La presse a révélé, au début du mois précédent, que le ministère français de l’économie
et des finances avait été visé par des pirates qui seraient parvenus à pénétrer son système
informatique. D’après le journal Libération, qui s’appuie sur une source du ministère
de l’intérieur, le Quai d’Orsay et l’Elysée auraient également été victimes d’intrusions
informatiques à grande échelle, de même que certains réseaux européens. Ces attaques
seraient liées aux sommets du G8 et du G20 présidés par la France en 2011. Les
hackers auraient ainsi pu consulter des documents liés à la préparation des réunions
du G20 à Cannes et du G8 à Deauville. Les accusations se sont rapidement portées
sur des groupes de pirates comme Anonymous mais aussi sur des hackers manipulés par
les services chinois. Ces allégations donnent une idée de la perception des nouvelles
menaces ou des nouveaux défis de sécurité en provenance de la République populaire
de Chine pour la sécurité de notre pays.
La Chine n’est pas l’ennemi de la France, mais la montée de la puissance militaire
chinoise intrigue quand elle n’inquiète pas. Notre pays ne peut qu’être très attentif à
l’émergence technologique et militaire de la Chine qui suit logiquement son dévelop-
pement économique rapide. Le niveau de notre coopération potentielle s’en ressent, à
raison quand il s’agit de protéger nos savoirs faire et d’éviter des transferts de
compétences dommageables, à tort quand cela dissuade d’envisager toutes formes de
coopération opérationnelle et d’échanges militaires qui pourraient pourtant être utiles
à une meilleure connaissance mutuelle et à des actions positives menées en commun,
par exemple dans la lutte contre la piraterie. Mais quelle est donc aujourd’hui
l’évolution de la doctrine de défense de la Chine ? A quoi correspondent les moyens
militaires actuels de l’Empire du Milieu ? Cette note tente de répondre à ces questions.
Elle cherche à évaluer le phénomène de croissance de la puissance militaire chinoise
tout en évitant de céder au piège intellectuel de la « construction d’une menace ».
Louis Gautier
Président d’Orion - Observatoire de la défense
N°12 - Fondation Jean-Jaurès / Orion - Observatoire de la défense - 11 mai 2011 - page 1
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Roger Hauteville*
* Haut fonctionnaire,
spécialiste des questions
de défense
La puissance
stratégique
et militaire
chinoise
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La puissance
stratégique
et militaire
chinoise
ès le début des combats en Libye, la République populaire de Chine a fait
montre de ses nouvelles capacités militaires en évacuant près de 36 000
de ses ressortissants du pays. Cette opération, qui a vu pour la première
fois un navire de guerre chinois, la frégate lance-missiles Xuzhou, opérer en
Méditerranée, est symbolique de l’évolution de la puissance militaire chinoise et de
ses orientations stratégiques.
La puissance d’un Etat peut être en soi perçue comme une menace, du simple fait
de ses capacités de coercition (un matériel militaire moderne, une stratégie et une
doctrine d’emploi des forces élaborées, avec des exercices interarmées fréquents et
adaptés à différents types de scénarios, une organisation du renseignement efficace).
Mais cette menace ne prend forme qu’en fonction des intentions des dirigeants
politiques et des responsables militaires de faire usage de cette force. Telle est bien
la problématique de l’évolution de la puissance chinoise. Quelles sont donc les
intentions stratégiques de la République populaire de Chine ?
D’UNE ARMEE REVOLUTIONNAIRE A UNE ARMEE MODERNE
Les évolutions des moyens et doctrines
La République populaire est aujourd’hui la deuxième puissance économique
mondiale et, depuis 2010, la première puissance manufacturière, devant les Etats-
Unis avec 19,8 % de la production globale. Ce développement économique a eu
pour corollaire une hausse moyenne annuelle comprise entre 10 % et 15 % de son
budget de la défense depuis 1990. Pour 2011, la hausse serait de 12,7%, le budget
s’établissant à 65,6 milliards d’euros. Celui-ci aurait ainsi augmenté de près de
500 % depuis 2000. Si la structure bicéphale et complexe de l’armée chinoise,
organisée autour des structures du Parti Communiste Chinois (PCC) et du
gouvernement, rend l’évaluation des budgets et de leur ventilation difficile et source
à débats (les estimations varient parfois du simple au double), la progression forte et
constante au cours des vingt dernières années ne fait aucun doute. L’augmentation
des capacités militaires chinoises dans de nombreux domaines est réelle et la
doctrine exposée dans leur Livre Blanc donne quelques indications sur leurs
hypothèses d’emploi1.
