Présentation

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Histoire des États
germaniques : Le
Saint-Empire
Quatrième cours :
L’empire « après » l’empire
(1250-1378)
Quatrième cours :
1 – Le point sur la situation en 1250
2 – Évolution politique
3 – Démographie et économie de la
Germanie
4 – L’aventure teutonique
1 – Le point sur la situation
en 1250
• La dynastie des Hohenstaufen ne s’éteint pas avec
Frédéric II : en 1250, son fils Conrad VI lui succéda,
mais il n’eut pas envie de poursuivre la lutte contre la
papauté. Il quitta dès 1252 le territoire de l’Allemagne
pour la Sicile, où il mourut deux ans plus tard.
• Un autre fils de Frédéric II fut couronné en 1258 roi de
Sicile, mais il fut battu par Charles d’Anjou en 1266,
lequel s’empara de la couronne sicilienne.
• Lorsque Conradin, petit-fils de Frédéric II, qui avait tenté
de reprendre la Sicile aux puissantes forces angevines,
fut décapité en octobre 1268, la dynastie
Hohenstaufen s’éteignit. À la grande joie de la
papauté.
• Avec l’extinction de cette troisième dynastie, c’est
une page de l’histoire de l’empire et de l’histoire
germanique, qui est tournée.
• L’empire ne disparait pas et survivra plus de 500 ans à
la mort du dernier Hohenstaufen, mais quelque chose
change à partir de 1250 : plus aucun empereur ne
disposera d’un pouvoir comparable à ceux qui se
succédèrent sur le trône entre 938 et 1250.
• L’Empire n’est pas parvenu à se consolider, mais ce
n’est pas faute d’avoir essayé. Il convient de s’interroger
sur les raisons de cet échec.
• L’une des raisons les plus fréquemment évoquées tient
à la contingence et au hasard : la courte durée des
lignées dynastiques.
• C’est en effet un élément important, car la passation
du pouvoir de père en fils, en ligne directe, permet
généralement d’éviter les guerres de succession.
• D’autre part, la continuité dynastique permet la
continuité des principes politiques qui régissent la
construction étatique. C’est le cas, par exemple, de la
branche des Danilovitch en Moscovie.
• À cet aspect pratique, il convient d’ajouter le caractère
symbolique de la fonction : prétendant tenir son
pouvoir de Dieu, un roi assoie plus facilement sa
légitimité par hérédité que par la voie électorale.
• De sorte que la succession de trois dynasties en trois
siècles n’a pas permis aux empereurs de consolider leur
pouvoir, car chaque siècle, environ, il fallut
recommencer la construction de la légitimité.
• La comparaison avec la France met en évidence ce
rôle de la contingence : arrivé sur le trône par l’élection
d’Hugues Capet en 987, la dynastie capétienne profitera
d’une continuité dynastique : d’Hugues (987) à Jean le
Posthume (1316), la règle de primogéniture mâle peut
s’appliquer.
• Cela a permis à aux Capétiens de construire un pouvoir
qui, bien qu’il chancela à l’extinction de la lignée directe,
disposera de fondations assez solides pour qu’après la
crise de succession, le processus de consolidation
étatique puisse reprendre.
• Mais l’Angleterre n’a pas non plus été aussi choyée
que la France, les Plantagenets directs n’ayant disposé
que d’un siècle et demi. Pourtant, l’État poursuivra sa
consolidation.
• De sorte que cette explication ne peut rendre compte
à elle seule de l’incapacité du monde germanique à se
doter de structures étatiques modernes et nationales.
• La superficie du territoire constitue un autre élément :
à une époque où les moyens de communications sont
primitifs, il est difficile pour une autorité politique
d’exercer son pouvoir loin de l’endroit où elle se
trouve.
• Or, l’empereur doit exercer cette autorité sur une
superficie de près d’un million de kilomètres carrés.
Forcément, quand l’Empereur est occupé en Italie, les
territoires germains remuent.
• À cela il convient d’ajouter la grande diversité des
populations. Ce n’est pas une question de langue, mais
de traditions et de mode d’organisation.
• Peu de choses en commun entre l’Italie du Nord et le
royaume de Germanie et il devient difficile d’élaborer
des politiques communes à cet ensemble complexe.
• Cela étant, d’autres empires plus vastes et encore
plus complexes ont pu supporter l’épreuve du
temps, comme la dynastie Shang en Chine antique.
• Mais un élément de l’idée impériale constitue le trait
explicatif de l’échec des dynasties germaniques à réussir
en Germanie ce que d’autres dynasties ont pu réussir :
la confusion des pouvoirs temporels et spirituels.
• Cette confusion a pour conséquence une lutte
permanente avec la papauté.
• Occupés à cette lutte, les empereurs ont laissé se
développer en Germanie des pouvoirs locaux forts,
capables d’assurer l’ordre, mais aussi de battre en
brèche l’autorité impériale.
• Cette prétention à l’universalité a ainsi eu comme
résultat paradoxal de favoriser, non pas l’unité de
territoire, mais son éclatement.
• Si au moins l’empereur avait disposé de moyens à la
hauteur de ses prétentions : au fil du temps, le
domaine impérial a disparu, ne laissant à l’empereur
que les revenus épisodiques qu’il obtient par la
confirmation des droits qu’il concède aux villes ou aux
princes et les impôts perçus auprès des territoires
disposant de l’immédiateté. C’est peu et peu stable
comme sources de revenus.
• De sorte que l’empereur doit compter sur ses domaines
patrimoniaux, limités, pour étendre sa puissance sur
un domaine territorial qui est immense.
• En France, les Capétiens ont consolidé leur domaine
et par la suite seulement, prétendu à des droits sur
l’ensemble de la France. En Germanie, le processus a
été inversé.
