Histoire des États germaniques : Le Saint-Empire Quatrième cours : L’empire « après » l’empire (1250-1378) Quatrième cours : 1 – Le point sur la situation en 1250 2 – Évolution politique 3 – Démographie et économie de la Germanie 4 – L’aventure teutonique 1 – Le point sur la situation en 1250 • La dynastie des Hohenstaufen ne s’éteint pas avec Frédéric II : en 1250, son fils Conrad VI lui succéda, mais il n’eut pas envie de poursuivre la lutte contre la papauté. Il quitta dès 1252 le territoire de l’Allemagne pour la Sicile, où il mourut deux ans plus tard. • Un autre fils de Frédéric II fut couronné en 1258 roi de Sicile, mais il fut battu par Charles d’Anjou en 1266, lequel s’empara de la couronne sicilienne. • Lorsque Conradin, petit-fils de Frédéric II, qui avait tenté de reprendre la Sicile aux puissantes forces angevines, fut décapité en octobre 1268, la dynastie Hohenstaufen s’éteignit. À la grande joie de la papauté. • Avec l’extinction de cette troisième dynastie, c’est une page de l’histoire de l’empire et de l’histoire germanique, qui est tournée. • L’empire ne disparait pas et survivra plus de 500 ans à la mort du dernier Hohenstaufen, mais quelque chose change à partir de 1250 : plus aucun empereur ne disposera d’un pouvoir comparable à ceux qui se succédèrent sur le trône entre 938 et 1250. • L’Empire n’est pas parvenu à se consolider, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Il convient de s’interroger sur les raisons de cet échec. • L’une des raisons les plus fréquemment évoquées tient à la contingence et au hasard : la courte durée des lignées dynastiques. • C’est en effet un élément important, car la passation du pouvoir de père en fils, en ligne directe, permet généralement d’éviter les guerres de succession. • D’autre part, la continuité dynastique permet la continuité des principes politiques qui régissent la construction étatique. C’est le cas, par exemple, de la branche des Danilovitch en Moscovie. • À cet aspect pratique, il convient d’ajouter le caractère symbolique de la fonction : prétendant tenir son pouvoir de Dieu, un roi assoie plus facilement sa légitimité par hérédité que par la voie électorale. • De sorte que la succession de trois dynasties en trois siècles n’a pas permis aux empereurs de consolider leur pouvoir, car chaque siècle, environ, il fallut recommencer la construction de la légitimité. • La comparaison avec la France met en évidence ce rôle de la contingence : arrivé sur le trône par l’élection d’Hugues Capet en 987, la dynastie capétienne profitera d’une continuité dynastique : d’Hugues (987) à Jean le Posthume (1316), la règle de primogéniture mâle peut s’appliquer. • Cela a permis à aux Capétiens de construire un pouvoir qui, bien qu’il chancela à l’extinction de la lignée directe, disposera de fondations assez solides pour qu’après la crise de succession, le processus de consolidation étatique puisse reprendre. • Mais l’Angleterre n’a pas non plus été aussi choyée que la France, les Plantagenets directs n’ayant disposé que d’un siècle et demi. Pourtant, l’État poursuivra sa consolidation. • De sorte que cette explication ne peut rendre compte à elle seule de l’incapacité du monde germanique à se doter de structures étatiques modernes et nationales. • La superficie du territoire constitue un autre élément : à une époque où les moyens de communications sont primitifs, il est difficile pour une autorité politique d’exercer son pouvoir loin de l’endroit où elle se trouve. • Or, l’empereur doit exercer cette autorité sur une superficie de près d’un million de kilomètres carrés. Forcément, quand l’Empereur est occupé en Italie, les territoires germains remuent. • À cela il convient d’ajouter la grande diversité des populations. Ce n’est pas une question de langue, mais de traditions et de mode d’organisation. • Peu de choses en commun entre l’Italie du Nord et le royaume de Germanie et il devient difficile d’élaborer des politiques communes à cet ensemble complexe. • Cela étant, d’autres empires plus vastes et encore plus complexes ont pu supporter l’épreuve du temps, comme la dynastie Shang en Chine antique. • Mais un élément de l’idée impériale constitue le trait explicatif de l’échec des dynasties germaniques à réussir en Germanie ce que d’autres dynasties ont pu réussir : la confusion des pouvoirs temporels et spirituels. • Cette confusion a pour conséquence une lutte permanente avec la papauté. • Occupés à cette lutte, les empereurs ont laissé se développer en Germanie des pouvoirs locaux forts, capables d’assurer l’ordre, mais aussi de battre en brèche l’autorité impériale. • Cette prétention à l’universalité a ainsi eu comme résultat paradoxal de favoriser, non pas l’unité de territoire, mais son éclatement. • Si au moins l’empereur avait disposé de moyens à la hauteur de ses prétentions : au fil du temps, le domaine impérial a disparu, ne laissant à l’empereur que les revenus épisodiques qu’il obtient par la confirmation des droits qu’il concède aux villes ou aux princes et les impôts perçus auprès des territoires disposant de l’immédiateté. C’est peu et peu stable comme sources de revenus. • De sorte que l’empereur doit compter sur ses domaines patrimoniaux, limités, pour étendre sa puissance sur un domaine territorial qui est immense. • En France, les Capétiens ont consolidé leur domaine et par la suite seulement, prétendu à des droits sur l’ensemble de la France. En Germanie, le processus a été inversé. • De sorte que, l’empereur doit compter