Conférence paroisse Saint Louis 7/2/2014 sur St

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Conférence paroisse Saint Louis 7/2/2014 sur St François et le Sultan La 5è croisade a commencé en 1217 et, en mai 1218 dans le delta du Nil, a débuté le siège de Damiette, située entre le Canal de Suez et Alexandrie. Saint François d’Assise arrive en fin juillet 1219 et la rencontre se tient en septembre entre le sultan Malik al‐Kâmil (1177‐
1238) et François d’Assise (1182‐1226). Les Ayyubides Al Malik al‐Kâmil est le neveu de Saladin (+ en 1193). Il fait partie avec lui et Al‐Adîl (1200‐1218) son père, d'une brève mais glorieuse dynastie : les Ayyubides, qui a dû faire face aux 3è, 4è, 5è, 6è et 7è croisades. En fait la 4è s'enlisera dans la honte du sac de Constantinople, mais Al‐Adîl crut bien que c'était pour lui ! Après Al Kâmil, la dynastie périclite même si cela n’empêche pas saint Louis d’être prisonnier en 1249 à la septième croisade. Il se passe alors quelque chose d’unique : Chagar el‐Durr, la veuve d’Al Salih Ayyub, fils sanguinaire de notre sultan bien‐aimé, cache sa mort pendant des mois, le temps qu’arrive le petit‐fils, mais un an après les mamelouks, enfants enlevés pour en faire des soldats, tuent ce Turan Shah, (un « sot » comme l’aurait jugé son grand‐père Al‐Kâmil) qui accumule erreurs politiques et favoritisme. Chagar el‐Durr se remarie alors avec l’un des généraux qui la laisse gouverner encore six ans avant qu’elle ne soit lynchée… Les Mamelouks, devenus plus sûrs avec Baibars, chassent les derniers ayyubides puis les derniers croisés et dirigeront le Moyen‐Orient et l’Egypte jusqu’à ce que les Turcs ottomans en finissent avec eux … en 1517. Mais revenons à l’époque de ce que j’ai appelé : la rencontre sur l’autre rive. Malik al‐Kâmil connaît les Francs depuis la 3è croisade. En 1192, il accompagnait parfois son père al‐Adîl dans les négociations avec Richard d'Angleterre, dit Cœur de lion, pour le compte de Salah al‐Dîn. Le jeune homme fit l'expérience de relations courtoises entre ennemis. Ainsi pendant une trêve, al‐Adîl ou plus probablement l’adolescent Al‐Kâmil est fait chevalier par le roi Richard. Une autre fois, alors que se battant comme un lion, et son cheval tombant sous lui, Richard pourrait bien être pris ou tué, ce prince al‐Adîl fait envoyer un magnifique étalon à son ennemi. La bataille s'arrête là car on vous couperait le souffle à moins. Devenu sultan un quart de siècle plus tard, al‐Kâmil, comme son père, veut la paix pour développer l'Egypte et quand de nouveau les croisés sont en face de lui à Damiette, après quelques mois de siège, il est prêt à rendre Jérusalem (tout en espérant qu'en des jours meilleurs l'Islam pourra récupérer la Ville Sainte). Al‐Kâmil a laissé le souvenir d'un homme très droit qui s’entoure de soufis. Son attitude envers François est caractéristique de son tempérament et il n'est pas nécessaire de recourir au miracle comme l’archevêque‐historien Jacques de Vitry qui écrit qu' "à la vue de l'homme de Dieu, le sultan, cette bête cruelle, devint toute douceur". A l'heure de sa victoire, deux ans après la rencontre avec François, cette "bête cruelle" refusera de laisser noyer trente mille croisés comme le voulait son frère al‐Muazzam. Engagés stupidement par le Légat Pélage dans une plaine facile à inonder, les Francs quitteront le limon boueux, en proclamant la générosité du roi musulman et en pleurant les querelles de leurs chefs qui les auront conduits à une défaite sans précédent (cf. Lettre d'Olivier de Cologne). Après cette croisade, le sultan cherche à régler le conflit perpétuel. Son penchant pour la diplomatie plus que pour la guerre le pousse, en 1229, à un accord de dix ans avec 1 Frédéric II Hohenstaufen. Celui‐ci