• De sorte que, l’empereur doit compter sur les princes
d’empire, qui n’ont aucune envie de contribuer à la
consolidation d’un pouvoir qui aura pour conséquences
la diminution et la disparition du leur.
• Alors ils mettent la main à la poche avec beaucoup de
réticence et préfèreront choisir pour empereur un
homme disposant d’une richesse suffisante pour ses
besoins personnels, mais insuffisante pour ses
projets et sa volonté d’étendre son pouvoir et de
matérialiser sa puissance, qui reste pour l’essentiel
symbolique.
• Peut-être aurait-il été plus sage pour l’empereur de
renoncer lui-même à ses revendications religieuses,
mais la prétention à l’universalité des empereurs ne
tenait pas qu’à la charge symbolique, car il impliquait
des droits sur le royaume d’Italie, cette Lombardie
dont la richesse des villes était nécessaire pour
compenser la pauvreté des territoires du nord.
• Le Très-Chrétien avait certaines prétentions
religieuses, mais il n’entendait pas se placer au-dessus
de la papauté : ce n’est qu’à l’époque de Philipe le Bel
que le conflit avec Rome dégénérera, mais à ce
moment, la construction étatique sera déjà assez forte
• Cependant, la Germanie existe même en l’absence
d’un État germanique : malgré les distinctions et les
spécificités de leurs langues, de leurs cultures et de leur
environnement politique et économique, les élites de
Germanie commencent dès cette époque à se désigner
comme des habitants des Deutsche Lande.
• À côté de l’institution impériale, le siècle des
Hohenstaufen a vu l’apparition de pouvoirs locaux qui
ont commencé le développement sur leurs territoires
des éléments de l’administration étatique moderne.
• De sorte qu’autour des grands ensembles
territoriaux vont se mettre en place des pouvoirs qui
assureront la relève.
2 — Évolution politique
2.1 — Le Grand interrègne (1254-1273)
• L’empire continue d’exister, même si pour les deux
décennies suivantes, la chose n’est pas évidente.
• Cette période est qualifiée de Grand interrègne ou
d’époque sans empereur, ce qui est paradoxal, car au
cours de ces deux décennies, il y presque toujours au
moins deux hommes pour se prétendre empereur...
• L’anti-empereur Guillaume de Hollande, couronné en
1247 du vivant de Frédéric II, s’éteint en 1256. Il fallut
trouver un remplaçant.
• L’intérêt de cette élection réside dans le fait que l’on voit
apparaître pour la première fois le collège électoral.
• Deux prétendants à ce qui est encore la première
responsabilité politique de la chrétien furent élus par
deux moitiés du collège électoral à quelques
semaines d’intervalles.
• Aucun ne convenait au pape, qui suggéra le roi de
Bohême Ottokar, lequel était rejeté par les Grands de
Germanie, car ce prince déjà très puissant aurait alors
acquis un pouvoir écrasant.
• Les princes se satisfaisaient d’une situation qui leur
permettait de poursuivre la consolidation de leurs
pouvoirs sur leurs territoires.
• Plus encore, la situation leur permit d’accroitre leurs
possessions au détriment de celles de l’empire.
• Les villes d’empire, au contraire, voyaient d’un mauvais
œil la situation, car elles se trouvaient menacées par
l’appétit des seigneurs. Afin d’assurer leur défense,
certaines se constituèrent en ligue dès 1254.
• Autre conséquence, la recrudescence des guerres
privées, causées par la multiplication du recours par les
empereurs à des officiers qui ne disposaient pas de
domaines héréditaires et qui étaient payés en terres.
• Dirigeant de minuscules seigneuries, réduits au
chômage par l’effacement de l’État, ces chevaliers
d’empire vivaient de pillage et de rançonnage.
• Si les paysans en étaient victimes, ce sont avant tout
les villes qui en souffraient, autre raison de tenter de
s’organiser.
• Les princes étrangers ne se privèrent pas et les
Français, surtout le prince d’Anjou, en profitèrent.
• Non content de s’être emparé de la Sicile, Charles
s’employait à asseoir son autorité sur le nord de l’Italie,
pendant que Philipe le Bel plaçait Lyon sous son sceptre
et faisait d’Otton IV de Bourgogne son vassal. De plus
en plus, l’Empire se résumait à la Germanie.
• À moyen et long termes, cette perte de contrôle des
autres royaumes fut sans doute bénéfique aux États
allemands, car leurs souverains durent se concentrer
sur leurs propres terres qui avaient pâti des ambitions
impériales.
• Même sur le court terme, on peut croire que ces
ingérences ont joué un rôle dans la prise de
conscience par les Allemands de leur identité.
2.2 — Le premier Habsbourg : Rodolphe (1273-1291)
• En 1272 lorsque s’éteint « l’empereur » Richard de
Cornouailles, qui avait peu séjourné en Germanie et
dont l’autorité était contesté, le pape lui-même, désireux
de ne pas rester seul en charge de la chrétienté, fit
pression pour que les Grands parviennent à s’entendre.
• Après avoir œuvré plus d’un siècle à affaiblir le pouvoir
impérial, la Curie redécouvrait les vertus de l’empire :
menacé par la dynastie angevine au sud, le pape avait
à nouveau besoin d’un contrepoids au nord.
• De même, l’échec des Croisades de Louis IX avait
laissé les États latins d’Orient dans une situation difficile
et une nouvelle croisade était nécessaire. Or, qui d’autre
qu’un empereur pouvait prétendre guider la
chrétienté?
• Les Grands choisirent alors un personnage surprenant
et Rodolphe de Habsbourg devint roi des romains.
• Il n’était pas lié aux dynasties précédentes et ne
disposait pas d’une puissance matérielle menaçante.