sur les princes d’empire, qui n’ont aucune envie de contribuer à la consolidation d’un pouvoir qui aura pour conséquences la diminution et la disparition du leur. • Alors ils mettent la main à la poche avec beaucoup de réticence et préfèreront choisir pour empereur un homme disposant d’une richesse suffisante pour ses besoins personnels, mais insuffisante pour ses projets et sa volonté d’étendre son pouvoir et de matérialiser sa puissance, qui reste pour l’essentiel symbolique. • Peut-être aurait-il été plus sage pour l’empereur de renoncer lui-même à ses revendications religieuses, mais la prétention à l’universalité des empereurs ne tenait pas qu’à la charge symbolique, car il impliquait des droits sur le royaume d’Italie, cette Lombardie dont la richesse des villes était nécessaire pour compenser la pauvreté des territoires du nord. • Le Très-Chrétien avait certaines prétentions religieuses, mais il n’entendait pas se placer au-dessus de la papauté : ce n’est qu’à l’époque de Philipe le Bel que le conflit avec Rome dégénérera, mais à ce moment, la construction étatique sera déjà assez forte • Cependant, la Germanie existe même en l’absence d’un État germanique : malgré les distinctions et les spécificités de leurs langues, de leurs cultures et de leur environnement politique et économique, les élites de Germanie commencent dès cette époque à se désigner comme des habitants des Deutsche Lande. • À côté de l’institution impériale, le siècle des Hohenstaufen a vu l’apparition de pouvoirs locaux qui ont commencé le développement sur leurs territoires des éléments de l’administration étatique moderne. • De sorte qu’autour des grands ensembles territoriaux vont se mettre en place des pouvoirs qui assureront la relève. 2 — Évolution politique 2.1 — Le Grand interrègne (1254-1273) • L’empire continue d’exister, même si pour les deux décennies suivantes, la chose n’est pas évidente. • Cette période est qualifiée de Grand interrègne ou d’époque sans empereur, ce qui est paradoxal, car au cours de ces deux décennies, il y presque toujours au moins deux hommes pour se prétendre empereur... • L’anti-empereur Guillaume de Hollande, couronné en 1247 du vivant de Frédéric II, s’éteint en 1256. Il fallut trouver un remplaçant. • L’intérêt de cette élection réside dans le fait que l’on voit apparaître pour la première fois le collège électoral. • Deux prétendants à ce qui est encore la première responsabilité politique de la chrétien furent élus par deux moitiés du collège électoral à quelques semaines d’intervalles. • Aucun ne convenait au pape, qui suggéra le roi de Bohême Ottokar, lequel était rejeté par les Grands de Germanie, car ce prince déjà très puissant aurait alors acquis un pouvoir écrasant. • Les princes se satisfaisaient d’une situation qui leur permettait de poursuivre la consolidation de leurs pouvoirs sur leurs territoires. • Plus encore, la situation leur permit d’accroitre leurs possessions au détriment de celles de l’empire. • Les villes d’empire, au contraire, voyaient d’un mauvais œil la situation, car elles se trouvaient menacées par l’appétit des seigneurs. Afin d’assurer leur défense, certaines se constituèrent en ligue dès 1254. • Autre conséquence, la recrudescence des guerres privées, causées par la multiplication du recours par les empereurs à des officiers qui ne disposaient pas de domaines héréditaires et qui étaient payés en terres. • Dirigeant de minuscules seigneuries, réduits au chômage par l’effacement de l’État, ces chevaliers d’empire vivaient de pillage et de rançonnage. • Si les paysans en étaient victimes, ce sont avant tout les villes qui en souffraient, autre raison de tenter de s’organiser. • Les princes étrangers ne se privèrent pas et les Français, surtout le prince d’Anjou, en profitèrent. • Non content de s’être emparé de la Sicile, Charles s’employait à asseoir son autorité sur le nord de l’Italie, pendant que Philipe le Bel plaçait Lyon sous son sceptre et faisait d’Otton IV de Bourgogne son vassal. De plus en plus, l’Empire se résumait à la Germanie. • À moyen et long termes, cette perte de contrôle des autres royaumes fut sans doute bénéfique aux États allemands, car leurs souverains durent se concentrer sur leurs propres terres qui avaient pâti des ambitions impériales. • Même sur le court terme, on peut croire que ces ingérences ont joué un rôle dans la prise de conscience par les Allemands de leur identité. 2.2 — Le premier Habsbourg : Rodolphe (1273-1291) • En 1272 lorsque s’éteint « l’empereur » Richard de Cornouailles, qui avait peu séjourné en Germanie et dont l’autorité était contesté, le pape lui-même, désireux de ne pas rester seul en charge de la chrétienté, fit pression pour que les Grands parviennent à s’entendre. • Après avoir œuvré plus d’un siècle à affaiblir le pouvoir impérial, la Curie redécouvrait les vertus de l’empire : menacé par la dynastie angevine au sud, le pape avait à nouveau besoin d’un contrepoids au nord. • De même, l’échec des Croisades de Louis IX avait laissé les États latins d’Orient dans une situation difficile et une nouvelle croisade était nécessaire. Or, qui d’autre qu’un empereur pouvait prétendre guider la chrétienté? • Les Grands choisirent alors un personnage surprenant et Rodolphe de Habsbourg devint roi des romains. • Il n’était pas lié aux dynasties précédentes et ne disposait pas d’une puissance matérielle menaçante. • Mais son patrimoine n’était pas non plus insignifiant, ce qui semblait garantir que l’empereur n’aurait pas