Les Liaisons dangereuses
Le théâtre
est pour moi
un compagnonnage.
C'est une idée
politique, une
philosophie de vie.
Christine Letailleur
Les Liaisons dangereuses
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saison 15-16
TNS
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Saison 15-16
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Christine Letailleur
entretien
Quel a été le point de départ de ton désir d’adapter
Les Liaisons dangereuses ?
J’ai une attirance particulière pour les écrivains
du XVIIIe siècle. J’avais déjà adapté La Philosophie
dans le boudoir de Sade, que nous avions d’ailleurs
présenté au TNS en 2008 − Stanislas Nordey et Valé-
rie Lang y jouaient deux libertins. Je voulais revenir
à cette langue du XVIIIe pour son intelligence, son
ranement. J'aime l'esprit de l'époque, son côté cri-
tique, ses utopies, sa foi en la raison pour éclairer le
monde et les hommes, pour lutter contre les préju-
gés de tous ordres. J'ai lu Les Liaisons dangereuses
lorsque j'étais au lycée, et puis, quand j'avais une
vingtaine d'années, avec des copains, je me suis
amusée à travailler le texte et à le monter. C’est
un roman qui m’a toujours accompagnée et qui
exerce chez moi une certaine fascination.
Laclos a vraiment un parcours étonnant. Il n’était
pas destiné à écrire. C’est un militaire. Les Liaisons
dangereuses est son unique roman. Quand il paraît
en 1782, c’est à la fois un succès et un scandale.
Cette correspondance − les cent soixante-quinze
lettres qui le composent − a sidéré ses lecteurs :
on a beau savoir en lisant qu’il s’agit d’une fiction,
on y croit. Ce livre joue avec tous nos paradoxes.
Le couple Merteuil/Valmont manipule, détruit…
et pourtant, on ne peut pas ne pas les aimer. Au
fil des pages, on a envie de les retrouver, je dirais
de « les entendre », parce qu’il y a une jouissance
de la langue. J’aime me plonger dans la construc-
tion labyrinthique du roman, me pencher sur ses
phrases, ses mots, sa ponctuation même.
J’avais l’idée de l’adapter mais je n’avais pas com-
mencé à y travailler concrètement. C’est ma ren-
contre avec Dominique Blanc qui a été le déclen-
cheur.
Dominique est une actrice avec laquelle j'avais
envie de travailler. Je l’avais découverte dans Le
Mariage de Figaro mis en scène par Jean-Pierre
Vincent, en 1987, au Théâtre national de Chaillot,
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« J’aime me
plonger dans
la construction
labyrinthique
du roman, me
pencher sur ses
phrases, ses mots,
sa ponctuation
même. »
elle m'avait marquée. J’avais été enchantée par
ce spectacle et par Dominique, sa présence, son
intelligence du texte, sa voix si limpide. À partir de
là, je l’ai suivie, quand j'ai pu, dans son parcours
d’actrice. Je rêvais de travailler un jour avec elle.
Nous nous sommes rencontrées et quand elle m'a
donné son accord pour interpréter Merteuil, j’ai pu
véritablement me mettre au travail d’adaptation
de la pièce. Je pouvais donner un corps et une voix
à Merteuil. J’ai commencé aussi à rêver au couple
Valmont/Merteuil et quand Dominique m'a dit que
Vincent Perez avait envie de revenir au théâtre, je
l'ai tout de suite imaginé en Valmont. J’avais vu
Vincent dans Hamlet monté par Patrice Chéreau
[créé en 1988 au Festival d’Avignon puis repris au
Théâtre Nanterre-Amandiers], et au cinéma dans
plusieurs films dont La Reine Margot et Ceux qui
m’aiment prendront le train de Chéreau également.
Vincent a la stature de Valmont, un pouvoir de
séduction et un charisme certain.
Je voulais aussi, avec ces deux interprètes, raconter
une histoire de théâtre, celles des années Chéreau.
Je fréquentais assidûment le Théâtre Nanterre-
Amandiers quand il en était directeur [1982-1990],
je voyais également les travaux des élèves de
l’École ; c’était un artiste que j’admirais, il a marqué
plusieurs générations de metteurs en scène et
notamment la mienne.
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Concernant le reste de la distribution, je retrouve Julie
Duchaussoy et Manuel Garcie-Kilian que j’ai connus à
l’école du Théâtre National de Bretagne, et qui, depuis
leur sortie, m’accompagnent sur certains de mes
spectacles. Ils interprètent respectivement les rôles de
Mme de Tourvel et du chevalier Danceny. Je retrouve
également Richard Sammut avec lequel j’ai travaillé
sur Hinkemann de Toller [créé la saison dernière], il
jouera Azolan, le chasseur de Valmont, personnage
populaire dans la veine de Sganarelle ; Guy Prévost
et Stéphanie Cosserat, qui ont travaillé avec moi
notamment sur Pasteur Ephraïm Magnus de Hans
Henny Jahnn et La Philosophie dans le boudoir de
Sade, incarnent des figures d’époque : un curé et
une courtisane. Quant à Fanny Blondeau, la petite
Cécile de Volanges dans la pièce, elle sort tout droit du
Conservatoire de Liège, c’est son premier spectacle ;
Véronique Willemaears est une comédienne que j’ai
rencontrée par le Théâtre de Liège, elle interprète
sa mère, Mme de Volanges. Karen Rencurel est une
comédienne que j’avais vue jouer à La Colline, elle
incarne la tante de Valmont, Mme de Rosemonde.
Comment bâtis-tu ton adaptation ?
Je reste au plus près de la fable, de l’intrigue, de
l'action. Il ne s’agit pas d’une « réécriture ». Mais je
dois bien sûr faire des choix, établir des principes
de narration, imaginer le « comment » avec les
outils du théâtre. Ce qui m'intéresse, c'est d'extraire
le théâtre − le roman en transpire − et de composer
une pièce avec des dialogues tout en restant au
plus proche de la langue et de l'esprit de Laclos.
Est-ce que tu écris en songeant au plateau ? As-tu
déjà une idée de ce que sera l’espace, par exemple ?
Ou les costumes ?
J'ai tout de suite vu le décor, ses escaliers, son
balcon, son étage, avant même d'adapter. Il faut
dire que je connaissais bien le texte. Ici, l’espace
renvoie à ce qu’est le texte à mon sens : un univers
cérébral plus que réaliste. Laclos était un militaire
de carrière. Dans le roman, à part deux moments
− celui avec la prostituée, Émilie, et celui avec Cécile
de Volanges lorsqu'elle est déniaisée −, il n'y a pas
de scènes libertines, tout passe par les mots et le
plaisir du dire, de se raconter. Dans le roman, il y
a très peu de descriptions des lieux, tout comme
il n'y a d'ailleurs pas de descriptions physiques
précises des personnages. Disons qu'il y a une
certaine abstraction. Le décor doit permettre
cette abstraction en gardant un côté forteresse. Le
plateau est nu. C’est le corps de l’acteur en costume
qui remplit l’espace.
En ce qui concerne les costumes, ils rappellent
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