• Mais son patrimoine n’était pas non plus insignifiant,
ce qui semblait garantir que l’empereur n’aurait pas
recours aux « contributions » trop fréquemment.
• Le 1er octobre 1273, la famille Habsbourg fait son
entrée dans l’histoire allemande. Si à la fin du Moyenâge les thuriféraires des Habsbourg parvinrent à faire
remonter l’origine de la famille jusqu’aux Romains, à
l’époque de Rodolphe, les généalogistes ne pouvaient
remonter qu’au XIe siècle.
• Le premier comte de Habsbourg semble s’être affublé
du titre au début du XIIe siècle, alors qu’il régnait sur
un domaine de ce nom, fort modeste, dans la région de
Zurich, en Suisse contemporaine.
• Peu à peu, les possessions de la famille s’étendirent en
Alsace, mais au moment de son couronnement,
Rodolphe n’était même pas prince d’empire.
• Pieux et proche des Hohenstaufen, Rodolphe accède
au trône dans la cinquantaine déjà, ce qui était à la fois
un gage de son expérience et offrait la certitude qu’il ne
serait pas empereur très longtemps.
• Modeste mais conscient de ses responsabilités, il
employa son règne à deux choses : la paix intérieure et
la consolidation des possessions de sa famille.
• Il se tourna contre les chevaliers-brigands, qui
avaient profité de l’interrègne pour empiéter sur les biens
d’empire qui furent récupérés par la force.
• Cette mise au pas attira sur le roi des Romains la
sympathie des victimes des chevaliers : la population
des villes, qui lui fournirent les forces militaires et les
sommes nécessaires à ce travail de policier.
• De nombreuses villes en furent remerciées par
l’obtention de l’immédiateté.
• Quant aux possessions familiales, il dû à l’arrogance
d’Ottokar de Bohème la chance qui lui fut donnée d’en
accroitre l’étendue. Ce dernier refusa de lui demander
l’investiture de ses titres et en 1275, il fut mis au ban
de l’empire.
• Après deux guerre perdues, son royaume fut dépecé et
si son fils Wenceslas conserva la Bohême, ses
possessions autrichiennes furent en 1282 confiées
aux fils de Rodolphe.
• Cet événement est historique : dès lors, la maison de
Habsbourg s’établissait en Autriche.
• Ailleurs, Rodolphe reprit pied en Italie en renonçant à
la Romagne, qu’il céda à la papauté. En Bourgogne, la
diplomatie dut s’appuyer sur la force pour permettre le
rétablissement de l’autorité impériale.
• Rodolphe crut pouvoir consolider son pouvoir en
épousant la sœur du duc de Bourgogne (alors âgée
de 15 ans...), mais prise en étaux entre les prétentions
de Philipe le Bel et celles d’Otton, duc de FrancheComté, la Bourgogne ne fut pas solidement rattachée
à l’empire.
• D’ailleurs, le roi n’avait pas été couronné empereur : il
avait songé à la couronne, mais l’occasion ne s’était
jamais présentée et les négociations avec la papauté
n’avaient pu aboutir. Il mourut en 1291, sans avoir pu
ceindre la couronne impériale.
2.3 — Les Électeurs tout-puissants (1292-1313)
• Seul un empereur peut désigner son successeur en le
faisant élire roi des Romains. Rodolphe n’en eut pas la
possibilité et ne put que recommander l’un de ses fils.
• Les cadets furent proposés, mais moururent avant leur
père. Quant à Albert, Rodolphe lui avait confié le
domaine familial et il préférait que les deux fonctions
soient distinguées, donc se garda de le recommander.
• De même en 1292, les électeurs ne voyaient pas d’un
bon œil la possibilité qu’en succédant qu’Albert puisse
permettre la consolidation d’une nouvelle dynastie.
• Sous les pressions de l’électeur de Cologne, qui obtint
des avantages en matières fiscales et légales, Adolphe
de Nassau fut couronné le 24 juin 1292. Ce dernier
s’employa rapidement à s’affranchir, provoquant la
grogne de ceux qui l’avaient porté au pouvoir.
• Plus grave, Adolphe « vendit » pour 60 000 marcs
l’amitié allemande à l’Angleterre d’Édouard 1er, alors
en lutte avec la France de Philipe le Bel, avant de
vendre cette amitié à la France pour 80 000 marcs...
• Cette vénalité lui fut reprochée et servit de prétexte
aux Grands que gênait la rupture du contrat tacite qu’il
avait conclu avec eux.
• De sorte que le 23 juin 1298, lors d’une assemblée sous
la protection d’Albert de Habsbourg, Adolphe fut déposé.
S’ensuivit une guerre que remporta Albert, qui obtint la
couronne comme récompense.
• Les Grands avaient choisi de se débarrasser d’un roi
autonome, au profit d’un autre encore plus indépendant.
Albert, maître des marches autrichiennes, disposait
des ressources pour mener la politique qu’il
désirait : accroitre sa puissance pour asseoir sa
dynastie, quitte à céder des territoires (de la Bourgogne)
à la France.
• L’opposition contre Albert se cristallisa autour de la
question hollandaise, dont le Habsbourg désirait
s’emparer, ce qui l’aurait fait maître du Rhin, de la
Meuse et des péages qui leur sont associés.
• L’électeur de Cologne, première victime, fomenta en
1300 un complot auquel se joignirent 3 Électeurs.
• Albert réagit en isolant les électeurs rebelles en
s’appuyant sur les autres princes, puis en les écrasant
l’un après l’autre. Dès 1302, sa victoire était complète.
• La fronde vaincue, Albert voulut asseoir sa lignée.
Pour cela, il devait être couronné empereur, ce qui
nécessitait de s’entendre avec le pape.
• Boniface VIII, très remonté contre le fait qu’Albert avait
été choisi sans qu’il fût consulté, n’appréciait par les
bonnes relations du roi avec Philipe le Bel et exigea qu’il
renie son entente avec le grand ennemi de la
papauté.
