Jason T. Roche, Janus Møller Jensen (ed.), The

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Francia­Recensio 2016/2
Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)
Jason T. Roche, Janus Møller Jensen (ed.), The Second Crusade. Holy War on the Periphery of Latin Christendom, Turnhout (Brepols) 2013, XII–338 p. (Outremer. Studies in the Crusades and the Latin East, 2), ISBN 978­2­503­
52327­9, EUR 75,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Michel Balard, Paris
Au cours des années 1146–1150, les affrontements entre islam et chrétienté et entre païens et chrétiens se produisirent dans trois régions différentes: la Terre sainte, la péninsule Ibérique et les pays baltiques. L’ouvrage collectif dirigé par Jason Roche et Janus Møller Jensen invite à se demander si ces différentes opérations contre les ennemis de la chrétienté peuvent être qualifiées de croisades et offrent toutes les caractéristiques de l’idéologie afférente, telle qu’elle s’est développée depuis la prédication du pape Urbain II à Clermont en novembre 1095. Après une longue et éclairante introduction de Jason Roche, l’ouvrage comporte trois parties. La première a trait à la seconde croisade proprement dite et à la guerre sainte; la seconde s’intéresse à l’impact de la croisade dans les zones périphériques de l’Europe; la troisième à la dilatation des frontières. Répartition quelque peu arbitraire, car en effet se distinguent dans l’ouvrage des études qui concernent l’idéologie et les faits de croisade au Proche­Orient, d’autres qui touchent aux expéditions en Baltique contre les Wendes ou contre les Finnois, d’autres enfin qui se rapportent aux conflits en péninsule Ibérique, soit à l’occasion de la prise de Lisbonne (21 octobre 1147), soit à celle de l’expédition catalano­génoise contre Almeria (octobre 1147) et Tortosa (décembre 1148).
Ces études partent de l’article fondateur de Giles Constable (1953) qui mettait en valeur le rôle central du pape Eugène III et de saint Bernard dans la genèse et l’élargissement des objectifs de la seconde croisade1: non plus une simple expédition de reconquête d’Édesse prise par Zengi en décembre 1144, mais une grande offensive chrétienne contre les ennemis du Christ, où qu’ils se trouvent. Dès lors, comme le suggère Jonathan Phillips en 20072, la prise de Lisbonne, celles d’Almeria et de Tortosa, aussi bien que les expéditions contre les Wendes en Baltique doivent être considérées comme des aspects de la seconde croisade. Cette thèse est remise en question par Jason Roche qui se propose d’éclairer l’impact des campagnes militaires sur les sociétés et les régions périphériques affectées par les prédications cisterciennes, en le replaçant dans un large contexte idéologique, chronologique, géopolitique et géographique, et en évoquant toute l’historiographie de la question, d’Alan Forey à Marcus Bull, et d’Aryeh Graboïs à Christopher Tyerman. Résumant les »croisades baltiques« et les »croisades ibériques« des années 1147–1149, Jason Roche conclut que même si les Danois, les 1
Gilles Constable, The Second Crusade as Seen by Contemporaries, dans: Traditio 9 (1953), p. 213–279.
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Jonathan Phillips, The Second Crusade. Extending the Frontiers of Christendom, New Haven 2007.
