UNION EUROPEENNE – PROTECTION DES MEDICAMENTS – Développements récents de la jurisprudence de la Cour de Justice (décembre 2013) Note d’information du cabinet Simont Braun, avocats à Bruxelles (www.simontbraun.eu). A. Peut-on obtenir plusieurs certificats complémentaires de protection de médicaments à partir d’un seul brevet ? La Cour de justice se prononce. Entre le dépôt d’une demande de brevet pour un nouveau médicament et l’autorisation de mettre celui-ci sur le marché, il peut s’écouler une période assez longue. Ceci réduit de facto la protection effective conférée par le brevet. Le législateur européen a donc prévu un mécanisme de prolongation de la durée de protection, appelé le certificat complémentaire de protection (ci-après, CCP). Celui-ci ne vaut toutefois que pour le produit visé par le brevet, à savoir le principe actif ou la composition de principes actifs d’un médicament, et à condition que le médicament soit couvert par une autorisation de mise sur le marché (ci-après, AMM). En effet, cette extension de la protection ne peut s’étendre à des éléments non brevetés, et doit rester limitée à des applications médicamenteuses (puisque c’est le temps mis à délivrer une AMM qui justifie cette prolongation). Le législateur européen a estimé que titulaire d’un brevet et d’un tel certificat, devait pouvoir bénéficier au total de quinze années d’exclusivité au maximum à partir de la première AMM de son médicament (Règlement 469/2009 concernant les CCP, neuvième considérant). L’article 3 du Règlement 469/2009 du 6 mai 2009 précise les conditions à remplir afin d’obtenir un tel certificat. Ces conditions sont les suivantes : « a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur; b) le produit, en tant que médicament, a obtenu une autorisation de mise sur le marché en cours de validité […]; c) le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un certificat; d) l’autorisation mentionnée au point b) est la première autorisation de mise sur le marché du produit, en tant que médicament ». Dans la pratique, de délicates question d’interprétation de ce texte se posent fréquemment et alimentent un important contentieux devant la Cour européenne de justice, qui est chargée d’interpréter ces dispositions. Dans ce contexte, la Cour européenne de justice a rendu le 12 décembre 2013 deux arrêts concernant la délivrance de différents certificats sur la base d’un même brevet. Dans la première affaire (C-443/12 Actavis Group c. Sanofi), le brevet couvrait une famille de composés à laquelle appartient un principe actif hypertenseur, l’irbésartan. Le brevet visait également des compositions pharmaceutiques contenant l’irbésartan en 2 association avec un ou plusieurs autres composés, quant à eux non inventifs, et non nommément désignés dans le brevet. Le titulaire du brevet, Sanofi, avait obtenu deux CCP distincts. Le premier portait sur un médicament contenant l’irbésartan seul. L’autre portait sur un médicament combinant l’irbésartan et un diurétique ; toutefois, cette combinaison n’avait pas d’effet thérapeutique nouveau par rapport aux effets obtenus au moyen d’une administration séparée des deux principes actifs (l’irbésartan et le diurétique). En vue d’introduire sur le marché une version générique de ce deuxième médicament, un concurrent, Actavis, contesta dès lors la validité de ce second CCP devant les tribunaux anglais. Actavis arguait que ce second CCP n’était pas valable notamment parce que le produit protégé par le brevet, à savoir l’irbésartan, avait déjà fait l’objet d’un premier CCP délivré le 8 février 1999. Interrogée sur ce point par la High Court of Justice, la Cour de Justice de l’Union européenne a été sensible à l’argumentation d’Actavis. Lorsque, sur le fondement d’un brevet protégeant un principe actif novateur et d’une AMM d’un médicament contenant celui-ci en tant que principe actif unique, le titulaire de ce brevet a déjà obtenu, pour ce principe actif, un CCP lui permettant de s’opposer à l’utilisation dudit principe actif seul ou en combinaison avec d’autres principes