• Albert y consentit, en vain, car le pape mourût sans
que le couronnement ait pu avoir lieu.
• Le reste de son règne, Albert le passa à étendre le
patrimoine familial à l’est, du côté de la Bohême. Il fut
assassiné en 1308 dans le château familial de
Habsbourg par un neveu en colère tenu à l’écart.
• Ce concours de circonstance qui permit aux Électeurs
de reprendre leur rôle. Philipe le Bel proposa son frère
Charles, mais les Électeurs choisirent plutôt Henri VII de
Luxembourg, frère de l’électeur de Trêves.
• Le choix était astucieux : Henri était actif et ambitieux,
mais ses modestes ressources ne lui permettaient pas
d’assouvir ces ambitions.
• Cependant, Henri sut profiter d’une occasion à l’est : une
alliance matrimoniale fit de son fils Jean le roi de
Bohême, alors même que ce royaume entamait
l’ascension qui allait en faire de lui le centre de l’empire.
• Comme la famille Habsbourg avant elle, la famille
Luxembourg voyait le centre de gravité de ses
possessions passer à l’est.
• Mais Henri s’intéressait surtout à l’Italie (et à la
couronne impériale) qui donnait la possibilité au futur
empereur de compter sur des ressources que ses
territoires du nord ne pouvaient lui fournir : le piège
italien allait de nouveau jouer son rôle funeste.
• Henri se trouva mêlé à la guerre civile italienne
opposant guelfes et gibelins depuis près d’un siècle.
• Malgré les défaites qui affaiblirent son armée, il parvint à
se faire couronner en juin 1312.
• Le sacre n’apaisa pas la résistance de ses adversaires
et malgré l’appui des gibelins, dont celui de Dante
Alighieri, il alla de défaite en défaite, jusqu’au 24 août
1313, alors qu’une brusque maladie l’emporta.
2.4 — Louis IV de Bavière (1313-1347)
• Henri n’avait pas eu le temps de faire de son fils le roi
des Romains et les Électeurs reprirent le rôle de
faiseurs de rois, trop heureux encore une fois
d’empêcher la consolidation d’une dynastie.
• Même si les péripéties italiennes d’Henri avaient peu
concernées la Germanie, l’implication du roi des
Romains dans les affaires italiennes provoqua un
sursaut dans le conflit entre l’empereur et le pape.
• La situation semblait favorable à une revanche : depuis
1309, Clément V avait élu résidence à Avignon,
prétextant l’impossibilité de diriger la chrétienté dans le
contexte de la guerre civile italienne.
• Ce geste avait déplu aux Romains et remis en question
l’autorité de Clément V, vu par beaucoup comme une
simple marionnette du Très Chrétien.
• Mais l’institution impériale était aussi affaiblie par
l’évolution du royaume de Germanie, dans lequel la
primauté était passée des mains du roi de Rome aux
princes d’empire, puis à celles des Électeurs.
• Si ces derniers avaient favorisé Jean de Bohême, ils
auraient permis la remise en question du concordat
de Worms, mais au détriment de leur propre pouvoir.
• Au côté de Jean, plusieurs autres personnages
prétendaient à la couronne, dont le fils de Philipe le Bel.
Il y avait aussi Frédéric de Habsbourg, dont l’arrivée
sur le trône aurait conduit à une restauration dynastique.
• C’est donc pour rester maîtres du jeu que les électeurs
se tournèrent vers une autre lignée princière, celle de
Bavière, en la personne de Louis.
• Les bonnes relations que les Habsbourg entretenaient
avec leur voisin et le fait que la famille de Luxembourg
était prête à se rallier donnèrent l’illusion que la
passation de pouvoir se ferait en douceur.
• Ce ne fut pas le cas et les Électeurs se divisèrent
autour des candidatures de Louis et de Frédéric,
provoquant une guerre civile qui ne prit fin qu’avec la
victoire militaire de Louis sur Frédéric, huit ans plus tard.
• Rarement un règne aussi long aura laissé si peu de
traces. Louis n’était pas dépourvu de qualités, mais la
domination des Électeurs avaient eu un effet pervers.
• Puisque les électeurs faisaient tout pour empêcher une
consolidation dynastique, les monarques finirent par
se consacrer avant tout à la consolidation de leurs
patrimoines familiaux, au détriment de l’empire.
• Louis ne fut pas aidé par la résistance des papes, qui
refusèrent
de
le
couronner,
allant
jusqu’à
l’excommunier, mais, ce match-revanche, qui se solda
par un match nul et ne remit pas en question le
Concordat de Worms, aurait pu permettre à Louis de
se poser en champion de l’intérêt national contre les
ingérences de la Curie.
• Mais l’intérêt qu’il portait à son patrimoine finit par
indisposer les princes et c’est à son successeur que
reviendra la gloire de trancher le lien historique entre
l’empereur et le pape.
• Car Louis voulut surtout consolider la puissance de
sa famille : après avoir fait de Munich la capitale de
l’empire, il confia à son fils le Brandebourg, devenu
vacant en 1324. La même année, il épousa l’héritière
de la Hollande puis en 1341, son margrave de fils
épousa la comtesse du Tyrol.
• La famille de Bavière se trouva à la tête d’un territoire si
riche et si étendu que les princes en prirent ombrage.
• Comme Louis avait été excommunié dès 1324 dans le
cadre de son conflit avec la papauté, les électeurs se
rallièrent en 1346 à la proposition de Clément VI
d’élire roi des Romains le margrave de Moravie, Charles
de Luxembourg, le fils de Jean de Bohême.
