Dossier mt pédiatrie 2010 ; 13 (5-6) : 343-52 Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic Pierre Lebon1 , François Freymuth2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 1 Université Paris Descartes; Hôpital Cochin, 27 rue de Fg St Jacques, 75014 Paris, France <[email protected]> 2 Université de Caen Basse-Normandie, Centre de référence de la rougeole et des paramyxoviridae respiratoires; Hôpital G. Clemenceau, service de virologie, 14033 Caen, France Un des objectifs de l’OMS était d’éradiquer la rougeole de la terre en 2010. Cet objectif est malheureusement retardé car malgré une vaccination efficace, la rougeole sévit à nouveau aux États-Unis et en Europe après une phase de quasi disparition dans le monde occidental. Cette résurgence de petites épidémies semble due plus à des lacunes de l’observance de la vaccination qu’à l’émergence de nouveaux sérotypes. Ces dernières années, d’immenses progrès ont été réalisés dans les connaissances de la pathogénie et de la phase de l’immunodépression transitoire de la rougeole. D’autre part, La biologie moléculaire permet maintenant d’ atteindre une grande sensibilité dans le diagnostic virologique et aussi de préciser l’épidémiologie des différents génotypes viraux. Ainsi les épidémies de nouveaux variants de virus de la rougeole peuvent être rapidement dépistées. Mots clés : rougeole, immunodépression, interféron, diagnostic, génotypes doi:10.1684/mtp.2011.0331 L mtp Tirés à part : P. Lebon a rougeole, maladie éruptive hautement contagieuse, a été décrite depuis l’antiquité mais ce n’est qu’au début du XXe siècle que la nature virale de l’agent causal a été démontrée. Le virus a été transmis dès 1905 expérimentalement à l’homme [1], en 1911 au singe [2, 3] puis cultivé d’abord sur œuf embryonné en 1938 [4, 5] et ensuite en cultures cellulaires en 1954 [6] qui mirent en évidence l’effet cytopathique de type syncytial du virus. Le développement de tests sérologiques (IHa) en 1960 [7], le clonage viral moléculaire en 1980 [8, 9] et l’essor considérable de l’immunologie ont contribué à la connaissance du virus et de la physiopathologie de la rougeole. L’une des particularités du virus est d’induire une phase d’immunosuppression transitoire au cours de la maladie alors que paradoxalement dans le même temps l’organisme développe une réponse immunitaire spécifique et de longue durée [10]. Le virus, structure et cycle cellulaire Le virus de la rougeole appartient à la famille des paramyxoviridae, genre morbillivirus (comprenant aussi le virus de la maladie de Carré du chien, de la peste bovine et celle des petits ruminants, ces virus possédant des parentés antigéniques entre eux). Les morbillivirus sont des virus à ARN simple brin, enveloppés avec une capside de forme hélicoïdale (figure 1). L’ARN de polarité 3 > 5 comprend six gènes et peut coder pour huit protéines (le gène P dans un cadre de lecture différent code les protéines V et C) ; les autres gènes sont codés pour deux glycoprotéines, H hémagglutinine et F fusion, qui sont à la surface de l’enveloppe, une protéine M tapissant l’intérieur de l’enveloppe, une protéine NP s’assemblant pour former la nucléocapside insérant la protéine P phosphoprotéine et la polymérase L. Pour citer cet article : Lebon P, Freymuth F. Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic. mt pédiatrie 2010 ; 13 (5-6) : 343-52 doi:10.1684/mtp.2011.0331 343 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic 150 mµ Figure 1. Virus de la rougeole : coloration négative (microscopie électronique, virologie, hôpital Saint-Vincent-de-Paul). Parmi les six protéines de structure virale, deux sont des glycoprotéines d’enveloppe : la protéine H (hémagglutinine les hématies de singe), sans activité de type neuraminidase associée, est responsable de l’attachement du virus à la cellule ; la protéine F (fusion) est apte à faire pénétrer la nucléocapside sans la cellule, à fusionner les cellules entre