Origine et filiation du catharisme

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ORIGINE ET FILIATION DU CATHARISME
Publié le dans Histoire du Catharisme par Ruben de Labastide
Dans sa lettre adressée à Bernard de Clairvaux en 1143, Evervin de Steinfeld rend compte qu'il venait de
découvrir une nouvelle hérésie. Il y décrit ces « nouveaux hérétiques qui jaillissent de tous côtés des puits de l’abîme »1.
Ces propos sur l’apparition obscure des cathares rendent parfaitement compte de la situation dans laquelle se
trouve toujours aujourd'hui la question des origines du catharisme. Comme Evervin, nous ignorons toujours
d'où proviennent les Cathares. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir recherché et ce ne sont pas les propositions
qui manquent non plus, mais la question demeure. Elle n'a toujours pas été élucidée.
Tout ce que les historiens s'accordent généralement à reconnaître, c'est que « le phénomène cathare »,
comme René Nelli l'avait si bien dit2, apparaît dans les sources au Xe siècle et en disparaît au XVe siècle. On le
voit surgir d'orient en occident en l'espace de quelques décennies, et c'est précisément ce phénomène qui ne
cesse pas d'étonner. D'où pouvait bien surgir ce christianisme si particulier qui ne semble concorder
totalement avec aucune hérésie connue, mais qui en même temps semble regrouper en lui toutes les
propositions jugées hérétiques par la grande Église au cours de son histoire ?
Les contemporains des Cathares avaient associé le catharisme aux hérésies qu'ils connaissaient et qui
pouvaient correspondre à cette prétendue hydre multi-faces. L'arianisme, à cause de la christologie particulière
du catharisme qui n'avait pourtant aucun point commun avec lui, mais aussi et surtout avec le manichéisme, à
cause du trop fameux dualisme cathare ; dualisme qui n'avait pourtant pas grand rapport avec le manichéisme.
Mais comme l'accusation était bien pratique sur le plan répressif, et comme on ne voyait pas d'autre
proposition à avancer, on retint cette idée. D'autant plus qu'à cette époque, la plupart des religieux ignorait ce
qu'était réellement le manichéisme.
Il a fallu attendre les travaux des historiens modernes pour pouvoir démentir cette association entre
catharisme et manichéisme, mais on s’avéra incapable d'élucider la question des origines du catharisme. On
s'est borné seulement à voir en lui un vieux christianisme, mais sans définir ce que l'on entendait par « vieux
christianisme ». Certains y ont vu un vieux christianisme d'inspiration johannique ou origénien3 resté à la
marge du christianisme officiel. Certains ont même avancé que les cathares n'étaient rien d'autre que des
catholiques diabolisés par leur Église au moment de la réforme grégorienne.
Ces thèses, aussi séduisantes qu'elles puissent être, ne rendent pas compte de l'ensemble du phénomène
cathare. On ne voit pas bien, tout d'abord, en quoi le droit pour les femmes — dans le catharisme — de
prêcher, de baptiser ou de consacrer le pain serait un vieil héritage du catholicisme. Aussi loin que l'on
remonte dans le temps, le catholicisme comme l'orthodoxie ont toujours exclu les femmes du sacerdoce.
Ensuite, les Églises orthodoxes n'étaient pas dans ce processus de réforme dans laquelle l’Église catholique
s'était engagée, et pourtant c'est bien là que le catharisme apparaît en premier dans les sources. Enfin, que ce
soit en orient ou en occident, ce sont toujours les mêmes points théologiques qui sont dénoncés et combattus
avec constance, malgré la diversité des sources, séparées dans le temps et dans l'espace.
Ces explications par la dissidence ou le complot ne peuvent pas être pertinentes. Elles traduisent le
désarroi des historiens face à une tradition chrétienne qui leur échappe, et elles attestent de la prégnance dans
les esprits de l'histoire et de la théologie édifiées par la grande Église.
Toutefois, nous sommes bien d'accord avec l'idée que le catharisme est un vieux christianisme, un vieux
christianisme auquel on ne peut nier son caractère paléochrétien, anté-nicéen, mais un vieux christianisme qui
ne peut être associé au judéo-christianisme qui fut à l’origine de l'Église d’État de l'Empire romain.
On ne peut comprendre le catharisme que par une critique serrée de l'histoire que la grande Église a écrite
elle-même, et par la redécouverte d'une autre pensée chrétienne, originelle au christianisme lui-même, mais
qui fut anéantie par le fer et le feu. Ce christianisme vaincu, n'a donc pas bénéficié de la préservation de sa
propre histoire et de la transmission de sa pensée. Les vainqueurs n’écrivent pas seulement l'histoire, ils
inscrivent aussi au fer rouge leurs conceptions dans les consciences.
Pour comprendre le catharisme, il nous faut revenir sur le point de départ du christianisme, c'est-à-dire sur
Jésus lui-même et sur les débuts des premières communautés chrétiennes. Ensuite, faire l'état des lieux du
Traduction d'Anne Brenon, Les Archipels cathares, Dire éditions, Cahors, 2000, p. 50.
Le phénomène cathare, perspectives philosophiques et morales, René Nelli, Éditions Privat Toulouse 1964.
3 Origène, éminent exégètes et théologien du début du IIIème siècle, mais certaines de ses thèses furent condamnées en 543.
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christianisme au cours des premiers siècles de son histoire, pour pouvoir enfin replacer le catharisme dans
une histoire et une théologie qui ne fut pas celle écrite et définie par les deux grandes confessions judéochrétiennes, l'orthodoxe et la catholique.
I- JÉSUS ET LES PREMIÈRES COMMUNAUTÉS CHRÉTIENNES :
La question de savoir qui était réellement Jésus et quel était son véritable enseignement est une question
débattue depuis que la critique rationnelle s'est substituée aux croyances.
Cette question a fait couler beaucoup d'encre et elle a suscité beaucoup d’hypothèses, mais cette
effervescence n'a pas encore permis d'élucider de manière formelle la question, et elle ne le sera probablement
jamais. En revanche, elle a permis de dégager des perspectives nouvelles sur Jésus et sur le christianisme.
Cependant, la mauvaise conscience des intellectuels vis-à-vis du judaïsme, dont la culture judéo-chrétienne
n'était pas étrangère à l’antisémitisme et à ses conséquences les plus effroyables, a tenu à réhabiliter la part du
judaïsme dans le christianisme, c'est-à-dire à réinscrire le message de Jésus, l’Évangile, dans le cadre du
judaïsme. Dans cette perspective, on oppose Yeshoua, le rabbi Juif, à Paulus, l'apostat.
Ainsi, ce serait l'apôtre Paul qui aurait dénaturé l'enseignement du « naziréen », et ce serait également lui
qui aurait fondé le christianisme et non Jésus. Avec cette idée, Paul devient plus que jamais « l'apôtre des
hérétiques »4, comme le disait déjà en son temps Tertullien.
Dans son remarquable ouvrage, « Un Jésus plusieurs Christs », le professeur Gregory, J. Riley, spécialiste du
Nouveau-Testament, a parfaitement résumé la question du judaïsme de Jésus : « En disant que Jésus était Juif, on
croit souvent exprimer quelque chose d'important et de significatif sur son identité, alors qu'en fait l'usage du terme “ Juif ”
apporte au débat plus de confusion que de clarté. Dans le judaïsme du temps de Jésus, coexistaient à peu près une douzaine de
partis, chacun avec ses chefs, ses partisans et ses adversaires ; précisément Jésus ne s'inscrivait dans aucun d'entre eux. Selon les
sources chrétiennes primitives, il est entré en débat ou en conflit avec pratiquement chacun des groupes Juifs qu'il a rencontrés, et il
a été condamné à mort par le gouverneur romain avec la complicité des principaux partis au pouvoir chez les Juifs. En d'autres
termes, nous n'avons pas d'idée précise sur le sens de l'expression “ être Juif ” dans son cas spécifique, mais nous savons en
revanche très bien que sur certains points cruciaux, Jésus n'entrait pas dans les catégories conventionnelles du judaïsme de son
temps. […] Si Jésus avait été un Juif au sens ordinaire du terme – comme on se représente ordinairement les Juifs ou comme on
croit les connaître – il n'y aurait pas de christianisme à l'heure actuelle »5.
Ajoutons que a contrario du judéo-christianisme, les Juifs n'ont pas trucidé leurs coreligionnaires pour des
questions de divergences de points de vue ou de pratiques. La coexistence de multiples et si diverses écoles
juives à l'époque même de Jésus l'atteste amplement.
La loi mosaïque est claire, ce ne sont que les blasphémateurs qui doivent être mis à mort6, c'est-à-dire ceux
qui portent atteinte au nom de Dieu, autrement dit à la Loi, c'est-à-dire la Torah, ce que nous appelons
communément l'Ancien Testament.
Or, les évangiles nous disent précisément que Jésus fut accusé de blasphème et que ce fut la raison de sa
condamnation à mort. L'évangile de Jean le dit très clairement quand les juifs répondent à Jésus : « ce n'est
point pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais pour un blasphème, et parce que toi, qui es un homme, tu te fais Dieu »7.
Remarquons qu'il y a en réalité deux blasphèmes dans ce verset, un blasphème qui n'est pas précisé, et le
blasphème de se faire égal à Dieu. La teneur du blasphème passé ici sous silence se trouve dans un autre
passage de l'évangile de Jean quand il rapporte un propos de Jésus aux Juifs : « Vous avez pour père le diable, et
vous voulez accomplir le désir de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne s'est pas tenu dans la vérité, parce que
la vérité n'est pas en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, ses paroles viennent de lui-même car il est menteur et père du mensonge »8.
Cette association du Dieu trois fois saint d'Abraham, d'Isaac et de Jacob avec le diable lui-même est
indéniablement un blasphème qui devait être des plus intolérables pour les juifs.
Mais ce n'est pas tout, il faut encore ajouter les multiples provocations et infractions à la Loi de la part de
Jésus et de ses disciples, sans oublier non plus l'affront ultime du chambardement du Temple, quand Jésus
renversa les tables des changeurs et fit fuir les animaux destinés aux sacrifices.
Il est manifeste qu'aux yeux de la Loi et des tenants de la Loi, Jésus était parfaitement condamnable. Il faut
absolument le reconnaître, Jésus reçut le châtiment mérité que la Loi mosaïque prescrivait. Comme l'avait si
Contre Marcion, III, 5, 4. Traduction de René Braun, éd. du Cerf, Paris, 1994.
Gregory J. Riley, Un Jésus plusieurs Christs, Labor et Fides, Genève, 2002, p. 14 – 15.
6 Cf. Lévitique 24 : 10 – 16.
7 Jean 10 : 33.
8 Jean 8 : 44.
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bien remarqué Yves Maris : « Le Christ est mort à cause de la Torah, que l'on proclame paradoxalement comme parole de
Dieu »9.
Le judéo-christianisme a donc fait un bien mauvais procès aux Juifs de l'époque en les accusant de félonie,
alors même qu'ils ne faisaient que suivre fidèlement les prescriptions de leur Loi.
Par conséquent, la vieille accusation de déicide dont les Juifs furent accusés n'est pas seulement une
terrible bêtise, c'est aussi un double renversement du message évangélique. Double renversement, parce que
l'on fait de Jésus un disciple de la Loi et parce que l'on nie que c'est la Loi qui condamna Jésus. Et elle le
condamna d'autant plus justement qu'il y contrevenait et qu'il la dénonçait.
Celui qui sait bien observer les évangiles constatera que Jésus ne cesse de contrevenir à la Loi, sciemment
et résolument, tout au long des évangiles. Il ne faut pas se laisser impressionner par les interpolations
manifestes qui tentent de prouver le contraire, comme la célèbre formule matthéenne : « Ne croyez pas que je sois
venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir. Car, je vous le dis en vérité, tant que
le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre »10. Alors que toute la
vie de Jésus manifeste exactement le contraire ! Paul en rend témoignage quand il dit que le : « Christ est la fin
de la loi »11, et quand il précise que « la puissance du péché, c'est la loi »12.
Ne nous trompons pas, le cœur du message évangélique est la contestation de la Loi, et non l'injustice de la
condamnation et de la crucifixion de Jésus. Jésus ne fut pas victime d'une injustice, il fut victime de la justice
de la Loi, comme le dirent expressément ceux qui accusèrent Jésus devant Pilate : « Nous, nous avons une loi, et
selon cette loi il doit mourir »13.
Observons maintenant ce que les textes nous disent sur le début du christianisme après la mise à mort de
Jésus ; que voyons-nous ? Les Actes des apôtres nous dit qu'une première et seule communauté s'était constituée
à Jérusalem14 et qu'elle se trouva tout de suite en butte avec les autorités juives. Dans un premier temps, on
nous dit que Pierre et Jean furent arrêtés pour s'expliquer sur leur foi, parce qu'ils se revendiquaient d'un
certain Jésus condamné et mis à mort pour blasphème. Pierre et Jean furent eux aussi présentés devant le
Sanhédrin, comme l'avait été Jésus, mais à l'inverse de Jésus ils furent relâchés sans qu'on leur fît le moindre
mal15. Après examen, le Sanhédrin n'a visiblement pas trouvé dans leur conviction religieuse de quoi les
condamner. Pas de contestation de la Loi, pas de blasphèmes sur Dieu visiblement.
Ensuite, les Actes des apôtres nous raconte qu'Étienne, un jeune diacre, fut arrêté à son tour par le
Sanhédrin, mais au motif cette fois-ci qu'il blasphémait « contre Moïse et contre Dieu »16, c'est-à-dire qu'on
l'inculpait du même chef d'accusation que celui dont Jésus avait été accusé 17 . Étienne fut donc
scrupuleusement entendu, mais à l'inverse de Pierre et de Jean qui repartirent en paix, Étienne fut lapidé sur le
champ18.
Après quoi, nous dit le texte, se développa « une grande persécution de l’Église qui était à Jérusalem »19. Le texte
nous dit également que cette persécution provoqua la fuite de toute la communauté « dans les contrées de la Judée
et de la Samarie »20, sauf « les apôtres »21, est-il précisé.
L'affirmation nous apparaît quelque peu inexacte. Ce ne peut pas être toute la communauté qui prit la fuite
puisque par la suite celle-ci y est toujours attestée. Il est également certain que l'exil ne se cantonna pas aux
contrées juives ou samaritaines, puisque Paul lui-même dut continuer les poursuites en Syrie22. Nous verrons
aussi que ce ne sont pas non plus tous les apôtres qui resteront à Jérusalem.
Yves Maris, En quête de Paul, ANRT Diffusion, Lille, 1999, p. 27.
Matthieu 5 : 17.
11 Romains 10 : 4.
12 I Corinthiens 15 : 56.
13 Jean 19 : 7.
14 Cf. Actes 2 : 37 - 47 et 4 : 32 - 33.
15 Actes 4 : 1 - 20.
16 Actes 7 : 11
17 Signalons toutefois que les textes dénoncent ces accusations de blasphème comme fausses et erronées. Ces dénonciations
sont en réalités le produit d'une réécriture de l'histoire. Les tenants du judéo-christianisme ont tenu à laver Jésus comme Étienne de
cette accusation car elle était contraire à leurs idées et témoignait en faveur des propos que tenaient leurs adversaires Marcionites.
Alors, on accusa avec ignominie les Juifs de perfidie et de mauvaise foi. Mensonge et accusation qui eurent les effets dévastateurs
que l'on connaît, ceux de l'antisémitisme.
18 Cf. Actes. 7 : 59.
19 Actes 8 : 1.
20 Ibid.
21 Ibid.
22 Cf. Actes 9 : 1 - 2.
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En fin de compte, ce fut seulement une partie de la communauté qui resta à Jérusalem avec ses « apôtres » à
elle, et la raison de cette attitude ne fait pas grand mystère. Ce n'est pas une question de courage ou de
lâcheté, comme veut le faire accroire le texte, c'est seulement qu'une partie de la communauté n'était pas
concernée par la persécution, fort probablement parce qu’elle ne contestait pas la Loi et ne proférait pas de
blasphème sur Dieu, puisqu'on nous dit précisément qu'ils étaient « zélés pour la Loi »23.