2.5 — Charles IV (1347-1378)
2.5.1 — Le règne
• La guerre civile menaçait car Louis conservait de
solides appuis dans les villes, qui voyaient d’un mauvais
œil l’élection de Charles, qu’ils considéraient comme une
marionnette des hiérarques religieux et du pape.
• La lutte aurait pu s’éterniser sans le secours de la
providence : victime d’une crise cardiaque, Louis IV
s’effaça en octobre 1147.
• Après un siècle de chaos, provoqué par des règles
électorales fluctuantes et par les ambitions des princes,
du clergé et des rois, la Germanie allait connaître un
règne digne de ce nom, même si celui de Charles IV
ne fut pas sans zones d’ombres.
• C’est particulièrement vrai pour l’historiographie
allemande du XIXe siècle, pour qui Charles IV n’a fait
que peu de choses pour l’Allemagne, tout occupé qu’il
était à sa chère Bohême.
• Les origines familiales de celui à qui revint la tâche de
mettre un peu d’ordre dans l’empire sont à l’image de
celui-ci : complexes et diverses.
• Fils du roi de Bohême, Jean de Luxembourg, élevé à la
cour de France (où il prit le nom de Charles),
Wenceslas était tchèque par sa mère, Habsbourg par
son grand-père et pétri de culture française.
• Polyglotte, cultivé, curieux, il fut initié aux affaires de
l’État par son père, devenu aveugle en 1339, et c’est à la
tête de la Bohême qu’il prépara son élection, laquelle ne
fut pas acceptée immédiatement par de nombreux
princes. Il parvint à manœuvrer et à rallier ses critiques
et il fut couronné officiellement roi en juillet 1349.
• Il avait séjourné en Italie et gardait en mémoire les
mésaventures de son grand-père. De sorte qu’il prépara
son périple vers Rome, étape obligée du
couronnement.
• Parti de Bohême accompagnée de 300 cavaliers à
l’automne 1354, il fut couronné en janvier 1355. Puis il
s’empressa de partir, s’arrêtant seulement pour
confirmer des représentants dans les villes italiennes. Il
ne revint jamais sur ce territoire.
• Charles prenait au sérieux son rôle, mais il comprenait
les limites de son pouvoir. La situation financière de la
cour impériale était très difficile (150 000 florins de
revenus), ce qui limitait ses possibilités. Les fonds
manquaient pour mener les réformes qu’il voulait.
• Ce qu’il ne put faire en tant qu’empereur, il le fit en tant
que roi de Bohême, qui devint une sorte de
laboratoire des réformes dont les autres princes, puis
ses successeurs au trône impérial, purent s’inspirer.
• En Bohême, après avoir fait inventorier ses ressources
et repris le contrôle des territoires tombés sous la
domination de chevaliers, il fit de Prague une véritable
capitale, qui accueillit une administration digne de ce
nom.
• Pour bien faire fonctionner celle-ci, il fonda à Prague la
première université de l’empire du côté nord des
Alpes, laquelle favorisa la transformation de la ville en
un centre urbain unique en Europe centrale.
• Mais le manque de goût de l’empereur pour le luxe le
rendit incapable d’attirer à Prague la noblesse de
Bohème, qu’il contrôlait mal.
• Il tenta de réduire les prérogatives de la noblesse en
lui retirant le droit de rendre justice et en constituant
un système codifié, chapeauté par une cour suprême,
mais la résistance fut si farouche qu’il dût reculer.
• Néanmoins, ses efforts pour faire de la Bohême le socle
de l’empire lui valurent le titre de Père de la Bohème.
• À l’exception de la Bulle d’Or, les réformes à l’extérieur
de ses États patrimoniaux furent plus modestes,
malgré les efforts qu’il y consacra.
• Il se heurtait aux réalités d’un pouvoir que l’évolution
avait considérablement affaibli et ses faibles moyens
financiers ne permettaient pas de mettre en place des
institutions centralisées, comme un système judiciaire ou
des services de police.
• Sans système d’imposition, impossible de créer un
État central et les Grands et les villes ne voulaient rien
entendre d’un impôt central.
• Il consacra surtout ses ressources à des dépenses
somptuaires qui favorisaient son pouvoir symbolique,
comme la reconstruction d’une partie de la chapelle
palatine d’Aix, la ville de naissance de l’empire.
• Sa politique étrangère raisonnable fut consacrée à
maintenir l’ensemble impérial en respectant les
prérogatives de ses différentes composantes et en
s’employant à freiner les appétits des voisins.
• La Bourgogne se trouvait justement au croisement de
ces deux orientations, puisque la couronne française s’y
intéressait. Comprenant que le rapport de force n’était
pas à sa faveur, il s’employa à conserver l’essentiel
plutôt que la totalité, en rattachant la Savoie
directement à sa couronne.
• À l’est aussi, il suivit une politique réaliste et laissa
Casimir, le roi de Pologne, poursuivre sa politique de
revanche à l’endroit de la Prusse, que Charles ne
considérait pas de toute façon comme étant défendable.
• Bref, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’empire, la
principale force de Charles était de connaître ses
faiblesses.
2.5.2 — La bulle d’or
• Charles IV est passé à l’histoire grâce à son plus
important acte législatif, première tentative de codifier
le fonctionnement de l’empire et la procédure d’élection.
• Cette procédure a évolué grandement depuis la fin de
l’époque carolingienne, sans jamais être fixée par écrit,
de sorte qu’il est très difficile d’en retracer l’évolution.
• On sait qu’à l’origine, et même si tout homme libre
pouvait participer à l’élection, ce n’étaient en fait que
les grands propriétaires et les hommes investis de
fonctions laïques ou religieuses qui comptaient
vraiment. À cette époque, on ne comptait pas les voix,
recherchant plutôt le consensus.
• Au fil du temps, une discrimination s’est opérée mais il
est difficile d’expliquer pourquoi certains princes
perdirent leur droit, alors que d’autres le conservèrent.
