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Transcription de la 533e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 20 juin 2004
Un regard vers le futur
Luciano Maiani
Le sujet de cet exposé concerne la relation profonde liant la structure de la matière (les
particules élémentaires) et les phénomènes à grande échelle se déroulant dans l’univers.
L’idée même de ce lien a été l’une des idées les plus fructueuses de notre passé moderne et il
est surprenant de la retrouver clairement exprimée par les philosophes anciens et les artistes.
Nous, humains, d’environ 200cm, nous plaçons entre la terre (un million de fois plus grande),
le soleil, la galaxie, les amas de galaxies, le fond cosmique. Ce dernier est l’horizon le plus
lointain que nous puissions voir : il se trouve à 10 milliards d’années lumière, c’est à dire
1028cm. D’autres choses se trouvent derrière ce ciel, mais ne sont détectables qu’avec des
télescopes sensibles à d’autres particules que les photons. De l’autre coté de l’échelle se
trouvent l’atome -10-8cm, soit environ un Angstrom- le noyau -100 000 fois plus petit- et
enfin les particules élémentaires, qui sont produites par des accélérateurs de particules
puissants, comme le LHC en construction au CERN (Centre Européen de la Recherche
Nucléaire), où ont été découverts les bosons W et Z0 qui sont les particules médiatrices des
interactions faibles. Après les particules élémentaires se trouve le domaine des frontières, 10-
17cm. Cependant, les phénomènes qui ont accompagné les fluctuations primordiales des
premiers instants de l’univers se trouvent encore au delà de ce domaine.
Un premier exemple : l’énergie du soleil
La question très simple de l’origine de l’énergie du soleil permet immédiatement
d’appréhender les relations entre phénomènes à très petite et très grande échelle. La question
s’est posée à la fin du XIXème siècle. A cette époque la seule solution envisageable est la
contraction gravitationnelle, au cours de laquelle l’énergie potentielle est convertie en
agitation thermique, c'est-à-dire en chaleur. Lord Kelvin a fait des calculs mathématiques et
conclu à une durée de vie très courte du soleil de l’ordre de 10 ou 100 millions d’années. Au
même moment, Darwin pouvait déjà conclure, sur la base de l’observation des structures
biologiques et géologiques, que la Terre avait plus d’un milliard d’années. Nous savons
maintenant que la résolution de ce paradoxe se trouve dans le domaine de l’infiniment petit :
ce sont les réactions nucléaires avec la fusion des protons en hélium avec production de
particules (2 positrons, 2 neutrinos et de l’énergie) qui ont beaucoup plus d’énergie. Ce
processus permet au soleil d’avoir une vie qui se mesure en milliards d’années, et donc la vie
sur terre. La chaleur de la Terre provient, quant à elle aussi, en partie de la radioactivité de la
croûte terrestre. C’est donc la connaissance de phénomènes physiques microscopiques qui a
apporté la solution à un problème macroscopique. Dès les années 1930, un modèle complet du
fonctionnement des planètes et des étoiles élaboré par Hans Bethe est disponible. Elle établit
un lien solide entre les données expérimentales obtenues précédemment (la mise en évidence
des neutrinos) et le fonctionnement des étoiles. Contrairement à l’exemple du siècle
précédent, c’est la connaissance de la chaleur produite par le soleil, et la découverte qu’il y
avait moins de neutrinos qu’attendus qui a permis de réaliser que les neutrinos changent de
nature pendant le voyage et a permis d’établir le phénomène d’oscillations des neutrinos.
Aujourd’hui la nouvelle frontière de ce domaine de la physique est représentée par les
faisceaux de neutrinos à longue portée. Un de ces appareils a été construit au CERN, en
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Suisse et Gran Sasso près de Rome. Il s’agit d’un très long tunnel, à l’entrée duquel un
faisceau produit des protons, qui passent par un tuyau de désintégration. Les particules
produites voyagent ensuite dans le vide, avant d’être toutes filtrées, à part les neutrinos. Ces
particules sont ensuite détectées à l’arrivée, ce qui permet de mesurer les changements
qu’elles ont subis au cours de leur voyage.
La connexion cosmique
Les relations entre les particules élémentaires et la structure de l’univers ont commencé à être
élucidées à partir de la deuxième moitié du XXème siècle. A cette époque on s’est aperçu que
les collisions produites par les rayons cosmiques produisaient des molécules qui n’étaient pas
dans la chaîne de division de la matière, en unités toujours plus petites. C’étaient des muons.
Pour comprendre leur rôle dans la nature, des accélérateurs ont été construits pour les recréer
en laboratoire. C’est à cette occasion que l’Europe a fondé un laboratoire international : le
CERN, qui se trouve aujourd’hui à l’avant-garde de la recherche en physique des particules.