obtient les Lieux saints chrétiens pourvu que les musulmans puissent garder les leurs à Jérusalem. Ce traité ressemble fort à celui que nous recherchons aujourd'hui entre croyants ouverts Juifs, chrétiens et musulmans, mais il est alors méprisé par le pape Grégoire IX. Al‐Kâmil meurt en 1238, douze ans après François, sans que le traité soit renouvelé. En 1244, les musulmans reprendront définitivement la Ville sainte. Il n'y a plus d'hommes de paix parce que les hommes hors les murs, dans chaque camp retranché, n'ont pas été écoutés. Pour l’époque, en effet, la guerre avec le monde non‐chrétien, le monde des ténèbres, n'est pas une guerre clanique comme dans l'Europe d'alors, c'est une guerre contre le Mal, une guerre entre deux systèmes et s'il y a des moments de paix et même des gestes de chevalerie entre les chefs, c'est parce que ceux‐ci n'écoutent pas toujours les idéologues religieux de chaque camp. Oui deux systèmes sont l'un en face de l'autre. On a même réussi à mobiliser les mystiques ! Ainsi côté chrétien au 12è s. S. Bernard a été prié par son ancien moine étudiant devenu pape de prêcher la croisade. Les fidèles chevaliers peuvent aller purifier la terre sainte des « souillures des sarrasins immondes ». Ainsi parlait le pape Grégoire IX ! François d’Assise s'inscrit dans une autre logique. Il est parti en juin 1219 de la côte est de l’Italie, sur un bateau de croisés. La route maritime de cette 5è croisade passe par Chypre et Acre où des frères se sont établis depuis 1217. Mais ils ont à peine le temps de se congratuler car des bateaux partent vers le delta du Nil et arrivent là‐bas fin juillet. Là, à la tête de l’armée se trouvent deux hommes, un soldat Jean de Brienne et un évêque qui va se prendre pour un foudre de guerre et conduira la croisade à la catastrophe : Pélage, le délégué du Pape. (Déjà à Constantinople, quelque temps après le sac, il a déjà été odieux envers les moines orthodoxes). Le siège, commencé, je le rappelle, en mai 1218 va durer jusqu’à la prise provisoire de la ville le 5 novembre 1219, deux mois après la rencontre que je vais maintenant raconter. La rencontre Après une hécatombe des deux côtés en fin août, une trêve permet à François de franchir les lignes. Il emmène avec lui fr. Illuminé de Rieti, son compagnon depuis 1210. D'abord pris probablement pour des espions, ils sont frappés mais bientôt les soldats hésitent. Selon leur désir, on les conduit au sultan al‐Malik al‐Kâmil. Ils restent probablement deux semaines. Chaque matin et chaque soir, le sultan dont le camp est à une bonne quinzaine de kilomètres de la ville, s'en vient longer les remparts de Damiette, pour vérifier l'engagement de ses troupes dans la surveillance de l'ennemi. Durant la journée, il profite de la trêve pour mieux gérer son royaume; il prend aussi intérêt à écouter ces moines étranges venus du pays des Francs. On ne saurait dire le nombre d'entretiens, mais l'attitude de al‐Kâmil à l'égard de François laisse deviner une complicité de l'esprit. Il interroge ce visiteur bizarre. ‐ "Le serviteur du Christ, François, répondit qu'il avait été envoyé d'au‐delà des mers, non pas par un homme, mais par le Dieu Très‐Haut!" (L.M. 9,8). Il se démarque ainsi des croisés et même du Pape. On voudrait savoir le détail des entretiens, mais nous n’avons pas beaucoup d’éléments. Un point est certain : le "moine" s'affirme chrétien, va droit à l'essentiel et ... il est écouté ! 2 Plusieurs jours passent. Comme c'est étrange, cinq fois par jour, François et Illuminé écoutent le muezzin lancer l'appel à la prière. L'homme de Dieu venu du pays des Francs découvre, dans la lumière divine, un aspect inconnu. Ces gens ne sont pas seulement ses frères comme créatures, il le savait ; ils ne sont pas seulement ses frères à cause du sang versé par Jésus pour la multitude, ‐ il le savait aussi ; ils sont encore ses frères par cette communion dans la prière au Dieu unique. Le moine parle de son Maître Jésus vénéré par le sultan comme un prophète, et comme un guide vers la sainteté par les mystiques musulmans. Certes il parle des différences avec la foi musulmane en disant que Jésus est Dieu et Sauveur, mais le sultan ne trouve pas là matière à blasphème car l'Italien qu'il a en face de lui semble habité par l'au‐