D
1. Le Pentagone, dans son rapport annuel 2010 aux parlementaires américains tente ainsi de mesurer les forces
chinoises et leurs objectifs stratégiques derrière la politique de modernisation.
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La puissance
stratégique
et militaire
chinoise
La première étape de cette modernisation a été lancée par Deng Xiaoping en 19782.
Les objectifs de l’armée populaire de libération (APL) étaient auparavant
principalement limités à la sécurisation de l’intégrité du territoire et au
développement de capacités permettant d’envahir puis d’occuper Taïwan. On était
encore dans le contexte de la « révolution culturelle » et de 1966 à 1976, le monde
militaire chinois restait marqué par la stratégie maoïste, qui accordait beaucoup
d’importance à la guérilla. Rompant progressivement avec cette culture de
mobilisation générale de la population dans le cadre d’une « guerre du peuple »,
l’APL commence à se professionnaliser et à être pensée pour des opérations de
projection de puissance loin des côtes chinoises. La première guerre du Golfe
renforcera cette réorientation stratégique, de même que les enseignements tirés des
conflits dans les Balkans, en Irak puis en Afghanistan.
L’APL se réforme ainsi en une armée plus moderne : il s’agit d’avoir des forces
capables d’être projetées aux frontières de la Chine ou dans son voisinage, avec un
armement de haute technologie. L’objectif stratégique devient celui de « gagner un
conflit local dans les conditions de la guerre de l’information et de haute technologie ».
Mais le concept stratégique dominant de la Chine reste celui de « l’émergence
pacifique » et les autorités parlent d’une stratégie « défensive par nature ».
Le périmètre de la puissance militaire chinoise s’est néanmoins élargi, la stratégie
militaire incluant désormais des éléments financiers et sociaux, mais aussi les
nouvelles technologies de l’information et de la communication3. La politique
militaire chinoise prend en compte de nouvelles priorités : la logique de précision
des frappes, l’intégration interarmes et interarmées, la mise en place de systèmes
C4ISR4efficaces, la projection des forces. L’APL est devenue active dans la lutte
contre le terrorisme ou la piraterie. Elle participe désormais à des opérations
humanitaires et de maintien de la paix dans un cadre multilatéral (par exemple au
Soudan en 2006, mais aussi au Libéria ou en République Démocratique du Congo).
Ainsi, le Général Chen Youyi, Directeur du Département des Opérations de
Maintien de la Paix au ministère de la Défense chinois, écrivait-il en octobre 2010,
2. En décembre 1978, Deng ouvre formellement l’ère des réformes en annonçant « quatre modernisations » qui
devaient faire de la Chine une des grandes puissances : l’agriculture, l’industrie, la science et les forces armées.
3. Comme en atteste l’ouvrage de deux anciens colonels, Qiao Liang et Wang Xiangsui, intitulé « La guerre hors
limites ».
4. C4ISR est un sigle emprunté au vocabulaire militaire et qui fait rérence à un ensemble de fonctions qui
rentrent dans le cadre de la coordination des opérations. En l’occurrence : Computerized Command, Control,
Communications, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance. Le système comptait avant 2007 un 4e« C » mais
par souci de facilité, le sigle est resté inchangé.
N°12 - Fondation Jean-Jaurès / Orion - Observatoire de la défense - 11 mai 2011 - page
évoquant les 16 000 soldats chinois qui ont déjà participé à des missions de maintien
de la paix : « Les forces armées ne devraient être utilisées que pour le maintien de
la paix, d’un certain ordre et d’une harmonie entre Etats. Les forces armées chinoises
garderont toujours à l’esprit qu’elles ont une mission historique de maintien de la
paix dans le monde et de promotion du développement, de défense des buts et
principes de la Charte des Nations Unies ».
Un renforcement des capacités de projection
Le renforcement des capacités de projection chinoises s’appuie sur deux orientations :
- la cyberguerre et les moyens antisatellites d’une part, avec pour objectif d’être
capable de paralyser ou d’aveugler tous les systèmes de surveillance, de communi-
cation et de ciblage de l’adversaire potentiel. Avec cet objectif, la Chine cherche
un avantage asymétrique en développant des moyens capables de frapper les
points faibles d’un adversaire plus puissant. Le développement de son programme
spatial, dont l’apogée fut la mise en orbite du premier taïkonaute en 2003, s’inscrit
dans cette stratégie. Tous les éléments à la fois de stratégie air et mer sont
développés5.
