Février 2013
Inversion des rôles en Amérique du Nord
Douglas Porter
Économiste en chef
Pour la première fois depuis 2004, le taux de croissance de l’économie américaine a été plus élevé que celui de
l’économie canadienne l’an dernier, et tout indique que l’écart s’élargira en 2013. Maintenant que le brouillard qui
enveloppait la scène budgétaire s’est en partie dissipé, qu’un dégel est survenu du côté des conditions de crédit et
que le redressement du secteur de l’habitation devient de plus en plus impressionnant à chaque jour qui passe,
l’économie américaine semble bien placée pour poursuivre son élan dans l’année à venir. Vers la fin de 2012, la
croissance du PIB des États-Unis a été freinée par l’ouragan Sandy, par l’incertitude résultant du mur budgétaire et
par le retour des charges sociales, mais elle devrait s’accélérer avant même le deuxième semestre. Même si nous
prévoyons un profil à peu près semblable pour le Canada, le rythme de croissance de l’économie canadienne
devrait être systématiquement inférieur à celui de l’économie américaine au cours de l’horizon prévisionnel.
Résultat : le taux de croissance de notre PIB par rapport à celui du PIB américain baissera après avoir monté
graduellement durant la dernière décennie.
La seule bonne nouvelle récente du côté canadien a été une croissance étonnante de l’emploi, en particulier à la fin
de l’an dernier, même si une partie des gains s’est transformée en pertes en janvier. Et pourtant, si on nivelle les
gains réalisés en matière d’emplois au quatrième trimestre, on constate que, même là, les États-Unis ont enregistré
de meilleures données qu’au Canada (même si ce fut le contraire pendant une longue période).
Demande refoulée
Les facteurs qui expliquent le renversement des rôles, au plan économique, entre le Canada (de meneur à suiveur)
et les États-Unis (de suiveur à meneur) ne sont pas difficiles à cerner. Nul doute que la différence la plus notable
tient à l’ampleur de la demande refoulée des articles à prix élevé. Pratiquement inexistante au Canada, la demande
refoulée est considérable aux États-Unis. Plus précisément, la situation complètement différente des deux marchés
de l’habitation explique à elle seule la plus grande partie de l’écart de croissance entre les deux économies. En fait,
l’événement majeur qui s’est produit sur la scène économique durant la dernière année a été le redressement très
attendu du marché immobilier résidentiel aux États-Unis. L’apport de la construction résidentielle à la croissance du
PIB américain au cours de la dernière année a été de 0,3 %, chiffre qui pourrait être surpassé en 2013.
Par ailleurs, la construction résidentielle au Canada devrait retrancher 0,2 % à la croissance du PIB cette année en
raison du recul d’au moins 10 % des ventes de maisons et des mises en chantier. La différence entre les deux
marchés de l’habitation représentera environ 70 % de l’écart de croissance entre les économies canadienne et
américaine en 2013. Elle coïncidera aussi avec l’inversion des rôles la plus manifeste entre les deux économies :
de 2006 à 2011, le taux de croissance du PIB au Canada a été de 0,6 % plus élevé qu’il ne l’a été chaque année,
en moyenne, aux États-Unis –, un écart entièrement attribuable à la différence entre les deux marchés de
l’habitation.
Le même scénario s’applique aussi, en grande partie, aux ventes de voitures : au Canada, elles approchent déjà
d’un sommet record, mais elles pourraient augmenter encore considérablement aux États-Unis. Dans la même
veine, les cycles de crédit des ménages empruntent maintenant des directions opposées dans les deux pays : au
Canada, le crédit diminue sensiblement, alors qu’il sort enfin de sa profonde torpeur aux États-Unis.
Prix des produits de base
Un autre facteur qui pèse sur la performance de l’économie canadienne est le contexte peu reluisant qui entoure
les prix des produits de base. Comme le prix du pétrole tourne autour de 100 $ le baril et que l’once d’or frise les
1 700 $, il est difficile d’imaginer que les prix de certains produits de base ne sont pas plus élevés maintenant qu’ils
l’étaient en 2005.
Février 2013
Dollar canadien
Outre les prix des produits de base qui languissent, les exportations ont été nettement gênées par la vigueur
constante du dollar canadien. Si l’on fait abstraction de l’atonie des prix des ressources et du déficit croissant de la
balance commerciale, le huard demeure fortifié par l’afflux de capitaux étrangers. Au cours des douze derniers
mois, l’afflux total net de capitaux s’est élevé à 93 milliards de dollars (plus de 5 % du PIB), un chiffre presque égal
à l’afflux robuste enregistré en 2011. De plus, la demande mondiale de produits canadiens a reculé au cours de la
dernière année à cause de la récession survenue en Europe et du refroidissement qui a affecté la plupart des pays
en développement. Cette combinaison de facteurs a fait reculer de 10 % les exportations canadiennes (et de près
de 7 % en termes de volume) dans les douze derniers mois; les ventes à l’extérieur des États-Unis ont été
particulièrement ternes. À l’opposé, les États-Unis ont ussi à augmenter d’un modeste 4 % leurs exportations
durant la dernière année.
En conclusion : En fait, cette inversion des rôles comporte une connotation positive – le rajeunissement graduel
de la croissance économique aux États-Unis et le retour en force du marché boursier américain, un thème qui
devrait se concrétiser tout au long de 2013.
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