NEPALE 2 route de Longpont - 91700 Sainte Geneviève des Bois Tél. : 01.69.63.29.70 – Fax : 01.69.80.64.21 Site : www.nepale.fr Association loi 1901 Table ronde sur un patient atteint d’une maladie neuro-dégénérative. Nous avons voulu, lors de la préparation de cet exposé à trois voix, ne pas déployer toutes les questions que cette perspective du maillage territorial pouvait nous permettre d’explorer. Le temps imparti ne nous l’aurait, de toute façon, pas permis. C’est donc la problématique du passage de relais qui a retenu toute notre attention et qui maintenant, je l’espère va retenir la votre ! Le Tableau : Un réseau régional spécialisé dans la maladie SLA, un réseau de proximité de soins palliatifs, un SSIAD engagé dans la prise en charge quotidienne de la patiente et ayant pour mission la coordination des acteurs de cette prise en charge. 1/ Parcours du patient : Réseau SLA 2/ Le point de vue du SSIAD. 3/ Trois coordinations. Trois questions. Le temps fondateur du passage de relais. NEPALE Dans la situation exposée, le passage de relais est centré sur un aspect : Le réseau SLA interpelle le réseau de SP pour la prise en charge psychologique… Ce n’est donc pas à un réseau de proximité pour une prise en charge globale de la situation que s’adresse la patiente, mais à un réseau qui est là pour répondre à sa demande de soutien psychologique. Dès lors et tout au long de l’histoire, le réseau NEPALE ne sera jamais interpellé ni par la famille, ni par les intervenants sur aucun autre registre de ses missions habituelles. La douleur, par exemple, pourtant présente, ne nous est jamais signalée, que ce soit par le SSIAD ou la famille ou le réseau SLA. La patiente nous demandera de venir la première fois en présence de ses enfants puis reviendra sur sa demande et souhaite nous voir seul. Elle veut nous voir seul pour nous expliciter sa demande : se faire comprendre de ses enfants, résoudre les problèmes de relation, de souffrance qu’elle éprouve vis-à-vis d’eux et vis-à-vis de son mari. Mais déjà, cette première fois, l’expression orale est particulièrement difficile pour elle et pour nous de la comprendre. La rencontre se fera en présence d’une amie proche, là pour garantir la reformulation si besoin était, puis lors de la deuxième visite et à la demande de la patiente, avec son mari mais jamais avec les enfants et leur mère. Nous organiserons, à la demande du mari et avec l’accord de Mme B., une rencontre avec les garçons et leur père mais pas avec la fille, en vacances, dont on apprend, quand nous proposons un suivi psychologique, qu’elle est déjà prise en charge en ville, ainsi d’ailleurs, que le dernier fils, une rencontre donc, pour parler de la maladie aux enfants, pour voir (dit le père), ce qu’ils ont compris. Une rencontre que nous réaliserons au réseau et avec le Dr Chalbi. La première fois aussi, la patiente qui est cadre de santé, nous reçoit en tant que réseau de soins palliatifs et nous parle rapidement, rapidement après nous avoir fait part de ses difficultés ave ses enfants, d’euthanasie. Ce qu’elle nous demande, c’est de mourir et vite et de l’aider…Le réseau de soins palliatifs, c’est pour elle la mort annoncée, qu’elle préfère dans son impuissance actuelle qui se confronte à une grande maîtrise antérieure, choisir quand et où, plutôt que subir…et le réseau propose de faire son travail de soins palliatifs, d’avancer avec elle sur l’ensemble des plans, sociaux, médicaux (en lien avec le réseau SLA et son MG), de soulager les symptômes et la souffrance physique, et psychologique même si les conditions de la relation sont déjà presque impossible….Mme B. ne voudra plus voir le réseau, elle ne pourra de toute façon jamais le solliciter puisqu’elle ne peut déjà plus ni prendre le téléphone ni même pratiquement parler. Elle ne le pourra pas, les enfants sont en vacances, le mari peu disponible, le désir peu présent…il aurait fallu du temps que le temps, ou la maladie, ou les deux à la fois, ne lui donnaient pas. Le moment du passage de relais est essentiel : trop tard pourrait-on dire ici. Trop tard surtout pour des questions de prise en charge psychologique. La maladie avait déjà gagné. Le passage de relais oui, peut-être, mais quand ? Première question. Le discours sur l’introduction d’un nouveau partenaire tenu au patient et à son entourage est sans doute aussi essentiel que le moment: passer le relais à un réseau de soins palliatifs ne pourrait se dire que du côté d’une prise en charge globale du patient, pourquoi : parce que le patient a à se saisir