- La croissance et la modernisation de la marine d’autre part, priorité très affire6.
Le projet de construction d’un porte-avions, la multiplication du nombre des sous-
marins (plus de 65) et la modernisation de la base d’Hainan en témoignent7. La
Chine met aussi l’accent sur les capacités anti-aériennes et anti-sous-marines de
sa flotte de surface. En 2020, la détention de deux porte-avions semble être un
objectif considéré comme suffisant par Pékin. A cet horizon, la flotte de l’Est
pourrait disposer de 120 avions modernes et celle du Sud d’une centaine d’avions
capables d’être ravitaillés en vol. Dans le dispositif aéronaval chinois, les destroyers
continueront d’occuper une place centrale. Six nouveaux sous-marins nucléaires
devraient en outre être mis en chantier dans les dix prochaines années, afin de
compléter un ensemble d’environ 40 sous-marins conventionnels modernes aux
alentours de 2020. Les missiles balistiques antinavires pourraient être opéra-
4
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La puissance
stratégique
et militaire
chinoise
5. Ainsi que le détaille l’article « Sizing Up China’s Military Capabilities », Richard D.Fisher et Bill Sweetman,
Aviation Week, 5 avril 2011.
6. Voir la note de mars 2011 “China’s Sea Power, Reaching Out To The Blue Waters », de China Analysis, par
l’Asia Centre et l’European Council on Foreign Relations, avec les contributions de François Godement,
Mathieu Duchâtel, Alexandre Sheldon-Duplaix.
7. Jiang Yu, dans un récent article de juillet 2010 « China’s Naval Equipment by 2020 » évoque cette
modernisation dont le but est de permettre à la Chine de projeter et d’engager des forces loin des eaux
chinoises.
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tionnels à l’horizon de cinq à sept ans. L’objectif principal de la Chine est de
pouvoir repousser un adversaire quel qu’il soit au-delà de la première chaîne d’îles8
en cas de conflit.
Une stratégie axée autour de deux préoccupations de sécurité
La Chine axe ses efforts sur deux préoccupations de sécurité. D’abord la question de
l’unité de la Chine et de l’intégrité territoriale, qui reste centrale. L’objectif premier
reste de dissuader tout ce qui va dans le sens de la séparation et de la consolidation
de Taïwan (la coopération militaire Etats-Unis/Chine a ainsi été arrêtée début 2010
à la suite de l’annonce de ventes d’armes à Taïwan, marquant la grande sensibilité de
ce dossier malgré les progrès politiques). La Chine, en dépit de son renforcement
militaire actuel, n’est toujours pas en mesure d’envahir et de contrôler le territoire de
Taïwan en cas de déclaration d’indépendance de celui-ci, ce qui constituerait pour
elle un scenario catastrophe. Une escalade au sujet de Taïwan ferait perdre tous les
acteurs de cet enjeu.
Outre Taïwan, la volonté de contrôle des mers de Chine du Sud est également
essentielle pour comprendre la montée de la puissance maritime chinoise. Les
revendications dans cette zone sont fortement concentrées autour du sort des îles
Spratley et Paracel. Depuis 2009, Pékin oppose une posture autoritaire aux
revendications du Vietnam et des Philippines sur ces îles désignées comme «
intérêts vitaux » : revendication de souveraineté auprès du Secrétaire Général de
l’ONU, interdiction unilatérale de pêche dans cette zone, grand exercice militaire de
2010 et accroissement du nombre de patrouilles. Bien qu’elles ne représentent
qu’une surface relativement faible (5km2pour les Paracel), la souveraineté sur ces
territoires donnerait accès à de possibles réserves d’hydrocarbures et à une riche
zone de pêche. Surtout, elle permet d’assurer la suprématie militaire sur la zone de
la mer de Chine.
On rejoint là, la seconde préoccupation de sécurité majeure de la Chine : la logique
de sécurisation des Sea Lanes of Communications, autrement appelée stratégie du
« collier de perles ». Cette stratégie consiste pour la Chine à protéger ses voies
d’approvisionnement en matières premières et produits alimentaires (alors que près
de 80 % de ses approvisionnements se font par voie maritime) et à s’assurer d’une
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La puissance
stratégique
et militaire
chinoise
8. C’est à dire les îles de Kyushu, Ryükyü, Taiwan, les Philippines et les Célèbes (Sulawesi).
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