delà et, comme des vrais soufis dont il aime à s'entourer, de celui‐ci aussi émane une aura mystérieuse et reposante. S. Bonaventure doit mélanger les croisades et les sultans quand il affirme que Al‐
Kâmil avait promis un besant d'or pour toute tête de chrétien rapportée. D'autres auteurs en parlent mais deux croisades plus tard quand al‐Salih Ayyub, son fils sanguinaire s'oppose à Saint Louis, c'est‐à‐dire une décennie avant la parution du livre de Bonaventure. François était venu pour dire aux musulmans : "Jésus a versé son sang pour vous aussi et nous sommes tous frères en lui". Il doutait de la bonne réception du message, et pensait plus à l’inévitable mais bienheureux martyre. Or tout se passe bizarrement : on l'a laissé parler tout son saoul et au lieu de le mettre à mort, on l'aime comme il est et on est prêt à le garder. En portant tout cela dans son cœur, François est déstabilisé et vers la fin de la trêve, il demande à partir. Al Malik al‐Kâmil tient alors à lui remettre des cadeaux et de l'argent. Décidément bouleversé par ce saint homme, il s'engage très loin : habitué à donner pour les pauvres et les temples de sa religion, le roi dit à François d'emporter cela pour les chrétiens pauvres et les églises. Voilà un bel exemple d'ouverture interreligieuse ! Et ce n'est pas tout. A l'heure de l'à‐Dieu le musulman se recommande à la prière du chrétien. Incroyable pour les biographes ! Comble de prévenance, afin de mieux protéger et montrer son estime envers cet ami tombé du ciel, le sultan lui adjoint une escorte de prince jusqu'au no man's land. On peut imaginer sarrasins et croisés, les yeux écarquillés devant cette surprise finale. On peut imaginer aussi al‐Kâmil, caché dans une tourelle des remparts et ne la quittant que les lorsque les deux silhouettes des frères eurent disparu, entourées par ces Francs qui leur ressemblaient si peu. Après quoi il ne lui restait plus qu'à reprendre sa ronde, et bien malgré lui, à préparer ses hommes à la guerre qui va recommencer. François rentre en Italie après quelques mois près de ses frères de Saint Jean d’Acre. Pendant ce temps‐là se déroule l’aventure de ses disciples envoyés vers le Maroc. C’est une autre histoire. Marrakech Tous originaires d’Italie, Vital, Othon, Bérard, Adjute, Accurse et Pierre quittaient leur pays avec un enthousiasme … italien qui ne faiblira pas un moment. Tellement pressés de mourir, ils faillirent ne pas voir le Maroc et être martyrs de Séville plutôt que de Marrakech. Pour pénétrer dans la ville de Séville, ils ont quitté l'habit religieux si on en croit une chronique du 14è s. Ils ont reçu des habits séculiers de la sœur du roi du Portugal. Elle a un 3 peu le Maroc dans son cœur car un autre frère à elle, Don Pedro, fâché avec le roi leur frère commun, est devenu chef de la garde du sultan. Une fois dans la place, la prudence ne semble plus une vertu. Face au prince de Séville, sans plus de forme, les Frères affirment : ‐ "Nous sommes du parti des Romains", ces ennemis dirigés par le Pape, qui veulent chasser d'Andalousie tous les musulmans ! ‐ "Que venez‐vous faire ici ?" ‐ "Nous venons vous annoncer la foi de Notre Seigneur Jésus‐Christ, afin que vous abandonniez Mahomet, ce vil esclave