• Sous Barberousse, cette discrimination fut codifiée et
105 princes d’empire reçurent le droit de participer.
• À partir de 1257 émergera un collège électoral
composé de sept membres : trois princes archevêques
et quatre princes laïcs. Mais il fallut attendre la Bulle d’or
de 1356 pour que l’institution fût codifiée.
• La Bulle d’or est composé de 31 articles,
essentiellement consacrés à régler la procédure
électorale et à préciser les attributions des princesélecteurs. Seuls quatre articles s’intéressaient à
d’autres questions.
• Outre la définition des princes disposant du droit de vote,
la Bulle proclama l’indivisibilité des électorats et
affirma le principe de primogéniture mâle en matière de
succession pour les électorats laïcs
• Si une lignée venait à s’éteindre, l’empereur décidait à
qui confier la succession (sauf pour la Bohème).
• La bulle précisait les modalités d’élections : l’unanimité
n’était pas nécessaire, la majorité étant suffisante, même
si le corps électoral était incomplet.
• L’ordre dans lequel les princes se prononçaient était
défini, l’archevêque de Mayence, responsable du
processus, s’exprimant en dernier.
• À noter qu’obligation était faite aux princes électeurs de
parler, et d’apprendre à leurs enfants, tchèque et
latin, afin d’affirmer le caractère multinational de
l’empire.
• Charles choisit de ne pas évoquer la question de
l’approbation de l’élection par le pape, ce qui revint à
exclure toutes les prétentions de la Curie
• Même si certains papes revendiqueront leur voix au
chapitre, le changement est fondamental : désormais, la
procédure d’élection du roi des Romains ne
concernait plus que les princes de Germanie.
• On supposait que le pape n’aurait qu’à procéder au
couronnement de l’homme choisi par les électeurs.
La séparation des pouvoirs était ainsi codifiée.
• L’empereur parvint à faire des princes électeurs de
solides alliés, non seulement en leur réservant le droit
de vote, mais aussi en les associant à la direction de
l’empire: une fois par année, l’empereur devait
convoquer le conseil des princes-électeurs pour
débattre de la gouvernance de l’empire.
• Les électorats obtenaient le transfert de la plupart des
droits régaliens et disposaient de la souveraineté
territoriale. Leurs prérogatives faisaient pratiquement
d’eux des États souverains.
• De sorte que la forme administrative de l’empire était
enfin codifiée : celui-ci se présentait désormais sous la
forme d’une fédération dans laquelle l’empereur jouait
un rôle s’apparentant à celui d’un président dont les
attributions étaient cependant mal définies.
• Le spectre de la monarchie héréditaire était évacué,
ce qui favorisa la mise en place du principe
héréditaire : les princes électeurs n’avaient désormais
plus de raisons de craindre l’essor du despotisme, car ils
étaient désormais « constitutionnellement » les
supérieurs de l’empereur.
• Les quatre articles non consacrés à la procédure
électorale revêtent aussi une grande importance : l’un
deux fixent les limites de la « guerre privée », un autre
interdit la création de ligues urbaines, un troisième
limite l’octroi du droit bourgeois aux gens habitant en
ville et le quatrième condamne les péages illégaux.
• Malgré ses insuffisances, la Bulle d’Or va permettre la
fin des conflits liés à l’accession au trône.
• Son efficacité est mise en évidence par le fait que, de la
proclamation de la Bulle jusqu’à la fin, on ne comptera
qu’une seule destitution et aucune double élection.
3 — Démographie et
économie de la Germanie
3.1 — La situation avant 1348
• Selon les estimations, au tournant du XIVe siècle, la
population de la Germanie s’établit dans une fourchette
de 15 à 20 millions d’habitants, ce qui constitue une
forte hausse depuis trois siècles : à la mort d’Otton III,
la population était probablement de 5 millions
d’habitants.
• Si il convient de ne pas oublier l’expansion territoriale
vers l’est, le fait que ces territoires soient moins
densément peuplés que ceux du « vieux Reich » met en
évidence une croissance importante sur les
territoires des anciens « duchés ethniques ».
• À quels facteurs attribuer cette croissance? D’abord à
l’amélioration des conditions climatiques, les
données faisant état d’un réchauffement, qui a permis
aux sols déjà cultivés de donner des rendements
supérieurs, et de mettre en culture des terres qui ne
pouvaient précédemment pas être utilisées.
• L’augmentation
des
rendements
permet
un
accroissement de la population, qui peut alors mettre
en valeur davantage de terres, dans un effort de
« colonisation intérieure » important.
• On note ainsi une réduction des surfaces forestières
au bénéfice des terres cultivées, ce grand effort de
défrichage étant mené par tous les propriétaires.
• Peu à peu, les zones utiles de l’ancien Reich ont été
occupées, mais comme la population continuait de
croître, il fallut porter l’effort sur les terres de l’autre
côté de l’Elbe, rattachées plus récemment.
• Même si on note l’apparition de nouveaux outils et de
nouvelles techniques, il est peu probable qu’ils aient eu
un
impact
important
sur
la
croissance
démographique, car les rendements demeurent
faibles.
• Malgré les progrès de l’urbanisation, la population au
XIVe siècle est à 90 %, voire 95 % paysanne.
• De nombreux citadins sont des « bourgeois à
champs » qui habitent à l’intérieur des villes, car ils
pratiquent un métier commerçant ou artisanal, mais
leurs revenus dépendent en grande partie des terres
qu’ils exploitent à l’extérieur des enceintes.
• Cependant, grâce aux surplus agricoles, le commerce
se développe, l’économie se monétise et le troc recule.
• Il n’y existe pas de monnaie commune à l’ensemble du
territoire, mais l’or et l’argent permettent d’unifier dans
une certaine mesure le système monétaire.