d’une nouvelle structure. Toute parole d’explicitation, comme ici la prise en charge psychologique, va produire une inscription qu’il sera difficile de lever ensuite : NEPALE = soutien psy et ce d’autant, d’autant qu’il s’agit d’un réseau de soins palliatifs donc, et personne ou presque n’est dupe, d’un réseau qui accompagne jusqu’à la mort. Cela résonne du côté de la séparation. Nous avons donc à unifier, pour sécuriser, psychiquement. Entreprendre un découpage des fonctions des uns et des autres, les uns la psy, les autres la maladie SLA, les autres encore, les soins, risque et nous le constatons souvent, de renforcer les clivages et le morcellement, de produire justement ce à quoi nous avons à faire face, physiquement et psychiquement, la déliaison. Et les patients qui y sont confrontés dans leur chair nous y poussent, à leur insu, mais nous y poussent…ils n’entendent que ce qu’ils peuvent et souvent, ils ne peuvent entendre facilement, justement, la séparation, symbolisée par le passage de relais d’un réseau à un autre, fut-il de proximité, même si tout était dit de la prise en charge globale à domicile, il n’est pas facile d’entendre et d’accepter le non dit trop dit de ce que cela dit de l’avancée de la maladie. Unifier pour sécuriser ne veut pas dire glissement des fonctions, tout le monde ne ferait pas tout, non, mais cela soustend l’essentiel travail de lien entre nous, acteurs différenciés de la prise en charge, amenés à se transmettre l’état de la situation du patient et son évolution, parfois jour après jour, pour que tous concourent, de leur place, à favoriser un maintien à domicile de qualité et en sécurité. Quand la patiente ne peut plus parler et à plus forte raison parce qu’elle ne peut plus le faire physiologiquement, c’est à nous de prendre le relais, de ce que l’on voit (évaluation clinique) et éventuellement de ce que l’on sent en s’assurant les moyens d’un évitement des projections qu’une prise en charge aussi « rapprochée » et impliquante ne manque jamais de produire. La question de la séparation que l’arrivée d’un réseau de soins palliatifs dans une prise en charge ne manque jamais de laisser entrevoir ne concerne pas seulement les patients et leur famille, elle concerne aussi, et profondément, les professionnels. La mort « plane »…et il nous faut, ensemble aussi et si possible, en tenir compte. Passer le relais, c’est se séparer, se séparer du patient et de tout ce qu’il nous apporte. Passer le relais, c’est perdre, du côté du symbolique et de la réalité…perdre l’illusion d’être certain que tout sera fait au mieux, perdre la relation, perdre la maîtrise elle aussi symbolique ou réelle, perdre et donc trouver, trouver autre chose qui rendra la perte supportable même si nous ne sommes que peu conscient de toutes ces choses qui se passent éventuellement en nous, trouver quoi ? La confiance. La confiance entre partenaires qui devient donc aussi, un objectif de travail entre nous : apprendre à se connaître, à se reconnaître. La confiance ne peut se décréter, elle doit donc se construire ce qui sous entend quand le temps manque et il manque toujours cruellement quand on se retrouve confronté à la mort, des espaces et des lieux de travail conjoint, des espaces, des lieux et du temps de co-construction autour et avec le patient quand la réalité quotidienne dans sa densité et son exigence, ne nous laisse pas assez de temps. Il faudrait donc le prendre pour pouvoir, in fine, constater qu’il nous fait gagner de la qualité et donc du temps de qualité. Deuxième question : Passer le relais en travaillant la perte serait un projet à co-construire en équipe pour le gain de relations de confiance, confiance comme moyen de rendre supportable la séparation, pour les professionnels et pour les patients et leur entourage. Est- ce possible ? Est-ce pertinent ? Réseau régional et réseau de proximité. Réseau spécialisés l’un dans la maladie, l’autre dans le soin palliatif. Un réseau spécialisé dans la maladie SLA et un réseau de soins palliatifs ont tout pour travailler ensemble, d’autant que l’un est éloigné géographiquement et l’autre pas, et pourtant…et pourtant cela n’est pas si simple. La géographie territoriale n’a rien à voir avec la géographie des attachements et du symbolique ! D’autant que pour ce qui nous concerne aujourd’hui, le réseau régional ne peut pas passer la main, il reste l’expert, l’expert de la maladie, celui avec lequel le patient, pas encore trop dépendant, a tissé des liens, parfois depuis longtemps, des liens fondés sur l’espoir, l’espoir