actifs, l’article 3, c) du Règlement 469/2009 s’oppose à ce que, sur le fondement du même brevet, mais d’une AMM ultérieure d’un médicament différent contenant le ledit principe actif en composition avec un autre principe actif qui n’est pas, en tant que tel, protégé par le brevet, le titulaire du brevet obtienne un second CCP portant sur cette composition de principes actifs. Par conséquent, en pratique, le titulaire d’un brevet ne peut pas obtenir un CCP distinct à chaque fois qu’il met sur le marché un médicament contenant le principe actif protégé par son brevet en combinaison avec un autre principe actif non protégé par ledit brevet, et ce même si le brevet revendique également les compositions associant ce principe actif à d’autres substances. En effet, quelle que soit la portée large d’un tel brevet, au regard de telles combinaisons, le titulaire a déjà bénéficié pour ce médicament de l’octroi du premier CCP. En revanche, dans la deuxième affaire (C-484/12 – Georgetown University c. Octrooicentrum Nederland), la demande de brevet européen intitulé « vaccin contre le papillomavirus », revendiquait différents sous-types de protéines. Parmi les revendications de ce brevet figurait un vaccin comprenant au moins une protéine de papillomavirus humain parmi deux sous-types de protéines (HPV-16 ou HPV-18), ainsi que ces deux sous-types de protéines ensemble (HPV-16 et HPV-18). Sur la base de ce brevet et de différentes AMM pour différents médicaments composés de plusieurs de ces sous-types de protéines différentes, Georgetown University a introduit huit demandes de CCP en lien avec son brevet. Deux d’entre elles ont été acceptées, cinq sont encore en attente, et l’une d’elles a été rejetée. 3 Georgetown University a contesté ce refus devant le tribunal de La Haye, et ce dernier a demandé à la Cour de Justice si, lorsqu’un brevet de base en vigueur couvre plusieurs produits, un certificat pouvait être délivré au titulaire dudit brevet pour chaque produit protégé. Plus précisément : si sur le fondement d’un brevet de base et de l’AMM d’un médicament consistant en une combinaison de plusieurs principes actifs, le titulaire du brevet a obtenu un CCP couvrant cette combinaison de principes actifs, l’article 3 c) du Règlement 469/2009 sur les CCP s’oppose-t-il à ce que ce titulaire obtienne également un CCP pour l’un de ces principes actifs, qui, pris individuellement, est également protégé en tant que tel par le brevet ? La Cour de justice y a répondu par la négative : si, sur le fondement d’un brevet de base et de l’AMM d’un médicament consistant en une composition de plusieurs principes actifs, le titulaire de celui-ci a déjà obtenu un CCP pour cette composition de principes actifs protégée par le brevet, le règlement ne s’oppose pas à ce que ce titulaire obtienne également un certificat complémentaire de protection pour l’un de ces principes actifs, qui, pris individuellement, est également protégé en tant que tel par ledit brevet. En pratique, lorsqu’un brevet protège plusieurs produits distincts, il peut en principe donner lieu à autant de CCP couvrant chacun de ces produits distincts, pour autant toutefois que (i) chacun de ceux-ci, pris individuellement, soit à la fois protégé en tant que tel par le brevet et contenu dans un médicament disposant d’une AMM, et (ii) que ce produit n’ait pas déjà, en tant que tel, fait l’objet d’un CCP antérieur. En conclusion, si un brevet protège un seul produit au sens de l’article 1er du Règlement 469/2009 sur les CCP, un seul CCP pourra être délivré sur la base de ce brevet. En revanche, si le brevet protège des produits distincts, le titulaire du brevet pourra obtenir plusieurs CCP sur la base de ce seul brevet, à condition que chaque produit pour lequel un CCP est demandé soit protégé en tant que tel par le brevet et visé par une AMM distincte. En revanche, quant à savoir quels sont les éléments précis permettant d’affirmer qu’un produit est protégé en tant que tel par le brevet, la question reste délicate bien que la Cour ait encore rendu un arrêt à ce sujet le 12 décembre 2013 également. B. Quand un produit peut-il être considéré comme couvert par le brevet pour donner lieu à un certificat complémentaire de protection ? Une question qui reste délicate. Le CCP ne couvre que le « produit » protégé par le brevet, à savoir le principe actif ou la combinaison de principes actifs d’un médicament, principe ou combinaison qui est protégé en tant que tel par le brevet. 