du diable". L'effet est radical et le Prince veut leur trancher la tête, mais son fils l'incite à la prudence. Car sept ans plus tôt, après la bataille de Las Navas de Tolosa, les chrétiens sont devenus très forts et il vaut mieux éviter des représailles. Le Prince se débarrasse d’eux en les expédiant à son chef, le sultan qui réside à Marrakech. Là, les frères mineurs clament la grandeur de la religion chrétienne et... insultent l'Islam et son Prophète. Par deux fois, ils vont se trouver sur le passage du sultan al‐Mustansir. Ainsi que ses sujets, il prend les franciscains pour des fous et se contente de les emprisonner. Ils sont libérés vingt jours plus tard. Don Pedro et sa milice chrétienne sont alors chargés de reconduire les frères à la frontière du nord, mais ceux‐ci s'échappent. Les voilà à nouveau sur la grand place de Marrakech : c'est un vendredi et le sultan est sorti de son palais pour aller prier à la mosquée de la Koutoubia. Quelle belle occasion pour fr. Bérard qui s'arrange pour se faire voir et entendre : "Mahomet vous conduit par un faux chemin et le mensonge à la mort éternelle où il est éternellement tourmenté avec ses sectateurs !". Ils sont arrêtés et probablement torturés. Mais leur attitude indomptable conduit le sultan à la crise de nerfs : "De sa propre main il trancha la tête" à chacun des cinq frères. C'était le 16 janvier 1220. Le pape Honorius III, en 1225, prêchera la modération, et le 20 février 1226 il écrira à l’archevêque de Tolède, chargé de la mission du Maroc, d’envoyer des hommes prudents : « Qu’ils s’appliquent à marcher avec précaution auprès de ceux qui sont extérieurs (les musulmans), non comme des insensés, des indiscrets et des impétueux, mais en sages, prudents, d’âge mûr, comme il convient…». Pourtant ils deviendront le modèle. Les reliques rapportées au Portugal vont exciter la dévotion des pèlerins et les hagiographes en rajoutent certainement, mais l'atmosphère de Marrakech n'est pas celle de Damiette, cela me semble clair. Damiette, c’est la rencontre sans martyre ; Marrakech, c’est le martyre sans rencontre. Damiette, c’est la rencontre de deux croyants ; Marrakech, c’est l’affrontement de deux systèmes. Marrakech, c’est l’impasse ; Damiette c’est l’avenue qui ouvre des horizons. Hélas l’esprit de croisade va revisiter la rencontre et les récits de la fin du 13è s. vont reprendre des histoires remontant à la 1ère croisade pour dire que François approuve la croisade devant le sultan. St Bonaventure lui‐même va parler d’un jugement par le feu proposée par François (l’ordalie : expliquer fresque de Giotto). Cent ans après, on inventera en lieu de la rencontre à Damiette un pèlerinage aux Lieux‐Saints impossible en pleine croisade. Cent cinquante ans après l’événement, on dira que st François avait canonisé en quelque sorte la méthode de Marrakech en affirmant : « J’ai cinq vrais frères‐mineurs » !!! Il ne fallut pas moins de sept siècles pour que l’Esprit Saint qui ne force pas notre liberté nous fasse retrouver la méthode de François avec Charles de Foucauld et des religieux de différents Ordres y compris des franciscains. 4 Réflexions sur la démarche de st François François d'Assise n'était pas le premier, comme on le dit parfois, à approcher pacifiquement les musulmans, mais en cette période la plus sombre peut‐être du temps des croisades, l'aventure de Damiette est une trouée de lumière, à contre‐courant de tout ce qui se vivait. Surtout elle continue à garder sens au début de ce troisième millénaire. Une rencontre non diplomatique, non politique, non théologique, c'est cela qui est demandée à tous. Les autres rencontres et colloques sont nécessaires, elles supposent des experts. La rencontre ou le dialogue de la vie à partir de