recours aux « contributions » trop fréquemment. • Le 1er octobre 1273, la famille Habsbourg fait son entrée dans l’histoire allemande. Si à la fin du Moyenâge les thuriféraires des Habsbourg parvinrent à faire remonter l’origine de la famille jusqu’aux Romains, à l’époque de Rodolphe, les généalogistes ne pouvaient remonter qu’au XIe siècle. • Le premier comte de Habsbourg semble s’être affublé du titre au début du XIIe siècle, alors qu’il régnait sur un domaine de ce nom, fort modeste, dans la région de Zurich, en Suisse contemporaine. • Peu à peu, les possessions de la famille s’étendirent en Alsace, mais au moment de son couronnement, Rodolphe n’était même pas prince d’empire. • Pieux et proche des Hohenstaufen, Rodolphe accède au trône dans la cinquantaine déjà, ce qui était à la fois un gage de son expérience et offrait la certitude qu’il ne serait pas empereur très longtemps. • Modeste mais conscient de ses responsabilités, il employa son règne à deux choses : la paix intérieure et la consolidation des possessions de sa famille. • Il se tourna contre les chevaliers-brigands, qui avaient profité de l’interrègne pour empiéter sur les biens d’empire qui furent récupérés par la force. • Cette mise au pas attira sur le roi des Romains la sympathie des victimes des chevaliers : la population des villes, qui lui fournirent les forces militaires et les sommes nécessaires à ce travail de policier. • De nombreuses villes en furent remerciées par l’obtention de l’immédiateté. • Quant aux possessions familiales, il dû à l’arrogance d’Ottokar de Bohème la chance qui lui fut donnée d’en accroitre l’étendue. Ce dernier refusa de lui demander l’investiture de ses titres et en 1275, il fut mis au ban de l’empire. • Après deux guerre perdues, son royaume fut dépecé et si son fils Wenceslas conserva la Bohême, ses possessions autrichiennes furent en 1282 confiées aux fils de Rodolphe. • Cet événement est historique : dès lors, la maison de Habsbourg s’établissait en Autriche. • Ailleurs, Rodolphe reprit pied en Italie en renonçant à la Romagne, qu’il céda à la papauté. En Bourgogne, la diplomatie dut s’appuyer sur la force pour permettre le rétablissement de l’autorité impériale. • Rodolphe crut pouvoir consolider son pouvoir en épousant la sœur du duc de Bourgogne (alors âgée de 15 ans...), mais prise en étaux entre les prétentions de Philipe le Bel et celles d’Otton, duc de FrancheComté, la Bourgogne ne fut pas solidement rattachée à l’empire. • D’ailleurs, le roi n’avait pas été couronné empereur : il avait songé à la couronne, mais l’occasion ne s’était jamais présentée et les négociations avec la papauté n’avaient pu aboutir. Il mourut en 1291, sans avoir pu ceindre la couronne impériale. 2.3 — Les Électeurs tout-puissants (1292-1313) • Seul un empereur peut désigner son successeur en le faisant élire roi des Romains. Rodolphe n’en eut pas la possibilité et ne put que recommander l’un de ses fils. • Les cadets furent proposés, mais moururent avant leur père. Quant à Albert, Rodolphe lui avait confié le domaine familial et il préférait que les deux fonctions soient distinguées, donc se garda de le recommander. • De même en 1292, les électeurs ne voyaient pas d’un bon œil la possibilité qu’en succédant qu’Albert puisse permettre la consolidation d’une nouvelle dynastie. • Sous les pressions de l’électeur de Cologne, qui obtint des avantages en matières fiscales et légales, Adolphe de Nassau fut couronné le 24 juin 1292. Ce dernier s’employa rapidement à s’affranchir, provoquant la grogne de ceux qui l’avaient porté au pouvoir. • Plus grave, Adolphe « vendit » pour 60 000 marcs l’amitié allemande à l’Angleterre d’Édouard 1er, alors en lutte avec la France de Philipe le Bel, avant de vendre cette amitié à la France pour 80 000 marcs... • Cette vénalité lui fut reprochée et servit de prétexte aux Grands que gênait la rupture du contrat tacite qu’il avait conclu avec eux. • De sorte que le 23 juin 1298, lors d’une assemblée sous la protection d’Albert de Habsbourg, Adolphe fut déposé. S’ensuivit une guerre que remporta Albert, qui obtint la couronne comme récompense. • Les Grands avaient choisi de se débarrasser d’un roi autonome, au profit d’un autre encore plus indépendant. Albert, maître des marches autrichiennes, disposait des ressources pour mener la politique qu’il désirait : accroitre sa puissance pour asseoir sa dynastie, quitte à céder des territoires (de la Bourgogne) à la France. • L’opposition contre Albert se cristallisa autour de la question hollandaise, dont le Habsbourg désirait s’emparer, ce qui l’aurait fait maître du Rhin, de la Meuse et des péages qui leur sont associés. • L’électeur de Cologne, première victime, fomenta en 1300 un complot auquel se joignirent 3 Électeurs. • Albert réagit en isolant les électeurs rebelles en s’appuyant sur les autres princes, puis en les écrasant l’un après l’autre. Dès 1302, sa victoire était complète. • La fronde vaincue, Albert voulut asseoir sa lignée. Pour cela, il devait être couronné empereur, ce qui nécessitait de s’entendre avec le pape. • Boniface VIII, très remonté contre le fait qu’Albert avait été choisi sans qu’il fût consulté, n’appréciait par les bonnes relations du roi avec Philipe le Bel et exigea qu’il renie son entente avec le grand ennemi de la papauté. • Albert y consentit, en vain, car le pape mourût sans que le couronnement ait pu avoir lieu. • Le reste de son règne, Albert le passa à étendre le patrimoine familial à l’est, du côté de la