• La monnaie devient nécessaire au paysan pour payer
ses redevances, car les Grands ont besoin d’espèces
pour se procurer les biens de luxe.
• Le rétablissement des liens commerciaux avec le
monde méditerranéen permet une diversification des
échanges. Dans les villes, de grandes fortunes
commencent peu à peu à se constituer.
• Le paysan obtient les espèces monétaires nécessaires
grâce à ses surplus agricoles, mais aussi par le biais
de sa production artisanale, laquelle se diversifie.
• Dans les villes l’artisanat se développe aussi, alors
qu’orfèvres, armuriers, tailleurs profitent de la
croissance
des
échanges
extérieurs
et
de
l’augmentation de la demande intérieure.
• La condition paysanne demeure difficile, car les
rendements sont faibles et une mauvaise année suffit à
faire plonger des régions entières dans la misère.
• La situation est envenimée par la multiplication des
dépendances, qui obligent le paysan à sacrifier aux
redevances une part considérable de ses moyens.
• Le paysan a souvent plusieurs maîtres : il doit verser
des redevances au propriétaire de la terre qu’il
cultive, mais aussi à celui à qui il appartient, qui est
parfois le même, parfois non. À cela il faut aussi ajouter
la dîme.
• Quant aux paysans libres, ils deviennent de plus en
plus rares : dans un premier temps, la colonisation des
terres de l’est avait permis la survivance d’une
paysannerie autonome, mais la puissance des
Grands l’enserre aussi peu à peu.
• À noter que la condition paysanne varie d’une région
à l’autre, car il n’y a pas d’unité politique et que selon
les régions, la commune paysanne à laquelle il
appartient dispose d’une autonomie plus ou moins
grande.
• Dans certains cas, le seigneur laisse le soin à la
communauté de s’autogérer, parfois par le biais d’un
maire élu par les paysans, à qui revient le droit de
rendre justice pour les crimes mineurs, survivance du
droit coutumier germanique.
• De sorte que, si on compare la condition des paysans
germaniques à celle des paysans français, où la
construction étatique est bien plus avancée, les
premiers vivent relativement mieux, comme en
témoigne le nombre peu élevé de jacqueries
d’envergure.
• Celles-ci ne deviendront fréquentes que lorsque l’État
(« les États ») remettront en question, par la
multiplication des impôts ou des ingérences
judiciaires, la relative autonomie communale de la
paysannerie germanique.
3.2 — L’impact de la Grande peste
• C’est sur une population en plein essor que viendra
frapper la Grande peste de 1348. Car si les épidémies
sont fréquentes dans l’Europe médiévale, celle qui
surviendra au milieu du XIVe siècle n’a pas d’égal,
même si, grâce aux progrès de l’écriture, elle peut nous
apparaître plus violente, car mieux documentée.
• Provenant d’Asie, la peste bubonique a profité du
rétablissement des échanges commerciaux, alors
qu’on trouve ses traces en 1347 en Crimée, point
d’aboutissement des routes commerciales de l’est et
point de départ des voies maritimes vers l’ouest.
• La même année, elle apparaît sur les côtes italiennes
et en moins de deux ans, elle aura parcouru l’Europe
entière, touchant jusqu’à la Scandinavie et la Russie, la
Germanie étant frappée en 1348.
La grande peste (1348)
• Cette
nouvelle
souche
est
d’une
violence
remarquable : en quelques jours ou quelques
heures, des communautés entières sont décimées.
• Comme le virus voyage avec les marchandises, les
territoires à l’extérieur des routes commerciales sont
épargnés.
• L’ignorance du mode de propagation va faciliter le
travail au virus, alors que les survivants auront
tendance à se ressembler, accélérant ainsi la
propagation.
• Les zones les plus touchées sont le cœur même de
l’Allemagne médiévale (Souabe, Franconie, Bavière,
Saxe), de même que certaines provinces de l’est.
• Sur l’ensemble du territoire, c’est environ 50 % de la
population qui disparaitra. Et comme certaines zones
sont heureusement épargnées, dans certaines autres, la
population sera littéralement exterminée.
• Les mouvements de colonisation sont stoppés net,
alors que les défrichements les plus récents sont
abandonnés.
• Sur les marches orientales, l’influence allemande
faiblira, ce dont témoignent les difficultés de l’ordre
Teutonique, de même que le mouvement hussite.
• Conséquence aberrante de l’épidémie, la population
juive sera soumise à la vindicte d’une population qui
ne comprend pas ce qui se passe et la rumeur populaire
voulant que les Juifs sont responsables, car ils ont
empoisonné les puits, se répand rapidement.
• La vague d’antisémitisme qui secoue alors la Germanie
et que les pouvoirs politiques ne cherchent pas à
contrôler (au contraire) est bien sûr stimulée par la
richesse des membres de cette communauté, dont
s’emparent alors les survivants et les puissances
politiques. Les survivants trouveront refuge encore
plus à l’est, en Pologne et en Ukraine actuelle.
• Dans un premier temps le dynamisme économique
sera stoppé, en même temps que les flux commerciaux
se tarissent, mais la peste aura des effets positifs sur
l’économie à moyen et long terme, car elle tue la
population sans détruire ni la nature ni la civilisation.
• On assiste par exemple à une concentration de la
richesse, en ville comme en campagne, alors que
familles et voisins des victimes ajoutent à leur patrimoine
les biens dont ils héritent ou qu’ils usurpent.
• Autre effet positif : la raréfaction de la main-d’œuvre
rurale, accentuée par l’exode des campagnes vers les
villes, va permettre la valorisation du paysan.
• Même si dans certains cas, la situation de la maind’œuvre, combinée à la chute des prix agricoles, va
accroitre la pression sur la paysannerie, celle-ci aura la
possibilité d’aller chercher ailleurs des conditions
plus favorables.