Nous l'avons vu, Pierre et Jean n'ont pas été réellement inquiétés et Jacques — « le frère du Seigneur »24 et
non l'un des deux disciples éponymes25 — ne l'a pas été du tout, alors qu'il apparaît comme le chef de la
communauté de Jérusalem. Par contre nous avons vu ce qu'il en était pour Étienne. Cette différence de
traitement nous apparaît comme la conséquence du degré de compatibilité ou d'incompatibilité avec le
judaïsme. Il est clair que les autorités religieuses juives ont pourchassé avec beaucoup de discernement les
blasphémateurs et les contestataires de la Loi seulement. Il fallait qu'eux aussi soient traînés devant le tribunal.
La Loi les condamnait tout autant que Jésus lui-même. Face à ces individus, les autorités juives furent
confrontées à un impératif : mettre un terme à l'abomination des blasphèmes sur la Loi et sur Dieu qui
souillaient l'ensemble du peuple Juif. La Loi mosaïque le prescrivait : « Ce prophète ou ce visionnaire sera puni de
mort car il a parlé de rébellion contre l’Éternel, votre Dieu, […] il a voulu te pousser hors de la voie dans laquelle l’Éternel, ton
Dieu, t'a ordonné de marcher. Tu extirperas ainsi le mal au milieu de toi »26.
Enfin, contrairement à ce que veut nous faire accroire le texte des Actes des apôtres, la première
communauté de Jérusalem n'était pas « qu'un cœur et qu'une âme »27, ni que ses membres allaient tous « au temple
d'un commun accord »28.
Ces précisions apparemment anodines et innocentes, témoignent précisément du contraire. C'est
seulement par la suite, après le départ d'une partie de la communauté persécutée, que la communauté de
Jérusalem retrouva une unité autour de Jacques. Cette communauté qui prospéra à l'ombre du Temple joua
d'ailleurs un rôle déterminant contre l’Évangile que Paul prêchait29. Nous le verrons.
Pour l'instant, contentons-nous de constater que le texte des Actes des apôtres nous donne, à son corps
défendant, des informations capitales sur les débuts de l'histoire chrétienne. Il témoigne que le christianisme
primitif était partagé entre différents courants que les autorités juives avaient parfaitement identifiés et
distingués. C'est ce que disent en réalité les auditions de Pierre, de Jean et d’Étienne par le Sanhédrin, sans
oublier le fait que Jacques ne fut pas du tout inquiété.
La suite est connue. En chemin vers Damas, pour aller traquer là-bas les Juifs apostats qui blasphémaient
le nom de Dieu et qui contrevenaient à la Loi, autrement dit des chrétiens, Paul connu ce que le christianisme
appelle la conversion, c'est-à-dire un retournement à cent quatre vingt degrés. Il embrassa la foi de ceux qu'il
persécutait. Il se convertit à l'Amour de Dieu et abandonna la Loi et le jugement qui le conduisait
paradoxalement à l'injustice et au crime. Il réalisa enfin le scandale de la mise à mort de Jésus par la bouche
même de ces hommes et de ces femmes qu'il pourchassait avec tant de zèle.
Paul ne pouvait avoir qu'une conscience aiguë qu'il était lui-même l'exemple vivant de ce que Jésus
dénonçait. C'est pourquoi, Paul ne cessa de proclamer avec le même zèle, que la Loi est la puissance de toutes
les fautes et qu'elle est puissance de mort30. Paul fut le seul à prêcher ouvertement que Christ était non pas
l'accomplissement de la Loi31, mais « la fin de la loi »32 parce que l'Amour de Dieu s'était manifesté en lui, Paul,
par l'exemple vivant de Jésus33.
Autrement dit, comme le disait si bien Yves Maris « Paul renverse les convictions les mieux établies. Il bafoue le
droit. La conversion à laquelle il appelle le peuple, ne revêt ni l'humiliation du repentir, ni l'engagement de revenir à la sainte
Torah. La foi qu'il proclame s'annonce comme une infidélité majeure, un reniement, un blasphème certain »34.
Mais ne nous trompons pas, Paul n'inventa rien par lui-même. Il eut seulement le talent de transfigurer la
vie et l'enseignement de Jésus en Évangile, c'est-à-dire, en une construction théologique élaborée que
Actes 21 : 20.
Galates 1 : 19.
25 Les évangiles mentionnent deux disciples appelés Jacques : Jacques, fils de Zébédée et frère de Jean (Matthieu 10 :2) et
Jacques, fils d'Alphée (Matthieu 10 : 3).
26 Cf. Deutéronome 13 : 2 - 6.
27 Actes 4 : 32.
28 Ibid. 2 : 46.
29 Cf. Galates 2 : 11 - 14.
30 Cf. par exemple Romains 7 : 8 et 8 : 2, ainsi que I Corinthiens 15 : 56 et II Corinthiens 3 : 7.
31 Cf. Matthieu 5:17.
32 Romains 10 : 4.
33 Cf. Romains 5 : 5 et 8.
34 Op. cit., p. 23.
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perfectionnèrent ses propres disciples. À l'inverse, la plupart des disciples de Jésus appartenaient à un milieu
modeste, des pécheurs nous dit-on. Ils n'avaient donc pas la formation intellectuelle et théologique nécessaire.
Ce qui était le cas de Pierre et Eusèbe de Césarée en témoigne : « Pierre […] donnait ses enseignements selon les
besoins, mais sans présenter de manière organisée les paroles du Seigneur »35. L'inorganisation du discours de Pierre trahit
une connaissance confuse de l'enseignement de Jésus. N'en doutons pas, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement
comme le disait Boileau, et pour Pierre ce n'était pas apparemment le cas. Pierre comme beaucoup d'autres
devait se contenter de ressasser sans grand discernement les actes et les paroles de Jésus. Il devait se trouver
aussi en porte-à-faux avec la conduite héritée de Jésus qui dérogeait à la Loi, et les prescriptions de la Loi à
laquelle il demeurait attaché. Il devait être tiraillé entre fidélité aux enseignement de Jésus et fidélité aux
prescriptions de la Loi. Il ne devait pas avoir une claire compréhension de ce que Jésus avait tenté de
proclamer en parole et en acte.
Répéter des paroles entendues et maintenir un certain type de comportement, ce n'est pas forcement avoir
compris toute leurs significations et connexions. On peut même se faire de fausses idées.
Paul, au contraire, avait les compétences intellectuelles nécessaires parce qu'il avait bénéficié d'une
formation théologique élevée. Il fut dit-on le disciple de Gamaliel, un grand maître du judaïsme36. Paul était
donc le plus à même de comprendre les propos et les attitudes de Jésus vis-à-vis de la Torah, et à partir de là,
d’édifier la pensée chrétienne de manière claire et coordonnée. Paul fut tout simplement le premier théologien
du christianisme. Il sut également annoncer l’Évangile à travers les sources scripturaires juives parce que
c'était la référence incontournable du public auquel on s'adressait à cette époque. Paul a utilisé la Torah pour
renverser la Torah. Il s'est servi de la Torah pour amener les observateurs de la Torah à reconnaître et à
embrasser l’Évangile. Dans ses travaux sur Paul, Yves Maris l'a parfaitement mis en lumière : « Paul utilise les
Écritures, joue avec le sens des mots, sans souci du contexte qui les accueille. [….] Paul en effet utilise « les oracles », […] il en
pervertit toujours le sens afin d'argumenter pour la vérité de l'évangile et, de façon impudente, pour abroger la Torah. […] De
façon récurrente, il avance pour preuve une lecture biaisée des prophètes, sur laquelle il construit à contresens un nouveau sens »37.
L'autre mérite de Paul, c'est d'avoir propagé l’Évangile hors du cercle étroit du judaïsme. Pour ce faire, il
n'a pas hésité à se revendiquer d'un dieu grec inconnu quand il s'adressait aux Grecs38 pour bien se garder de
prêcher le Dieu de la Torah, c'est-à-dire de la Loi. Paul a édifié le christianisme hors du judaïsme. C'est
pourquoi les Églises furent fondées. Elles s'opposaient aux synagogues et rompaient avec elles. Autrement
dit, les communautés chrétiennes n'étaient pas miscibles avec les communautés juives. Remarquons que
c'était seulement la communauté de Jérusalem qui ne se distinguait pas du culte juif. Elle n'était pas Église
mais simple variante du judaïsme. Une école juive parmi bien d'autres mais ce n'était pas le cas des
communautés pauliniennes.
Les sources sont claires, Paul s'inscrivait dans la filiation apostolique des persécutés de Jérusalem. Les Actes
des apôtres nous rapporte que Paul reçut l’imposition des mains du baptême par un certain Ananie39, dont on
ne sait rien par ailleurs, hormis le fait que c'était « un disciple » et qu'il se trouvait à Damas40. Tout ce que nous
pouvons déduire de ces maigres informations, c'est qu'il avait certainement fui en Syrie la persécution qui
sévissait à Jérusalem, mais en ce qui concerne son titre de disciple, il est impossible de se prononcer sur la
nature précise de ce mot. S'agit-il d'un disciple de Jésus, comme Pierre ou Jean, ou d'un disciple au sens
large ?
Cette question n'est pas absurde parce que la liste des douze disciples nous apparaît plus que suspecte. En
effet, l'évangile de Luc mentionne que Jésus envoya en mission soixante-dix disciples41, alors que l'évangile de
Mathieu et celui de Marc rapportent seulement l'envoi des douze disciples42. D'ailleurs, dans son Histoire
ecclésiastique, Eusèbe avance quelques noms qui auraient fait partie de ces soixante-dix disciples43. Il donne
même le nom de deux disciples de Jésus totalement inconnus du Nouveau Testament : Aristion et Jean
l'ancien44. Ces indications prouvent que les disciples de Jésus ne peuvent pas être limités aux « douze »
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, III, 39, 15. Traduction Gustave Bardy. éd. du Cerf, Paris, 2003.
Cf. Actes des apôtres 22 : 3.
37 Op. cit., p. 24.
38 Cf. Actes 17 : 23.
39 Ou Ananias selon les traductions.
40 Cf. Actes 9 : 10.
41 Cf. Luc 10 : 1.
42 Cf. Matthieu 10 : 5 et Marc 6 : 7.
43 Cf. H.E., I, 12.
44 H.E., III, 39, 4.
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seulement. Ne soyons pas dupe, les douze disciples sont clairement une forgerie judaïsante. On a voulu faire de
Jésus le nouveau Moïse entouré de ses douze tribus.
La tradition judéo-chrétienne a visiblement fait son tri parmi les disciples de Jésus et donc parmi les
premiers apôtres. C'est bien là toute la question sur le statut d'Ananie. Une chose est en tous cas certaine,
Ananie imposa les mains à Paul, et ce geste le place indubitablement au rang d'apôtre car c’était les apôtres
seulement qui imposaient les mains à cette époque.
Alors, il est possible ici, que l'on ait tu délibérément et sciemment la filiation apostolique de Paul, en
passant sous silence le statut apostolique d'Ananie. Filiation apostolique que l'on a voulu, par la suite,
exclusivement réserver aux douze disciples, et en particulier à Pierre. Mais quoi qu'il en soit, Ananie témoigne
d'une autre filiation apostolique parce que celle-ci était alors connue et reconnue par tous. Tout le monde
savait à cette époque qui avait été compagnon de Jésus. Or l’imposition des mains que Paul avait reçu
d'Ananie ne fut pas contestée puisque l'épître de Paul aux Galates atteste que Jacques, Pierre et Jean
reconnurent son apostolat45. Pourtant, ce n'est pas d'eux que Paul reçut sa dignité apostolique, mais du
disciple Ananie, et visiblement personne à Jérusalem ne pouvait en contester la validité.
Il apparaît clairement que Paul ne s'inscrivait pas dans la filiation de la communauté qui était restée à
Jérusalem avec Jacques, Pierre ou Jean, mais dans la filiation des persécutés de Jérusalem dont nous ne
connaissons rien. Ce silence trahit certainement une mise à l'écart a posteriori quand la tradition apostolique de
Pierre l'emporta sur la tradition apostolique des persécutés de Jérusalem, dont Paul fut la figure
emblématique.
Paul affirme lui-même qu'il n'a pas connu l’Évangile avant sa conversion sur le chemin de Damas46, ce qui
veut bien dire que la communauté de Jérusalem ne prêchait pas cet Évangile que Paul reçut à Damas. Certes,
même si Paul mit l'accent sur sa révélation qui le désarçonna sur le chemin de Damas47, il est manifeste qu'il
reçut son enseignement des persécutés de Jérusalem qui s'étaient réfugiés à Damas. Les Actes des apôtres
rapporte en effet que Paul, après sa réception dans la communauté de Damas, « se fortifiait de plus en plus, et [...]
y confondait les Juifs »48.
Autrement dit, Paul bénéficia d'un enseignement qui confondait le judaïsme et non qui s’accordait avec lui.
En clair, la communauté de Damas se distinguait foncièrement sur ce point précis de la communauté qui était
restée à Jérusalem, dont nous avons vu son zèle pour la Loi et son assiduité pour les cultes du Temple.
Comme nous le voyons, les lettres de Paul sont un témoignage irremplaçable sur les premiers temps du
christianisme. Elles sont les plus anciens écrits du christianisme et elles furent rédigées sur le vif. Les évangiles
n'ont été rédigés que bien après, et leur contenu a été écrit et réécrit par plusieurs générations avant d'être
définitivement fixé au IVe siècle seulement. Exégètes et philologues se perdent d'ailleurs en conjectures pour
retrouver le fil des ajouts et des suppressions, des copiages et recopiages d'un livre à un autre, d'un texte à un
autre, qui n’épargnèrent pas non plus les lettres de Paul, comme les philologues l'observent.
Dans sa lettre aux Galates49, Paul écrit qu'il a passé trois ans en Syrie et en Arabie50, c'est-à-dire dans
l'actuelle Jordanie. Trois ans dont étrangement nous ne savons pas grand-chose. Mais ce silence n'est pas
fortuit, il est certainement lié au type de christianisme qui y était implanté. Ensuite, nous savons que Paul se
rendit à Jérusalem, et la raison de cette venue à Jérusalem est elle aussi surprenante. Tout ce que nous savons,
c'est que Paul s'entretint longuement avec Pierre et rencontra rapidement Jacques, qui était pourtant le chef
de la communauté. Après quoi, Paul repartit en Syrie puis en Cilicie51, à Tarse, d'où il était originaire52. Paul y
régla probablement quelques affaires personnelles avant d’entreprendre son ministère missionnaire, mais ce
n'est peut-être pas la seule raison, puisque par la suite des Églises sont signalées en Cilicie53. La communauté
chrétienne implantée en Syrie, qu'il faut distinguer de la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, était
visiblement en train de se propager dans la contrée voisine. D'ailleurs, nous ne savons pas grand-chose non
plus sur cette propagation en Cilicie. Nous pensons que la raison de ce silence est toujours la même. Elle est
certainement liée à la forme du christianisme qui s'y développa.
Cf. Galates 2 : 9.
Actes 9, Galates 1 : 17.
47 Cf. Galates 1 : 11 - 12.
48 Actes 9 : 22
49 Galates 1 : 17 - 21.
50 Région romaine qui correspond aujourd’hui à la Jordanie, peuplée alors par les Nabatéens.
51 Territoire correspondant à peu près avec la province Turque d'Adana.
52 Cf. Actes 22 : 3.
53 Cf. Actes 15 : 41.
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Pour conclure sur cette période, retenons pour l'instant que le berceau du christianisme se trouvait alors
entre Syrie et Asie mineure, c'est-à-dire une partie de la Turquie actuelle, parce que cette implantation
géographique du christianisme nous sera utile par la suite.
Retenons également que les sources sont complètement muettes à ce sujet, si ce n'est que la forme de
christianisme qui était implantée dans ces régions n'est pas associée à Jacques, à Pierre ou à n'importe quel
autre disciple, mais aux anonymes persécutés de Jérusalem et dans leur sillage, à Paul.