Bohême. Il fut assassiné en 1308 dans le château familial de Habsbourg par un neveu en colère tenu à l’écart. • Ce concours de circonstance qui permit aux Électeurs de reprendre leur rôle. Philipe le Bel proposa son frère Charles, mais les Électeurs choisirent plutôt Henri VII de Luxembourg, frère de l’électeur de Trêves. • Le choix était astucieux : Henri était actif et ambitieux, mais ses modestes ressources ne lui permettaient pas d’assouvir ces ambitions. • Cependant, Henri sut profiter d’une occasion à l’est : une alliance matrimoniale fit de son fils Jean le roi de Bohême, alors même que ce royaume entamait l’ascension qui allait en faire de lui le centre de l’empire. • Comme la famille Habsbourg avant elle, la famille Luxembourg voyait le centre de gravité de ses possessions passer à l’est. • Mais Henri s’intéressait surtout à l’Italie (et à la couronne impériale) qui donnait la possibilité au futur empereur de compter sur des ressources que ses territoires du nord ne pouvaient lui fournir : le piège italien allait de nouveau jouer son rôle funeste. • Henri se trouva mêlé à la guerre civile italienne opposant guelfes et gibelins depuis près d’un siècle. • Malgré les défaites qui affaiblirent son armée, il parvint à se faire couronner en juin 1312. • Le sacre n’apaisa pas la résistance de ses adversaires et malgré l’appui des gibelins, dont celui de Dante Alighieri, il alla de défaite en défaite, jusqu’au 24 août 1313, alors qu’une brusque maladie l’emporta. 2.4 — Louis IV de Bavière (1313-1347) • Henri n’avait pas eu le temps de faire de son fils le roi des Romains et les Électeurs reprirent le rôle de faiseurs de rois, trop heureux encore une fois d’empêcher la consolidation d’une dynastie. • Même si les péripéties italiennes d’Henri avaient peu concernées la Germanie, l’implication du roi des Romains dans les affaires italiennes provoqua un sursaut dans le conflit entre l’empereur et le pape. • La situation semblait favorable à une revanche : depuis 1309, Clément V avait élu résidence à Avignon, prétextant l’impossibilité de diriger la chrétienté dans le contexte de la guerre civile italienne. • Ce geste avait déplu aux Romains et remis en question l’autorité de Clément V, vu par beaucoup comme une simple marionnette du Très Chrétien. • Mais l’institution impériale était aussi affaiblie par l’évolution du royaume de Germanie, dans lequel la primauté était passée des mains du roi de Rome aux princes d’empire, puis à celles des Électeurs. • Si ces derniers avaient favorisé Jean de Bohême, ils auraient permis la remise en question du concordat de Worms, mais au détriment de leur propre pouvoir. • Au côté de Jean, plusieurs autres personnages prétendaient à la couronne, dont le fils de Philipe le Bel. Il y avait aussi Frédéric de Habsbourg, dont l’arrivée sur le trône aurait conduit à une restauration dynastique. • C’est donc pour rester maîtres du jeu que les électeurs se tournèrent vers une autre lignée princière, celle de Bavière, en la personne de Louis. • Les bonnes relations que les Habsbourg entretenaient avec leur voisin et le fait que la famille de Luxembourg était prête à se rallier donnèrent l’illusion que la passation de pouvoir se ferait en douceur. • Ce ne fut pas le cas et les Électeurs se divisèrent autour des candidatures de Louis et de Frédéric, provoquant une guerre civile qui ne prit fin qu’avec la victoire militaire de Louis sur Frédéric, huit ans plus tard. • Rarement un règne aussi long aura laissé si peu de traces. Louis n’était pas dépourvu de qualités, mais la domination des Électeurs avaient eu un effet pervers. • Puisque les électeurs faisaient tout pour empêcher une consolidation dynastique, les monarques finirent par se consacrer avant tout à la consolidation de leurs patrimoines familiaux, au détriment de l’empire. • Louis ne fut pas aidé par la résistance des papes, qui refusèrent de le couronner, allant jusqu’à l’excommunier, mais, ce match-revanche, qui se solda par un match nul et ne remit pas en question le Concordat de Worms, aurait pu permettre à Louis de se poser en champion de l’intérêt national contre les ingérences de la Curie. • Mais l’intérêt qu’il portait à son patrimoine finit par indisposer les princes et c’est à son successeur que reviendra la gloire de trancher le lien historique entre l’empereur et le pape. • Car Louis voulut surtout consolider la puissance de sa famille : après avoir fait de Munich la capitale de l’empire, il confia à son fils le Brandebourg, devenu vacant en 1324. La même année, il épousa l’héritière de la Hollande puis en 1341, son margrave de fils épousa la comtesse du Tyrol. • La famille de Bavière se trouva à la tête d’un territoire si riche et si étendu que les princes en prirent ombrage. • Comme Louis avait été excommunié dès 1324 dans le cadre de son conflit avec la papauté, les électeurs se rallièrent en 1346 à la proposition de Clément VI d’élire roi des Romains le margrave de Moravie, Charles de Luxembourg, le fils de Jean de Bohême. 