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ON ACHETE BIEN LES CERVEAUX
Par Marie Benilde - 6 mars 2007
Les liens des régies publicitaires avec les neurosciences prouvent que la fabrication de
"cerveaux humains disponibles" chers à Patrick Le Lay, le président de TF1, est devenue une
réalité des médias. Une idéologie est à l’oeuvre: elle vise à nous rendre étrangers à nous-mêmes
pour faire de nous des cibles normées en fonction d’intérêts marketing.
Je suis l’auteur d’un livre dont vous n’entendrez probablement jamais parler dans vos journaux, à la
télévision ou même à la radio. Son nom ? On achète bien les cerveaux (édition Raisons d’agir,
2007). Il ne s’agit pas d’un opuscule tendancieux ou d’un brûlot d’extrême gauche ou d’extrême
droite. Simplement, c’est un livre qui prétend apporter une analyse critique sur un phénomène qui
rythme notre quotidien : l’omniprésence massive de la publicité et ses conséquences sur les médias.
Le titre fait bien sûr référence à la phrase prononcée en 2004 par Patrick Le Lay, le PDG de TF1, sur
le « temps de cerveau humain disponible » que le patron de la chaîne s’enorgueillit de vendre à
Coca-Cola. Je suis allée enquêter dans le cœur même de la machinerie publicitaire de la Une. Et ce
dont je me suis aperçue, c’est que la commercialisation du cerveau du téléspectateur n’est pas un
phantasme ou un abus de langage. C’est le reflet de la plus stricte vérité si l’on en croit les propos de
neurologues qui travaillent aujourd’hui pour les principaux médias, dont TF1, sur l’impact de la
publicité dans la mémoire.
Le temps n’est plus où l’on se contentait de tests et de post-tests pour prouver l’efficacité des
messages publicitaires. Face à des nouveaux médias comme Google ou Yahoo, qui proposent à
l’annonceur de payer pour chaque contact transformé en trafic et de suivre le client à la trace, les
grands médias cherchent à montrer qu’ils arrivent à pénétrer l’inconscient des consommateurs. A
l’instar des grands annonceurs américains, ils ont confié à une société spécialiste des sciences
cognitives, Impact Mémoire, le soin d’explorer ce que le cerveau retient dans la communication
publicitaire. Pour cela, les « neuromarketers » ont recours à une machine uniquement utilisée jusqu’à
présent à des fins médicales, pour détecter les tumeurs par exemple : l’imagerie à résonance
magnétique (IRM). Que disent les expériences menées en laboratoires ? Que la zone du cerveau
réactive aux images publicitaires, le cortex préfrontal médian, est associée à l’image de soi et à la
connaissance intime qu’on a de soi-même (c’est la région cérébrale qui est affectée lorsqu’il y a des
troubles de schizophrénie par exemple). En activant le cortex préfrontal médian, les neuromarketers
cherchent donc à réussir l’alchimie parfaite : l’opération qui consiste à transformer tout amour de soi
en tant que soi - le narcissisme - en amour de soi en tant qu’autre - une cible publicitaire. La
publicité vise donc à nous rendre en quelque sorte étrangers à nous-mêmes pour modeler en nous des
comportements normatifs qui épousent les intérêts des firmes commerciales.
On le sait depuis Jean Baudrillard et John Kenneth Galbraith, la société de consommation ne peut
exister sans son corollaire publicitaire. Car seule la publicité crée dans les têtes une urgence
fantasmatique et pavlovienne sans laquelle il n’est pas de tension consumériste : c’est parce que je
suis sans cesse sollicité par un univers euphorisant, rempli de symboles de bonheur, que je tends vers
la jouissance de l’acquisition matérielle. De cette tension naît un désir structurant dans la mesure où
il permet à l’individu d’exister en tant qu’homo consumans. Adhérer aux valeurs de l’imagerie
publicitaire - « On vous doit plus que la lumière », « Vous n’irez plus chez nous par hasard »,
« Parce que je le vaux bien » -, c’est communier aux nouvelles icônes des temps modernes. Il s’agit
de prendre corps dans l’espace collectif, de se transfigurer dans une identité à la fois plurielle et,
puisqu’elle s’adresse à moi en tant que cible, singulière. L’essayiste François Brune parle d’une
« volonté de saisie intégrale de l’individu dans ce qu’il a d’anonyme ». D’où un principe clé de la
domestication des esprits : chacun cherche à se ressembler en tant que tribu consommatrice. C’est en
effet parce que je renonce à mon appartenance à une identité universelle pour m’inscrire dans une
fonctionnalité « tribalisée » que j’abdique de ma citoyenneté au profit d’un label de consommateur
tel que l’entend l’ordre marchand. Ce faisant, la publicité permet la mutation d’une société de classes
vers autant de cibles qu’il y a d’intérêts et de positions économiques à défendre. Elle vise la