Enfin, retenons que les persécutés de Jérusalem n'étaient rien d'autre que des Juifs hors-la-loi, parce que
précisément ils blasphémaient contre Dieu et contre sa Loi. C'est d'ailleurs précisément eux qui furent appelés
chrétiens54. À elle seule, cette appellation est révélatrice. Elle démontre que ces Juifs sociologiques n'étaient
plus perçus comme des Juifs de confession, mais bien comme une entité particulière et nouvelle, très
clairement distincte du judaïsme. Ce qui n'était pas le cas apparemment de la communauté qui était restée à
Jérusalem autour de Jacques, de Pierre ou même de Jean. Ceux-ci restèrent des Juifs, certes d'une école
particulière, comme bien d'autres à cette époque, mais des Juifs à part entière. Ils ne blasphémaient ni contre
Dieu ni contre la Loi, ils en observaient au contraire les préceptes.
Or, nous avons vu que c'est précisément cette Loi comme puissance de mort qui renversa l'apôtre Paul
jusqu'aux tréfonds de son âme, et l'abrogation de la Loi fut le cœur de sa prédication. Paul n'eut de cesse de
dénoncer la Loi de toutes les manières possibles et imaginables, quitte à louvoyer avec elle ou plutôt contre
elle. Loin de s'être mépris sur l'enseignement de Jésus, c'est Paul seul qui l'a compris et proclamé. En réalité,
ce sont Jacques, Pierre et Jean qui passaient pour « des colonnes »55 à Jérusalem, qui ont renversé le message
évangélique en n'osant pas rompre avec la Loi et son Dieu.
II- LE CHRISTIANISME DES PREMIERS SIÈCLES :
Il nous faut aborder maintenant la question des premières communautés chrétiennes et de leurs
conceptions du christianisme. Nous avons vu qu'il existait dès le départ une diversité de convictions sur Jésus
et son enseignement, et que la communauté de Jérusalem n'était pas du tout unanime dans la foi.
On y trouvait à la fois des observateurs et des blasphémateurs de Dieu et de sa Loi. Nous avons vu
également que la Loi mosaïque était la pierre d'achoppement entre Paul d'un côté et Pierre et Jacques de
l'autre côté, mais il est extrêmement difficile d'en dire davantage. Nous ne disposons pas d'écrits authentiques
de Jacques ou de Pierre pour juger de leurs convictions religieuses. Nous avons seulement les lettres de Paul,
contemporaines des événements, et les évangiles, mais ces derniers sont postérieurs aux événements qu'ils
narrent. Par ailleurs, nous connaissons toutes les vicissitudes que connurent ces textes. Il nous faut donc
recourir aux témoignages authentiques des lettres de Paul, même si nous savons que ces textes furent eux
aussi remaniés.
L'Épître aux Galates nous rapporte une anecdote riche d'informations ; que nous dit-elle ? Elle nous montre
que Paul se trouvait à la tête de la communauté d'Antioche, capitale de la province syrienne, et que Pierre était
venu passer quelques temps dans cette communauté. Mais quand des émissaires de Jacques arrivèrent
également dans cette communauté, Pierre ne voulut plus manger « par crainte », nous dit le texte, avec ses
frères d'origine païenne, parce que les observances juives interdisaient la communauté de table avec les
païens.
Cette attitude timorée de Pierre entraîna d'autres membres de la communauté d’Antioche à suivre son
exemple, et c'est précisément ce qui indigna Paul. Il constata qu'en cela « ils ne marchaient pas droit selon la vérité
de l’Évangile »56. Alors, Paul reprit vertement Pierre devant tout le monde en lui disant : « Si toi qui es Juif, tu vis à
la manière des païens, et non à la manière des Juifs, comment peux-tu forcer les païens à judaïser ? »57.
Qu'est-ce que cette anecdote peut nous apprendre ? Tout d'abord, elle atteste que la communauté
d'Antioche, et au-delà les communautés syriennes ou pauliniennes, n'étaient pas composées seulement de
Juifs, mais aussi de païens, et que ces communautés n'observaient plus du tout les préceptes de la Loi
mosaïque mais ceux du Christ. Dès lors, on les identifia sous le nom de Chrétiens58. Nous voyons également
que Pierre, qui fut le disciple de Jésus, ne respectait pas non plus les préceptes de la Loi mosaïque, mais qu'ils
les observaient seulement par crainte des émissaires de Jacques, qui tenaient visiblement aux préceptes de la
Loi mosaïque.
Cf. Actes 11 : 26
Galates 2 : 9.
56 Galates 2 : 14.
57 Ibid.
58 Cf. Actes 11 : 26.
54
55
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Nous avons donc trois indications précieuses sur la nature de la foi de Pierre, de Jacques et de Paul en ce
qui concerne leur rapport à la Loi.
En ce qui concerne Paul, nous le savons, il abolissait la Loi mosaïque et n’observait plus du tout les
coutumes juives, comme la circoncision et la Pâque, à laquelle il avait habilement substituée la Cène. Les Actes
des apôtres nous le dit, on ne peut plus clairement : « tu enseignes à tous les Juifs qui sont parmi les païens à renoncer à
Moïse, leur disant de ne pas circoncire les enfants et de ne pas se conformer aux coutumes »59. En ce qui concerne Pierre, il
apparaît que lui aussi n'observait pas plus que Paul la Loi mosaïque. Nous voyons bien ici que l'attitude de
Pierre vis-à-vis de la Loi ne diffère pas de Paul. Ce qui veut dire, que l'attitude de Paul vis-à-vis de la Loi n'est
pas une innovation de sa part, mais bien une attitude commune aux disciples de Jésus.
Autrement dit, Jésus lui-même avait affranchi ses disciples de la Loi mosaïque. L'attitude de Pierre en
témoigne. C'est un point important à souligner, sinon nous ne verrions pas bien d'où Pierre pouvait tirer cette
audace dont il semble par ailleurs parfaitement dénué. Les évangiles nous montrent en effet que Pierre renia
Jésus par crainte de partager son sort, et que ce comportement ne semble pas différer de celui observé chez
les Galates. Pierre se remit à se comporter en bon Juif dès l'arrivée des émissaires de Jacques, des Juifs pieux
de toute évidence. C'est probablement cette absence de courage ou de fermeté qui le conduisait à « forcer les
païens à judaïser », probablement par crainte de Jacques et des autres zélateurs de la Loi.
Visiblement, Pierre n'osait pas rompre ouvertement avec la religion de ses pairs quand il était parmi eux.
Le sort d’Étienne, tué à coup de pierres, devait lui donner probablement de bonnes raisons d'adopter ce type
d'attitude.
Maintenant, en ce qui concerne Jacques, si on en juge par l'attitude de ses émissaires, il demeurait
absolument fidèle à la religion juive. Il apparaît comme un zélateur de la Loi et de sa marque, la circoncision.
D'ailleurs Eusèbe nous rapporte que Jacques était tellement assidu aux prières du Temple « que ses genoux
s'étaient endurcis comme ceux d'un chameau, car il était toujours à genoux, adorant Dieu »60.
Rappelons-nous que ce Jacques n'était pas l'un des deux disciples éponymes de Jésus, mais un de ses frères
et qu'il n'a donc jamais été un de ses disciples. Nous savons au contraire que les frères de Jésus « ne croyaient
pas en lui »61. Ceci explique sans doute la fidélité de Jacques à la Loi, à la circoncision et à toutes les autres
observances juives, comme ici la séparation de table. C'est certainement cet attachement à la Loi et au Dieu
de cette Loi qui prévalut à Jacques le titre de Juste par la tradition, mais c'était aussi précisément cet
attachement à la Loi que Paul dénonçait comme absolument contraire à l’Évangile. C'est encore ce que nous
montre un autre passage de l’Épître aux Galates. Il nous rapporte que c'est en refusant tout compromis avec la
religion juive que Paul parvint à maintenir « la vérité de l’Évangile »62. Vérité que Pierre a visiblement reniée par
crainte. Nous avons vu en effet que Pierre fut le seul disciple à renier Jésus par peur des conséquences quand
Jésus fut arrêté et condamné par le Sanhedrin63. Il est aussi significatif de le voir traité de Satan par Jésus luimême dans les évangiles64. Ces propos ne sont pas du tout innocents. Ils jettent le discrédit sur Pierre,
discrédit qui n’épargne pas Jacques non plus, comme nous l'avons vu, et ce discrédit ne nous étonne guère. Il
frappe les deux figures emblématiques de la communauté de Jérusalem.
Comme nous le voyons, les lettres de Paul rendent compte des tensions qui existaient entre Jacques, Pierre
et Paul à cause de la Loi, à cause également de l'idée qu'ils se faisaient du Christ et de son enseignement. C'est
pourquoi Paul a dénoncé des « faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ »65 qui prêchent « un
autre évangile »66 en prônant la circoncision et les préceptes de Loi. Mais Paul lui-même nous apprend que
d'autres personnes disaient de même à son sujet : « pour d'autres je ne suis pas apôtre »67 . Ces anathèmes
réciproques nous indiquent qu'il y a bien eu rupture entre deux communautés se revendiquant du Christ.
Les textes ne nous disent pas qui sont ces faux apôtres que Paul dénonçait ni quelles sont les personnes
qui lui refusaient le titre d'apôtre, mais tout indique qu'il s'agit de Jacques et de ses partisans. Ce sont ces
zélateurs de la Loi que Paul dénonce sans aucun doute possible, et se sont ces mêmes zélateurs de la Loi qui
dénigrent Paul parce que précisément il s'oppose à la Loi.
Actes 21 : 21.
Op. cit., H.E. II, 23, 6.
61 Jean 7 : 5.
62 Galates 2 : 5.
63 Cf. Matthieu 26:74, Marc 14 : 72, Luc 22 : 61 et Jean 18 : 27.
64 Cf. Matthieu 16 : 23 et Marc 9 : 33.
65 II Corinthiens 11 : 13.
66 Cf. Galates 1 : 6 – 9.
67 I Corinthiens 9 : 2.
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Jacques fut sans doute le père de cette communauté que l'on appela plus tard sous le nom d'Ébionite. En
hébreux Ébionite veut dire Pauvre et ce statut de pauvre était revendiqué par les Saints de la communauté
essénienne.
À l'époque qui nous intéresse ici, cette communauté était importante à Jérusalem, et il est fort possible que
ces « Pauvres » en question étaient ces « pauvres »68 mentionnés par Paul dans son Épître aux Galates69. Yves
Maris, fin spécialiste des lettres de Paul, a conclu en ce sens : « Dans le contexte qui nous retient, l'on doit
généralement entendre l'expression « les pauvres » comme une désignation des Saints de la Communauté »70. L'influence
essénienne était certainement forte dans la première communauté de Jérusalem avec Jacques, Pierre et Jean.
Pour mieux juger de la filiation entre Jacques et les Ébionites, il faut se rapporter à ce que nous en dit
Irénée de Lyon dans son Contre les hérésies. Il les présente en ces termes : « Ils n'utilisent que l'évangile selon
Matthieu, rejettent l'apôtre Paul qu'ils accusent d'apostasie à l'égard de la Loi. […] Ils pratiquent la circoncision et persévèrent
dans les coutumes légales et dans les pratiques juives, au point d'aller jusqu'à adorer Jérusalem, comme étant la maison de
Dieu »71.
Dans son Histoire ecclésiastique Eusèbe de Césarée donne des indications du même ordre : « ils mettaient tout
leur zèle à accomplir soigneusement la pratique matérielle de la Loi »72 et « ils observaient, comme les Juifs, le sabbat et les autres
coutumes judaïques, mais ils célébraient les dimanches, comme nous, en souvenir de la résurrection du Sauveur »73.
On trouve une autre indication intéressante chez Eusèbe à leur sujet. Il nous dit qu'« il leur fallait absolument
observer la Loi de Moïse parce, disaient-ils, il ne seraient pas sauvés par la seule foi dans le Christ »74. Ce propos est
intéressant parce qu'il s'oppose ouvertement à la proclamation de l’apôtre Paul : « ce n'est pas par les œuvres
de la Loi que l'homme est justifié, mais par la foi en Jésus Christ »75. Il apparaît ici clairement que les
Ébionites s'opposaient à l'enseignement de l’apôtre Paul et qu'ils le considéraient d'ailleurs comme « un
apostat de la Loi »76. Nous voyons bien ici la confirmation de ce que nous disions précédemment sur le
dénigrement du titre d’apôtre à Paul. Il n'était plus considéré comme un apôtre mais comme un apostat, à
cause de son dénigrement de la Loi.
Toutes ces indications corroborent ce que nous avons vu sur Jacques et sur la communauté restée à
Jérusalem après la persécution. Nous pensons en conséquence que les Ébionites furent les ultimes témoins de
cette communauté de Jérusalem attachée à Jacques.
Jacques mourut en 62 et sa communauté fut mise à mal en 70 quand les Romains prirent d'assaut
Jérusalem. Ceci explique en grande partie la raison de son éviction par la communauté romaine qui prit le
relais, mais avec une toute autre conviction religieuse. Mais ce n'est pas la seule raison. La communauté de
Jérusalem était déjà dans cette situation avant 70 car elle était prise à partie entre deux feux croisés. Celui de la
théologie paulinienne qui abolissait le judaïsme, et celui de la théologie juive qui condamnait le christianisme.
Cette communauté s'est vue rejetée à la fois par les uns et par les autres, c'est-à-dire par les Chrétiens, au sens
large du terme, et par les Juifs. Mais avant d'être définitivement marginalisée, elle ne fut pas sans influence.
Elle jeta le trouble dans bien des communautés pauliniennes, surtout après la mort de Paul, et elle ouvrit la
voie au courant modéré de Pierre, qui avait pris ses distances avec la lettre de la Loi mosaïque mais pas du
tout avec son esprit. C'est ce courant qui a maintenu l'unité de l'Évangile et de la Torah, comme Clément
d'Alexandrie l'a parfaitement exprimé: « La règle de l’Église, c'est l'harmonie et la concordance de la Loi et des prophètes
avec la nouvelle alliance »77, c'est-à-dire, avec l’Évangile.
Autrement dit, l’Évangile a été présenté comme une continuation de la Torah. On a maintenu l'unité de
tous les antagonismes et contradictions. À charge pour chacun de s'en dépêtrer comme il pourra. L’Évangile
n'est plus ainsi une opposition à l'esprit de la Loi véhiculée par la Torah, ni une opposition à un Dieu tout
puissant et violent. Un passage de l'évangile de Luc nous montre d'ailleurs combien les disciples de Jésus, en
l’occurrence Jacques et Jean, étaient imbus de cette idée de Dieu. Le texte nous dit qu'ils voulurent appeler le
feu du ciel, comme l'avait fait le prophète Élie78, pour consumer et châtier toute une population, mais Jésus
Romains 15 : 26.
Cf. Galates 2 : 10.
70 Op. cit., p. 71.
71 Irénée, Contre les Hérésies, Livre I, 26, 2. Traduction d'Adelin Rousseau, Éditions du Cerf, Paris, 2007.
72 Ibid., H.E. III, 27, 3.
73 Ibid., H.E. III, 27, 5.
74 Op. cit., H.E. III, 27, 2.
75 Galates 2:16.
76 Op. cit., H.E. III, 27, 4.
77 Stromates VI, 125, 3.
78 Cf. I Roi 18 : 38.
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interloqué les repris en leur disant : « Vous ne savez de quel esprit vous êtes animés »79. Cet esprit qu'évoque Jésus,
n'est pas l'esprit d'amour du « Père saint » ; c'est l'esprit justicier et vengeur du Dieu de la Loi — le meurtrier et
menteur — celui que Jésus appelle diable dans l’évangile de Jean80.
Paradoxalement on pense que Jésus fut un réformateur du judaïsme. On avance qu'il se serait opposé à la
lettre de la Loi pour mieux conserver l'esprit de cette Loi. Ce qui est un pas supplémentaire dans la négation
de l’Évangile. C'est même ici le point de basculement sans retour car ce qui avait été précisément dénoncé est
rétabli.