2.5 — Charles IV (1347-1378) 2.5.1 — Le règne • La guerre civile menaçait car Louis conservait de solides appuis dans les villes, qui voyaient d’un mauvais œil l’élection de Charles, qu’ils considéraient comme une marionnette des hiérarques religieux et du pape. • La lutte aurait pu s’éterniser sans le secours de la providence : victime d’une crise cardiaque, Louis IV s’effaça en octobre 1147. • Après un siècle de chaos, provoqué par des règles électorales fluctuantes et par les ambitions des princes, du clergé et des rois, la Germanie allait connaître un règne digne de ce nom, même si celui de Charles IV ne fut pas sans zones d’ombres. • C’est particulièrement vrai pour l’historiographie allemande du XIXe siècle, pour qui Charles IV n’a fait que peu de choses pour l’Allemagne, tout occupé qu’il était à sa chère Bohême. • Les origines familiales de celui à qui revint la tâche de mettre un peu d’ordre dans l’empire sont à l’image de celui-ci : complexes et diverses. • Fils du roi de Bohême, Jean de Luxembourg, élevé à la cour de France (où il prit le nom de Charles), Wenceslas était tchèque par sa mère, Habsbourg par son grand-père et pétri de culture française. • Polyglotte, cultivé, curieux, il fut initié aux affaires de l’État par son père, devenu aveugle en 1339, et c’est à la tête de la Bohême qu’il prépara son élection, laquelle ne fut pas acceptée immédiatement par de nombreux princes. Il parvint à manœuvrer et à rallier ses critiques et il fut couronné officiellement roi en juillet 1349. • Il avait séjourné en Italie et gardait en mémoire les mésaventures de son grand-père. De sorte qu’il prépara son périple vers Rome, étape obligée du couronnement. • Parti de Bohême accompagnée de 300 cavaliers à l’automne 1354, il fut couronné en janvier 1355. Puis il s’empressa de partir, s’arrêtant seulement pour confirmer des représentants dans les villes italiennes. Il ne revint jamais sur ce territoire. • Charles prenait au sérieux son rôle, mais il comprenait les limites de son pouvoir. La situation financière de la cour impériale était très difficile (150 000 florins de revenus), ce qui limitait ses possibilités. Les fonds manquaient pour mener les réformes qu’il voulait. • Ce qu’il ne put faire en tant qu’empereur, il le fit en tant que roi de Bohême, qui devint une sorte de laboratoire des réformes dont les autres princes, puis ses successeurs au trône impérial, purent s’inspirer. • En Bohême, après avoir fait inventorier ses ressources et repris le contrôle des territoires tombés sous la domination de chevaliers, il fit de Prague une véritable capitale, qui accueillit une administration digne de ce nom. • Pour bien faire fonctionner celle-ci, il fonda à Prague la première université de l’empire du côté nord des Alpes, laquelle favorisa la transformation de la ville en un centre urbain unique en Europe centrale. • Mais le manque de goût de l’empereur pour le luxe le rendit incapable d’attirer à Prague la noblesse de Bohème, qu’il contrôlait mal. • Il tenta de réduire les prérogatives de la noblesse en lui retirant le droit de rendre justice et en constituant un système codifié, chapeauté par une cour suprême, mais la résistance fut si farouche qu’il dût reculer. • Néanmoins, ses efforts pour faire de la Bohême le socle de l’empire lui valurent le titre de Père de la Bohème. • À l’exception de la Bulle d’Or, les réformes à l’extérieur de ses États patrimoniaux furent plus modestes, malgré les efforts qu’il y consacra. • Il se heurtait aux réalités d’un pouvoir que l’évolution avait considérablement affaibli et ses faibles moyens financiers ne permettaient pas de mettre en place des institutions centralisées, comme un système judiciaire ou des services de police. • Sans système d’imposition, impossible de créer un État central et les Grands et les villes ne voulaient rien entendre d’un impôt central. • Il consacra surtout ses ressources à des dépenses somptuaires qui favorisaient son pouvoir symbolique, comme la reconstruction d’une partie de la chapelle palatine d’Aix, la ville de naissance de l’empire. • Sa politique étrangère raisonnable fut consacrée à maintenir l’ensemble impérial en respectant les prérogatives de ses différentes composantes et en s’employant à freiner les appétits des voisins. • La Bourgogne se trouvait justement au croisement de ces deux orientations, puisque la couronne française s’y intéressait. Comprenant que le rapport de force n’était pas à sa faveur, il s’employa à conserver l’essentiel plutôt que la totalité, en rattachant la Savoie directement à sa couronne. • À l’est aussi, il suivit une politique réaliste et laissa Casimir, le roi de Pologne, poursuivre sa politique de revanche à l’endroit de la Prusse, que Charles ne considérait pas de toute façon comme étant défendable. • Bref, à l’extérieur comme à l’intérieur de l’empire, la principale force de Charles était de connaître ses faiblesses. 2.5.2 — La bulle d’or • Charles IV est passé à l’histoire grâce à son plus important acte législatif, première tentative de codifier le fonctionnement de l’empire et la procédure d’élection. • Cette procédure a évolué grandement depuis la fin de l’époque carolingienne, sans jamais être fixée par écrit, de sorte qu’il est très difficile d’en retracer l’évolution. • On sait qu’à l’origine, et même si tout homme libre pouvait participer à l’élection, ce n’étaient en fait que les grands propriétaires et les hommes investis de fonctions laïques ou religieuses qui comptaient vraiment. À cette époque, on ne comptait pas les voix, recherchant plutôt le consensus. • Au fil du temps, une discrimination s’est opérée mais il est difficile d’expliquer pourquoi certains princes perdirent leur droit, alors que d’autres le conservèrent. • Sous Barberousse, cette discrimination fut codifiée et 105 princes d’empire reçurent le droit de participer. • À partir de 1257 émergera un collège électoral composé de sept membres : trois princes archevêques et quatre princes laïcs. Mais il fallut attendre la Bulle