elles (formation de syncytium) et à hémolyser les hématies de singe. La protéine M (matrice) permet la cohésion et la maturation du virion, et la protéine N 344 (nucléocapside) renferme l’ARN et lie les protéines L (polymérase) et P (phosphoprotéine) formant le complexe de transcription du virus. Virus multiplication, récepteurs cellulaires Le cycle de multiplication du virus est celui de la famille des paramyxovirus ; une des caractéristiques du mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. virus morbilleux concerne les récepteurs viraux à la surface des cellules. Il y a plus de quinze ans, la molécule CD46 (protéine régulant l’action du complément à la membrane cellulaire par fixation de C3 et C4) a été identifiée comme récepteur pour le virus Edmonston, souche du virus morbilleux adaptée aux cultures cellulaires. À noter que les hématies humaines qui ne possèdent pas le CD46 ne sont pas agglutinables, contrairement aux hématies de singes, qui sont CD46 + . Une autre molécule a été identifiée, SLAM:CD150 (signaling lymphocytic activating molecule), protéine coactivatrice des lymphocytes qui a été démontrée plus récemment être un récepteur efficace des souches sauvages et d’isolats primaires. Ces récepteurs sont distribués de façon inégale. Le CD46 est assez ubiquitaire mais le SLAM est réduit aux tissus lymphoïdes et lymphocytes, il n’est pas présent dans le système nerveux central. Son gène transfecté et exprimé dans les cellules Vero rend celles-ci sensibles aux souches sauvages et utiles aux laboratoires de diagnostic. Un troisième récepteur non identifié serait présent sur les cellules épithéliales respiratoires (Er) [11]. La protéine F après clivage en deux peptides F1 et F2 permet la fusion de l’enveloppe virale et de la membrane cellulaire, ce qui a pour résultat de faire pénétrer la nucléocapside dans le cytoplasme et d’initier la transcription des ARN viraux. Après synthèse des protéines virales, les protéines H et F1 sont insérées dans la membrane cellulaire. Les ARN viraux (polarité–) sont encapsidés par les sous unités N, migrent vers la membrane, se lient avec la protéine M, conduisant au bourgeonnement du virus à la surface de la cellule par interaction avec les domaines intracytoplasmiques de H et F. La présence de la protéine F dans la membrane cellulaire permet la fusion des cellules voisines de la cellule infectée et entraîne la formation de cellules géantes multinucléés avec des inclusions cytoplasmiques et nucléaires (figure 2). Ces syncytiums, appelés cellules de Warthin et Finkeldey, sont présentes dans de nombreux tissus au cours de la phase aiguë de la maladie et dans les poumons d’enfants atteints de pneumopathies interstitielles. Physiopathologie La rougeole ne se révèle qu’après une incubation de dix jours, ce qui paraît long pour une virose respiratoire si on la compare aux deux jours de la grippe. Ceci peut s’expliquer par une phase de multiplication systémique et une virémie avant l’atteinte du tractus pulmonaire. L’infection ne se traduit pas par une multiplication locale à la porte d’entrée mais vraisemblablement par un passage Figure 2. ECP de type syncytial du virus de la rougeole infectant les cellules VERO. Estompage des limites cellulaires (service de virologie hôpital Cochin-St Vincent de Paul). mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 345 Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. du virus via le DC-SIGN de dendrites de cellules dendritiques intraépithéliales. Le virus gagne le tissu lymphoïde local transporté par les cellules dendritiques ou macrophages alvéolaires après une phase de réplication dans le tissu lymphatique. Il apparaît dans les cellules sanguines (monocytes, lymphocytes, T, B) sept à neuf jours après l’infection. L’infection des cellules épithéliales et endothéliales dans plusieurs tissus se fait par le pôle polarisé basolatéral des cellules épithéliales respiratoires et le récepteur Er [12]. Ce trajet du virus a été démontré récemment chez le macaque infecté par un virus exprimant une protéine fluorescente [13]. Vers le dixième jour après infection, une fièvre et un œdème du tractus respiratoire précèdent l’éruption érythémateuse maculopapuleuse apparaissant le 13e 14e jour. L’évolution est le plus souvent favorable chez les personnes immunocompétentes, la fièvre disparaît en moins d’une semaine, l’éruption s’atténue en une dizaine de jours. Avant l’antibiothérapie, les complications graves de la rougeole étaient fréquentes, surtout d’origine bactérienne, en raison d’un état d’immunodépression induit par la maladie. Le virus de la rougeole affecte aussi le système nerveux selon trois processus pathogéniques différents : – par une réaction d’hypersensibilité à l’égard d’antigènes du SNC, qui entraîne une encéphalite « autoimmune » au décours de l’éruption (encore appelée encéphalite périveineuse ou post-infectieuse) ; – par une neuroinvasion chez des enfants fortement immunodéprimés, survenant entre un à plusieurs mois après une infection morbilleuse atypique. Il s’agit d’une encéphalite primitive appelée encéphalite aiguë à inclusions ; – par une neuroinvasion et un développement progressif conduisant à une encéphalite subaiguë appelée panencéphalite sclérosante subaiguë (PESS). Celle-ci est rare mais redoutable ; elle se déclare encore plus tardivement, de deux à vingt ans après la rougeole. La raison de cette complication n’est toujours pas connue. Un grand nombre de mutations dans le gène de la protéine M de plusieurs souches ont été rapportées qui rendent compte de la nature parfois défective du virus [14]. Ces mutations peuvent être aussi la conséquence de l’infection chronique et de la sélection sous anticorps viraux présents à un taux élevé dans le sang et le SNC. La possibilité d’un défaut de l’immunité innée peut être évoquée dans cette complication à l’image des déficits des protéines de la cascade interféron, qui a été démontrée dans certaines encéphalites herpétiques [15]. Les complications pulmonaires à type de pneumopathie interstitielle grave sont observées chez les enfants immunodéprimés. L’éruption de la rougeole, après la virémie, apparaît au moment où s’exerce la réponse immune. Que le conflit 346 virus-système immunitaire ait un rôle déterminant dans ce domaine est démontré par le fait que les éruptions dans les déficits sévères de l’immunité sont très fugaces, pâles, atypiques ou inexistantes, et les titres des anticorps sont bas ou nuls et la charge virale élevée. La physiopathologie de l’éruption procède de certaines propriétés des protéines virales mais aussi de facteurs génétiques de l’hôte qui gouvernent les réponses innée et spécifique à l’infection virale. Le virus interagit directement avec les cellules endothéliales grâce à sa protéine F qui fusionne les membranes cellulaires entre elles. Les complexes immuns circulants, antigènes viraux-anticorps, en présence de complément, peuvent aussi altérer la membrane des cellules endothéliales. Indirectement, l’activité de cellules lymphocytes T-cytotoxiques CD8 et/ou de cellules NK s’exerce aussi contre les cellules endothéliales infectées. Les lésions endothéliales sont favorisées par une augmentation de l’expression de protéines d’adhésion ICAM1, VCAM, Sélectine E qui attachent les cellules T à la surface des cellules endothéliales infectées. Enfin, la protéine H fixe les monocytes à la membrane de l’endothélium infecté, entraînant un gradient local de concentration de cytokines et de chimiokines dont certaines induisent une mort cellulaire par apoptose. Réponse de l’hôte à l’infection Différents travaux ont montré le rôle important de l’immunité innée, en particulier celui des interférons, dans la résistance de l’hôte à l’infection et à la limitation de la multiplication virale : ainsi des souris transgéniques CD46+ et dépourvues de récepteurs IFN alpha (donc ne pouvant pas répondre à leur