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Jalila Sbaï
La République et la Mosquée : genèse et institution(s) de l’islam en
France.
La principale conséquence, en métropole, des politiques
musulmanes menées sous la 3ème République, notamment celles
concernant les trois pays d’Afrique du Nord, fut l’installation de l’Islam en
France. La Genèse de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris et
d’autres structures plus laïques telles que les foyers, l’hôpital Franco-
musulman de Bobigny s’adressant spécifiquement aux musulmans
d’Afrique du Nord ; dévoile que le fait musulman, ‘la chose’ musulmane en
France, ont commenà se construire en réponse à une conjecture bien
particulière. Il s’agissait pour les pouvoirs publics de concilier plusieurs
politiques contradictoires, dont l’Islam en tant que « religion et
communauté »
1
, constituait l’élément central. Ceci donna à ‘l’Islam
Français’ cette double légitimation objet de toutes les controverses
encore aujourd’hui-, à savoir d’être à la fois, Islam en France et Islam de
France, avec pour première caractéristique, la subsidiarité de l’aspect
cultuel et religieux.
Construit en double objet dès son origine,l’Islam Françaisbien qu’il
intéressa exclusivement les musulmans d’Afrique du nord ambitionnait de
concilier, les politiques diplomatiques françaises à l’égard du monde
musulman, les politiques coloniales de la France et les contraintes
métropolitaines, concentrant ainsi de nombreuses contradictions, tout en
jouant de leurs interactions.
1
A prendre ici dans le sens de pratiques cultuelles et culturelles.
2
L’islam de France : le religieux au service de la diplomatie :
C’est au cours de la première guerre mondiale que cette construction
du fait musulman dans sa double acception : l’Islam en et Islam de France,
voit le jour.
En 1916, les pouvoirs publics français manifestèrent leur intention de
donner une traduction concrète à l’idée d’utiliser des personnalités
musulmanes originaires de l’empire dans le jeu diplomatique international.
En effet, une double mission, politique et militaire, connue sous le nom de
mission d'Egypte était envoyée au Hedjaz auprès du chérif de la Mecque. La
mission politique était composée uniquement de personnalités
musulmanes d'Afrique du Nord et d'Afrique Occidentale Française
2
et elle
était dirigée par ’Abdelqader Ben Ghabrit
3
. Ces objectifs, définis par le
président de la république lui-même
4
, étaient par ordre d’importance
d'entrer en relation avec le Chérif de la Mecque après la révolte arabe de
1916, afin de lui manifester le soutien de la France et de ses populations
musulmanes dans sa lutte contre la domination ottomane, de souligner la
magnanimité de la France à l’égard de l’Islam et des Musulmans, de
répondre à la question sur le khalifat si elle était posée de la manière
suivante : « vous indiqueriez très nettement que les affaires d'obédience
2
Pour l'Algérie, de l'Agha Sahraoui et Si Mustapha Cherchali, professeur honoraire à la medersah d'Alger
et cadi de Draâ El Mizen; pour la Tunisie, de Si Chadly Okby, caïd de la banlieue de Tunis et de Si Larbi
ben Ech Cheikh, notable de la régence; pour le Maroc, de Si Ahmed Skiridj, nadir des Habous à Fes-Djedid;
pour l'Afrique occidentale, du cadi supérieur Abdou Kane.
3
Plus connu sous le nom de Si Kaddour Ben Ghabrit, cet important personnage avant sa mission au Hedjaz,
avait joué un le essentiel dans l'établissement du protectorat marocain, et était devenu un des
principaux inspirateurs de la politique musulmane de la France. Simple drogman au début de sa carrière, il
devint consul à Fès, ministre plénipotentiaire honoraire et recteur de la mosquée de Paris; ceci pour ces
fonctions en France. Il était également chef du protocole du makhzen marocain et conseiller des sultans
Alaouites et ce jusqu'à sa mort le 24 juin 1954.
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Lettre en date du 1er septembre 1916, du ministre des affaires étrangères à Ben Ghabrit, dans laquelle les
caractères et les objectifs de la mission politique sont définis.
3
religieuse ne sont considérées par le gouvernement français que comme
étant du domaine exclusif de la conscience et qu'il est bien résolu à s'en tenir
absolument à l'écart »
5
.
Ceci constituait le premier volet des recommandations
présidentielles. Elles entendaient clarifier les positions françaises dans cette
région sur les questions qui l’agitaient : la question du khalifat arabe en
autres. La mission elle-même fut un signal fort adressé aux anglais, une fois
découverte la correspondance Hussein-Mac Mahon
6
.
Le second volet des recommandations était d’obtenir du chérif de la
Mecque qu’il autorise l’achat de deux hôtelleries, l’une à la Mecque, l’autre
à Medine, destinées aux pèlerins de l’empire français.