• Dans les villes, la concentration de la richesse entre
les mains des survivants et des usurpateurs est souvent
vue comme l’une des causes de l’essor d’un premier
capitalisme financier, lequel va par la suite entrainer
les investissements miniers et manufacturiers qui vont
au XVe et XVIe siècle favoriser le décollage économique
de l’Allemagne.
4 — L’aventure teutonique
• L’histoire de l’Ordre Teutonique remonte à la 3e
croisade, même si certaines sources font remonter
l’origine de l’ordre en 1128.
• C’est alors un ordre hospitalier, fondé par des
marchands des villes du nord de Germanie, pour venir
en aide aux chevaliers allemands blessés sous les
murs de la ville de Saint-Jean-D’acre.
• Frédéric Barberousse reconnut l’ordre, mais favorisa
sa réorganisation en ordre militaire, puis le pape
Innocent III lui octroya sa reconnaissance officielle en
1199, grâce à laquelle les dons affluèrent et permirent à
l’organisation de se développer en terre sainte, puis
en Europe, sur différents territoires germaniques
comme la Thuringe ou l’actuelle Suisse.
• L’échec des croisades et l’expansion de l’influence
germanique en Europe va changer la dynamique de
développement de l’ordre.
• Car pourquoi se rendre si loin pour combattre les
infidèles, alors qu’à proximité, des populations
païennes, Slaves et Baltes, s’offrent au zèle
apostolique des chevaliers germaniques?
• Désireux de s’entendre avec les Turcs, mais soucieux
de bonnes relations avec la Curie, Frédéric contribua
aussi à réorienter les activités de l’ordre.
• En 1230, il octroya au 4e grand-maître de l’ordre,
Hermann de Salza, le titre de prince d’empire, et
confia à l’ordre la souveraineté des territoires dont il
s’empare.
• Le duc Conrad de Mazovie en appela aux troupes
teutoniques pour combattre et christianiser les
Prussiens.
• La ville de Culm fut cédée aux Teutoniques en guide de
paiement et devint leur centre d’expansion. La base
territoriale de la puissance teutonique est alors posée.
• C’est sous de Salza que l’ordre prit son envol. Il le
réorganisa pour lui donner une structure hiérarchique
proche de celle des Chevaliers de Malte, de même que
l’uniforme par lequel les « chiens chevaliers » se firent
connaître : une blouse blanche ornée d’une croix noire.
• Après qu’Innocent III eut lancé la croisade contre les
Baltes, en 1230, les Teutons s’emparent du littoral sudest de la mer Baltique et construisent de nouvelles
villes, dont Königsberg en 1255 et Marienbourg en
1280, qui deviendra capitale de l’ordre en 1309.
• La croissance de la puissance de l’ordre s’effectue
parallèlement à l’absorption d’autres ordres de
chevaliers messianiques, comme celui de SaintThomas en 1236 et surtout, celui de Livonie en 1237.
Malbork
• À ce moment, Rome lance une autre croisade (contre
les Slaves orthodoxes), mais cette tentative prendra fin
avec la défaite des chevaliers contre Alexandre
Nevski sur le lac Peïpous en 1242.
• Cette défaite marque la fin de la dynamique
expansionniste de l’ordre, mais pas celle de sa
puissance, alors que les territoires occupés par les
Prussiens sont soumis à une féroce colonisation, qui
aboutit à la disparition de la population locale.
• En 1291, avec la chute de Saint-Jean-D’acre, l’ordre
perdra sa base méditerranéenne et se consacrera à
ses territoires du nord, devenant un État à part entière,
proche de l’empire, mais détaché de celui-ci.
• L’État
monastique
contribue
grandement
à
l’expansion de l’influence culturelle allemande à l’est.
En 1300, on considère que toutes les populations baltes,
sauf les Lituaniens, se trouvent sous la domination de
l’ordre.
• Au XIVe siècle, l’État teutonique atteint son apogée
et acquiert différents territoires par la force et la
diplomatie. À ce moment, l’ordre, qui contrôle toute la
façade orientale de la mer Baltique, dispose d’une
cinquantaine de châteaux forts.
• L’alliance polono-lituanienne sonne le glas de cette
domination au début du XVe siècle, alors que,
consécutivement à la bataille de Grunwald (1410),
l’ordre est contraint de signer une paix difficile à Torun.
• Cet affaiblissement extérieur est aussi le prélude de
troubles intérieurs, alors que les populations soumises
à une forte pression fiscale s’insurgent.
• En 1454, la Pologne-Lituanie déclenche une guerre
au terme de laquelle l’Ordre sera sérieusement
affecté : par la seconde paix de Torun (1466), la Prusse
occidentale (dite Prusse royale) est cédée à l’Union
polono-lituanienne et le reste du territoire (la Prusse
ducale) doit accepter sa vassalisation au roi de Pologne.
• Le dernier acte sera joué plus tard, au début du XVIe
siècle, dans le cadre de la Réforme, alors qu’Albert de
Brandebourg, sous les conseils de Luther et après une
autre défaite contre la Pologne, se convertit au
protestantisme et sécularise le territoire, la Prusse
ducale devenant un duché héréditaire soumis à la
Pologne.
• Cette politique provoquera la scission de la Livonie,
réduisant le territoire de la Prusse, qui demeura lié par
l’hérédité à l’électeur du Brandebourg.
• C’est de là que partira la vague qui, après avoir
supplanté l’empire, devenu habsbourgeois, s’étendra
sur tous les territoires nordiques de la Germanie pour
former le 2e Reich au XIXe siècle. Mais de son origine
jusqu’à ce moment, la Prusse ne sera jamais comprise
dans l’Empire.
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