d’or de 1356 pour que l’institution fût codifiée. • La Bulle d’or est composé de 31 articles, essentiellement consacrés à régler la procédure électorale et à préciser les attributions des princesélecteurs. Seuls quatre articles s’intéressaient à d’autres questions. • Outre la définition des princes disposant du droit de vote, la Bulle proclama l’indivisibilité des électorats et affirma le principe de primogéniture mâle en matière de succession pour les électorats laïcs • Si une lignée venait à s’éteindre, l’empereur décidait à qui confier la succession (sauf pour la Bohème). • La bulle précisait les modalités d’élections : l’unanimité n’était pas nécessaire, la majorité étant suffisante, même si le corps électoral était incomplet. • L’ordre dans lequel les princes se prononçaient était défini, l’archevêque de Mayence, responsable du processus, s’exprimant en dernier. • À noter qu’obligation était faite aux princes électeurs de parler, et d’apprendre à leurs enfants, tchèque et latin, afin d’affirmer le caractère multinational de l’empire. • Charles choisit de ne pas évoquer la question de l’approbation de l’élection par le pape, ce qui revint à exclure toutes les prétentions de la Curie • Même si certains papes revendiqueront leur voix au chapitre, le changement est fondamental : désormais, la procédure d’élection du roi des Romains ne concernait plus que les princes de Germanie. • On supposait que le pape n’aurait qu’à procéder au couronnement de l’homme choisi par les électeurs. La séparation des pouvoirs était ainsi codifiée. • L’empereur parvint à faire des princes électeurs de solides alliés, non seulement en leur réservant le droit de vote, mais aussi en les associant à la direction de l’empire: une fois par année, l’empereur devait convoquer le conseil des princes-électeurs pour débattre de la gouvernance de l’empire. • Les électorats obtenaient le transfert de la plupart des droits régaliens et disposaient de la souveraineté territoriale. Leurs prérogatives faisaient pratiquement d’eux des États souverains. • De sorte que la forme administrative de l’empire était enfin codifiée : celui-ci se présentait désormais sous la forme d’une fédération dans laquelle l’empereur jouait un rôle s’apparentant à celui d’un président dont les attributions étaient cependant mal définies. • Le spectre de la monarchie héréditaire était évacué, ce qui favorisa la mise en place du principe héréditaire : les princes électeurs n’avaient désormais plus de raisons de craindre l’essor du despotisme, car ils étaient désormais « constitutionnellement » les supérieurs de l’empereur. • Les quatre articles non consacrés à la procédure électorale revêtent aussi une grande importance : l’un deux fixent les limites de la « guerre privée », un autre interdit la création de ligues urbaines, un troisième limite l’octroi du droit bourgeois aux gens habitant en ville et le quatrième condamne les péages illégaux. • Malgré ses insuffisances, la Bulle d’Or va permettre la fin des conflits liés à l’accession au trône. • Son efficacité est mise en évidence par le fait que, de la proclamation de la Bulle jusqu’à la fin, on ne comptera qu’une seule destitution et aucune double élection. 3 — Démographie et économie de la Germanie 3.1 — La situation avant 1348 • Selon les estimations, au tournant du XIVe siècle, la population de la Germanie s’établit dans une fourchette de 15 à 20 millions d’habitants, ce qui constitue une forte hausse depuis trois siècles : à la mort d’Otton III, la population était probablement de 5 millions d’habitants. • Si il convient de ne pas oublier l’expansion territoriale vers l’est, le fait que ces territoires soient moins densément peuplés que ceux du « vieux Reich » met en évidence une croissance importante sur les territoires des anciens « duchés ethniques ». • À quels facteurs attribuer cette croissance? D’abord à l’amélioration des conditions climatiques, les données faisant état d’un réchauffement, qui a permis aux sols déjà cultivés de donner des rendements supérieurs, et de mettre en culture des terres qui ne pouvaient précédemment pas être utilisées. • L’augmentation des rendements permet un accroissement de la population, qui peut alors mettre en valeur davantage de terres, dans un effort de « colonisation intérieure » important. • On note ainsi une réduction des surfaces forestières au bénéfice des terres cultivées, ce grand effort de défrichage étant mené par tous les propriétaires. • Peu à peu, les zones utiles de l’ancien Reich ont été occupées, mais comme la population continuait de croître, il fallut porter l’effort sur les terres de l’autre côté de l’Elbe, rattachées plus récemment. • Même si on note l’apparition de nouveaux outils et de nouvelles techniques, il est peu probable qu’ils aient eu un impact important sur la croissance démographique, car les rendements demeurent faibles. • Malgré les progrès de l’urbanisation, la population au XIVe siècle est à 90 %, voire 95 % paysanne. • De nombreux citadins sont des « bourgeois à champs » qui habitent à l’intérieur des villes, car ils pratiquent un métier commerçant ou artisanal, mais leurs revenus dépendent en grande partie des terres qu’ils exploitent à l’extérieur des enceintes. • Cependant, grâce aux surplus agricoles, le commerce se développe, l’économie se monétise et le troc recule. • Il n’y existe pas de monnaie commune à l’ensemble du territoire, mais l’or et l’argent permettent d’unifier dans une certaine mesure le système monétaire. • La