonome, mais la puissance des
Grands qui se développe enserre peu à peu aussi cette paysannerie de l’est, alors que les normes de l’ouest
s’imposent. Les territoires qui forment aujourd’hui la Suisse constituent cependant une exception.
— À noter cependant que la condition paysanne varie grandement d’une région à l’autre, car il n’y a pas
d’unité politique et que selon les régions, la commune paysanne à laquelle il appartient dispose d’une
autonomie plus ou moins grande. Dans certains cas, le seigneur laisse même le soin à la communauté de
s’autogérer, parfois même par le biais d’un maire élu par les paysans, à qui revient aussi le droit de rendre
justice pour les crimes mineurs, survivance du droit coutumier germanique.
— De sorte que, si on compare la condition des paysans germaniques à celle des paysans français, où la
construction étatique est bien plus avancée, les premiers vivent relativement mieux, comme en témoigne le
nombre peu élevé de jacqueries d’envergure, qui ne deviendront fréquentes que lorsque l’État (« les États »)
remettront en question, par la multiplication des impôts ou des ingérences judiciaires, la relative autonomie
communale de la paysannerie germanique.
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3.2 — L’impact de la Grande peste
— C’est donc sur une population en plein essor que viendra frapper la Grande peste de 1348. Car si les
épidémies sont fréquentes dans l’Europe médiévale, celle qui surviendra au milieu du XIVe siècle n’a
assurément pas d’égal, et ce même si, grâce aux progrès de l’écriture, elle peut nous apparaître plus violente,
car mieux documentée.
— Provenant sans doute d’Asie, la peste bubonique a profité elle aussi du rétablissement des échanges
commerciaux, alors qu’on trouve ses traces en 1347 en Crimée, point d’aboutissement des routes
commerciales de l’est et point de départ des voies maritimes vers l’ouest. La même année, elle apparaît sur
les côtes italiennes et en moins de deux ans, elle aura parcouru l’Europe entière, touchant jusqu’à la
Scandinavie et la lointaine Russie, la Germanie étant frappée en 1348.
— Cette nouvelle souche inconnue est d’une violence remarquable : en quelques jours, voire en quelques
heures, des communautés entières, villes et villages, sont décimées. Cependant, comme le virus de la peste
voyage avec les marchandises, les territoires à l’extérieur des routes commerciales sont épargnés.
L’ignorance du mode de propagation va faciliter le travail au virus, alors que les survivants des communautés
touchées auront tendance à se ressembler, accélérant ainsi la propagation.
— Sur le territoire de l’Allemagne, les zones les plus touchées sont le cœur même de l’Allemagne médiévale
(Souabe, Franconie, Bavière, Saxe), de même que certaines provinces de l’est. Sur l’ensemble du territoire,
c’est environ 50 % de la population qui disparaitra. Et comme certaines zones sont heureusement épargnées,
dans certaines autres, la population sera littéralement exterminée.
— Évidemment, les mouvements de colonisation internes et externes sont stoppés net, alors que les
défrichements les plus récents sont abandonnés. Sur les marches orientales, l’influence allemande faiblira
rapidement, ce dont témoignent par ailleurs les difficultés de l’ordre Teutonique, de même que le mouvement
hussite.
— Conséquence aberrante de l’épidémie, la population juive installée dans les villes sera soumise à la
vindicte d’une population qui ne comprend pas ce qui se passe et la rumeur populaire voulant que les Juifs
sont responsables, car ils ont empoisonné les puits, se répand rapidement.
— La vague d’antisémitisme qui secoue alors la Germanie et que les pouvoirs politiques ne cherchent pas à
contrôler (au contraire) est bien sûr stimulée par la richesse des membres de cette communauté, dont
s’emparent alors les survivants et les puissances politiques. Les survivants trouveront refuge encore plus à
l’est, en Pologne et en Ukraine actuelle.
— Si dans un premier temps le dynamisme économique du siècle précédent sera stoppé net, en même temps
que les flux commerciaux se tarissent, la peste aura des effets positifs sur l’économie à moyen et long terme,
car elle tue la population sans détruire ni la nature ni la civilisation, contrairement à la guerre. On assiste par
exemple à une concentration de la richesse, en ville comme en campagne, alors que familles et voisins des
victimes ajoutent à leur patrimoine les biens dont ils héritent ou qu’ils usurpent.
— Autre effet positif : la raréfaction de la main-d’œuvre rurale, accentuée par l’exode des campagnes vers les
villes, va permettre la valorisation du paysan. Même si dans certains cas et dans certaines régions, la situation
de la main-d’œuvre, combinée avec la chute des prix agricoles consécutive à l’effondrement de la demande,
va accroitre la pression sur la paysannerie, celle-ci aura la possibilité de « voter avec ses pieds » et d’aller
chercher ailleurs des conditions plus favorables.
— Enfin, dans les villes, la concentration de la richesse entre les mains des survivants et des usurpateurs est
souvent vue comme l’une des causes de l’essor d’un premier capitalisme financier dans les villes allemandes,
lequel va par la suite entrainer les investissements miniers et manufacturiers qui vont au XVe et XVIe siècle
favoriser le décollage économique de l’Allemagne.
4 — L’aventure teutonique
— L’histoire de l’Ordre Teutonique remonte à la 3e croisade, en 1190 plus précisément, même si certaines
sources font remonter l’origine de l’ordre en 1128. C’est alors un ordre hospitalier, fondé par des marchands
des villes du nord de Germanie, pour venir en aide aux chevaliers allemands blessés sous les murs de la ville
de Saint-Jean-D’acre, alors assiégée par les croisés.