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Saxons, les Polonais et les Anglais ont été influencés par la prédication de saint Bernard et des cisterciens, il n’y eut jamais de plan d’une offensive générale chrétienne sur les trois fronts simultanément. La prédication pontificale de la guerre sainte et la promesse de l’indulgence accordée aux guerriers qui y prennent part sont le seul lien entre les campagnes menées en Syrie, en Espagne et dans les régions baltiques. Cette conclusion est­elle confirmée par les différents auteurs de l’ouvrage? Ane Bysted, en examinant deux lettres sur les thèmes de la croisade et de l’indulgence, montre que saint Bernard a lié l’indulgence de croisade au concept de jubilé, en faisant de la croisade un temps de grâce très spécial, une nouvelle année biblique de rémission des péchés, aussi bien pour ceux qui prennent la route de Jérusalem que pour les guerriers partant combattre les Wendes. L’»Historia Nicaena vel Antiochena«, un texte écrit vers 1145, permet à Deborah Gerish d’éclairer l’identité des premiers rois de Jérusalem, la fantastique cohésion chrétienne dans la croisade et la légitimité des gouvernants de Jérusalem, guidés par Dieu. Dans un second texte, Jason Roche critique les versions byzantines de la seconde croisade, telles qu’elles apparaissent dans les œuvres de Nicétas Choniatès et de Jean Kinnamos, inspirées par deux encomia (poèmes de louange) adressés par Manganeios Prodromos à Manuel Ier Comnène. Il démontre que si les propagandistes ont insisté sur les intentions hostiles des croisés et de leur chef, Conrad III, et sur l’indiscipline de l’armée germanique, l’attitude amicale du basileus envers le souverain du Saint­Empire dément l’hostilité affirmée par les chroniqueurs. En revanche, la funeste décision des chefs de la croisade d’attaquer Damas, jusque­là alliée des Francs, suscite la promotion et l’expansion du djihad anti­Franc, comme le montrent les œuvres d’Ibn Asakir, un Damascène proche de Nur al­Dîn, auteur de trois traités qu’analysent Suleiman Mourad et James Lindsay: le djihad est un devoir, sont récompensés ceux qui le pratiquent avec une foi solide et une pureté spirituelle, et sont punis ceux qui le négligent, tels sont les thèmes que diffuse avec succès Ibn Asakir. Après l’échec des souverains français et germanique en Terre sainte, deux princes nordiques, le comte d’Orkney Rognval Kale Kolsson et le noble norvégien Erling Skakke prennent le relais en 1151, en organisant une expédition maritime vers la Terre sainte qui, après avoir atteint Acre, rejoint Constantinople. Janus Møller Jensen rappelle à cette occasion que mainte saga scandinave est imprégnée de l’idéologie de la guerre sainte.
Mais peut­on pour autant parler de croisade à propos des guerres baltiques du milieu du XIIe siècle? En août 1147, en effet, deux armées de Saxons partent en guerre contre les Wendes, l’une, majoritairement Welf, menée par le duc de Saxe Henri le Lion, l’autre favorable aux Hohenstaufen par Albert l’Ours. Jay Lees rappelle qu’à Francfort, en novembre 1146, saint Bernard avait offert aux Saxons allant combattre contre les Wendes les mêmes avantages spirituels qu’aux guerriers se rendant à Jérusalem. Il avait ainsi inclus les pays slaves dans les objectifs de la guerre sainte à mener contre les ennemis de la chrétienté. L’auteur de l’article relève néanmoins que les Wendes étaient déjà en partie convertis et qu’en conséquence les motivations politiques des Danois, Saxons et Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
Polonais l’emportaient incontestablement sur les facteurs religieux. Il en est de même dans la »première croisade suédoise« contre les Finnois. Examinée par John Lind, l’expédition a été menée entre 1155 et 1157, plus pour gagner des terres que pour convertir un peuple déjà partiellement christianisé. Les lettres et la bulle »Gravis ad modum« du pape Alexandre III établissent néanmoins un lien idéologique entre cette campagne et la seconde croisade. Quant aux Polonais qui ont participé à la guerre contre les Wendes et contre les Prussiens, tout en envoyant un contingent en Terre sainte, ils ont, selon Darius von Güttner­Sporzynski, allié politique et motifs religieux, la dynastie des Piast ayant toujours manifesté un grand zèle pour la croisade.
Le 21 octobre 1147, une flotte de Flamands, de Rhénans et d’Anglais aidaient le roi de Portugal Alfonso Henriques à s’emparer de Lisbonne. L’événement a donné lieu à une abondante bibliographie qu’évoque Susan Edgington, en démontrant qu’il faut exclure toute préméditation de la part des croisés nordistes en partance pour la Terre sainte: ils ont simplement saisi une opportunité que leur offrait le roi du Portugal, en leur promettant des avantages politiques et commerciaux pour prix de leur aide lors du siège de la ville. Enfin, Luis Garcia Guijarro reprend l’ensemble de l’histoire de la Reconquista en Espagne, pour montrer que les expéditions de 1147–1148 contre Almeria et Tortosa sont menées à l’intérieur du contexte idéologique d’une guerre sainte ibérique et que la pratique de la croisade n’est qu’un élément secondaire d’une expansion chrétienne séculaire au détriment d’al­
Andalus.
Malgré quelques répétitions, en particulier à propos des »croisades« nordiques, la richesse de ces études est incontestable. Elles démontrent que la simultanéité des affrontements entre chrétiens, Sarrasins et païens au cours des années 1146–1150 ne répond pas à un plan systématique d’extension de la chrétienté, et que, dans chaque théâtre de conflit, les motivations des combattants peuvent allier une sincère recherche de salut et un espoir de profit matériel.
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