4 La notion de produit n’est cependant pas toujours aisée à définir et fait régulièrement l’objet de questions préjudicielles devant la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour s’est une nouvelle fois prononcée à ce sujet dans un arrêt du 12 décembre 2013 (C-493/12, Eli Lilly and Company Ltd. C. Human Genome Sciences Inc.). Cette affaire concernait un brevet de la société HGS portant sur une nouvelle protéine, la neutrokine alpha. Le brevet revendique notamment cette protéine, mais aussi des anticorps qui se lient spécifiquement à cette protéine. Eli Lilly, un concurrent de HGS, souhaitait commercialiser une composition pharmaceutique contenant comme principe actif un anticorps (LY2127399) qui se lie spécifiquement à la neutrokine alpha, protégée par le brevet de HGS. Eli Lilly a dès lors contesté la validité de tout CCP ayant pour base légale le brevet de HGS et qui serait fondé sur une AMM d’un médicament contenant le LY2127399. Eli Lilly a fait valoir que cet anticorps LY2127399 n’était pas couvert par un «brevet de base» au sens de l’article 3 du règlement n° 469/2009 sur les CCP, dans la mesure où, selon elle, la revendication concernée du brevet de HGS est rédigée de manière trop large pour que ledit anticorps puisse être considéré comme étant mentionné dans le libellé des revendications dudit brevet. En effet, selon Eli Lilly, pour pouvoir servir de base à la délivrance d’un CCP, le brevet de HGS aurait dû contenir une définition structurelle de principes actifs et les revendications auraient dû présenter un degré significativement plus élevé de spécificités, par exemple en définissant l’anticorps en fonction de sa séquence d’acides aminés. Dans ces conditions, la High Court of Justice a interrogé la Cour notamment quant aux critères permettant de déterminer si un produit est protégé par un brevet de base en vigueur au sens du règlement, et quant à la manière dont les anticorps doivent être définis dans les revendications du brevet pour être protégés en tant que tels par ledit brevet. La Cour avait déjà auparavant souligné le rôle essentiel des revendications du brevet aux fins de déterminer si un produit était protégé par un brevet de base au sens du règlement (voy. CJUE, 24 novembre 2011, C-322/10, Medeva, point 25). Dans cette affaire-ci, la Cour a précisé que, pour pouvoir considérer qu’un principe actif est «protégé par un brevet de base en vigueur», il n’est pas nécessaire que le principe actif soit mentionné dans les revendications de ce brevet au moyen d’une formule structurelle, ainsi que le soutenait Eli Lilly. Un CCP peut ainsi être délivré pour un principe actif couvert par une formule fonctionnelle figurant dans les revendications d’un brevet, à la condition toutefois que, sur la base de telles revendications, interprétées notamment à la lumière de la description de l’invention, il soit possible de conclure que ces revendications visaient, 5 implicitement mais nécessairement, le principe actif en cause, et ce de manière spécifique. Le critère retenu par la Cour de justice en l’espèce afin de déterminer si un produit peut être protégé par un CCP, est donc le fait que les revendications du brevet visent, implicitement mais nécessairement, le principe actif en cause. Ce critère risque de mener à des difficultés d’interprétation, et les applications concrètes de cet arrêt semblent incertaines. En effet, la jurisprudence de la Cour de Justice concernant la notion de « produit » au sens du règlement 469/2009 sur les CCP ne permet malheureusement pas encore d’appliquer cette notion de façon précise et non équivoque. F. De Visscher, E. De Gryse et A. Delheid. Mars 2014