L’achat de ces deux hôtelleries souleva la question de la propriété des
lieux et une association loi 1901 fut créé. Elle regroupait tous les membres
de la mission politique et prit le nom de Société des Habous des Lieux saints
de l’islam. Pour qu’elle soit tout à fait irréprochable aux yeux des
musulmans selon les croyances des autorités françaises-, elle fut déclarée
en 1920 à la préfecture d’Alger, en terre d’Islam. Cette société allait non
seulement s’occuper des biens habous acquis au Hedjaz, mais également
représenter l’islam de France dans toute sa dimension diplomatique. Elle
joua un rôle particulier dans toutes les négociations daprès-guerre avec le
monde arabe par l’intermédiaire de son président, Si Kaddour Ben Ghabrit,
l’homme de la politique musulmane de la France.
Le succès de cette mission politique, à qui la presse et les revues
5
Lettre du ministre des affaires étrangères adressée à Si Kaffour Ben Ghabrit, le 1er septembre 1916.
MAE, série Guerre 1914-1918, sous-sérire : Affaires musulmanes, volume : 1685.
6
Voir sur ces questions, Henry Laurens : « L’Orient Arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945 », A.
Colin, Paris 1993 ; et Nadine Picaudou : « La décennie qui ébranla le Moyen Orient 1914-1923 »,
Complexe, 1992.
4
spécialisées avaient fait un large écho, faisait ressurgir un vieux projet
indigènophile : la construction d’une Mosquée à Paris, symbole de la France
‘puissance musulmane’. C’est à partir de ce moment, que l’islam français,
se construira sous son double aspect, d’Islam de France et d’Islam en
France. L’Institut Musulman de la Mosquée de Paris sera le symbole du
premier et les autres structures le symbole du second.
Genèse de la construction de l’islam de France : L’Institut Musulman
de la Mosquée de Paris
le projet assimilationniste : mosquées et collèges arabes à Paris et à
Marseille :
Le projet de construction d’une mosquée à Paris fut, pour la première
fois, clairement énoncé dans les débats de la Société Orientale - Société
Littéraire et Scientifique - de mai 1846. En considération de la complexité
de la question et sur proposition de son président, une commission fut
nommée.
Le rapport de cette commission fut discuté lors des séances du 22
mai et 24 juin et le débat porta dès lors sur un projet beaucoup plus
important, celui de la création simultanée, à Paris et à Marseille, d’une
mosquée, d’un collège et d’un cimetière musulman.
Ces deux débats posaient les fondements de tous les débats futurs
sur la question du rapport à l’islam et aux musulmans en France. Ils
contenaient en effet l’ensemble des arguments -qu’ils aient été favorables
ou défavorables à leur vision religieuse et laïque implicite - qui perdurèrent
jusqu’au milieu des années 1930, sous des formes ou des terminologies à
peine plus distinctes. Ces fondements furent : 1) La centralité de la question
algérienne. Celle-ci, resta un argument fondamental pour presque tous les
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projets concernant l’installation des musulmans en France ; 2)
L’incompatibilité des statuts civils et religieux : le musulman ne connaît de
lois, que celle du Coran, et celle-ci est incompatible avec les lois françaises ;
3) L’échec de la logique de despotisme éclairé dont l’exemple donné est
celui de Mohammed Ali en Egypte : « la France n’a pas d’ennemis plus
grands en Egypte que les jeunes gens qui ont été élevés, instruits au milieu
de nous….la plupart des jeunes gens qui viennent d’Europe ont perdu tout
sentiment religieux, ils deviennent ivrognes, et se déconsidèrent aux yeux de
leurs compatriotes ». Principale référence des opposants à l’enseignement
des musulmans en métropole, cette thèse de l’abandon des jeunes par les
autorités françaises, une fois de retour chez eux, se retrouva également
chez le gouverneur de l’Algérie et les résidents généraux au Maroc et en
Tunisie, réputés pour leur hostilité à l’instruction des Nord-Africains en
métropole dans l’entre deux guerres : « ils deviendraient des fauteurs de
troubles à l’ordre public, une fois de retour chez eux ».
Ce rapport, transmis au ministre secrétaire d’Etat au Culte, le 2
décembre 1846 posait comme préalable, à toute tentative d’assimilation
des Algériens musulmans ; l’assimilation religieuse par la construction en
premier de la mosquée et du cimetière, dont l’exécution ne pouvait
rencontrer de problème grâce à : 1°- l’article cinq de la charte royale qui
protège tous les cultes sans exception ; 2°- la ferveur avec laquelle est vécue
la foi musulmane, son respect pour les autres cultes, la coexistence des
musulmans avec tous les autres cultes dans leurs pays et leur tolérance
envers ces cultes.
Cette assimilation religieuse semblait nécessaire aux rédacteurs du
rapport parce que, sans elle, il ne pouvait y avoir de projet civilisateur visant
à long terme l’assimilation des Algériens aux Français. Au début de 1847, ce
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