interféron endogène) deviennent plus sensibles à l’infection et développent une pathologie plus sévère. De même, la suppression de l’IFN gamma, et donc de la réponse TH1, rend les souris Balb C sensibles à une infection du SNC [16]. Au début de la phase éruptive, une sécrétion simultanée d’interféron de type I et II gamma a lieu dans le sang [17] des formes non compliquées ; c’est une notion qui devrait être prise en compte dans les études immunitaires in vitro. Dans le même temps, l’IL8 et l’IL-1B sont présentes aussi [18]. La production des interférons de type I est complexe. Le virus morbilleux se multiplie dans les monocytes, et cellules T activées, cellules par lesquelles il diffuse dans tout l’organisme. Les interférons alpha sont produits par les PBMC, dans les cellules pDC, via la voie des TLR7-8 par l’ARN viral simple brin ; l’IFN beta est activé via les RNA hélicases cytosoliques, RIG-1, MDA-5 et le TLR3 par les formes bi-caténaires virales réplicatives [19-21]. RIG-1 joue un rôle déterminant, son absence chez le poulet favorise la multiplication du virus morbilleux dans les cellules de mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 poulet [22]. La qualité de la réponse IFN est moins importante avec les souches sauvages qu’avec les souches atténuées [23]. Il a été montré que les protéines C et V du virus diminuent l’induction d’interféron in vitro et interfèrent avec les voies de signalisation, mais in vitro et probablement in vivo, l’IFN inhibe la réplication virale au moins par l’intermédiaire de la protéine Mx. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. L’immunosuppression Au cours de la rougeole, plusieurs mécanismes concourent à un déficit transitoire de l’immunité : Il existe une lymphopénie des cellules T et B dans le sang au moment du rash qui pourrait être due à une modification du trafic cellulaire ou/et à une augmentation de cellules en apoptose [24]. Indirectement, la réponse cytokinique évolutive explique cette immunosuppression : la fonction TH1 est fortement diminuée et cela aboutit à un déficit immunitaire transitoire, une inhibition in vitro de la transformation lymphoblastique aux mitogènes et in vivo à la tuberculine, comme l’avait observé déjà Von Pirquet en 1908 [25] (anergie tuberculinique) dont le mécanisme n’est pas encore élucidé. Cette inhibition n’empêche pas la réponse adaptative spécifique. En effet, dès l’apparition de l’éruption, les IgM et IgG spécifiques et cellules TCD8 activées sont détectables dans le sang, qui en quelques jours éliminent le virus du sang. Les TCD8 jouent un rôle capital dans la clairance du virus car leur déplétion chez le macaque augmente et prolonge la charge virale [26]. L’IL2 est produite par les cellules présentatrices d’antigènes, importante pour les CD4T+ qui produisent l’IFN gamma cytokine de type Th1. Rapidement, un profil de cytokines de type Th2, avec sécrétion d’IL4, IL10 et IL13, s’installe durant plusieurs mois après la fin de l’éruption [27]. Cet état pourrait expliquer les changements des réponses à d’autres pathogènes et expliquer diverses surinfections. Cette suppression de la prolifération des PBMC, en réponse aux mitogènes, des enfants infectés dure plusieurs semaines après l’infection ; la prolifération peut être amélioré en présence d’IL-2 ; l’arrêt des mitoses peut être due à l’infection virale ou à une inhibition virale du récepteur CD150, dont la fonction est de stimuler la prolifération des lymphos T. Le blocage cellulaire a été aussi obtenu en dehors de virus infectieux directement par interaction des cellules T avec le complexe glycoprotéique viral H/F1-F2. Cela conduit à l’activation de la phosphinositide 3-kinase PI3K des cellules T par l’activation de STAT3 mais sans activation de la kinase Akt nécessaire à la progression du cycle cellulaire [28]. Après la clairance du virus du sang, l’ARN viral peut encore être détectable plusieurs semaines dans les PBMC [29]. L’ARN