socius : ressources sur le littéraire et le social
et la sélection sexuelle, nous trouvons le passage suivant :
« Le sentiment du beau. – Ce sentiment est, assure-t-on, spécial à l’homme ;… quand nous voyons un oiseau
mâle étaler orgueilleusement, devant la femelle, ses plumes gracieuses ou ses splendides couleurs, tandis
que d’autres oiseaux, moins bien partagés, ne se livrent à aucune démonstration semblable, il est
impossible de ne pas admettre que les femelles admirent la beauté des mâles. Dans tous les pays, les
femmes se parent de ces plumes ; on ne saurait donc contester la beauté de ces ornements. Les oiseaux-
mouches et certains autres oiseaux disposent avec beaucoup de goût des objets brillants pour orner leur nid
et les endroits où ils se rassemblent ; c’est évidemment là une preuve qu’ils doivent éprouver un certain
plaisir à contempler ces objets… Il en est de même pour le chant des oiseaux. Les douces mélodies que
soupirent beaucoup d’oiseaux mâles, pendant la saison des amours, sont certainement l’objet de
l’admiration des femelles… Si les femelles étaient incapables d’apprécier les splendides couleurs, les
ornements et la voix des mâles, toute la peine, tous les soins qu’ils prennent pour déployer leurs charmes
devant elles seraient inutiles, ce qu’il est impossible d’admettre. Il est, je crois, aussi difficile d’expliquer le
plaisir que nous causent certaines couleurs et certains sons harmonieux que l’agrément que nous procurent
certaines saveurs et certaines odeurs… Quoi qu’il en soit… il est certain que l’homme et beaucoup
d’animaux admirent les mêmes couleurs, les mêmes formes gracieuses et les mêmes sons » (Darwin, 1881,
pp. 97-98).
Ainsi, les faits avancés par Darwin prouvent que les animaux inférieurs sont capables
de ressentir, tout comme les hommes, des jouissances esthétiques et qu’il arrive
souvent que leurs goûts esthétiques coïncident avec les nôtres. Mais ces faits ne nous
expliquent pas l’origine de ces goûts. Et, si la biologie ne nous explique pas l’origine
de nos goûts esthétiques, elle pourra d’autant moins nous expliquer leur
développement historique. Mais laissons parler Darwin lui-même.
« Le sentiment du beau, en tant qu’il s’agit tout au moins de la beauté chez la femme, n’est pas absolu dans
l’esprit humain, car il diffère beaucoup chez les différentes races, et il n’est même pas identique chez toutes
les nations appartenant à une même race. À en juger par les ornements hideux et la musique non moins
atroce qu’admirent la plupart des sauvages, on pourrait conclure que leurs facultés esthétiques n’ont pas
atteint le développement qu’elles présentent chez quelques animaux, les oiseaux par exemple » (Darwin,
1881, pp. 98 et suivantes).
Si le goût du beau est différent chez les différentes nations appartenant à une seule et
même race, il est clair que ce n’est pas dans la biologie qu’il faut chercher les causes
de cette différence ! Darwin lui-même nous dit d’orienter nos recherches dans une
autre direction. Dans la seconde édition anglaise de son œuvre, nous trouvons dans le
paragraphe cité le passage suivant, que ne reproduit pas la traduction russe à laquelle
nous avons eu recours et qui fut faite par I. Setchenoff d’après la première édition
anglaise : « With cultivated men such [c’est-à-dire esthétiques] sensations are
however intimately associated with complex ideas and trains of thoughts » (Darwin,
1883, p. 92).
« Toutefois ces sensations (le plaisir que l’on ressent à contempler certaines couleurs et certaines formes et
à entendre certains sons), chez l’homme civilisé, s’associent étroitement à des idées complexes (Darwin,
1881, p. 97).
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