2- Les premières alertes
Pourtant des signes avant-coureurs auraient dû nous mettre en alerte, dès le concile d'ailleurs, à partir
du moment où Paul VI a fermé la porte à un certain nombre de questions réservées au Saint-Siège. Le
premier coup de tonnerre réellement inattendu a été Humanae Vitae, juste après les journées de mai
68. Ce fut un désastre pour beaucoup de nos militants chrétiens.
Les alertes ensuite n'ont cessé de se multiplier. Je les cite dans le désordre : les nominations des
évêques sans tenir compte de l'avis des gens en Allemagne, en Autriche, en Suisse (Mgr Haas n'a pas
pu entrer dans sa cathédrale pour sa consécration car le parvis était obstrué par des gens couchés par
terre), en Amérique latine, le démantèlement de l'Église de Hollande, les attaques contre la théologie de
la libération, les départs massifs de prêtres, la fermeture des petits puis des grands séminaires, la
reprise de la chasse aux sorcières contre les théologiens. En 1974 déjà, le Père Duperray, professeur à
l'Institut catholique de Lyon, nous disait : on peut encore parler, on ne peut plus écrire. Il y a eu le
schisme de Mgr Lefebvre, le mouvement des Silencieux dans l'Église auquel on peut rattacher le
groupement fondé par Gérard Soulages, Fidélité et Ouverture, qui a attiré un certain nombre d'anciens
du groupe Légaut, à commencer par Jacques Perret. Quelques-unes des vedettes du concile, des
théologiens pourtant renommés (Congar, Daniélou), semblent alors avoir troqué leurs convictions
contre un chapeau de cardinal… tandis que d'autres ont payé lourdement leur fidélité (Chenu).
3- Le côté positif
Mais l'espoir d'un renouveau de l'Église ne s'est pas effondré sans réaction. Dans le clergé, un certain
nombre de prêtres contestataires ont créé Échange et Dialogue qui a demandé, sans jamais l'obtenir,
un dialogue avec la hiérarchie sur des points sensibles comme le célibat des prêtres, la possiblité de
gagner sa vie sans être dépendants des dons des fidèles…
Il y a eu toute une série de synodes diocésains où des chrétiens se sont engagés à fond, avec sérieux et
compétence. Des propositons concrètes ont été votées qui sont restées lettres mortes par prudence ou
manque de courage de la part des évêques.
En octobre 72, les évêques ont apparemment fait un pas de géant en acceptant le pluralisme politique
pour les chrétiens qui désormais pouvaient adhérer au PC.
On a connu également un engouement pour les communautés nouvelles comprenant des prêtres et des
laïcs, des groupes informels autour d'un leader mais aussi les mouvements charismatiques, les focolari
et tant d'autres groupes. C'est aussi le lieu de rappeler le souvenir de Boquen, de l'Association
Internationale des chrétiens critiques qui a rassemblé à Vaise, à l'initiative d'Échange et Dialogue, les
17 et 18 novembre 73, plus de mille participants.
4- Le groupe Concertation
Vous devez penser que nous sommes très loin de Marcel Légaut et de son appel. Nous nous en
approchons cependant. En effet, pendant cette période, s'est créé un mouvement dont on a oublié
même le nom, sauf pour quelques anciens, les groupes Concertation dont la première rencontre
nationale a eu lieu à Paris le 16 novembre 1969 et qui a élu un bureau de dix membres, cinq prêtres et
cinq laïcs dont Guy Lecomte.
Denis Pelletier, dans son livre La crise catholique (Annexe 3, page 16), voit dans les groupes
Concertation «un des relais de l'expérience de Marcel Légaut dont Guy Lecomte est le disciple et
l'ami (…) Marcel Légaut est en quête d'un mode de vie communautaire qui emprunte en partie au
modèle monastique, en partie aux rencontres du Contadour de Jean Giono (…) Si Marcel Légaut
affirme avoir ignoré les événements de mai 68, l'essor des petites communautés projette son itinéraire
de solitaire sous les feux de l'actualité. Parus en 1970 et 1971, les deux ouvrages où il tire les leçons
de son expérience connaissent un succès inattendu. L'article qu'il a publié dans les Études en octobre
1970 sur la crise de l'Église a sans doute contribué à leur succès. Quel écho la pensée de Légaut
trouve-t-elle dans la génération 68 ? La réponse est double. D'une part, elle nourrit le versant spirituel
du mouvement communautaire (…) fondé sur la recherche intime de Jésus de Nazareth (…) D'autre
part, l'introspection spirituelle s'accompagne chez Légaut d'une critique souvent acerbe de l'Église
instituée, de ses théologiens et de son enseignement».
5- Le retour à l'ordre
Pendant vingt ans, Légaut ne cessera d'appeler à un renouveau de l'Église, d'abord dans ses grandes
conférences après la parution de ses livres, puis dans des articles où il reprend les mêmes idées, les
mêmes propositions pour une «Église de l'avenir», et tout particulièrement dans ses derniers livres :
Croire à l'Église de l'avenir (1985) et Un homme de foi et son Église (1988). Il a gardé jusqu'au bout
l'espérance que son Église déborderait largement une institution irréformable, sans être dupe des