viral a été détecté dans l’appendice, plusieurs années après la rougeole, chez un enfant développant une PESS [30]. L’interaction virus-cellules a été étudiée par la technologie de « microarray » qui rend possible l’identification de gènes cellulaires dont l’expression est modifiée par l’infection virale [31]. Appliquée à la rougeole, à partir de cellules lymphocytaires activées par la PHA et infectées 48 heures, une étude a montré une surexpression des gènes de facteurs anti-apoptotiques Bcl-3, P52 de NFkB, du système interféron IFN a/b, IRF7, 2-5 oligo-adénylate -synthétase, de facteurs de transcription ATF4, de protéines chaperonnes (calreticuline, calnexine), de protéines de stress associées au réticulum endoplasmique (p57) et un facteur d’arrêt de la croissance cellulaire, ayant une activité pro-apoptotique le CHOP/GADD15-3. Une étude du même genre [32] faite sur des cellules dendritiques monocytaires infectées par le virus rougeoleux montre l’expression de gènes associés à la maturation des DC identique à celles entraînée par d’autres pathogènes testés tels que bactérie, levure et influenza virus qui n’entraînent pas d’immunodépression. Seuls les gènes interférons beta et alpha sont surexprimés avec le virus rougeoleux et non avec les autres pathogènes testés, y compris avec le virus grippal (contradictoire avec ce qui est déjà connu). L’interprétation de ces résultats est difficile car ils ont été obtenus à partir de cellules infectées, privées de leur environnement de cytokines ou d’interleukines qui a lieu in vivo au cours de la rougeole et qui modifie l’expression de nombreux gènes Diagnostic virologique Le diagnostic virologique de la rougeole a des indications formelles dans les formes avec complications, les rougeoles atypiques, les infections des sujets immunodéprimés, et dans les périodes non épidémiques où la valeur prédictive positive du diagnostic clinique peut être très basse : elle passe de 74 % à 1 % si l’incidence de la maladie passe de 171 cas/100 000 à 1,3 cas pour 100 000 [33]. Les méthodes utilisées pour ce diagnostic ont beaucoup évolué avec l’arrivée des outils moléculaires et la possibilité d’utiliser une sérologie salivaire. L’évolution des marqueurs virologiques permettant le diagnostic de la rougeole a été présentée à l’occasion d’une réunion récente de l’OMS (figure 3). Les méthodes traditionnelles du diagnostic virologique de la rougeole Aux stades d’invasion et éruptif de la maladie, le virus de la rougeole est présent au niveau du nasopharynx, de la salive, de la conjonctive, des cellules mononucléées du sang et des urines. Chez certains patients, la virémie et la virurie peuvent être encore décelables à sept jours du début de l’éruption [29]. Les sécrétions respiratoires ou salivaires sont prélevées par écouvillonnage ou aspiration ; 10 à 15 ml d’urines sont recueillies dans un milieu mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 347 Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic 125 Fièvre Rash 100 IgG†: Sérum/DBS§/OF IgM**: Sérum/DBS/OF Détection du virus††: OF 75 Détection du virus††: DBS Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Culture du virus 50 25 0 -3 -1 1 3 5 7 14 21 28 35 60 90 Jours après apparition du rash§§ Figure 3. Évolution des marqueurs virologiques au cours de la rougeole. Données présentées au symposium WHO : Recommandations de la réunion du réseau Labnet Rougeole-Rubéole au cours du meeting de l’OMS, Genève 2007(MMMWR 2008;57:657-60). IgG : Immunoglobulines G ; DBS : spot de sang séché ; OF : prélèvement buccal ; IgM : Immunoglobuline M ; détection virale : détection de l’ARN viral par PCR conventionnelle, nichée ou PCR en temps réel ; culture virale : isolement en culture cellulaire. de transport. Dans les complications neurologiques, on utilise un prélèvement de LCR, exceptionnellement une biopsie cérébrale ; dans les pneumonies, une aspiration bronchique et/ou un lavage bronchoalvéolaire placés