Ce point de vue a été partagé dès l'époque de Jésus par ceux que nous appelons les judéo-chrétiens, c'est-àdire les courants de Jacques et de Pierre. Même si le courant de Pierre abandonna bon nombre de
prescriptions mosaïques, il n'en demeure pas moins que l'abandon des formes n'as pas modifié le fond. La Loi
et l'esprit de la loi ont été préserver.
Ce qui peut paraître le plus curieux dans cette affaire, c'est que les païens convertis au christianisme
s’attachèrent à la Torah et aux considérations juives qui leur étaient pourtant complètement étrangères. Et ce,
jusqu’au point de spolier l'identité juive aux Juifs eux-mêmes en se considérant comme le « véritable Israël ».
Mais ce serait ignorer qu'à cette époque l'antiquité des religions avait un crédit considérable. Une religion
nouvelle, sortie de surcroît d'un crucifié, ne pouvait avoir aucun crédit. Par contre, si ce crucifié était présenté
comme la personne annoncée par les textes d'une religion aussi antique que vénérable, le succès était garanti,
et il le fut. Le récit de la résurrection, qui contrebalançait l'insoutenable mise en croix et qui suscitait l’intérêt
de chacun pour sa propre destinée, ne fut pas étranger à ce succès. Les multiples miracles attribués à Jésus
parachevaient l'effet de persuasion.
Seul Marcion osa prêcher la nouveauté intrinsèque du christianisme et surtout, osa rompre sans aucune
ambiguïté avec la Torah et son Dieu, c'est-à-dire avec le judaïsme. À son époque, le christianisme ne recrutait
plus depuis longtemps dans les milieux Juifs, mais dans les milieux païens. La référence à la Torah qui
s'imposait à Paul en son temps ne s'imposait plus à Marcion. Les parallèles avec la Torah étaient devenus
même contre productifs puisqu'ils continuaient à alimenter la confusion entre Évangile et Torah. Pour
Marcion, l'épuration des références à la Torah dans le texte évangélique était devenue une nécessité. Pour
maintenir le cœur de la prédication chrétienne, il fallait désormais clairement rompre avec le judaïsme et
expurger les textes de référence de tout ce qui pouvait prêter à confusion sur ce sujet. Si auparavant l’Évangile
devait passer par la Torah pour être entendu, Marcion considérait qu'à présent la nécessité s'était inversée. Le
contexte avait complètement changé depuis Paul.
Marcion prêchait en faveur de la simplicité de l’Évangile qui se suffisait à lui-même. Il voulait le
débarrasser des sophismes, c'est-à-dire des faux arguments de persuasion s’appuyant sur des citations de la
Torah, et des spéculations des pagano-chrétiens. Marcion voulait rétablir la clarté première de l’Évangile par la
clarté du texte évangélique, dans sa lettre même, car il constatait que l’Évangile était en passe d'être renversé
par les confusions judaïsantes ou les spéculations païennes.
Or, pour Marcion, redécouvrir l’esprit premier de l'Évangile, c'était revenir aux premières prédications
évangéliques, c'est-à-dire à celles de Paul. Ainsi, en remarquable philologue, Marcion identifia les lettres
authentiques de l'apôtre Paul parce qu'il circulait déjà des lettres falsifiées. Tertullien eut beau vitupérer sur les
choix de Marcion, il n’empêche que la critique philologique moderne lui a donné raison en bonne partie. Il se
trouve que le canon de Marcion coïncide mieux avec les écrits authentiques de l’apôtre Paul que le canon
catholique. Celui-ci n'a eu aucune vergogne d'attribuer à Paul des lettres qu'il n'avait jamais écrites. La raison
en est simple : on chercha à renverser la prédication de Paul en lui attribuant des propos qu'il n'avait jamais
tenus. La duperie fut féconde, elle porta ses fruits.
Marcion établit aussi un canon du texte évangélique dont le texte se recoupe avec l'actuel évangile de Luc,
compagnon de Paul. Marcion adjoignit également un écrit de sa main, les Antithèses, qui démontrait
l'incompatibilité de l’Évangile et de la Torah, pour ceux qui en doutaient encore. Marcion dénonçait également
les falsifications que l'on voulait faire passer pour apostoliques.
Mais son énonciation simple et claire de l’Évangile choqua tout un pan de la chrétienté, acquise aux
compromis opérés par Pierre, plus adaptés au monde gréco-romain que la piété rigoriste et légaliste de
Jacques. Mais dans le même temps, Marcion raviva la foi d'une autre partie de la chrétienté, issue de ce
christianisme premier qui était né en Syrie et que Paul avait contribué à diffuser. C'est donc tout
naturellement que les Églises qui avaient été fondées par Paul ou par les persécutés de Jérusalem se
reconnurent dans les propos de Marcion. Par contre, les Églises qui avaient été fondées par les membres
79
80
Luc 9:55.
Jean 8: 44.
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dispersés de la communauté de Jérusalem après 70, restèrent fidèles à cette origine. Mais toutes les Églises
n'étaient pas aussi homogènes, beaucoup étaient partagées par les influences des uns ou des autres, et l’Église
de Rome en tira profit.
En effet, l’Église de Rome pris le relais de la communauté de Jérusalem, quand celle-ci connut le même
sort que celui de Jérusalem et de son Temple, détruits par les Romains en 70. Rome abritait depuis longtemps
une très importante communauté juive, et il n'est pas étonnant qu'une partie de celle-ci fut à l’origine de la
communauté chrétienne, ou plutôt judéo-chrétienne selon notre définition. Bien qu'elle fut touchée elle-aussi
par la prédication de Paul, elle resta fidèle à sa prégnance juive. Ce n'est donc pas un hasard si l’Église de
Rome à érigé saint Pierre, et non « saint Paul », au rang de chef universel de l’Église, en interpolant cette idée
dans le texte même de l'évangile de Matthieu : « tu es Pierre, et sur cette pierre j'édifierai mon Église »81. Ce n'est donc
pas un hasard, si on prétend que la basilique saint Pierre du Vatican a été édifiée juste à l'aplomb de son
prétendu tombeau.
Très rapidement donc, l’Église de Rome et ses partisans menèrent une entreprise de reconquête pour faire
triompher leur point de vue. Elle en avait les moyens humains et financiers. Ses partisans fixèrent à leur tour
un canon biblique pour contrecarrer le canon marcionite. On rédigea dès lors des écrits contre d'autres
Chrétiens que l'on dénonçait comme hérétiques. Enfin, une intense activité de subversion fut déployée auprès
des autres communautés. Théophile d'Antioche nous le dit : « Comme les hérétiques s'efforçaient […] de corrompre, à
la manière de l'ivraie, la pure semence de l'enseignement apostolique, partout les pasteurs de l’Église les écartaient des brebis du
Christ, comme on chasse des bêtes sauvages, tantôt en prévenant et exhortant les frères, tantôt en s'attaquant ouvertement à eux,
de vive voix en leur présence avec des questions et des réfutations, ou même en publiant des écrits où leurs idées étaient réfutées avec
des preuves très précises »82.
Remarquons au passage que cette attitude extrêmement agressive n'étaient pas du tout partagée par ceux
que l'on traite ici de « bêtes sauvages ». Eusèbe nous le dit : « Les Valentiniens [...] se plaignent […] à notre sujet […],
nous refusons sans motif d'être en communion avec eux […] et nous les traitons d'hérétiques »83. Autrement dit, ce que les
Valentiniens reprochaient aux Catholiques c'était leur intolérance et leur esprit de jugement. Apelle, l'un des
célèbres disciples de Marcion, leur reprochait exactement la même chose. Il avait essayé de leur faire
comprendre, mais en vain, « que chacun devait rester dans sa propre croyance » et « qu'il ne fallait pas examiner à fond les
paroles » de l’Écriture pour en tirer des dogmes. « Il affirmait en effet que ceux qui avaient mis leur espérance dans le
crucifié seraient sauvés, pourvu seulement qu'ils soient trouvés faisant le bien »84. Autrement dit, les Valentiniens et les
Marcionites demeuraient fidèles à l’enseignement du bon apôtre, Paul, qui affirmait le salut par la foi seule au
Christ crucifié85, mais une foi qui ne devait pas être associée à des croyances mais à l'amour prôné par Jésus,
des uns pour les autres, y compris l'ennemi. Il ne fallait donc pas juger les hommes selon ce qu'ils
professaient, car cela relevait de leur liberté d'examen que nul n'était en droit de contraindre ou d'interdire.
C'était la foi en l'Amour du Christ manifesté sur le gibet de la croix qui comptait, pourvu que cet Amour soit
vécu par chacun en pratiquant le Bien, et non pas seulement en le confessant verbalement.
Par ailleurs, les propos de Théophile d'Antioche nous laissent clairement entendre que ce n'était pas
seulement par leurs activités subversives que lui et ses coreligionnaires parvinrent à s'opposer « aux
hérétiques », mais en ouvrant aussi les cordons de la bourse. Il nous indique en effet que l’Église de Rome
s’était astreinte d'envoyer à leurs frères à eux « des subsides, en toute ville, à de nombreuses églises »86. Nous pouvons
en être certain parce que quand l’Église de Rome obtint sa suprématie, ces vertueux subsides aux pauvres se
tarirent, et ce malgré un accroissement toujours plus grand de ses richesses.
Enfin, retenons que l’Église d'avant Constantin n'était pas cette institution que l'on connaît aujourd'hui.
Elle n'était rien d'autre que la communauté chrétienne d'une localité, sous la seule autorité d'un évêque, si
bien qu'une excommunication n'était valide qu'au sein de l’Église qui l'avait prononcée. En clair, comme le
constatait un évêque orthodoxe « il y a autant d'hérésies que d’évêques », et il se rappelait que ceux de sa foi étaient
« comme un seul épi de froment dans un grand champ de mauvaises herbes »87. Autrement dit, le credo orthodoxe ou
catholique n'était pas universellement partagé au début de l’histoire chrétienne. Ce n'est qu'avec l'appui du
pouvoir temporel des empereurs romains qu'un seul type de credo et d’Église a fini par s'imposer.
Matthieu 16 : 18.
Op. cit., H.E., IV, 24.
83 H.E. III, 15, 2.
84 H.E. V, 13, 5.
85 Cf. Galates 2 : 16-21.
86 H.E. IV, 23, 10.
87 Traduction O. Braun, De Sancta Nicaena Synodo, Kirchengeschichtliche Studien IV/3, 1898.
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Entre le IVe et le Ve siècle, l’Église romaine parvint à réduire l’Église marcionite et les autres communautés
se réclamant de Jésus par la répression judiciaire. Dès 325, le grand concile de Nicée permis de faire une
distinction entre catholiques et hérétiques. En foi de quoi, Constantin attribua la fonction de juge aux évêques
nicéens, c'est-à-dire catholiques. Ils pouvaient arrêter, juger et condamner les hérétiques. Ainsi, pour la
première fois, une doctrine religieuse devenait un motif de jugement pénal. Ce processus engagé par
Constantin fut parachevé par Théodose en 380. Ce dernier décréta fort significativement que « tous les peuples
doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre »88. Autrement dit la tradition apostolique de Paul
fut écartée par le pouvoir impérial. De son côté, l'empereur Gratien transmit son titre de pontifex maximus,
c'est-à-dire de souverain pontife, à l’évêque de Rome et frappa d'interdit les hérétiques. Enfin, en 430, le code
juridique de Théodose II, unifia toutes les lois religieuses promulguées depuis Constantin, notamment celles
qui concernaient les hérétiques. Ce code juridique exposait les hétérodoxes à des discriminations civiques et à
des sanctions pénales pouvant aller jusqu'à la peine de mort. Les évêques catholiques eurent dès lors tous les
moyens en main pour combattre et réprimer tous ceux qui ne rentraient pas dans leurs vues à eux, et ils ne
s'en privèrent pas. Ainsi, par exemple en Syrie, l'évêque Theodoret se vante en 448 d'avoir eu « la joie d'amener
à la vérité huit villages infestés par l'erreur de Marcion »89. Mais ne soyons pas dupe sur la raison de ces conversions
parce qu'elles furent opérées le glaive à la main.
L’Église marcionite ne connut guère de répit. Après avoir beaucoup souffert des persécutions païennes,
elle dut affronter la persécution judéo-chrétienne. Sous ses coups redoublés, l’Église marcionite dut fuir les
villes et se réfugia dans les campagnes. Elle perdit dès lors toute visibilité, et survécut cachée « sous le manteau
du christianisme »90 officiel. Par la force du glaive temporel, l’Église marcionite avait été vaincue et ce qu'il en
restait ne représentait plus une quelconque menace pour l'Église d’État. Les Marcionites n'étaient plus que
des proscrits. L’Église d’État n'eut alors d'autre souci que de légiférer sur des spéculations spécieuses
concernant la Foi. Elle chercha toujours plus à définir par les croyances le contenu de la Foi. Toute son
attention se tourna contre ses propres dissidents et contre les Manichéens qui prenaient un essor inquiétant
aux confins des territoires de l'Empire. On finit par oublier les Marcionites, et sans grand discernement on les
associa aux Manichéens.
C'est pourquoi l’Église marcionite disparaît des sources à ce moment là, alors qu'elle avait été jusque-là le
principal adversaire à abattre. On aurait put même penser que les Marcionites avaient complètement disparu,
s'ils n'apparaissaient pas encore dans quelques hérésiographies musulmanes. Ainsi, nous savons par le
témoignage de l’évêque melkite d'Harran, que les Marcionites étaient toujours présents en Syrie au IXe
siècle91. Signalons au passage que selon al-Mas'udi, le père de Marcion aurait été l’évêque de cette localité
d'Harran92. La dernière mention en date des Marcionites est rapporté par Ibn Al-Nadim qui écrit vers 987. Il
dit que les Marcionites sont implantés en Asie centrale93 et signale « qu'ils sont nombreux au Khurasan »94, c'est-àdire dans une région qui se trouve aujourd'hui en Iran et qui se trouvait déjà en terre musulmane à cette
époque. Cette information est intéressante, elle démontre l'exil des Marcionites en terre musulmane parce que
leurs conditions d'existence devaient être moins menacées qu'en terre chrétienne. Enfin, signalons
l'information d'un autre auteur musulman qui nous dit que les Marcionites « ont disserté sur l'amour »95.
Voyons maintenant les grandes lignes de la théologie marcionite ou valentinienne, parce qu'elles révèlent
l'unité de Foi qui unissait Marcion et Valentin, les plus grandes figures du paulinisme du IIe siècle. En effet,
Valentin fut, comme Marcion, un disciple avoué de Paul et non un prétendu Gnostique sorti de je ne sais quel
enseignement ésotérique. Clément d'Alexandrie le dit lui-même : « Valentin eut pour maître Theudas96, disciple de
Paul »97.
Disons tout d'abord, que ceux que l'on a affublés du nom de Marcionites ou de Valentiniens ne
s'appelaient pas eux-mêmes ainsi, mais Chrétiens. Justin, leur contemporain, nous l'affirme « Tous ceux qui se
réclament de ces gens-là (Marcion et Valentin) […] s’appellent chrétiens » 98 . Les travaux de Walter Bauer le
Édit de Thessalonique.
Michel Tardieu, dans Adolf Von Harnak, Marcion l'évangile du Dieu étranger, Éditions du Cerf, Paris, 2005, p. 460.
90 Ibid., p. 407.
91 Ibid., p. 404.
92 Ibid., p. 405
93 Ibid., p. 186.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 Ou Théodas selon les traductions.
97 Cf. Stromates VII, 17, 106.
98 Op. cit., H.E. II, 11, 9.
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démontrent à travers un exemple bien précis. À Édesse, les premiers chrétiens étaient Marcionites, mais ils
s’appelaient et on les appelait Chrétiens. Ce n'est que par la suite, quand ils furent mis en minorités par les
Orthodoxes, qu'on les appela Marcionites. Inversement, quand les Orthodoxes commencèrent à s’implanter à
Edesse, tenue de longue date par les chrétiens marcionites, c'était eux que l'on ne désignait pas sous le nom
de Chrétiens, mais sous le nom de Palûtiens, à cause de Palût, leur fondateur dans cette ville99.
