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succession, le processus de consolidation étatique puisse reprendre. Ottoniens, Saliens et Hohenstaufen n’ont 
pas disposé de ce délai. 
— Cela étant, l’Angleterre n’a pas non plus été aussi choyée que la France dans le domaine, les Plantagenets 
directs n’ayant disposé que d’un siècle et demi. Pourtant, et même si ici aussi les successions entraineront des 
guerres, l’État anglais, puis britannique, poursuivra sa consolidation. De sorte que, aussi valable qu’elle soit, 
cette  explication  ne  peut  rendre  compte  à  elle  seule  de  l’incapacité  du  monde  germanique  à  se  doter  de 
structures étatiques modernes et nationales avant le XVIIIe siècle. Il faut donc chercher ailleurs. 
— La superficie du territoire à gouverner constitue un autre élément important : à une époque où les moyens 
de communications et de transports sont très primitifs, il est difficile pour une autorité politique d’exercer son 
pouvoir loin de l’endroit où elle se trouve. Or, l’empereur doit exercer cette autorité sur le nord de l’Italie, la 
Germanie et la Bourgogne (et accessoirement la Sicile), soit une superficie de près d’un million de kilomètres 
carrés. Forcément, quand l’Empereur est occupé en Italie, les territoires germains remuent. 
— À  cela  il  convient  d’ajouter,  conséquence  de  cette  superficie,  la  grande  diversité  des  populations  que 
l’empereur doit diriger. Ce n’est pas tant une question de langue (le latin étant la langue savante de toute 
l’Europe à cette époque) qu’une question de traditions et de mode d’organisation.  
— Peu de choses en commun entre l’Italie du Nord, déjà relativement urbanisée et dans les villes de laquelle 
la bourgeoisie occupe des positions politiques importantes, et le royaume de Germanie, pauvre et agricole, 
dans lequel  le pouvoir  est  essentiellement entre  les mains de  seigneurs terriens. Il  devient  donc  difficile 
d’élaborer et d’appliquer des politiques communes à cet ensemble complexe. 
— Cela  étant,  superficie  et  diversité  sont  pratiquement  les  conditions  qui  définissent  l’idée  d’empire : 
d’autres  empires  plus  vastes  et  encore  plus  complexes  ont  pu  supporter  l’épreuve  du  temps,  comme  la 
dynastie Shang en Chine antique. 
— C’est néanmoins un élément de l’idée impériale dans l’Europe médiévale qui constitue le trait distinctif et, 
partant,  explicatif  de  l’échec  des  dynasties  germaniques  à  réussir  en  Germanie  ce  que  d’autres  dynasties 
contemporaines ont  pu  réussir  sur  d’autres territoires :  la  confusion  des pouvoirs  temporels  et spirituels, 
conséquences de la prétention à l’universalité de l’idée impériale. 
— Cette confusion a pour conséquence, on l’a vu, une lutte violente et permanente, à partir du XIe siècle, 
avec  la  papauté.  Occupés  à  cette  lutte  stérile,  les  empereurs  n’ont  eu  d’autres  choix  que  de  laisser  se 
développer en Germanie des pouvoirs locaux forts, capables d’assurer l’ordre minimal d’une part, mais aussi 
d’autre  part  et  par  voie  de  conséquence,  de  battre  en  brèche  l’autorité  impériale  sur  leurs  terres.  Cette 
prétention à l’universalité a ainsi eu comme résultat paradoxal de favoriser, non pas l’unité de territoire, mais 
au contraire son éclatement. 
— Si encore l’empereur avait disposé de moyens matériels à la hauteur de ses prétentions. Mais au fil des 
siècles, le domaine impérial a disparu, ne laissant à l’empereur que les revenus épisodiques qu’il obtient par 
la confirmation des droits qu’il concède aux villes ou aux princes et les impôts perçus auprès des territoires 
disposant de l’immédiateté. C’est peu et c’est surtout peu stable comme sources de revenus. 
— De sorte que l’empereur doit compter sur ses domaines patrimoniaux, limités, pour étendre sa puissance 
sur un domaine territorial qui est immense. Les Capétiens ont d’abord consolidé et étendu leur domaine et par 
la suite seulement, prétendu avoir des droits sur l’ensemble de la France, lorsqu’ils ont eu les moyens de faire 
valoir ceux-ci. En Germanie, le processus a été inversé. 
—  De  sorte  que  pour  ses  projets  impériaux,  l’empereur  doit  compter  sur  la  bonne  volonté  des  princes 
d’empire,  qui  n’ont  pour  leur  part  aucune  envie  de  contribuer  financièrement  à  l’établissement  ou  à  la 
consolidation d’un pouvoir qui aura pour conséquences la diminution et la disparition du leur.  
— Alors ils mettent la  main à la poche avec beaucoup de réticence et préfère choisir pour  empereur un 
homme disposant d’une richesse suffisante pour ses besoins personnels, mais insuffisante pour ses projets et 
sa volonté d’étendre son pouvoir et de matérialiser sa puissance, qui reste pour l’essentiel symbolique.    
— Peut-être aurait-il été plus  sage pour  l’empereur de  renoncer lui-même à ses revendications en matière 
religieuse, comme le firent les rois de France et d’Angleterre, mais il convient de rappeler que la prétention à 
l’universalité des empereurs ne tenait pas qu’à la charge symbolique du titre, car il impliquait aussi des droits 
sur  le  royaume  d’Italie,  cette  Lombardie  dont  la  richesse  des  villes  était  nécessaire  pour  compenser  la 
pauvreté des territoires du nord.    
— Bien sûr, le Très-Chrétien, en France, avait aussi certaines prétentions religieuses, mais il n’entendait pas 
d’abord se placer au-dessus de la papauté, même sur le territoire français : ce n’est qu’à l’époque de Philipe le