dans un milieu de transport. Pour la sérologie, on prélève de 2 à 5 ml de sang dans un tube sec, stérile. Les méthodes traditionnelles du diagnostic virologique de la rougeole comprennent la recherche d’antigène viral par examen direct en immunofluorescence (IF), l’isolement en culture de cellules et la sérologie. L’IF et la culture sont aujourd’hui peu utilisés en routine. Nous en rappellerons quelques éléments. La recherche de cellules infectées par IF dans le prélèvement respiratoire est positive dans plus de 75 % des rougeoles. De deux à six jours après le début du rash [34], les antigènes sont détectés dans les cellules géantes, les cellules ciliées et les macrophages. L’isolement du virus de la rougeole en culture de cellules est difficile et de rendement faible. L’isolement est possible sur certaines cellules : le rein humain embryonnaire (HEK), le rein de singe primaire, par coculture des lympho-monocytes du patient avec des lymphocytes de cordon stimulés par la PHA et sur des lymphocytes B de marmouset transformés par le virus 348 Epstein-Barr (lignée B95a) [35]. Mais aujourd’hui, les cellules Vero transfectées avec un plasmide codant pour la molécule SLAM ou CDw150 représentent le système de choix pour l’isolement des souches sauvages du virus [36]. Par rapport à la lignée B95, elles ont l’avantage de ne pas produire de virus Epstein-Barr. L’effet cytopathogène n’apparaît pas avant le 5e -10e jour de culture, quelquefois même après un ou deux passages à l’aveugle. L’aspect des cellules infectées est classiquement celui de cellules géantes multinucléées et de syncytiums. Au centre des syncytiums on observe de nombreux noyaux, souvent plus de 50, avec parfois des inclusions nucléaires (figure 4). Après plusieurs passages, les cellules infectées peuvent prendre l’aspect de cellules effilées, en « aiguilles » ou en « étoiles », ou de cellules arrondies de taille irrégulière. Ce type d’effet cytopathogéne serait lié à la présence de particules défectives interférentes. Toutes les cellules infectées contiennent des inclusions éosinophiles à la fois intranucléaires et intracytoplasmiques. En l’absence d’effet cytopathogène, ou pour confirmer l’infection, la détection du virus de la rougeole était faite autrefois par hémadsorption à l’aide d’hématies de singe. Aujourd’hui, la PCR a remplacé l’hémadsorption. mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Figure 4. Syncytium, culture cellulaire infectée par le virus de la rougeole, coloration Hemalun-éosine (service de virologie, Hôpital St Vincent de Paul). Sérologie de la rougeole La sérologie de la rougeole est la méthode traditionnelle du diagnostic, souvent utilisée en pratique courante. L’antigène dérive de la souche Edmonston. De nombreuses techniques de dosage des anticorps anti-rougeole ont été décrites : réaction de fixation du complément, immunofluorescence, séro-neutralisation, réaction d’inhibition de l’hémolyse ou de l’hémagglutination (RIHA), mais ce sont les techniques ELISA, qui sont les plus utilisées aujourd’hui [37]. Parmi les tests ELISA diffusés en Europe pour la recherche des anticorps anti-rougeole par ELISA sur le sérum, le test Siemens comporte un standard permettant d’obtenir en unités internationales le taux d’anticorps. Dans la rougeole, les anticorps spécifiques IgM apparaissent au moment de l’éruption et persistent environ deux mois ; les anticorps IgG apparaissent en même temps que les IgM et persistent très longtemps. Une particularité sérologique est observée dans la SSPE, il existe une réponse hyperimmune, avec un taux très élevé d’anticorps dans le sérum des malades et surtout une synthèse oligoclonale d’anticorps dans le LCR. La recherche de l’avidité des anticorps IgG a également été développée pour le diagnostic de la rougeole [38]. Diagnostic moléculaire Dans le génome ARN du virus de la rougeole, comportant 15 894 nucléotides, la séquence nucléotidique des gènes L, M et F est plus