Ce que tous les auteurs judéo-chrétiens reprochaient en premier aux Marcionites et aux Valentiniens c'était
leurs blasphèmes, pour reprendre leur propre mot, qui visait le Dieu de la Loi et le Créateur du monde.
Comme les juifs, ils étaient complètement scandalisés d'entendre de tels propos sur le Dieu auquel ils
croyaient, c'est pourquoi ils leur vouèrent une haine aussi ardente que féroce, que ni le temps, ni la raison ne
parvinrent à apaiser. En leur temps, les cathares médiévaux en surent aussi quelque chose de cette haine
inextinguible. Pourtant, un examen raisonnable pourrait inverser le camp du scandale. Pourquoi ne serait-il
pas plutôt scandaleux de revendiquer et de défendre un Dieu violent, aux mains pleines de sang, au point
même de le nier ? C'est bien ce que le sage Porphyre100 reprochait déjà aux judéo-chrétiens en son temps :
« Devant la méchanceté des Écritures juives, certains qui désiraient ne pas rompre avec elles, mais trouver une explication, se sont
tournés vers des interprétations qui n'ont ni lien ni rapport avec le texte »101. Inversement, Irénée reprochait aux « tenants
d'opinions fausses », entendons Marcion et Valentin, d'avoir été tellement « impressionnés par la Loi de Moïse »,
qu'ils la considéraient comme « dissemblable de l'enseignement de l’Évangile, voire contraire à celui-ci »102. Dialogue de
sourd, de toute évidence.
Mais revenons à ces blasphèmes si décriés de la théologie marcionite et valentinienne, tel qu'Irénée nous le
rapporte : « Les disciples de Marcion blasphèment d'entrée de jeu le Créateur, en disant qu'il est l'auteur du mal [...] car ils
affirment qu'il existe deux Dieux par nature, séparés l'un de l'autre, dont l'un serait bon et l'autre mauvais. Les disciples de
Valentin, de leur côté, usent de termes plus honorables, en proclamant le créateur Père, Seigneur et Dieu ; mais leur thèse se
révèle en fin de compte plus blasphématoire encore que la précédente, puisque d'après eux, le Démiurge n'a pas même été émis par
l'un des quelconque Éons du Plérôme, mais bien par un déchet qui fut expulsé du Plérôme », et Irénée ajoute plus loin : « les
Valentiniens [...] confessent des lèvres un seul Père de qui viennent toutes choses, mais ils disent que Celui qui a fait toutes choses
est le fruit d'une déchéance »103. Ainsi, le propos de la chute valentinienne est parfaitement clair, le Créateur du
monde et des hommes, Celui qui est appelé Dieu et Seigneur dans la Torah, est la conséquence d'une chute,
d'une dégradation, qui s'est produite à l'origine. Autrement dit, il n'y a pas, sur cette question là, de différence
entre Valentiniens et Marcionites. Le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas Bon, ce n'est pas le bon Dieu ou
le Dieu bon, mais chacun l'expliquait à sa manière. C'est pourquoi tant les Marcionites que les Valentiniens
rejetaient en bloc les écritures de l'Ancien Testament. Le Marcionite Apelle disait d'ailleurs avec beaucoup de
pertinence que la Loi et les prophètes était « une œuvre humaine et mensongère »104. Valentin disait aussi que « tous
les prophètes et la Loi ont parlé sous l'inspiration du Démiurge, Dieu stupide »105. Ces critiques acerbes sur la Torah ne
dépareillent pas de celles que faisait Paul sur la Loi et les observateurs de cette Loi, c'est-à-dire, en fin de
compte, la Torah, ce que l'on appelle la Loi et les prophètes, c'est-à-dire l'Ancien Testament.
Remarquons encore que les Marcionites eurent eux-aussi l'idée d'une chute originelle, mais qui concernait
les âmes seulement, car ils enseignaient qu'elles avaient chuté du royaume de Dieu dans le monde créé par
Satan à cause « d'une erreur » (errore quodam)106, sans autre précision, et ce sont ces âmes que Satan introduisit
dans les corps de chair. Marc, un disciple de Marcion, expliquait la chose autrement : « Quand le Créateur du
monde forma l'homme et souffla sur lui, il n'était pas capable de l'emmener à son achèvement. Mais quand le Dieu bon vit d'en
haut ce récipient recourbé et palpitant il lui donna une partie de son propre esprit et donna la vie à l'homme. Nous disons donc
que l'esprit, qui est du Dieu bon, sauve »107. Il est frappant de constater combien ces propos coïncident avec les
récits de la chute des âmes que professaient les cathares. Mais l'on peut faire également le même
rapprochement avec la chute valentinienne, car les cathares enseignaient également que Lucifer avait été
expulsé du royaume de Dieu à cause du péché d'orgueil, et qu'il était devenu dès lors le diable créateur du
monde. Les cathares ont visiblement hérités des deux thèses marcionite et valentinienne. Ces deux thèses se
Cf. Walter Bauer, Orthodoxie et hérésie aux débuts du christianisme, Éditions du Cerf, Paris, 2009, pp. 50-53.
Philosophe grec, néoplatonicien, du IIIe siècle. Il rédigea un traité Contre les Chrétiens.
101 H.E. VI, 19, 4.
102 C.H. III, 12, 12.
103 C.H. IV, 33, 3.
104 Hippolyte de Rome, Philosophumena ou Réfutation de toutes les hérésies, Livres VII, 38, 3. Traduction A . Siouville, Éditions Arché,
Milano, 1988.
105 Ibid., VI, 35.
106 Cf. Adolf Von Harnack, op. cit., p. 194.
107 Citation rapporté par Adolf Von Harnack, op. cit., p. 190, note 21.
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sont visiblement fusionnées au fil du temps, sans doute, après Origène. Eusèbe nous rapporte en effet que le
génie exégétique d’Origène était fort apprécié, et il précise que « des milliers d'hérétiques [...] l'écoutaient avec
ferveur »108. Autrement dit, on a eu la vue bien courte en attribuant à Origène les mythes cathares de la chute.
On peut dire au contraire, que c'est Origène qui reprit l'idée de la chute fort en vogue dans le christianisme de
son époque, mais pour l’arracher « aux hérétiques », en l'intégrant à la théologie judéo-chrétienne. On a mis la
charrue avant les bœufs.
Nous pouvons faire encore une autre remarque, si l'on revient sur le texte d’Irénée, que nous avons cité au
sujet du principal blasphème que l'on reprochait aux Marcionites et aux Valentiniens. Il apparaît très
clairement que la théologie des deux Dieux de Marcion contenait l'idée de « deux principes »109, comme le dit
Eusèbe, alors que celle de Valentin maintenait un seul principe en recourant à l'idée d'une chute primordiale,
en ce qui concernait le Dieu créateur. Nous pouvons donc constater que ce n'est pas Manès qui a inventé ce
trop fameux dualisme, mais Marcion dans sa distinction qu'il fit entre le Dieu juste et le Dieu bon, qui
régnaient tous deux dans des mondes bien à eux. Mais attribuer à Marcion l'invention du dualisme serait
encore abusif, car la tradition judéo-chrétienne rapporte que Marcion devait cette idée à un prédécesseur qui
s’appelait Cerdon, dont on sait d'ailleurs très peu de choses. Voici ce qu'en disait Irénée : il « enseigna que le
Dieu annoncé par la Loi et les prophètes n'est pas le père de notre Seigneur Jésus-Christ : car le premier a été connu et le second
est inconnaissable, l'un est juste et l'autre est bon »110. Autrement dit, contrairement à ce que l'on a voulu nous faire
accroire, Marcion n'a rien inventé. Comme Paul, Marcion n'a fait que reprendre et développer une Foi déjà
bien établie avant lui. Remarquons toutefois que par la suite, Apelle, un de ses disciples, prit le parti d' « un seul
principe »111, comme le rapporte Eusèbe, alors que Marc par exemple, un autre disciple de Marcion, maintenait
le parti « des deux principes »112.
C'est pourquoi Rhodon rapportait que « l'hérésie de Marcion […] était divisée en différentes sectes »113, c'est-à-dire
en différentes écoles de pensée. Là aussi, le parallèle est frappant avec les Cathares. Eux-aussi se répartissaient
entre tenants de deux principes ou d'un seul principe, répartitions que certains historiens ont d'ailleurs
exagérément monté en épingle.
Enfin rapportons un autre trait fondamental de la théologie marcionite et valentinienne sur la nature du
Christ. Pour Marcion, Christ n'était pas un être de chair et de sang ; son humanité, comme sa mort et sa
résurrection furent seulement apparentes. On l'a vu homme mais il n'était pas homme.
Pour Valentin, le Christ se revêtit d'un corps à partir des éléments célestes qu'il rencontra au fur et à
mesure de sa descente en ce monde. Idée que l'on retrouve dans la version bogomile de La vision d’Isaïe,
quand il est écrit que le Fils, dans sa descente à travers les sept cieux, prit successivement la forme corporelle
des anges de chacun des cieux. En tous cas, que ce soit les Marcionites, les Valentiniens ou les Cathares, le
Christ ne s'était jamais incarné en Marie.
Restons en là pour le moment et reportons-nous sur les point de convergences concrets des Marcionites et
des Valentiniens, c'est-à-dire sur leur règle de vie et pratique ecclésiale.
Le principal point qu'on leur reprochait était leur rejet commun du mariage, comme le rapporte Irénée :
« des gens qui s'inspirent […] de Marcion et qu'on appellent Encratites ont proclamé le rejet du mariage, répudiant l'antique
ouvrage modelé par Dieu et accusant de façon détournée Celui qui a fait l'homme et la femme en vue de la procréation », et il
ajoute ensuite que Valentin, comme Marcion, « proclama que le mariage était une corruption et une débauche »114.
Notons, qu'il s'agit encore d'un point commun avec les cathares. Il n'est pas inintéressant de relever au
passage que l'usage de rompre les liens du mariage en s'engageant en vie chrétienne était attribué à « Nicolas,
un des diacres, compagnons d’Étienne »115. Il s'agit bien ici d'Étienne, celui qui fut lapidé après sa comparution
devant le Sanhédrin. Cette indication relie donc très clairement cette exigence de vie chrétienne aux tout
premiers membres de l’Église, ceux qui furent précisément persécutés après la lapidation d’Étienne.
L’ascèse des Marcionites est bien connue, ils menaient une vie humble et chaste, faite de jeûnes et de
prières. Ils se nourrissaient uniquement de pain, de légumes, de fruits, et de poisson ; on mentionne aussi le
lait et le miel, mais la viande était absolument proscrite. Irénée nous en a rapporte la raison : « ils ont introduit
H.E. VI, 18, 2.
H.E. V, 13, 2 – 3.
110 C.H. I, 27, 1.
111 H.E. V, 13, 2 – 3.
112 Cf. Adolf Von Harnack, op.cit. p. 190.
113 H.E. V, 13, 1.
114 C.H. I, 28, 1.
115 H.E. III, 29, 1. Voir Actes 6 : 5.
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l’abstinence de ce qu'ils disent animé »116. Cette prétendue « introduction » ne différait pas toutefois du régime
alimentaire que l'on peut observer dans les évangiles au sujet de Jésus. On le voit bien se nourrir de pain et de
poisson, mais jamais de viande. Quoi qu'il en soit, notons que cette abstinence alimentaire qui rejetait la mise
à mort est encore un point de concordance avec les Cathares, tel qu'eux-mêmes l'expliquaient : « Ils ne tuent
[...] ni homme ni quoi que ce soit qui ait un souffle de vie »117.
Mais le point le plus incontestable avec le catharisme c'est Épiphane qui nous le donne, quand il rapporte
que dans l’Église marcionite les femmes avaient le droit de baptiser118. C'est incontestable parce que c'est
unique et propre au marcionisme seulement. Les Marcionites avaient mis en pratique l’Évangile transmis par
l’apôtre Paul qui disait que Dieu ne faisait « point acception de personnes »119, et l’Église cathare n'a pas agi pas
différemment. Les femmes avaient les mêmes droits que les hommes au sein de l’Église. Elles pouvaient
prêcher, baptiser et consacrer le pain.
Enfin, il nous faut faire un dernier parallèle avec le catharisme au sujet du prétendu baptême des morts
que l'on dénonçait chez les marcionites. Voici ce que nous en dit Jean Chrysostome : « Un catéchumène chez eux
vient de mourir ; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un vivant ; cela fait, ils demandent au mort s'il veut recevoir le
baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas de son le lit, répond pour lui qu'il veut recevoir le baptême ; ils
arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mort : c'est une comédie »120. Le comédien ici, c'est Jean Chrysostome,
parce qu'il tourne à la facétie le baptême des cliniques, c'est-à-dire des mourants et non des morts, tel que les
Cathares le pratiquaient encore. Le baptême des croyants se faisait effectivement in extremis sur leur lit de
mort, comme l'attestent de multiples dépositions de l'Inquisition.
Nous arrêterons là sur ce sujet. Retenons que contrairement à l'idée reçue, les « hérésies » ne sont pas des
altérations diverses d'une « orthodoxie » première, mais les premières formes du christianisme, d'un
christianisme qui était dès l'origine pluriel. Jacques, Pierre et Paul furent les figures emblématiques des trois
grands courants du christianisme premier. Après une période de coexistence ces trois courants entrèrent en
rivalité et finirent par se séparer. Le courant de Jacques fortement ancré dans le judaïsme à Jérusalem même
ne parvint pas à se développer. Cette communauté ne se releva pas de la mise à mort de Jacques en 62 et de la
destruction de Jérusalem en 70. Au IVe siècle, il ne restait que quelques communautés complètement
marginalisées sous le nom d'Ébionites. Le courant de Pierre, beaucoup plus modéré en ce qui concerne les
observances juives, fini rapidement par s'imposer, tant dans les milieux païens que dans les milieux juifs. Il
s'implanta solidement à Rome et chercha à concurrencer les Églises fondées par Paul. Ces dernières,
autonomes et indépendantes, ne constituaient pas un corps social. Elles n'étaient pas en lien les unes avec les
autres. Ce n'est qu'avec Marcion, au IIe siècle, qu'elles prirent conscience de leur identité propre. Le divorce
fut alors consommé entre le courant de Pierre et celui de Paul. Deux traditions apostoliques s'opposaient et
c'est la tradition apostolique de Pierre qui triompha quand elle s'associa au pouvoir romain.
En conclusion, Marcion ne disait rien d'extravagant quand il opposait l'enseignement des disciples de Jésus
à l'enseignement de Paul. En fait, il ne disait rien d'autre que la vérité. On a voulu faire passer Marcion pour
un hérésiarque, c'est-à-dire l'inventeur et fondateur d'une hérésie nouvelle censée avoir perverti
l'enseignement premier des apôtres. Au contraire, Marcion fut le plus fidèle continuateur d'un enseignement
apostolique premier, celui de Paul. Marcion fut à son époque le plus éminent théologien du christianisme, et
la rage avec laquelle on s'acharna à le réfuter, même bien longtemps après sa mort, le démontre. En réalité,
Marcion n'a fait que consommer le schisme latent qui séparait deux traditions apostoliques incompatibles et
irréconciliables, c'est-à-dire celle qui s'inscrivait dans la continuité de la Loi et celle qui rompait avec la Loi.
Pour la tradition apostolique paulinienne, l'Amour et la Grâce était la négation de la Loi et du Jugement.
III- LES PAULICIENS :
Abordons maintenant la question des Pauliciens car on a dit beaucoup de choses inexactes à leur sujet.
Seul les Travaux de Paul Lemerle et de son équipe spécialisée dans l'histoire byzantine ont permis de dégager
les Pauliciens de bien des assertions faciles dont on les affublait. Qui étaient donc ces fameux Pauliciens ?
Disons tout d'abord que nous ne les connaissons qu'à travers trois sources principales :
- L’Histoire de Pierre de Sicile. Source première sur les Pauliciens. Pierre de Sicile était un religieux
orthodoxe qui fréquenta de près les Pauliciens à l'occasion d'une ambassade auprès d'eux.
C.H. I, 28, 1.
