Totalement semblables?

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625 Torrente 150_f.qxp
15.8.2008
13:17 Uhr
Seite 625
ÉDITORIAL
Forum Med Suisse 2008;8(35):625
625
Totalement semblables?
Antoine de Torrenté
Si on se promène sur le site web du Human Genome
Research Project, on lit le message suivant (adaptation libre): «issus d’un même zygote, les jumeaux
vrais ont un capital génétique identique à 100%».
On sait pourtant qu’il existe de petites différences
(les empreintes digitales par exemple) attribuées
aux conditions intra-utérines. Il arrive parfois
aussi que des jumeaux vrais soient discrépants
quant aux maladies qui les frappent comme pour
le diabète, la maladie d’Alzheimer, la schizophrénie. L’explication classique donnée à ces discrépances est l’influence de l’environnement, appelée aussi facteurs épigénétiques (littéralement
«au-dessus» du gène): style de vie, nutrition, alcool,
tabac, autres toxiques, etc. Ces facteurs peuvent
modifier l’expression de certains gènes (par méthylation par exemple) mais ne changent pas la
structure même du génome. Les facteurs épigénétiques expliquent aussi pourquoi, au cours du
temps, les vrais jumeaux se ressemblent de moins
en moins. C’est le fameux dilemme «nature versus nurture»: ce qui est donné par la nature et ce
qui est acquis par les conditions de vie. Tout semblait donc bien expliqué, bien balisé.
Mais, pour de vrais chercheurs, rien n’est jamais
expliqué, rien n’est jamais acquis, tout doit toujours être mis en doute. Voilà l’histoire et le résultat (provisoire certainement …):
En mars de cette année dans la prestigieuse revue
American Journal of Human Genetics, Bruder,
Domanski et d’autres [1] ont étudié dix-neuf
paires de vrais jumeaux tirés du registre hollandais et suédois. Six paires étaient discordantes
pour la maladie de Parkinson, deux pour un parkinsonisme d’origine inconnue et une pour une
démence à corps de Lewy. Dix paires normales
ont servi de contrôle. Le DNA étudié provenait des
cellules sanguines. Et là, surprise totale: les neuf
paires discordantes atteintes d’affection neurologique présentaient toutes des différences importantes dans la structure même du DNA. Des
fragments importants de DNA, de la même paire
de jumeaux, étaient soit surexprimés soit manquaient, réalisant des anomalies appelées Copy
Number Variation (CNV). Dans une paire
«contrôle», un gène complet manquait même
sur le chromosome 2 chez l’un d’entre eux! Dixit
Bruder: «je ne peux pas vous dire quel choc cela
a été …» On veut bien le croire!
Et alors me direz-vous? Encore des élucubrations
d’illuminés financés par de l’argent public. Pas
vraiment. Trouver des variations génétiques responsables de maladies, entre individus non apparentés est parfois difficile d’interprétation à cause
de la variation importante de tout le génome, bien
plus grande qu’entre jumeaux vrais qui sont, il
faut tout de même le dire, presque totalement
identiques. Il sera donc beaucoup plus facile d’attribuer la responsabilité d’une maladie donnée à
une variation génétique singulière identifiée dans
un océan de similitude.
Cette histoire, déjà extraordinaire en soi sur le
plan strictement biologique, a aussi un côté «philosophique» percutant: ne jamais accepter les évidences, mettre en doute les idées qui semblent
coulées dans le bronze, regarder tous les phénomènes avec un œil neuf, l’esprit toujours en éveil.
Qu’on est loin de la mécanique un peu simpliste
apprise, il y a des siècles, me semble-t-il, à l’Ecole
de médecine: un gène = une protéine. Le matériel
génétique révèle sa plasticité, comme le cerveau
qu’on croyait «fixé» une fois pour toutes. Etrange
et enrichissante convergence!
Référence
1 Bruder C, Piotrowski A, Gijsbers A, Andersson R, Erickson S,
Diaz de Ståhl T. Phenotypically concordant and discordant
monozygotic twins display different DNA copy number variation profiles. Am J Hum Genet. 2008;82(3):763–71.
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