de l’histoire que le marxisme hérite de la Bible – la certitude de l’avènement inéluctable d’un régime radicalement supérieur à
tous les autres régimes et justifiant tous les moyens de hâter cet avènement.
L’espérance en héritage : les colloques des intellectuels juifs de langue française – Françoise Schwab
Françoise Schwab a proposé d’évaluer le rapport de Levinas à l’Histoire en replaçant la formulation de ses idées maîtresses
dans le contexte particulier de la reconstruction d’une communauté juive intellectuelle en France après la deuxième guerre
mondiale. Aussi a-t-elle rappelé l’importance des rencontres du « colloque des intellectuels juifs de langue française » (CIJLF)
en évoquant plus particulièrement certains débats de Levinas avec Vladimir Jankélévitch et André Neher.
De Sartre à Levinas, l’itinéraire de Benny Levy – Isy Morgensztern
Isy Morgensztern s’est interrogé sur l’influence, qu’il a jugé indirecte sans doute mais irrésistible, de Levinas sur le « retour
aux grimoires vermoulus », le Talmud et les textes de la pensée juive, sur une frange importante de l’extrême gauche française.
A travers un récit du parcours de Benny Lévy, dirigeant de la Gauche Prolétarienne, créateur du journal Libération, puis
assistant durant sept ans de Jean-Paul Sartre, qui s’est tourné vers un judaïsme orthodoxe et ira vivre à Jérusalem,
Morgensztern a exploré la manière dont une partie de l’extrême gauche française est passée du programme sartrien – achever la
Révolution Française – aux exigences perçues comme étant celles de Levinas – sortir de l’historicité hégélienne, si ce n’est de
l’Histoire elle-même - et « revenir au judaïsme de nos pères ».
En contexte et hors contexte: l’Histoire dans l’essai « Sans Nom » – Annette Aronowicz
Annette Aronowicz s’est intéressée au rôle que joue le contexte historique dans l'œuvre de Levinas, prenant pour point de
départ l’essai intitulé « Sans Nom », publié en 1966, où un contexte particulier, celui de la Deuxième Guerre Mondiale, sert de
pierre de touche à un questionnement sur la notion de vérité historique. Annette Aronowicz a d’abord défini ce que signifie
« une signifiance sans contexte », notion qui permet à Levinas de problématiser la manière dont s’articule tout tissu contextuel
avec ce qui reste hors de lui. Ayant dégagé le caractère essentiellement éthique de cette notion, elle a répondu à Samuel Moyn,
historien pour qui Levinas élimine la diversité des contextes historiques à partir du moment où le peuple juif représente chez
lui une vérité absolue, et donc en tant que telle valable en tout temps et en tout lieu : pour Annette Aronowicz, en supprimant
la possibilité d'une coexistence de la diversité et de l'unité, Moyn défend simplement une conception théorique de l’histoire.
Au contraire, pour comprendre la notion de « signifiance sans contexte », il faut replacer l’histoire face à l’actualité de ses
enjeux éthiques.
L’Histoire sainte, entre pléonasme et oxymore – Sophie Nordmann
Sophie Nordmann a présenté la position de Levinas comme un double héritage : d’un côté la position d’Hermann Cohen
notamment dans Religion de la Raison, selon qui toute histoire est sainte parce que toute histoire procède de la promesse
(l’histoire ne commence que lorsqu’il y a un point à l’infini vers lequel un processus linéaire peut aller) ; de l’autre la position
de Rosenzweig notamment dans L’Etoile de la rédemption, selon laquelle la condition juive consiste à être hors de l’Histoire,
dans un rapport particulier à la langue, la loi et la terre qui se distingue en ce qu’il comporte une modalité sainte. Entre ces
deux manières, radicalement opposées, d’envisager la participation d’Israël à l’Histoire, Sophie Nordmann a dessiné, à la
lecture de Difficile liberté et des Imprévus de l’Histoire, la position de Levinas qui consiste à considérer que le peuple juif incarne
une modalité d’existence historique qui travaillerait en creux l’Histoire universelle en lui faisant contrepoint.
Levinas et l’Histoire juive : une « autre philosophie de l’histoire » – Joëlle Hansel (voir texte)
Joëlle Hansel a d’abord traité de l’évolution de la position de Levinas vis-à-vis de l’histoire sainte et de l’histoire universelle :
dans un premier temps, Levinas semble avoir estimé que l’histoire sainte ne pouvait plus garder sa séparation à l’égard de
l’histoire universelle et, dans un deuxième temps, il serait revenu à l’idée qu’il fallait continuer la tâche de la préservation et de
la perpétuation de cette histoire sainte. A ses yeux, le refus de se fier et de se plier au sens de l’histoire est constitutif du sens de
l’humain. Il permet « d’accomplir sur terre… une possibilité privilégiée : un être libre qui juge l’histoire au lieu de se laisser
juger par elle. » Mais en outre, « Ne pas soumettre la Loi de la justice à l’implacable cours des événements, les dénoncer s’il faut
comme contresens ou comme folie – c’est être juif » (DL, 339). Levinas va même jusqu’à dire que « la disparition de cette
prétention de la conscience juive [à juger l’histoire] équivaudrait à la fin du judaïsme » (DL, 298).
L’Histoire jugée – Jean-François Rey
Jean-François Rey a d’abord détaillé comment l’idée d’un jugement de l’histoire immanent à l’histoire elle-même s’introduit
dans la perspective hégélienne de la philosophie du droit : le jugement de l’histoire n’est autre que la façon dont l’universel se
déguise dans le particulier et le jugement immanent de l’histoire n’est autre que la procédure de ce déguisement. Ainsi, en
développant la formule « die Weltgeschichte ist das Weltgericht », Rey a pu faire un sort à toute prétention à un jugement par
l’histoire universelle, quitte à douter qu’on puisse réellement « réparer » l’histoire. Cela lui a permis de situer Levinas non
comme un penseur de la fin sur le modèle mal sécularisé d’une philosophie chrétienne de l’histoire, mais comme celui pour qui
c’est dans l’instant que l’histoire est jugée. Insistant sur ce que Levinas doit à Franz Rosenzweig dans cette façon de prendre
congé de Hegel, Rey a fait appel à la dimension de l’intériorité mise en scène dans la parabole des deux luminaires et reprise
par Levinas afin de défendre la position d’une « humilité lunaire ».
La possibilité du jugement – Flora Bastiani