Bernard Gui, Manuel de l'Inquisiteur, Édité et traduit par G. Mollat, Les Belles Lettres, Paris, 2007, p. 25.
118 Haer. 42, 3.4.
119 Cf., Galates 2 : 6 ou Romains 2 :11.
120 Commentaire sur la première Épître aux Corinthiens, Homélie XL.
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- Le Précis de Pierre l'Higoumène, qui est le même personnage que le précédent. Ce Précis, contrairement à
ce qu'indique son titre, est un simple résumé de ce qui est rapporté dans l'Histoire.
- Le Récit de Photius, qui puise largement dans l'Histoire de Pierre de Sicile.
Nous voyons donc que tout ce que nous savons sur les Pauliciens tient essentiellement aux informations
données par un seul personnage. Ajoutons-y cependant quatre formulaires d'anathèmes qui concerne
nommément les Pauliciens.
Situons maintenant les Pauliciens dans l’espace et dans le temps. L'Histoire de Pierre de Sicile narre des
événements qui débutent au VIIe et terminent au IXe siècles. Ensuite, on retrouve quelques mentions des
Pauliciens dans la chronique d'Anne Comnène qui se rapporte essentiellement au XIe siècle. Enfin, signalons
que les Pauliciens apparaissent aussi dans une chronique latine de la première croisade121. On les mentionne
comme alliés des Sarrasins à la bataille de Dorylée, en juillet 1097, où se distinguèrent entre autre les troupes
du comte Raymond IV de Toulouse. Ces différentes sources signalent les Pauliciens en Asie mineure, Syrie,
Arménie et Bulgarie.
Voyons à présent ce qu'étaient ces Pauliciens. Disons tout d'abord qu'ils ne se nommaient pas eux-mêmes
ainsi. Photius nous le dit : « Aux véritables Chrétiens, ces triples misérables donnent le nom de Romains, et ils se réservent à
eux-mêmes l’appellation de Chrétiens »122. Nous ferons également la même constatation en ce qui concerne les
Cathares.
Par ailleurs, Photius nous donne une autre information intéressante. Il nous dit qu'on les appelait
également « Paulo-johanniens »123, même s'il le justifie par le biais d'une généalogie fantaisiste. Pour nous, il est
clair qu'il s'agit ici d'une appellation qui renvoie à leur filiation spirituelle, c'est-à-dire à l’apôtre Paul et à
l’évangéliste Jean, comme le prouve l'évangéliaire paulicien qui comprenait l'évangile et les épîtres
johanniques.
Enfin, pour terminer sur cette question des noms attribués aux Pauliciens, la plupart des informateurs les
assimilent aux Manichéens, comme le furent également les Cathares et les Marcionites, mais cette association
mille fois répétée est parfaitement infondée. Pierre de Sicile n'a pas été plus clairvoyant, victime des préjugés
de son temps, il a associé les Pauliciens aux Manichéens. Pourtant, son propre témoignage de ce qu'il avait vu
et entendu chez les Pauliciens dément cette assertion. Il écrit en effet que les Pauliciens niaient toute filiation
avec Manés 124 et qu'ils rejetaient les livres manichéens 125 . Il rapporte également que les Pauliciens se
démarquaient de la licence dont jouissaient les Manichéens126, autrement dit qu'ils observaient une règle bien à
eux.
Pierre de Sicile dit aussi qu'ils lisaient seulement « l’Évangile et le saint livre de l'Apôtre », et qu'ils attribuaient
uniquement leur foi au Christ et à l’apôtre Paul127. Enfin, il indique que les Pauliciens réprouvaient l'apôtre
Pierre et qu'ils rejetaient ses épîtres128. Bref, ces informations indiquent une forte parenté avec le marcionisme
et même avec le catharisme, mais nous le verrons en détail plus tard, car il nous faut tout d'abord rendre
compte de la foi paulicienne.
La théologie paulicienne
Pierre de Sicile nous rapporte ce qui distinguait les Pauliciens de tous les autres : « le premier signe auquel
on les reconnaît consiste en ce qu'ils confessent deux principes : un Dieu mauvais et un Dieu Bon ; l'un,
l'auteur et souverain de ce monde ; l'autre, du monde futur »129. Propos que les anathèmes complètent bien, et
ils méritent d'être intégralement cités :
Gesta Francorum.
Le Récit de Photius, traduit par Ch. Astruc, W. Conus-Wolska, J. Gouillard, P. Lemerle, D. Papachryssanthou et J. Paramelle,
Les sources grecques pour l'histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche d'Histoire et
Civilisation de Byzance, t . 4, Éditions E. de Boccard, Paris, 1970, p. 124, section 16.
123 Cf. Le Récit de Photius, op. cit., p. 120, section 4.
124 Cf. L'Histoire de Pierre de Sicile, traduit par Ch. Astruc, W. Conus-Wolska, J. Gouillard, P. Lemerle, D. Papachryssanthou et
J. Paramelle, Les sources grecques pour l'histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche
d'Histoire et Civilisation de Byzance, t . 4, Éditions E. de Boccard, Paris, 1970, p. 42, section 100.
125 Ibid., p. 40, section 97.
126 Ibid., p. 8, section .3.
127 Ibid., p. 34 ss., section 80.
128 Ibid., p. 22, section 44.
129 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 36.
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« Anathème à qui croit ou pense ou dit qu'il existe deux dieux opposés, bon et mauvais, l'un Dieu Père,
Fils et Saint Esprit, Dieu du monde à venir et un autre Dieu qui est l'auteur et créateur de ce siècle ou de ce
monde »130.
« Celui qui dit et croit qu'il y a deux principes, bon et mauvais, l'un auteur de la lumière et l'autre de la nuit,
l'un auteur des hommes et l'autre des anges et des autres êtres vivants, qu'il soit anathème. À ceux qui
énoncent cette absurdité, que le diable pervers est l'auteur et l'Archonte de la matière et de tout ce monde
visible et de nos corps, anathème »131.
« Anathème à ceux qui ne disent pas « Père tout puissant créateur du ciel et de la terre et de tout ce qu'ils
contiennent de choses visibles et invisibles », mais seulement « Père céleste » qui a uniquement autorité sur le
monde à venir, du fait que le siècle présent et tout l'univers n'ont pas été faits par lui, mais par son ennemi, le
Maître mauvais du monde »132.
« Si quelqu'un ne confesse pas que Dieu est l'auteur du ciel et de la terre et de toutes les créatures et le
modeleur d'Adam et le démiurge d’Ève, mais dit que l'archonte adverse est l'auteur de l'univers et le modeleur
de la nature humaine, qu'il soit anathème »133.
« Anathème à ceux qui appellent « Satan » notre Dieu démiurge de toutes choses et enseignent que
l'homme a été modelé par Satan et énoncent ce blasphème qu'il a reçu de lui son âme, introduite dans son
corps par les narines, et profèrent futilement que par lui aussi elle est reprise »134.
Pour éclairer mieux encore ces propos, il nous faut mettre en parallèle cet autre aspect de la foi paulicienne
qui concerne l'Ancien Testament et ses personnages principaux, c'est-à-dire Moïse et les prophètes, mais aussi
la Loi et l'apôtre Pierre. En effet, Pierre de Sicile nous dit qu'« ils ne reçoivent aucun des livres de l'Ancien
Testament, et [...] traitent de menteurs et voleurs les prophètes »135. Il nous dit également qu'« ils rejettent […]
les autres saints,[...] maudissent et repoussent par-dessus tout saint Pierre, le grand et premier apôtre, et disent
qu'aucun d'entre eux ne se trouve du côté des élus »136. Mais ce sont encore les articles d’anathèmes qui nous
renseignement le mieux :
« Anathème à qui ne reçoit pas de cœur et de bouche la Loi transmise par Moïse comme donnée par
l'unique vrai Dieu, et de même les saints prophètes, apôtres et martyrs, et tous les saints, comme la sainte
Église catholique et apostolique l'enseigne »137.
« À ceux qui dénigrent la loi mosaïque et disent que les prophètes ne procèdent pas du Bon, anathème »138.
« Anathème à ceux qui ne révèrent, n'honorent, ne reçoivent ni n’accueillent les enseignements des saints
apôtres et leurs traditions »139.
Une autre caractéristique de la foi paulicienne qui choquait tout autant que les propos précédents,
concerne la nature du Christ et de Marie. Pierre de Sicile nous dit que les Pauliciens enseignent que « le Christ
n'est pas né de Marie mais qu'il a apporté son corps du ciel »140, et que l'enfantement du Christ « a eu lieu en
apparence et non en réalité »141. Photius, rapporte également que les Pauliciens expliquaient cette naissance
apparente par le fait que le Christ était passé à travers Marie « comme dans un conduit »142. Les anathèmes
nous le confirment encore :
« Anathème à qui dit ou pense ou croit que c'est du ciel que le Seigneur à fait descendre son corps et qu'il
s'est servi du ventre de la mère de Dieu comme d'une bourse »143.
« Anathème à ceux qui confessent que notre Seigneur Jésus-Christ a souffert, mais professent qu'il n'est
pas né vraiment de la sainte, toujours vierge et toute pure mère de Dieu, mais seulement en apparence »144.
Formules d’abjurations traduites par Ch. Astruc, W. Conus-Wolska, J. Gouillard, P. Lemerle, D. Papachryssanthou et J.
Paramelle, Les sources grecques pour l'histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche d'Histoire
et Civilisation de Byzance, t . 4, Éditions E. de Boccard, Paris, 1970,p. 190, article 1.
131 Ibid., p. 194, articles 1 et 2.
132 Ibid., p. 198, article 4.
133 Ibid., p. 200, article 13.
134 Ibid., p. 204 article 8
135 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 42.
136 Le Précis de Pierre l'Higoumène, traduit par Ch. Astruc, W. Conus-Wolska, J. Gouillard, P. Lemerle, D. Papachryssanthou et
J. Paramelle, Les sources grecques pour l'histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche
d'Histoire et Civilisation de Byzance, t . 4, Éditions E. de Boccard, Paris, 1970, p. 88, section 14.
137 Les formules d'abjuration, op. cit., p. 192, article 7.
138 Ibid., p. 194, article 3.
139 Ibid., p. 204, article 14.
140 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 39.
141 Ibid., p. 14, section 22.
142 Le Récit de Photius, op. cit., p. 126, section 20.
143 Formules d'abjuration, op. cit., p. 190, article 4.
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Catharisme d’aujourd’hui : www.catharisme.eu
Par ailleurs, les orthodoxes étaient scandalisés d'entendre dire par les Pauliciens que Marie avait eu des
enfants de Joseph, alors que c'est écrit en toutes lettres dans les textes évangéliques eux-mêmes145. Enfin,
notons aussi que ce n'était pas seulement le corps et la naissance du Christ qui furent apparents mais aussi sa
passion et sa résurrection : Ils « présentent la croix et la mort du Christ et sa résurrection comme une
apparence »146. Autre point de convergence manifeste avec le marcionisme et le catharisme.
Un autre point qui choquait beaucoup, concerne le rejet de la croix. Pierre de Sicile nous dit que les
Pauliciens « n'admettent pas l'image, l'action, ni la vertu de la précieuse et vivifiante croix, mais ils la couvrent
de mille outrages »147. Il rapporte aussi que les Pauliciens enseignent que « c'est le Christ qui est la croix, et
qu'il ne faut pas vénérer le bois, car c'est un instrument maudit »148. Même propos dans les anathèmes :
« Anathème à qui n'adore pas d'un cœur et d'une bouche sincère le bois vénérable de la précieuse et
vivifiante croix à laquelle notre Seigneur Dieu a été cloué »149.
« Si quelqu'un n'adore pas la croix de notre Seigneur Dieu et sauveur Jésus-Christ, non pas comme un
instrument de tyrannie, mais comme devenue le salut et la gloire du monde […] qu'il soit anathème »150.
Notons que cette critique de la croix et du rejet de la croix est aussi une caractéristique propre au
marcionisme et au catharisme.
Pratiques rituelles et sacrements
Hormis ces quelques informations sur les points les plus choquants et les plus connus de la foi paulicienne,
nous n'avons guère de renseignements sur ses rites et sacrements. Cette absence, n'est pas qu'un simple oubli
parce que le christianisme des Pauliciens était sans messe et sans église. Ce qui ressort des différents textes,
c'est que les Pauliciens rejetaient en bloc tout ce qui se faisait dans l’Église orthodoxe. Cependant, on peut
relever cinq points précis : Le rejet du baptême d'eau, de l'eucharistie, du mariage et l'existence d'un jeûne
alimentaire que tous les Pauliciens ne suivaient pas.
Sur le baptême, nous pouvons seulement savoir que la contestation portait sur l'eau. Autrement dit, les
Pauliciens ne pratiquaient pas le baptême d'eau, mais un autre, de type spirituel, comme semble l'indiquer leur
exégèse spirituelle de l'eau baptismale151. C'est tout ce que nous pouvons savoir, hélas, à ce sujet. Notons en
tous cas un point de convergence avec le catharisme.
Sur leur rejet de l'eucharistie, nous sommes mieux informés. Pierre de Sicile dit que les Pauliciens
enseignent que « ce n'était pas du pain et du vin que le Seigneur a donnés à ses disciples à la cène, mais ce sont ses paroles
qu'il leur a données symboliquement sous les mots de pain et de vin »152. Autrement dit, les Pauliciens ne croyaient pas à
la transsubstantiation du pain et du vin en vrai corps et sang du Christ. Ils ne célébraient pas le « saint
sacrifice ». Pour eux, le pain et le vin demeuraient « un pain ordinaire et […] un breuvage commun » 153 qui
symbolisaient « l’Évangile et […] l’Apôtre »154. C'était donc cette nourriture spirituelle, les paroles du Christ, qui
étaient son véritable corps. C'était à ces paroles que les Pauliciens songeaient au moment du partage du pain
et du vin. Ajoutons encore un autre point de concordance avec le catharisme.
Sur le mariage, il n'y a pas grand chose à dire, sauf que ce n'était pas du tout chez eux un sacrement, mais
plutôt « une législation de démon » qui visait seulement l’accroissement et le prolongement de l’espèce humaine155.
De fait, on dénonce la licence sexuelle des Pauliciens ainsi que celle de leurs unions. Mais ici il faut faire
attention, cette licence si exagérément décriée, dont on accusait également les Cathares, n'était pas celle de
tous les Pauliciens. Il nous faut bien avoir à l'esprit que le vocable Paulicien désigne à la fois des laïcs et des
religieux. Autrement dit, l’Église paulicienne n'encadrait ni ne sanctifiait les unions de leurs croyants, seuls les
religieux pauliciens, faute d'autres noms plus appropriés, observaient sans doute l'abstinence sexuelle,
puisqu'on les comparait à des prêtres. Encore une autre concordance sur ce point avec les cathares.
Ibid., p. 202, article 2.
Cf. Matthieu 1 : 25, 12 : 46 - 47 et 13 : 55 ; Marc 3 : 31 et 6 : 3 ; Luc 8 : 19 ; Jean 2 : 12 et 7 : 3 - 10 et Actes 1 : 14.
146 Formules d'abjuration, op. cit., p. 196, article 6.
147 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 41.
148 Le Précis de Pierre l'Higoumène, op. cit., p. 88, section 13.
149 Formules d'abjuration, op. cit., p. 192, article 8.
150 Ibid., p. 202, article 15.
151 Cf. L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 48, section 120.
152 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 40.