monnaie devient nécessaire au paysan pour payer ses redevances, car les Grands ont besoin d’espèces pour se procurer les biens de luxe. • Le rétablissement des liens commerciaux avec le monde méditerranéen permet une diversification des échanges. Dans les villes, de grandes fortunes commencent peu à peu à se constituer. • Le paysan obtient les espèces monétaires nécessaires grâce à ses surplus agricoles, mais aussi par le biais de sa production artisanale, laquelle se diversifie. • Dans les villes l’artisanat se développe aussi, alors qu’orfèvres, armuriers, tailleurs profitent de la croissance des échanges extérieurs et de l’augmentation de la demande intérieure. • La condition paysanne demeure difficile, car les rendements sont faibles et une mauvaise année suffit à faire plonger des régions entières dans la misère. • La situation est envenimée par la multiplication des dépendances, qui obligent le paysan à sacrifier aux redevances une part considérable de ses moyens. • Le paysan a souvent plusieurs maîtres : il doit verser des redevances au propriétaire de la terre qu’il cultive, mais aussi à celui à qui il appartient, qui est parfois le même, parfois non. À cela il faut aussi ajouter la dîme. • Quant aux paysans libres, ils deviennent de plus en plus rares : dans un premier temps, la colonisation des terres de l’est avait permis la survivance d’une paysannerie autonome, mais la puissance des Grands l’enserre aussi peu à peu. • À noter que la condition paysanne varie d’une région à l’autre, car il n’y a pas d’unité politique et que selon les régions, la commune paysanne à laquelle il appartient dispose d’une autonomie plus ou moins grande. • Dans certains cas, le seigneur laisse le soin à la communauté de s’autogérer, parfois par le biais d’un maire élu par les paysans, à qui revient le droit de rendre justice pour les crimes mineurs, survivance du droit coutumier germanique. • De sorte que, si on compare la condition des paysans germaniques à celle des paysans français, où la construction étatique est bien plus avancée, les premiers vivent relativement mieux, comme en témoigne le nombre peu élevé de jacqueries d’envergure. • Celles-ci ne deviendront fréquentes que lorsque l’État (« les États ») remettront en question, par la multiplication des impôts ou des ingérences judiciaires, la relative autonomie communale de la paysannerie germanique. 3.2 — L’impact de la Grande peste • C’est sur une population en plein essor que viendra frapper la Grande peste de 1348. Car si les épidémies sont fréquentes dans l’Europe médiévale, celle qui surviendra au milieu du XIVe siècle n’a pas d’égal, même si, grâce aux progrès de l’écriture, elle peut nous apparaître plus violente, car mieux documentée. • Provenant d’Asie, la peste bubonique a profité du rétablissement des échanges commerciaux, alors qu’on trouve ses traces en 1347 en Crimée, point d’aboutissement des routes commerciales de l’est et point de départ des voies maritimes vers l’ouest. • La même année, elle apparaît sur les côtes italiennes et en moins de deux ans, elle aura parcouru l’Europe entière, touchant jusqu’à la Scandinavie et la Russie, la Germanie étant frappée en 1348. La grande peste (1348) • Cette nouvelle souche est d’une violence remarquable : en quelques jours ou quelques heures, des communautés entières sont décimées. • Comme le virus voyage avec les marchandises, les territoires à l’extérieur des routes commerciales sont épargnés. • L’ignorance du mode de propagation va faciliter le travail au virus, alors que les survivants auront tendance à se ressembler, accélérant ainsi la propagation. • Les zones les plus touchées sont le cœur même de l’Allemagne médiévale (Souabe, Franconie, Bavière, Saxe), de même que certaines provinces de l’est. • Sur l’ensemble du territoire, c’est environ 50 % de la population qui disparaitra. Et comme certaines zones sont heureusement épargnées, dans certaines autres, la population sera littéralement exterminée. • Les mouvements de colonisation sont stoppés net, alors que les défrichements les plus récents sont abandonnés. • Sur les marches orientales, l’influence allemande faiblira, ce dont témoignent les difficultés de l’ordre Teutonique, de même que le mouvement hussite. • Conséquence aberrante de l’épidémie, la population juive sera soumise à la vindicte d’une population qui ne comprend pas ce qui se passe et la rumeur populaire voulant que les Juifs sont responsables, car ils ont empoisonné les puits, se répand rapidement. • La vague d’antisémitisme qui secoue alors la Germanie et que les pouvoirs politiques ne cherchent pas à contrôler (au contraire) est bien sûr stimulée par la richesse des membres de cette communauté, dont s’emparent alors les survivants et les puissances politiques. Les survivants trouveront refuge encore plus à l’est, en Pologne et en Ukraine actuelle. • Dans un premier temps le dynamisme économique sera stoppé, en même temps que les flux commerciaux se tarissent, mais la peste aura des effets positifs sur l’économie à moyen et long terme, car elle tue la population sans détruire ni la nature ni la civilisation. • On assiste par exemple à une concentration de la richesse, en ville comme en campagne, alors que familles et voisins des victimes ajoutent à leur patrimoine les biens dont ils héritent ou qu’ils usurpent. • Autre effet positif : la raréfaction de la main-d’œuvre rurale, accentuée par l’exode des campagnes vers les villes, va permettre la valorisation du paysan. • Même si dans certains cas, la situation de la maind’œuvre, combinée à la chute des prix agricoles, va accroitre la pression sur la paysannerie, celle-ci aura la possibilité d’aller chercher ailleurs des conditions plus favorables. • Dans les villes, la concentration de la richesse entre les mains des survivants et des usurpateurs est souvent vue comme l’une des causes de l’essor d’un premier capitalisme financier, lequel va par la suite entrainer les investissements miniers et manufacturiers qui vont au XVe et XVIe siècle favoriser le décollage économique de l’Allemagne. 