notre simple humanité, enrichie par une ouverture évangélique, voilà qui est possible à tout chrétien. François est à contre‐courant par la Rencontre elle‐même, mais aussi par son silence, un silence criant dans un monde qui à chaque insulte adressée aux musulmans, estimait bénir le Dieu très‐Haut. On a cru que la Visite au Sultan était un échec, même pour François. Dans ce cas il n’aurait pas poussé ses frères à repartir parmi les sarrasins : "Les frères qui s'en vont ainsi peuvent envisager leur rôle spirituel de deux manières : ou bien, ne faire ni procès, ni disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, et confesser simplement qu'ils sont chrétiens; ou bien, s'ils voient que telle est la volonté de Dieu, annoncer la Parole de Dieu afin que les païens croient au Dieu tout‐puissant, Père, Fils et Saint‐Esprit, Créateur de toutes choses, et en son Fils Rédempteur et Sauveur, se fassent baptiser et deviennent chrétiens..." (RnB 16). Il y a donc deux méthodes légitimes en terre non‐chrétienne : la seconde est traditionnelle : il s’agit de construire l'Eglise. La première peut se résumer par les mots : soumis et vivre parmi. ‐ "Soumis" à l'autorité politique donc musulmane en tout ce qui ne touche pas la foi. Il écrivait cela sans savoir que le concile Latran IV de 1215 interdisait à un prêtre d’être soumis à un laïc, encore moins à un non‐chrétien, encore moins bien à l’ennemi apocalyptique du temps de la croisade. ‐ "Vivre parmi" en témoins de Dieu‐Amour, Père de Jésus‐Christ et notre Père à tous. De quoi bâtir un monde nouveau, un programme de fraternité universelle. Selon les mots de s. Bonaventure, François, voulant suivre les traces du Christ, était parti pour annoncer la bonne nouvelle de la fraternité. Son voyage en Orient était un pèlerinage, non pas vers des lieux‐saints, mais vers des hommes. Il était certes fou de vouloir aller à Jérusalem pendant ces moments de lutte décisive, mais c'était encore plus insensé de vouloir rencontrer le sultan et c'est cette folie qu'il choisit... un pèlerinage vers des frères inconnus et pensait‐il impitoyables. Alors Dieu le fit entrer un peu plus dans son mystère. Nul ne pouvait imaginer que ces infidèles pouvaient être autre chose que des mécréants, or François d'Assise découvre des croyants. Personne ne pouvait imaginer que les sarrasins pouvaient vraiment prier; François découvre dans la lumière "les choses cachées aux sages et aux savants" : il regarde des priants. Sans le chercher et se l'expliquer, le Pèlerin de Damiette a perçu l'œuvre de Dieu dans les non‐chrétiens. Le dialogue interreligieux qui mettra encore sept siècles pour jaillir à la surface de la terre avait une de ses sources près du Nil, dans le camp sarrasin lorsqu'en septembre 1219 deux hommes acceptèrent "de faire ensemble une partie du chemin". Presque personne n'imagina jusqu'au P. de Foucauld que crier le Christ par sa vie était, en terre d'Islam, plus important que de le proclamer par la bouche. 5 François, au temps de sa « conversion », avait commencé son cheminement par sa découverte de Jésus, frère de tous les hommes. Soumis à l'Esprit Saint, il évolue sous son souffle dans sa rencontre des hommes. Dans la Regula non Bullata au chapitre 14 est indiquée la façon de se situer dans le monde chrétien : "Lorsque les frères vont par le monde, qu'ils n'emportent rien en voyage : ni sac, ni besace, ni pain, ni argent, ni bâton. En quelque maison qu'ils entrent, qu'ils disent d'abord : Paix à cette maison "! Au chapitre 16, nous venons de le voir, François précise sa vision pour les pays infidèles. Il y a deux mondes. Dans la Regula Bullata, il n’y a plus qu’une seule manière de rencontrer l’autre, car le mal et le bien ne passent plus entre deux mondes mais à