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compétence du neurologue, de l’anatomo-physiologiste, du phonéticien, du pho-
nologue, du psychologue, ou de l’orthophoniste-logopède supposé avoir intégré
les connaissances utiles des uns et des autres ?
N’est-il pas interpellant de constater avec quelle aisance, la grande majorité des
enfants, sur base de dispositions innées (de quelle nature ?), acquièrent si natu-
rellement les ensembles complexes de mouvements (et les ensembles d’en-
sembles complexes !) sous-jacents à la production de phonèmes dont la plupart,
parce qu’ils sont intra-buccaux, offrent peu d’indices de nature proprement mus-
culo-articulatoire. Quelle réalité recèle la fameuse notion de « boucle audio-
phonatoire » ? Qu’est-ce qui, profondément ancré en nous, autorise si aisément
l’établissement de l’association étroite entre l’image auditive d’un phonème (ou
d’un groupe de phonèmes) et l’appropriation de son schéma proprioceptif et
kinesthésique ?
Pourquoi, par contre, certains enfants éprouvent-ils tant de difficultés à acquérir
les consonnes, même celles supposées (!) les plus faciles par le fait qu’elles
offrent des points de repère visuels (occlusion et désocclusion bilabiales,
constriction labio-dentale, par exemple) ? Quels niveaux de désorganisation
reflètent, dans le champ de la pathologie adulte, les expressions « anarthrie »
(pure), désintégration phonétique, dysarthrie, « apraxie verbale ». Est-il tou-
jours aisé de distinguer, dans les aphasies de Broca (souvent dites « motrices »)
ce qui relève du désordre phonologique (« pré-moteur ») ou du désordre moteur
(« post-phonologique ») ? Quelle est la frontière exacte - si elle existe - entre
les troubles dits de programmation et d’exécution phono-articulatoires ? Pour-
quoi, question délicate (!), bon nombre de candidats orthophonistes-logopèdes
éprouvent-ils tant de mal à ressentir leur schéma corporel buccal ?
Pourquoi, régulièrement dans la littérature, les mots « constrictive » et « frica-
tive », ou « occlusive » et « explosive », et bien d’autres encore (comme spi-
rante, sonante, liquide, glide, etc.), sont-ils allègrement confondus ou définis
différemment selon les auteurs ?
Toutes ces questions passionnantes n’épuisent pas l’éventail des interrogations
auxquelles est souvent confronté l’orthophoniste-logopède. Paradoxalement, si
l’orthophoniste est encore largement perçu par le grand public comme étant
d’abord le spécialiste des défauts de « prononciation » (Le Petit Larousse,
Grand Format, 2005), il nous faut bien constater que cette expertise spécifique
qui s’est nourrie du savoir-faire inhérent à la pratique orthophonique/logopé-
dique quotidienne, ne repose pas encore, du moins dans l’espace francophone,
sur un large corpus étayé de savoirs et d’expériences complémentaires visant à
l’émergence d’un cadre théorique plus ou moins unifié.