conservée que celle des gènes N, P et H qui varie entre 7 % et 10 % [39]. Le diagnostic moléculaire de la rougeole a été appliqué pour la première fois sur des biopsies cérébrales de sujets atteints de SSPE [40]. Par la suite, d’autres techniques PCR ont été décrites, mais celle qui est aujourd’hui recommandée par l’OMS est une RT-PCR nichée permettant à la fois la détection et le séquençage de l’ARN [41]. Une PCR en temps réel, biplex rougeole-rubéole a récemment été décrite [42]. Elle est utilisée en routine au CNR de la rougeole et des Paramyxoviridae respiratoires (laboratoire de virologie, CHU de Caen), parce qu’elle est plus rapide et aussi sensible que la technique OMS. L’ARN viral est décelable dans la gorge dans 73 % des cas les trois premiers jours de l’éruption, dans 67 % des cas entre le 4e et le 13e jour et dans 20 % des cas jusqu’au 20e jour [43]. Il est présent aussi dans les leucocytes du sang circulant et dans les urines, où il peut persister plus longtemps (tableau 1). La recherche de l’ARN viral a permis de suivre l’évolution de l’épidémie de rougeole qui sévit mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 349 Virus de la rougeole : immunodépression, diagnostic Tableau 1. Détection d’ARN rougeole par RT-PCR (d’après Riddell MA et al. 2001). Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Jours après l’éruption Gorge Urine Sérum Leucocytes N N N N % % % % 0-3 j 15 73 15 67 64 34 10 70 4-7 j 15 67 15 53 21 2 12 42 8-13 j 6 67 15 53 21 2 12 42 14-20 j 5 20 7 29 4 0 6 33 > 21 j 7 0 7 14 2 0 6 0 actuellement en France. La rougeole diffuse lentement à l’intérieur de l’Europe depuis quelques années. Par exemple, en 2006 et 2007, 85 % des 12 312 cas déclarés de rougeole provenaient seulement de cinq pays : la Roumanie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suisse et l’Italie. En 2006 et 2007, le nombre de cas déclarés de rougeole en France n’était que de 40 et 47, respectivement. En fait, la rougeole est réapparue dans le deuxième semestre de l’année 2008, et l’épidémie a « flambé » en 2009 et surtout en 2010. La figure 5 montre combien la détection de l’ARN viral est utile pour déceler une épidémie de rougeole et suivre son évolution. La majorité des échantillons analysés au CNR : 187 en 2008, 588 en 2009 et 1 595 au 30 novembre 2010 contiennent le virus de la rougeole. Le séquençage de l’ARN viral est le complément indispensable au diagnostic virologique de la rougeole. Il permet l’identification du génotype. Il est effectué sur la séquence des 450 nucléotides de la partie C-terminale du gène N ou sur la séquence complète du gène H selon la technique recommandée par l’OMS. L’analyse génétique des isolats de virus de la rougeole permet de déterminer pour chacun d’eux, dans une certaine mesure, l’origine géographique de la souche, et de pouvoir suivre la diffusion du virus dans les foyers d’infection. Les souches sauvages du virus de la rougeole sont classées en 8 sous-groupes génétiques 300 Nb salives 250 Nb salives pos. 200 2008 2010 2009 150 100 50 t Ju ill e ai M s M ar e r Ja nv ie br ov em N Se p te m br e t ill e Ju ai M s M ar e er vi Ja n em ov N Se pt em br br e et ill Ju ai M s ar M Ja n vi er 0 Figure 5. Salives reçues et salives ARN-rougeole positif. CNR de la Rougeole et des Paramyxoviridae respiratoires (CHU Caen). 350 mt pédiatrie, vol. 13, n◦ 5-6, septembre-décembre 2010 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. ou clades (A-H), et en 23 génotypes désignés : A, B1, B2, B3, C1, C2, D1, D2, D3, D4, D5, D6, D7, D8, D9, D10, E, F, G1, G2, G3, H1, H2. En 2008, les 19 premiers cas de rougeole, apparus au mois de janvier dans la région de Reims, étaient associés à des génotypes D4 et D5. Une deuxième flambée de rougeole avait lieu dans la région de Nice au mois de mai, où 28 cas de rougeole, associés au génotype D9, étaient recensés. À partir du mois d’octobre, la rougeole réapparaissait sous forme de plusieurs petits foyers de