153 Formules d'abjuration, op. cit., p. 202, article 14.
154 Ibid., p. 196, article 7.
155 Ibid., article 4.
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Catharisme d’aujourd’hui : www.catharisme.eu
Enfin, sur le régime alimentaire des Pauliciens, nous ne disposons que d'un article d’anathème ambigu :
« Anathème à ceux qui fuient tout jeûne chrétien et, au temps de ce qu'ils considèrent comme leur carême, se gavent de viande, de
fromage et de lait »156. Le propos doit être bien compris. On dénonce ici le fait que les Pauliciens ne suivaient pas
les carêmes de l’Église orthodoxe et qu'ils ne suivaient pas non plus les carêmes de leur propre Église. Cela
nous indique que l’Église paulicienne avait pour le moins des périodes de carêmes, mais que tous les
Pauliciens ne les observaient pas. Ce propos apparemment contradictoire, ne le devient plus si nous faisons la
même remarque au sujet de la prétendue licence sexuelle des Pauliciens. Autrement dit, ces jeûnes sans viande
ni laitage étaient uniquement observés par les religieux pauliciens mais pas par leurs croyants. Nous pouvons
être en effet certains que des Pauliciens, sans doute les religieux, observaient bien des jeûnes puisque Pierre de
Sicile dénigrait « leurs jeûnes sinistres à l'eau de son »157. Ce jeûne « à l'eau de son » désigne peut-être une bouillie à
base de son, à moins qu'il ne s'agisse d'une tournure exagérée qui désignerait plutôt un jeûne au pain et à l'eau,
mais quoi qu'il en soit, cela importe peu. Notons toutefois que nous pouvons encore constater une
correspondance avec le catharisme.
Maintenant, pour ce qui concerne l’Église paulicienne, il nous faut remarquer qu'elle n'avait pas emboîté le
pas à l’Église orthodoxe, laquelle s'était structurée de manière centralisée et autoritaire. L’Église paulicienne
conservait apparemment la structure de l’Église primitive, c'est-à-dire des communautés autonomes
circonscrites à un territoire sous l'autorité d'un évêque, et c'étaient ces communautés qui étaient des Églises au
sens plénier du terme. Nous savons en effet que les Pauliciens étaient répartis en différentes Églises
circonscrites à un territoire bien précis. On en connaît sept et on nous rapporte que chacune avait à sa tête un
didascalos, terme spécifique à l’Église orthodoxe qui désigne un maître ou un enseignant en religion, c'est-à-dire
un terme bien pratique pour refuser aux Pauliciens la dignité d’évêque. Il ne faut pas en douter, l’Église
paulicienne devait avoir des évêques, des diacres et des anciens. Pierre de Sicile, nous le laisse entendre :
« quant à leurs prêtres à eux, ils les nomment synekdèmes et notaires ; et ces personnages ne se distinguent en rien d'eux tous, ni
par le vêtement, ni par les mœurs, ni par l'ensemble des conditions de vie »158. Il nous faut tout d'abord constater que
nous retrouvons ici ce que nous avons dit plus haut sur la distinction entre croyants et religieux, puisqu’il est
bien question ici de « prêtres ». Mais faisons deux remarques. La première, c'est qu'il ne faut pas se laisser
abuser par le mot prêtre, parce que les Pauliciens condamnaient sévèrement les prêtres et leurs offices159. Il
s'agit donc plutôt de religieux que de prêtres. La seconde, c'est que ces religieux pauliciens portaient un
vêtement spécifique à leur état précisément de religieux et que celui-ci était lié à une règle de vie religieuse.
Cette règle n'est pas décrite mais nous pouvons déduire au moins deux aspects probables, si nous nous
basons sur ce que nous venons de dire sur les jeûnes alimentaires et la morale sexuelle.
Mais quoi qu'il en soit, le propos de Pierre de Sicile nous indique qu'il y avait deux sortes de « prêtres », les
synekdèmes et les notaires, c'est-à-dire en grec « compagnons de route » et « administrateurs ». Autrement dit,
les religieux pauliciens avaient chacun une fonction bien précise au sein de leur Église, sans que cette fonction
soit pour autant un motif de distinction quelconque, par le vêtement ou la règle de vie. Il s'agit donc bien de
fonctions administratives au sein de l’Église et non de grades hiérarchiques avec leurs marques et leurs
prérogatives tels qu'on les retrouve dans l’Église orthodoxe.
Ainsi, parmi les religieux pauliciens, certains exerçaient un ministère au sein de l’Église, tandis que les
autres étaient leurs compagnons de route ou plus exactement leurs compagnons de ministère. Même si ce
n'est pas expressément spécifié, ces ministères ne font pas pas grand mystère ; il doit s'agir du ministère
d’évêque, de diacre, d'ancien ou de prédicateur qu'on retrouve dans toutes les Églises. Il n'y a pas lieu d'en
douter parce que leur structure ecclésiale apparaît conforme à celle de l’Église primitive. Par contre, il est
étonnant de lire dans les récits de Pierre de Sicile ou de Photius, que c’était les fils des didascales pauliciens
qui héritaient de cette fonction. Cet étonnement est d'autant plus renforcé quand il est question explicitement
de deux fils. Aussi, nous ne pouvons pas nous empêcher d'y voir encore une distorsion, involontaire cette
fois-ci, de Pierre de Sicile et de Photius. Ils n'ont peut-être pas compris ce que le mot fils pouvaient designer
dans la bouche d'un Paulicien, si nous faisons un parallèle avec la fonction ecclésiastique de Fils dans l’Église
cathare. Nous savons en effet que ce terme désignait, non pas un fils charnel, mais les deux coadjuteurs d'un
évêque, et que c'était l'un des deux qui devenait évêque à la mort de ce dernier.
Ibid., p. 204, article 5.
L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 32, section 69.
158 Le Précis de Pierre l'Higoumène, op. cit., p. 90, section 19.
159 Cf. L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 20, section 45.
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Catharisme d’aujourd’hui : www.catharisme.eu
Marcionites et Pauliciens : une même voie spirituelle
Mais arrêtons-là la description de la foi paulicienne. Nous en avons dit l'essentiel. Il nous faut faire un
constat. Contrairement à tout ce que Pierre de Sicile et à ce que d'autres ont pu dire, on ne peut assimiler les
Pauliciens aux Manichéens. Nous avons vu au contraire que les Pauliciens dénonçaient eux-mêmes cette
assertion. En revanche, nous avons vu des points communs indéniables avec le marcionisme et même par
anticipation avec le catharisme.
En effet, seul les Marcionites rejetaient l'Ancien Testament et son Dieu. Seul les Marcionites faisaient une
critique extrêmement sévère de la Loi et de Moïse. Seul les Marcionites prenaient acte que c'était le Dieu de
l'Ancien Testament, l'ordonnateur de la Loi, qui avait créé le monde et non le « Père Saint »160 invoqué par le
Christ. Seul les Marcionites rejetaient la croix parce qu'elle n'était rien d'autre qu'un instrument de malédiction
et de punition promises par le Dieu de la Loi161. Enfin, seul les Marcionites rejetaient la tradition apostolique
de Pierre ou des autres disciples au profit seulement de la tradition apostolique de Paul.
N’oublions pas non plus que la christologie marcionite était entièrement docète, ce qui était le cas
également des Pauliciens. Mais sachons-le, ce docétisme n'était pas leur invention. Il se trouve exprimé en
toutes lettres dans les écrits de Paul, comme Yves Maris l'a mis parfaitement en lumière. Il a bien vu que pour
Paul : « Jésus fut relevé d'entre les morts, parce qu'il était dans son destin de personnaliser le (vrai) souffle divin, présent en “ une
sorte de chair de péché ”162 qui figurait un corps d'homme incarné163. Il ne pouvait pas mourir véritablement parce qu'il n'était
qu'en apparence un être vivant »164.
Bien entendu, on peut toujours prétexter que tel ou tel point particulier ne coïncide pas tout à fait ou ne se
retrouve pas soit chez les uns soit chez les autres, pour démentir cette convergence générale. Mais c'est
oublier que nos informations sur le marcionisme et le paulicianisme sont très incomplètes et reposent sur un
nombre relativement réduit d'informateurs ou de documents qui proviennent tous de leurs adversaires. Il est
donc inévitable qu'il y ait des points manquants, des points discordants et distordus, des points qui ne soient
pas attestés chez les uns mais chez les autres, et inversement. Mais surtout, nous ne pouvons pas réduire
l'héritage paulinien à Marcion seulement, parce qu'il n'en fut qu'une figure. C'est oublier Valentin, l'autre
disciple de Paul. C'est aussi oublier que l’Église marcionite elle-même ne peut être réduite à Marcion, car
comme nous l'avons vu, l’Église marcionite était décentralisée et laissait à ses membres la liberté d'examen.
Or, ce que nous connaissons du marcionisme tient en grande partie aux réfutations de la théologie de
Marcion, mais nous sommes bien moins renseignés sur la théologie de ses successeurs.
Un exemple nous permettra de le comprendre, en examinant la question du canon marcionite et paulicien.
Le premier constat, c'est que tous deux excluaient en bloc l'Ancien Testament, caractéristique unique que l'on
ne retrouve nulle par ailleurs. Il s'agit donc bien d'un point commun indéniable. Mais en ce qui concerne le
Nouveau Testament, nous savons que le canon établi par Marcion recevait seulement l'Évangile de Luc et que le
canon paulicien recevait les quatre évangiles canoniques. En ce qui concerne les épîtres, le canon de Marcion
ne recevait que dix épîtres pauliniennes165, alors que le canon paulicien recevait toutes les épîtres canoniques,
sauf les épîtres pétriniennes. Précisons encore que les textes établis par Marcion différaient des textes
canoniques orthodoxes, alors que les textes des pauliciens étaient « littéralement et mot pour mot »166 conformes
aux textes canoniques orthodoxes. Nous constatons donc qu'en dépit d'une convergence sur le rejet de
l'Ancien Testament, demeurent des différences notables sur le composition du Nouveau Testament. Mais cette
différence se réduit significativement si nous ajoutons une information donnée en marge dans un manuscrit
de l'Histoire de Pierre de Sicile. Celle-ci nous indique que les Pauliciens avaient une préférence pour l’Évangile
de Luc et qu'ils avaient également une épître adressée Aux Laodicéens167. Deux précisions qui ne peuvent laisser
planer aucun doute sur l'identité commune des Marcionites et des Pauliciens.
En réalité, les différences entre le canon marcionite et paulicien ne sont pas rédhibitoires si nous
examinons avec attention le marcionisme postérieur à Marcion. En effet, dans ses travaux sur le marcionisme,
Adolf Von Harnak à parfaitement remarqué que les Marcionites tardifs employaient aussi les livres néoJean 17:11.
Cf. Galates 3 : 13 qu'il faut comparer à Deutéronome 21 : 23.
162 Romains 8 : 3.
163 Cf. I Corinthiens 15 : 46 .
164 Op. cit., p. 58.
165 C'est-à-dire, Galates, I et II Corinthiens, Romains, I et II Thessaloniciens, Laodicéens, Colossiens, Philippe et Philémon.
166 Le Précis de Pierre l'Higoumène, op. cit., p. 90, section 20.
167 Cf. Paul Lemerle, L'Histoire des Pauliciens d'Asie mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche d'Histoire et Civilisation
de Byzance, t . 5, Éditions E. de Boccard, Paris, 1973, p. 131 - 132.
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Catharisme d’aujourd’hui : www.catharisme.eu
testamentaires canoniques. On les retrouve même à peu près tous, sauf les épîtres pétriniennes. Nous savons
en particulier que Marc, l'un des plus éminents successeurs de Marcion, se référait à l’Évangile de Jean168,
évangile qui était par ailleurs fort apprécié des Valentiniens. Marc avait aussi modifié significativement la
théologie et la cosmogonie de son illustre prédécesseur169. Ce qui atteste ce que nous disions. Le marcionisme
ne peut être réduit à Marcion lui-même. L’Église marcionite ne peut être exclue du phénomène évolutif
propre à toute communauté humaine, c'est là un point qui n'a pas été pris suffisamment en compte.
Il nous faut bien comprendre que l’Église marcionite n'a pas du tout pris la voie dans laquelle la grande
Église s'était engagée. Elle n'est pas devenue cette institution de pouvoir, puissante et centralisée, construite
sur des dogmes édictés une fois pour toute, que plus personne ne pouvait remettre en question sans crainte
du glaive temporel. Au contraire, l’Église marcionite n'a jamais imposé un canon ou des dogmes communs à
tous ses membres, parce que dès le début Marcion avait encouragé ses successeurs à poursuivre l'examen
philologique et théologique qu'il avait engagé. Marcion n'a donc jamais prétendu détenir la vérité, et il n'a pas
cherché non plus à la limiter et à la clore dans ses propres convictions. Son christianisme a prôné la liberté
d'examen. Une liberté d'examen à la fois spirituelle et savante. En effet, Paul associait très étroitement la Foi à
un « renouvellement de l'intelligence »170 et non à la négation de celle-ci. Un esprit saint va de pair avec une
intelligence éclairée. Yves Maris, en fin exégète des prédications de l'apôtre, l'a parfaitement démontré :
« Contrairement à a la Loi, qui s'impose à tous de manière identique, la foi n'appartient qu'à la conscience de chacun171 selon
son intelligence de l'évangile. Elle ne constitue ni une conformité ni une règle de jugement. Le Spirituel ne juge point et ne peut être
jugé par personne172 »173.
Mais revenons à notre canon marcionite et paulicien. Nous voyons d'une part que le canon qui avait été
établi par Marcion n'a pas cessé d'être plus ou moins modifié par adoption ou utilisation d'autres livres
canoniques, et d'autre part que les Pauliciens semblent avoir carrément adopté la Bible en vigueur, même s'ils
ne tenaient pas compte des livres de l'Ancien Testament et des deux épîtres pétriniennes. La raison de ce
comportement ne fait pas grand mystère.
Les Marcionites comme les Pauliciens avaient tout intérêt à recourir à la Bible en vigueur pour des raisons
évidentes liées à leur statut de proscrits et de pourchassés. Photius nous l'explique : « La loi des chrétiens
vou[aient] au glaive tous ceux qui usaient des livres de l'apostasie et fai[saient] de ses livres eux-mêmes la proie des flammes »174.
Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de préciser que l'histoire des Pauliciens débute par un personnage qui décide
d'adopter « l’Évangile et l'Apôtre »175 canonique au détriment de ses anciens livres de références. Pierre de Sicile
nous en donne la raison : « il voyait périr un grand nombre par le glaive à cause d'eux »176.
De toute façon, il n'y avait plus vraiment de raison pour continuer à faire abstraction des autres livres néotestamentaires, et ceci pour deux bonnes raisons. La première c'est que ces livres — qu'on l'ait voulu ou
non — faisaient autorité. La seconde, c'est qu'on pouvait tirer de ces livres une toute autre exégèse que celle
que prônait la grande Église. Or, c'est précisément ce qui faisait rager Pierre de Sicile quand il parle du
personnage évoqué : « il réussit, avec le concours de Satan, à détourner, dans son exégèse, les idées de l’Évangile et de
l’Apôtre dans le sens qu'il voulait »177.
Remarquons au passage que les Cathares n’hésitèrent d'ailleurs pas à recourir à certains textes de l'Ancien
Testament pour des raisons comparables : soucis d'argumenter par rapport à des textes qui faisaient autorité
chez leurs adversaires et utilisation de ces mêmes textes parce qu'ils pouvaient appuyer leur théologie dessus.
N'oublions pas non plus que l'apôtre Paul n'a pas agi de manière différente en ce qui concerne la Torah.
Comme nous l'avons évoqué, Paul eut recours à la Torah pour renverser la Torah quand il s'adressait à des
Juifs, mais il utilisa tout aussi bien l'idée païenne de dieux inconnus pour annoncer le Dieu d'amour révélé par
le Christ. Notons que Paul se garda bien d'annoncer aux Grecs le Dieu des Juifs. Paul fut le chantre de
l'adaptation, selon sa célèbre formule : « je me suis fais tout à tous »178. Il n'est donc pas étonnant que ses disciples
avertis se soient inspirés de ses méthodes.
Ibid.
Ibid., p. 190.
170 Romains 12 : 2.
171 Cf. Romains 15: 5.
172 Cf. I Corinthiens 2 : 15.
173 Yves Maris, En quête de Paul, ANRT Diffusion, Lille, 1999, p. 43.
174 Le Récit de Photius, op. cit., p. 140, section 60.
175 L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 40, section 96.
176 Ibid., section 97.
177 Ibid. Même propos dans Le Précis de Pierre l'Higoumène, op. cit., p. 81, section 4.
178 I Corinthiens 9 : 22.
168
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Pour conclure sur les Pauliciens, il nous faut bien reconnaître que malgré les flots d'injures et les
distorsions de toutes sortes, les écrits de Pierre de Sicile et de Photius ainsi que les formulaires d’anathèmes
rendent parfaitement compte de l'histoire et de la foi des Pauliciens. Ces informations nous permettent de
faire un lien entre marcionisme et catharisme. Les Pauliciens nous apparaissent comme le chaînon qui relie les
Cathares aux Marcionites. Ils rendent compte du phénomène cathare qui stupéfia tant l’Église catholique et
qui déroute encore tant les historiens.