4 — L’aventure teutonique • L’histoire de l’Ordre Teutonique remonte à la 3e croisade, même si certaines sources font remonter l’origine de l’ordre en 1128. • C’est alors un ordre hospitalier, fondé par des marchands des villes du nord de Germanie, pour venir en aide aux chevaliers allemands blessés sous les murs de la ville de Saint-Jean-D’acre. • Frédéric Barberousse reconnut l’ordre, mais favorisa sa réorganisation en ordre militaire, puis le pape Innocent III lui octroya sa reconnaissance officielle en 1199, grâce à laquelle les dons affluèrent et permirent à l’organisation de se développer en terre sainte, puis en Europe, sur différents territoires germaniques comme la Thuringe ou l’actuelle Suisse. • L’échec des croisades et l’expansion de l’influence germanique en Europe va changer la dynamique de développement de l’ordre. • Car pourquoi se rendre si loin pour combattre les infidèles, alors qu’à proximité, des populations païennes, Slaves et Baltes, s’offrent au zèle apostolique des chevaliers germaniques? • Désireux de s’entendre avec les Turcs, mais soucieux de bonnes relations avec la Curie, Frédéric contribua aussi à réorienter les activités de l’ordre. • En 1230, il octroya au 4e grand-maître de l’ordre, Hermann de Salza, le titre de prince d’empire, et confia à l’ordre la souveraineté des territoires dont il s’empare. • Le duc Conrad de Mazovie en appela aux troupes teutoniques pour combattre et christianiser les Prussiens. • La ville de Culm fut cédée aux Teutoniques en guide de paiement et devint leur centre d’expansion. La base territoriale de la puissance teutonique est alors posée. • C’est sous de Salza que l’ordre prit son envol. Il le réorganisa pour lui donner une structure hiérarchique proche de celle des Chevaliers de Malte, de même que l’uniforme par lequel les « chiens chevaliers » se firent connaître : une blouse blanche ornée d’une croix noire. • Après qu’Innocent III eut lancé la croisade contre les Baltes, en 1230, les Teutons s’emparent du littoral sudest de la mer Baltique et construisent de nouvelles villes, dont Königsberg en 1255 et Marienbourg en 1280, qui deviendra capitale de l’ordre en 1309. • La croissance de la puissance de l’ordre s’effectue parallèlement à l’absorption d’autres ordres de chevaliers messianiques, comme celui de SaintThomas en 1236 et surtout, celui de Livonie en 1237. Malbork • À ce moment, Rome lance une autre croisade (contre les Slaves orthodoxes), mais cette tentative prendra fin avec la défaite des chevaliers contre Alexandre Nevski sur le lac Peïpous en 1242. • Cette défaite marque la fin de la dynamique expansionniste de l’ordre, mais pas celle de sa puissance, alors que les territoires occupés par les Prussiens sont soumis à une féroce colonisation, qui aboutit à la disparition de la population locale. • En 1291, avec la chute de Saint-Jean-D’acre, l’ordre perdra sa base méditerranéenne et se consacrera à ses territoires du nord, devenant un État à part entière, proche de l’empire, mais détaché de celui-ci. • L’État monastique contribue grandement à l’expansion de l’influence culturelle allemande à l’est. En 1300, on considère que toutes les populations baltes, sauf les Lituaniens, se trouvent sous la domination de l’ordre. • Au XIVe siècle, l’État teutonique atteint son apogée et acquiert différents territoires par la force et la diplomatie. À ce moment, l’ordre, qui contrôle toute la façade orientale de la mer Baltique, dispose d’une cinquantaine de châteaux forts. • L’alliance polono-lituanienne sonne le glas de cette domination au début du XVe siècle, alors que, consécutivement à la bataille de Grunwald (1410), l’ordre est contraint de signer une paix difficile à Torun. • Cet affaiblissement extérieur est aussi le prélude de troubles intérieurs, alors que les populations soumises à une forte pression fiscale s’insurgent. • En 1454, la Pologne-Lituanie déclenche une guerre au terme de laquelle l’Ordre sera sérieusement affecté : par la seconde paix de Torun (1466), la Prusse occidentale (dite Prusse royale) est cédée à l’Union polono-lituanienne et le reste du territoire (la Prusse ducale) doit accepter sa vassalisation au roi de Pologne. • Le dernier acte sera joué plus tard, au début du XVIe siècle, dans le cadre de la Réforme, alors qu’Albert de Brandebourg, sous les conseils de Luther et après une autre défaite contre la Pologne, se convertit au protestantisme et sécularise le territoire, la Prusse ducale devenant un duché héréditaire soumis à la Pologne. • Cette politique provoquera la scission de la Livonie, réduisant le territoire de la Prusse, qui demeura lié par l’hérédité à l’électeur du Brandebourg. • C’est de là que partira la vague qui, après avoir supplanté l’empire, devenu habsbourgeois, s’étendra sur tous les territoires nordiques de la Germanie pour former le 2e Reich au XIXe siècle. Mais de son origine jusqu’à ce moment, la Prusse ne sera jamais comprise dans l’Empire.