MEI, nº29 («Communication, organisation, symboles»), 2008
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Du point de vue de la structure organisationnelle des firmes, les théma-
tiques managériales ont correspondu à un autre phénomène tout à fait
fondamental, dont on peut se demander s’il n’est pas à l’origine de ces
références aux valeurs et de la recherche d’une forte charge symbolique
des discours sur les entreprises: on a assisté au cours des vingt dernières
années du XXesiècle à une véritable dislocation des entreprises, disloca-
tion spatiale et juridique, déterritorialisation qui a accompagné, sinon
provoqué, une crise de «l’Entreprise» comme institution sociale, et une
crise de la pensée managériale sur les relations entre entreprises et espace
sociétal. Si cette crise faisait à certains égards écho à la crise des grandes
institutions –État, partis, syndicats– qui délimitaient l’espace du «for-
disme» et de la société de consommation de masse, elle manifestait
également le passage vers des modalités de gestion symbolique plus
marquées des formes organisationnelles issues de la déterritorialisation
des firmes, de la dislocation de plus en plus massive entre la propriété du
capital financier mais également symbolique (marques, brevets, pro-
jets…), les sites de production, les sièges sociaux et les espaces de mise en
scène et de mise en visibilité des «entreprises» devenues littéralement
virtuelles. Sans entrer dans un exposé qui déborderait le cadre de cet
article, cette crise –qui manifeste une dilution de cette institution– peut
être décrite à grands traits.
L’évolution des modalités de la production de masse et la mondialisation
de la production industrielle ont entraîné une recomposition des
structures antérieures d’entreprises attachées aux sites de production et
aux réseaux physiques de logistique et de transport. Ces phénomènes ont
été largement analysés, mais leurs conséquences sur les formes organisa-
tionnelles et les stratégies d’information et de communication globales
des entreprises l’ont été assez peu. Ce qui était dans les années quatre-
vingt-dix appelé par les socio-économistes de «l’école de la régulation»
une crise du «taylorisme-fordisme» était certes la crise d’un modèle
d’organisation du travail à l’échelle de l’usine ou de l’atelier, mais égale-
ment une crise des formes antérieures d’entreprises correspondant à une
recomposition générale des relations entre flux de production et
consommation de masse, recomposition directement influencée par le
développement et la distribution massive de dispositifs de coordination
et de pilotage numériques. Tout ceci a entraîné des évolutions
surprenantes des thématiques de l’«éthique», en relation avec une
constante revendication de moralisation des affaires et des comporte-
ments, à mesure de la dérégulation folle des revenus des dirigeants et
actionnaires et des pratiques financières orientées vers la spéculation vir-
tuelle déconnectée des conditions de la production et de ce qui était
appelé «économie réelle», par opposition à une économie financière
présentée comme «virtuelle».