de guérir, peut-être, du miracle peut-être aussi, puisqu’on dit qu’on ne guérit pas d’une SLA…le patient est attaché à sa vie et au premier réseau rencontré. Il ne fait de doute que la SLA, dans sa complexité et sa spécificité, requiert une compétence que les professionnels de proximité n’ont pas. Le partenariat est donc utile si ce n’est essentiel. Dans la situation dont nous partons, la rencontre des enfants et de leur père avec le neurologue a été essentielle mais quid de la plus-value pour le réseau de proximité ? Cette rencontre n’a pas permis de se voir crédité d’une place auprès de la famille même si la rencontre s’est faite conjointement et au réseau de proximité. Est-ce un cas particulier ? Aucune de nos nombreuses tentatives vers eux n’ont permis d’établir un lien durable et global. Peut-être est-ce un cas particulier, il se trouve que la famille n’a plus non plus fait appel au réseau SLA ensuite…cependant, cet exemple peut nous permettre d’envisager la question de la pertinence, encore une fois, du moment du passage de relais et si relais n’est pas possible du fait de la spécificité de la maladie, alors posons nous la question du relais lui-même. Devons nous passer le relais ou envisager de faire ensemble et d’emblée, tout au long de la maladie plutôt que d’attendre l’aggravation ultime, ce qui met tout le monde plus ou moins en difficulté. N’avons-nous pas à imaginer un dispositif qui impliquerait les deux réseaux conjointement dès le début ? Avec des places plus ou moins proches en fonction de la maladie et des familles, mais ensemble, puisque l’issue est connue ? Un temps précieux qui permettrait peut-être aux patients et à leur famille de mieux comprendre nos spécificités, nos complémentarités quand le passage en fin de vie ne permet pas de saisir ces fonctionnements ni pour les familles, ni pour les professionnels de ville: comment comprendre qu’il faudrait appeler le réseau de soins palliatifs pour la douleur quand on leur dit d’appeler le réseau SLA pour la maladie ? Comment comprendre que les problèmes sociaux peuvent être appréhendés par le réseau de soins palliatifs quand le réseau SLA a déjà mis en lien avec la MDPH, parfois déclenché les aides à domicile ? Comment comprendre les liens et les différences entre le réseau de soins palliatifs et l’HAD une fois que l’alimentation parentérale est mise en place ? Troisième question et quatrième : Comment comprendre…. ? Comment faire comprendre ? que nous sommes complémentaires. Le réseau, est ici entendu comme pôle de compétences « où se lient », comme l’énonce P.Ricoeur, « l’action, les institutions et les personnes, sans subordination des uns aux autres. ». Autrement dit, le réseau est un « ensemble de volontés acceptant de se reconnaitre individuellement capable, vulnérable et solidairement coresponsable » dans la visée du lien social librement consenti par le patient et son entourage. En être convaincu…premier mouvement intérieur incontournable. Notre enjeu en tant que réseau et qui plus est de soins palliatifs est de produire du sens là où tout peut se confondre, entre enjeux personnels et enjeux professionnels, entre projection et identification, quand le devenir est le mourir, et que l’anticipation des symptômes de fin de vie peut faire glisser vers une anticipation de la mort réelle au risque de renoncer à la vie et au désir, avant la fin de la vie. Créer et maintenir, pour les professionnels libéraux et institutionnels ainsi que pour les équipes de coordination, des espaces de circulation de la parole où le double mouvement de pulsion de vie et pulsion de mort, de processus d’attachement et de détachement, va pouvoir se dire, se penser, se partager au profit d’une reconnaissance de la souffrance produite par le compagnonnage quotidien des familles et des patients confrontés à la maladie grave et à la séparation irrémédiable. Nous avons à maîtriser et symboliser la séparation dans l’objectif d’éviter de la nier ou de la fixer en lutte de pouvoir et en agressivité. Dans la situation présentée, chaque structure a été en souffrance ou en difficulté de la méconnaissance de ce qui se passait, se vivait et même se décidait dans les espaces de chacun. Et nous avons aussi, ensemble, à pouvoir supporter qu’on ne veuille pas de nous, comme cela fût le cas ici, où qu’on ne veuille pas de notre complémentarité, en d’autres termes, que nous ne soyons pas le préféré…et que nous ne puissions pas grand chose pour cet autre là… Nous vous remercions de votre attention. Odile DAVID Directrice, Réseau NEPALE