Leur surgissement rapide d'un bout à l'autre de l'orient et de l'occident, ainsi que leur apparente étrangeté
théologique ne font pas grand mystère si on prête l'oreille à ce que nous disent les documents eux-mêmes.
Dans son livre adressé à l’archevêque de Bulgarie, Pierre de Sicile prévient qu’il a « entendu ces impies énoncer
sottement qu'ils allaient envoyer des adeptes au pays de Bulgarie pour y détacher certains de la foi orthodoxe et les attirer à
l'immonde hérésie qui est la leur »179. Or, nous savons que le bogomilisme est apparu en Bulgarie peu après. Qui
peut croire qu'il n'y a pas ici un lien de cause à effet ? Surtout quand on sait que les Pauliciens furent déportés
à Philippopolis, c'est-à-dire dans l'actuelle Plovdiv, en Bulgarie, vers 970, par Jean Tzimiskès. Anne Comnène
écrit d'ailleurs dans son Alexiade que les Bogomiles sont issus « de l'hérésie des manichéens appelés Pauliciens »180.
Mais en réalité, la foi paulicienne était établie en Bulgarie bien avant la mise en garde de Pierre de Sicile ou la
déportation de Jean Tzimiskès, comme l'atteste un synodik serbe écrit en 843181. En effet, un siècle avant la
rédaction de ce synodik, Constantin V avait transféré des Syriens et des Arméniens en Thrace, c'est-à-dire en
Bulgarie, et son chroniqueur indique que ce sont ces Syriens et ces Arméniens qui « furent cause que l'hérésie des
Pauliciens se propagea »182.
Mais il nous faut apporter ici une précision sur l'Arménie parce qu'à cette époque son territoire ne
correspondait pas au territoire actuel. Pendant la période romaine, l'Arménie s'étendait sur les territoires
appartenant aujourd'hui à l’Azerbaïdjan, l'Iran, l'Irak, la Syrie et la Turquie jusqu'à Tarse, en Cilicie, la patrie
de Paul, et à l'époque des invasions arabes, la Cilicie devint même la patrie refuge des Arméniens. Or, nous
avons vu que la Cilicie fut, avec la Syrie, le berceau du christianisme paulinien.
Ces informations concernant l'implantation paulicienne en Bulgarie et en Asie mineure se recoupent avec
les indications données par Anselme d'Alexandrie, inquisiteur italien. Dans son Tractatus de hereticis183, il situe
les foyers du catharisme dans le Duché croisé de Philadelphie, c'est-à-dire en Asie mineure, ainsi qu'en
Bulgarie et en Dragovitie, c'est-à-dire un territoire de la Bulgarie autour de Philippopolis184. Il explique aussi
que le catharisme est parvenu dans les Balkans par les voies commerciales et qu'il a été introduit en France
par les croisés, à leur retour des croisades185. Certes, Anselme d'Alexandrie se trompe en attribuant à Manès
l'origine de ces foyers cathares. Mais nous avons vu qu'il ne fait là que reprendre les préjugés établis. Par
contre, sa constatation est juste. Il identifia bien les foyers du catharisme et comprit parfaitement les raisons
de sa diffusion rapide par les voies commerciales, mais aussi et surtout comme conséquence indirecte des
croisades. Nous savons en effet, que le théâtre d’opération de la première croisade se déroula en grande partie
entre Asie mineure et Syrie. N'oublions pas non plus le transit des croisés par les Balkans. Il n'est pas donc
étonnant que quelques croisés, français ou occitans, découvrirent au cours de leur expédition en Terre Sainte
ce vieux christianisme paulinien qui se maintenait et se développait en dépit de tout dans ces mêmes contrées
que les croisés traversèrent.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Il nous faut maintenant conclure. Nous avons vu combien les informations concernant les Pauliciens
peuvent se recouper, non seulement avec les Marcionites, mais aussi avec les Cathares. Eux aussi rejetaient le
Dieu de l'Ancien Testament qu'ils identifiaient au diable, au Satan des évangiles. Au contraire, ils affirmaient que
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p. 56.
L'Histoire de Pierre de Sicile, op. cit., p. 8, note 1.
Franjo Sanjek, Les chrétiens bosniaques et le mouvement cathare XIIe – XVe siècles, Éditions Nauwelaerts, Louvain, 1976,
Ibid., p. 158.
Cf. Paul Lemerle, L'Histoire des Pauliciens d'Asie Mineure, dans Travaux et mémoires du Centre de Recherche d'Histoire et
Civilisation de Byzance, t. 5, Éditions E. de Boccard, Paris, 1973, p. 78.
183 Traité sur les hérétiques.
184 « Manes […] docuit in partibus Drugontie et Bulgarie et Filadelfie ».
185 « greci de Constantinopolim, qui sunt confines Bulgarie per tres dietas, iverunt causa marcacionis illuc, et reversi ad terram suam cum
multiplicarentur, ibi fecerunt episcopum, qui dicitur episcopus grecorum. Postea francigene iverunt Constantinopolim ut subiugarent terram et invenerunt
istam secta, et multiplicati fecerunt episcopum, qui dicitur episcopus latinorum. Postea quidam de Sclavonia, scilicet de terra que dicitur Bossona, iverunt
Constantinoplim causa mercacionis ; reversi ad terram suam predicaverunt et, multiplicati, constituerunt episcopum qui dicitur episcopus Sclavonie sive
Bossone. Postea francigene, qui iverant Constantinopolim, redierunt ad propria et predicaverunt, et multiplicati constituerunt episcopum francie ».
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le Père du Christ n'étaient pas ce Dieu de l'Ancien Testament, le diable créateur du monde. Les cathares
rejetaient de la même manière Moïse et la Loi, comme l'ensemble de la Torah. Ils se recommandaient au
contraire de l’Évangile et de l'enseignement apostolique : « Nous, nous n'écoutons pas David ni les prophètes, mais
seulement l’Évangile, et nous ne vivons pas selon la Loi de Moïse, mais selon celle des Apôtres »186.
Les Cathares, eux aussi, rejetaient la croix parce qu'elle n'était rien d'autre qu'un instrument de torture.
Leur christologie était docète, exactement comme l'était celle des Marcionites et des Pauliciens. Les Cathares
critiquaient également le rite sacrificiel de l'eucharistie, qui était censé opérer la transsubstantiation du pain et
du vin en vrai corps et sang du Christ. Ils pratiquaient au contraire, à table, une simple bénédiction du pain en
mémoire de la nourriture spirituelle, l'Évangile, que le Christ leur avait donné. Ils rejetaient le baptême d'eau
et ils affirmaient que le véritable baptême était spirituel, et qu'il se faisait par l'imposition des mains. Pas de
culte, pas de lieux de culte non plus, mais un engagement de vie évangélique. Enfin, leur Église reconnaissait
aux femmes les mêmes droits que les hommes, comme eux, elles pouvaient prêcher, baptiser et bénir le pain.
Tout ces points sont des caractéristiques que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf chez les Marcionites
et les Pauliciens. Même le rejet de la tradition apostolique de Pierre, au profit de celle de l’apôtre Paul, se
retrouve aussi chez les Cathares. C'est là un point que beaucoup n'ont pas remarqué malgré le témoignage de
Pierre de Vaux de Cernay, qui a écrit pourtant en toutes lettres cet enseignement des Cathares : « Le Christ
[…] n'apparut en ce monde que d'une manière toute spirituelle dans le corps de Paul »187. Propos que l'on retrouve
également dans la Manifestatio heresis albigensium188, mais un peu mieux précisés : « Ils disent que le Christ […] ne fut
en ce monde si ce n'est spirituellement sous le corps de Paul […] ils disent que Paul […] apporta les Écritures dans ce monde et
qu'il fut emprisonné afin que le ministère du Christ soit révélé »189. Sur l'apôtre Pierre, la confession d'un croyant
cathare devant l’Inquisition nous renseigne sur ce que les Cathares disaient à son sujet. Il dit que « Pierre n'a
jamais été « apostolique » ou pape à Rome, et que la foi ne venait pas de Rome »190. Ce court témoignage nous donne une
idée assez précise de la conscience historique et spirituelle des cathares. Pour les Cathares, le trop fameux
« saint Pierre », vénéré par l’Église catholique, n'était pas à leurs yeux apostolique. Ils savaient aussi qu'il
n'avait pas été non plus le premier pape ou évêque de Rome, invention catholique. Enfin, ils maintenaient
encore ce savoir que la foi, leur foi, n'était pas celle qui avait été transmise par la communauté romaine. Trois
propos qui ne manquent pas de pertinence. Ils recoupent fort bien ce que nous avons vu à ce sujet.
Il y a aussi un autre point qui mériterait une recherche approfondie : l'importante participation des troupes
de Raymond IV de Toulouse à la croisade, et l'importante présence du catharisme sur ses anciens domaines.
Cet axe de recherche ne doit pas être écarté pour la seule raison que l'on peut identifier une présence cathare
avant le début de la croisade. Ce n'est pas forcement contradictoire. La propagation par les voies
commerciales ne s'est certainement pas arrêtée aux Balkans. La première croisade à peut-être amplifié le
processus enclenché par quelques courageux missionnaires.
Quoi qu'il en soit, tous ces points de convergence que nous avons mis en lumière, doivent inviter à
reconsidérer l'histoire des Cathares mais aussi celle des Pauliciens et des Marcionites. Ces appellations même,
ne doivent pas nous faire oublier qu'il s'agissait avant tout de Chrétiens à qui on dénia ce nom en les affublant
d'un autre. Ne nous laissons pas enfermer dans les mots de leurs adversaires. Nous connaissons trop la
puissance fallacieuse des mots pour y verser.
Les Marcionites, les Pauliciens et les Cathares nous apparaissent au contraire comme des représentants
d'une même Église mais à des époques différentes, c'est-à-dire avec des spécificités propres à leur époque, à
leur situation et à leur évolution. On ne peut figer une foi ou une Église en un temps donné. C'est là une
erreur trop souvent commise. On n'a pas suffisamment pris en compte le processus évolutif de cette vielle
Église paulinienne à travers les siècles, a fortiori à travers des siècles de persécutions.
On n'a pas saisi non plus tout ce que le rejet du Dieu de l'Ancien Testament implique chez les Cathares. On
n'a pas fait le lien avec le paulinisme tel que la tradition marcionite puis paulicienne l'avait entendu et
développé. En fait, on n'a pas pris toute l’importance de Paul et de sa pensée dans l'histoire du christianisme.
On s'est focalisé sur l'aspect dualiste de la théologie cathare et à cause de cela, on a assimilé le catharisme
au manichéisme. On s'est trompé également en se focalisant sur l'apparente importance de l'Évangile de Jean
chez les Cathares, et il était bien facile alors de leur prêter une inspiration johannique, tout en se dispensant
de démontrer ce que ce vocable pouvait bien recouvrer exactement. Ces malentendus en ont entraîné
op.cit. p. 72.
Pierre de Vaux de Cernay, Histoire albigeoise, Vrin, Paris, 1951, p. 6.
188 Dévoilement de l’hérésie des Albigeois.
189 Traduction de l'auteur. « Dicunt […] quod Christus […] non fuit in hoc mundo nisi spiritualiter infra corpus Pauli [...]. Dicunt namque
quod Paulus […] attulit scripturas in hunc mundum et fuit incarceratus ut mi<ni>sterium Christi revelaret ».
190 Guillaume Gran, Doat XXV, f° 226 v°. Traduction Jean Duvernoy.
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d'autres, en cascade, comme la parenté avec l'origénisme, quand on sait précisément qu'une grande partie de
la théologie développée par Origène s'était opposée aux énoncés théologiques marcionites, énoncés que l'on
retrouve aussi chez les cathares. Enfin, en désespoir de cause, on a fini par associer les Cathares à une simple
dissidence catholique, et pour ce faire, il fallait nier toutes les particularités de la foi cathare qui ne
coïncidaient pas avec le catholicisme. Aussi on invoqua l’inévitable théorie du complot. On est allé ainsi
jusqu'à nier ce que les Cathares eux-mêmes écrivaient ou disaient.
L'histoire des Cathares puise son origine et sa filiation dans ces hommes et ces femmes de Jérusalem
persécutés à cause de leur Foi. De leur Foi en ce Jésus qui bafoua la Loi prétendument divine, et qui défia un
Dieu prétendument miséricordieux mais ordonnateur des condamnations à mort et des sacrifices. Ce sont eux
qui, sous la persécution, secouèrent la poussière de leurs sandales, en s’exilant toujours plus loin du Temple
de Jérusalem et de ses zélateurs.
C'est en Syrie, à Antioche, qu'ils rompirent définitivement avec leur religion ancestrale, appelant les païens
à partager la Bonne Nouvelle, l'Évangile, qu'ils avaient hérité de Jésus. Ce sont eux qui s’organisèrent en
Église indépendamment des synagogues. Ils ne pratiquaient plus la Loi mosaïque et c'est pour cette raison
qu'on les appela Chrétiens. On ne les identifiait plus à des juifs.
Avec la conversion de Paul le mouvement pris un nouvel essor, que Jacques et ses partisans tentèrent de
museler, en surveillant la liberté qu'ils avaient en Christ pour les asservir à la Loi191. Pierre, de son côté,
essayait de ménager la chèvre et le chou, et ses compromis firent école dans bon nombre de communautés.
Très rapidement, au fil du temps, ces trois types de communautés, issues de Jacques, de Pierre ou de Paul, ne
cessèrent de se différencier jusqu'au point de rupture. Cette rupture intervint quand Marcion bouscula par la
hardiesse de ses propositions, les idées reçues et les traditions héritées de Pierre qui avaient supplantées celles
de Jacques.
Marcion amena à son terme le schisme latent qui séparait de façon inconciliable, dès le début, les tenants
de la la Loi et les contempteurs de cette Loi.
Après avoir beaucoup souffert des persécutions païennes, les Églises qui se réclamaient de Marcion durent
affronter la persécution de leurs anciens coreligionnaires, quand ceux-ci s’acoquinèrent avec le pouvoir
impérial. C'est alors que ces Chrétiens pauliniens, improprement dénommés marcionites, disparurent des
sources. Ils n'étaient plus que des proscrits d'une nouvelle Loi, prétendument chrétienne. Leur survivance à
travers plusieurs siècles de persécutions relève du miracle. Il s'en est tenu à un fil qu'ils ne disparaissent
complètement, comme le démontre la dramatique histoire de ces Chrétiens pauliniens que l'on appelaient à
tort Pauliciens. Mais leur courage missionnaire hérité de Paul fit des miracles, que des circonstances
géopolitiques peuvent cependant parfaitement expliquer. Loin de s'avouer vaincus, ils gagnèrent à leur Foi les
Slaves que l'on affubla du nom de Bogomiles par la suite. Mais ce succès missionnaire ne s’arrêta pas là, il se
développa aussi dans les Balkans et dans toute l’Europe occidentale. La croisade ne fit certainement
qu'amplifier le processus. Combien de catholiques, partis pieusement dans le berceau même du christianisme,
furent ébranlés par la découverte d'un christianisme qui leur apparut plus authentique, que celui qu'ils tenaient
pour véridique ? Les Chroniques médiévales ne peuvent pas nous le dire, mais elles nous le laissent penser.
Evervin de Steinfeld ne fabulait pas quand il rapportait : « ceux qui furent brûlés nous dirent, dans leur défense, que
cette hérésie était demeurée cachée jusqu'à nos jours depuis le temps des martyrs et qu'elle s'était maintenue en Grèce et en d'autres
terres »192.
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Cf. Galates 2 : 4.
Traduction Anne Brenon, op.cit. p. 53.
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