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— Frédéric Barberousse reconnut l’ordre des hospitaliers, mais favorisa rapidement sa réorganisation en
ordre militaire, puis le pape Innocent III lui octroya sa reconnaissance officielle en 1199, grâce à laquelle les
dons affluèrent et permirent peu à peu à l’organisation de se développer, d’abord en terre sainte, puis en
Europe, sur différents territoires germaniques comme la Thuringe ou l’actuelle Suisse. Dès 1220, l’ordre
dispose de plus d’une dizaine de communautés.
— L’échec de la 3e croisade, et des autres subséquentes, alliés à l’expansion de l’influence germanique en
Europe orientale, va rapidement changer la dynamique de développement de l’ordre : en effet, pourquoi se
rendre si loin en Asie Mineure pour combattre les infidèles, alors qu’à proximité, des populations païennes,
Slaves et Baltes, s’offrent au zèle apostolique des chevaliers germaniques?
— À la fois désireux de s’entendre avec les Turcs, mais aussi soucieux de bonnes relations avec la Curie,
Frédéric contribua beaucoup à réorienter les activités de l’ordre. De sorte qu’en 1230, il octroya au 4 e grandmaître de l’ordre, Hermann de Salza, le titre de prince d’empire, tout en confiant à l’ordre la souveraineté des
territoires dont il s’empare.
— Pour sa part, le puissant duc Conrad de Mazovie en appela aux troupes teutoniques pour combattre et
christianiser les Prussiens. La ville de Culm fut alors cédée aux Teutoniques en guide de paiement et devint le
centre d’expansion de ceux-ci vers l’est. La base territoriale de la puissance teutonique est alors posée.
— C’est sous Hermann de Salza que l’ordre prit véritablement son envol. Celui-ci réorganisa l’ordre pour lui
donner une structure hiérarchique proche de celle des Chevaliers de Malte (chevaliers, prêtres et frères
servants), de même que l’uniforme par lequel les « chiens chevaliers », comme les appelaient les Salves, se
firent connaître : une blouse blanche ornée d’une croix noire.
— Après qu’Innocent III eut officiellement lancé la croisade contre les Baltes, en 1230, les Teutons
s’emparent rapidement du littoral sud-est de la mer Baltique et construisent de nouvelles villes, dont
Königsberg (l’actuelle Kaliningrad de la Russie) en 1255 et Marienbourg (Malbork, en Pologne) en 1280,
laquelle deviendra capitale de l’ordre en 1309.
— La croissance de la puissance de l’ordre s’effectue parallèlement à l’absorption d’autres ordres de
chevaliers messianiques, comme celui de Saint-Thomas en 1236 et surtout, celui de Livonie en 1237. À ce
moment, Rome lance une autre croisade, cette fois contre les Slaves orthodoxes de l’est, mais cette tentative
de pénétration vers l’est prendra rapidement fin avec la défaite des chevaliers contre les troupes d’Alexandre
Nevski sur le lac Peïpous en 1242.
— Cette défaite marque la fin de la dynamique expansionniste de l’ordre vers l’est, mais pas celle de sa
puissance, alors que les territoires occupés par les Prussiens sont soumis à une féroce colonisation, qui aboutit
à la disparition de la population locale.
— En 1291, avec la chute de Saint-Jean-D’acre, l’ordre perdra sa base méditerranéenne et se consacrera
dorénavant exclusivement à ses territoires du nord, devenant peu à peu un État à part entière, proche de
l’empire, mais détaché administrativement de celui-ci.
— Naturellement, l’État monastique des chevaliers teutons contribue grandement à l’expansion de l’influence
culturelle allemande à l’est. En 1300, on considère que toutes les populations baltes, à l’exception notable des
Lituaniens, se trouvent sous la domination de l’ordre.
— Au cours du quatorzième siècle, l’État teutonique atteint son apogée et acquiert différents territoires par un
mélange de force (Samogitie) et de diplomatie (Estlandie). À ce moment, l’ordre, qui contrôle toute la façade
orientale de la mer Baltique, dispose d’une cinquantaine de châteaux forts.
— L’alliance polono-lituanienne sonne cependant le glas de cette domination au début du XVe siècle, alors
que, consécutivement à la bataille de Grunwald (1410), l’ordre est contraint de signer une paix difficile à
Torun. Cet affaiblissement extérieur est aussi le prélude de troubles intérieurs, alors que les populations
bigarrées soumises à une forte pression fiscale s’insurgent.
— De sorte qu’en 1454, la Pologne-Lituanie croit le fruit mûr et déclenche une guerre qui durera treize ans et
au terme de laquelle l’Ordre, à nouveau vaincu, sera sérieusement affecté : par la seconde paix de Torun
(1466), la Prusse occidentale (dite Prusse royale) est cédée à l’Union polono-lituanienne, alors que le reste du
territoire (la Prusse ducale) doit accepter sa vassalisation au roi de Pologne.
— Le dernier acte sera joué plus tard, au début du XVIe siècle, dans le cadre de la Réforme, alors qu’Albert
de Brandebourg, sous les conseils de Luther et après une autre défaite contre la Pologne, se convertit au
protestantisme et sécularise le territoire, la Prusse ducale devenant un duché héréditaire, toujours soumis à la
Pologne.
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— Cette politique provoquera la scission de la Livonie (Estonie et Lettonie), réduisant considérablement le
territoire de la Prusse, qui demeura cependant lié par l’hérédité à l’électeur du Brandebourg. C’est de là que
partira la vague qui, après avoir supplanté l’empire, devenu habsbourgeois, s’étendra sur tous les territoires
nordiques de la Germanie pour former le 2e Reich au XIXe siècle. Mais de son origine jusqu’à ce moment, la
Prusse ne sera jamais comprise dans l’Empire.
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