l'intérieur de chaque cœur. François parle moins de dépouillement matériel, mais amplifie le souhait de paix avec des formules semblables à celles du ch. 16 : « Lorsque mes frères vont par le monde, je leur conseille, je les avertis et je leur recommande en notre Seigneur Jésus‐Christ d'éviter les chicanes et les contestations, de ne point juger les autres. Mais qu'ils soient aimables, apaisants, effacés, doux et humbles, déférents et courtois envers tous dans leurs conversations..." « En quelque maison qu’ils entrent, qu’ils disent d’abord : Paix à cette maison (R.B. 3,10‐11,13) ». Le monde uni par la fraternité, dans la différence acceptée, n’a plus de murailles. Ainsi François se situe à une frontière physique, morale, spirituelle pour supprimer la peur qui engendre les frontières, les exclusions. En François, Dieu nous invite à aller en pèlerinage sur le chemin des autres pour les aimer comme Lui les aime, à aller rencontrer Dieu dans les autres, au‐delà de notre mentalité, de notre culture, de notre religion. François est un pèlerin à la recherche du frère inconnu. Mendiant de Dieu et de l'homme, il est le Frère universel. Le musulman, même s'il ne le sait pas, est frère de Jésus‐
Christ et François ira le lui dire au péril de la mer de l'autre côté de la guerre, au péril de la guerre de l'autre côté de la mer. Conclusion Tout rencontre est un pèlerinage. Dieu m'invite à découvrir avec lui l'autre côté de la face de l'autre. Je ne vois pas tout de l'autre, seul Dieu le connaît vraiment. Dieu l'a créé, Dieu l'a racheté, Dieu l'a rencontré. Il me faut accepter la différence que je vois en l'autre comme Dieu accepte ma différence d'avec Lui, Dieu. Dieu a pris tout de nous en Jésus‐Christ, hormis notre incapacité à aimer jusqu'à l'extrême. Je dois tenter de vivre à la manière de Dieu la différence qui me déplaît en l'autre. Ah quels versets formidables en Mt 5,45‐48 : "Si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites‐vous d'extraordinaire ? Les païens n'en font‐
ils pas autant " ! L’Esprit d’Assise est la conséquence de l’idéal évangélique de la fraternité. L’esprit d’Assise est le contraire de l’esprit de guerre sainte, croisade armée ou jihad violent. Le 27 octobre 1986, Jean‐Paul II a invité les chefs de toute religion à venir prier côte à côte dans la ville du frère universel. Damiette rendait sa visite à Assise. Dans notre Ordre, nous avions déjà depuis 1982, une commission pour des relations fraternelles avec les musulmans et à ce titre j’ai visité dans quelques dizaines de pays pendant dix ans nos frères travaillant à cette mission. Au tournant du millénaire les supérieurs généraux ont pensé à constituer une fraternité internationale à Istanbul pour motiver davantage de frères mineurs dans le monde à cet esprit d’Assise qui ne dit pas que toutes les religions sont égales mais qui permet à toutes les religions d’être plus proches de Dieu en étant plus proches des frères et sœurs en humanité. 6 En acceptant de venir à Istanbul j’espérais que des jeunes franciscains viendraient vite. Par contre, je n’imaginais pas que nous aurions l’occasion de toucher tant de personnes qui participent à la vie de notre paroisse ou qui viennent de l’extérieur, de France ou d’ailleurs s’ouvrir à notre expérience. Je n’imaginais surtout pas que chaque 27 octobre nous aurions ce témoignage de prière à St Louis entre franciscains et derviches‐tourneurs, entourés de chrétiens et de musulmans, entrant dans l’esprit d’Assise. Nous sommes au début d’une nouvelle ère évangélique. Cela se paie parfois avec le sang ou le mépris reçu et encaissé mais il faut savoir regarder la moisson. Je vois le chemin parcouru et je rends grâce ! Fr. Gwenolé 7 
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