rougeole et des cas sporadiques apparus sur tout le territoire. L’année 2009 est marquée par l’émergence du génotype D4 (n = 213) et la diminution du génotype D5 (n = 51) qui représentaient respectivement 75 % et 17,9 % des génotypes identifiés. Au 31 juillet 2010, le génotype D4 (n = 412) devenait le virus endémique, représentant 98,8 % des génotypes, à côté d’un cas de rougeole post-vaccinale (génotype A), et de quatre cas introduits en France à la suite de contaminations d’origine africaine (génotype B3), indonésienne (génotype D8), indienne (génotype D9), et asiatique (H1). La recherche de l’ARN viral est l’approche à privilégier pour le diagnostic de la rougeole et de ses complications, respiratoires et neurologiques. Cependant, au cours des encéphalites associées au virus de la rougeole, la recherche de l’ARN viral dans le LCR est souvent négative. C’est le cas des encéphalites post-infectieuses et de la SSPE. Le diagnostic d’encéphalite post-éruptive consiste à confirmer celui de la primo-infection par le virus rougeole par la mise évidence des IgM spécifiques du sérum et parfois dans le LCR (50 % des cas et présence transitoire). Le diagnostic d’encéphalite à inclusions de l’immunodéprimé est basé sur des méthodes directes de culture [44] et/ou de PCR sur le tissu cérébral, la sérologie étant souvent négative et la recherche dans le LCR par PCR encore incomplètement évaluée. Le diagnostic de PESS est basé sur la mise en évidence d’une synthèse intrathécale d’anticorps rougeole et la recherche de l’ARN viral dans le tissu cérébral. Diagnostic salivaire Le diagnostic à partir d’un prélèvement salivaire est l’approche qui a été mise en place en France dans le cadre du Plan d’élimination de la rougeole. La salive est prélevée à l’aide d’une petite éponge cylindrique et transmise au CNR selon une procédure développée en grande Bretagne pour la surveillance de la rougeole dans la communauté [45]. Au CNR, la salive est extraite par centrifugation (700 g , 5 min) et le diagnostic comporte en premier la recherche de l’ARN viral, et, si elle est négative, le dosage des anticorps IgM et IgG anti-rougeole, dans un second temps. Le diagnostic salivaire est une méthode très efficace pour détecter l’ARN viral : 536 (81,2 %) des 660 salives reçues au CNR jusqu’en mai 2010 contiennent de l’ARN viral, 136 (20,6 %) des IgM anti-rougeole et 17,5 % n’ont ni ARN, ni IgM. De plus, on observe plus souvent des ARN sans IgM (avant leur synthèse), 61,9 %, que des ARN avec IgM, 19,2 %, ou des IgM sans ARN, 1,3 %. La détection de l’ARN viral est plus efficace que la détection des IgM spécifiques lorsque le recueil de salive est effectué dans les premiers jours de l’éruption. Le seul test validé pour la détection des anticorps salivaires anti-rougeole est un test d’immunocapture ELISA (Microimmune Ltd., Middlessex) où l’antigène est une ribonucléoprotéine recombinante. L’évolution des anticorps anti-rougeole dans la salive est superposable à celle des anticorps sériques. Si le diagnostic de rougeole est écarté, il faudra rechercher d’autres causes virales à une éruption morbilliforme : virus de la rubéole, adénovirus, entérovirus, HHV6, parvovirus B19, bocavirus, CMV, HIV. Remerciements et autres mentions Financement : aucun ; conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Hektoen L. Experimental measles. J Infect Dis 1905 ; 2 : 238-55. 2. Goldberger J, Anderson JF. An experimental demonstration of the presence of the virus of measles in the mixed buccal and nasal secretions. JAMA 1911 ; 57 : 476-8. 3. Goldberger J, Anderson JF. The nature of the virus of measles. JAMA 1911 ; 57 : 971. 4. Plotz H. Culture « in vitro » du virus de la rougeole. Bull Acad Nat Med 1938 ; 119 : 598-601. 5. Rake G, Shaffer MF. Studies on measles : the use of the chorioallantois of the developing chicken embryo. J Immunol 1940 ; 38 : 177. 6. Enders JF, Peebles TC. 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