Cela a permis une découverte extraordinaire : les particules que l’on considérait comme
élémentaires il y a cinquante ans se sont révélés être composés de quarks, particules
élémentaires dont il existe six types différents. Le proton et le neutron sont chacun composés
de trois quarks, le premier de deux quarks appelés up et d’un appelé down, et le second
composé inversement de deux quarks down et d’un up. Toutes les autres particules sensibles
aux forces nucléaires sont constituées par ce type de particules. Par exemple la particule
responsable des interactions fortes entre protons et neutrons, le pion, est composée d’un quark
et d’un antiquark. En vingt ans, on a compris qu’il existait très peu de forces :
- La force de gravité, transmise par une particule non encore observée, le graviton
- La force électromagnétique, transmise par le photon
- La force nucléaire (ou interactions fortes) transmise par les gluons, que l’on ne peut
pas observer à l’état libre
- Les interactions faibles, transmises par les bosons W et Z0
- Une autre force mystérieuse, mal connue, dont on pense qu’elle est responsable des
masses des particules, transmise par le boson de Higgs.
Cette théorie, appelée le modèle standard, développée dans les années 1970, permet de décrire
des phénomènes physiques jusqu’à l’échelle de masse du boson W, c'est-à-dire 10-17cm.
Au même moment de la découverte du muon se produisait un développement dramatique de
la cosmologie. Hubble avait découvert que les galaxies s’éloignent de nous avec une vitesse
proportionnelle à leur distance par une constante, dénommée H, constante de Hubble. En
1948 Gamow et Herman proposent la théorie du Big Bang, c'est-à-dire une origine de
l’univers commençant il y a environ 10 milliards d’années par une grande explosion. Cette
théorie a été confirmée en 1964 par Wilson qui a pu observer ce qui restait de cette boule de
feu primordiale : la radiation du fond cosmique. Cette origine de l’univers lie naturellement
les événements micro et macroscopiques. Les accélérateurs de particules sont donc pour nous
des machines à remonter le temps qui reproduisent les conditions des premiers instants de
l’univers. 300 000 ans après cette naissance se sont formés les atomes. Trois minutes après le
big bang se forment les noyaux légers, 1/100 000ème de seconde après l’origine, les quarks et
les gluons se condensent en hadrons. Le modèle standard nous permet de remonter jusqu’à un
dix milliardième de seconde après le Big Bang. Cela fait partie des conquêtes extraordinaires
de la physique moderne.
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La forme de l’espace
La courbure de l’espace est liée à la matière. L’idée d’Einstein, de la relativité générale, est
que la géométrie de l’espace n’est pas donnée à priori mais dépend de la quantité d’énergie
qu’il y a dedans. La gravité n’est rien d’autre que la courbure de l’espace-temps. Si on relie
cela à l’expansion de l’univers, cela amène à l’univers de Friedman et Lemaitre, qui prédit
que l’évolution et la géométrie de l’univers sont déterminées par la densité de l’énergie par
rapport à la constante de la gravitation et à la constante de Hubble, constante nommée .
Celle-ci détermine le futur de l’univers, va-t-il s’étendre pour toujours, ou, si la gravité
gagne, va-t-il se rétracter. Depuis trente ans, on a des raisons de penser que =1. Des
collaborations (COBE, Boomerang, WMAP) ont permis d’établir la « carte thermique » de la
surface d’où proviennent les photons du fond cosmique. Cette carte permet de regarder s’il y a
des fluctuations dans une direction particulière, qui seraient les germes de ce qu’est
aujourd’hui la structure de l’univers. Les premiers résultats ont été donnés en 1992 par
Hubble, puis dernièrement en 2003 par WMAP, ce qui a finalement permis d’obtenir une
carte assez précise. Deux résultats importants sont à noter :
- ces fluctuations sont minimes : pour développer les structures d’aujourd’hui, elles
doivent être la trace des fluctuations beaucoup plus étendues d’un type de matière que
l’on abordera plus loin : la matière sombre
- les fluctuations ont une ampleur angulaire d’environ 1°, soit le diamètre angulaire de
la Lune. Cela permet, puisque nous connaissons la longueur absolue de la fluctuation
et la distance à laquelle elle se trouve, de calculer l’angle en degré dans l’espace
euclidien. Le résultat obtenu démontre que l’univers est plat et qu’il ne s’étend ni ne se
rétracte.
Les particules qui nous manquent
Ces résultats sont aussi un indicateur des particules dont nous n’avons pas encore démontré
expérimentalement l’existence. La première d’entre elles est le boson de Higgs, dont
l’existence a été postulée pour justifier que les particules ont une masse. La masse est
l’interaction des particules avec un champ qui est partout dans l’espace, et qui distingue les
particules (les bosons W et Z acquièrent des masses alors que le photon n’en acquiert pas).
Lorsque des collisions se produisent, des fluctuations de masse se produisent, et c’est cette
oscillation qui correspond à une nouvelle particule, le boson de Higgs. Le monde scientifique
est à sa recherche car il est nécessaire pour accorder la théorie avec ce qui est observé. Il
donne une autre vision du vide qui peut expliquer de nouveaux phénomènes dans la
Cosmologie. En 2002, on a cru avoir vu le boson de Higgs, mais l’expérience n’a pas été
reproductible. Il faut donc attendre l’arrivée du LHC pour éclaircir la question. Le fait qu’il
n’ait pas encore été découvert jusqu’à maintenant ne signifie pas qu’il n’existe pas, mais peut
être simplement que nous n’avons pas les moyens physiques de le produire.
La deuxième particule manquante est liée au concept de supersymétrie liant les particules de
spin différent, nécessaire à l’unification des différentes forces. Cependant, la supersymétrie ne
lie pas des particules que nous connaissons déjà, mais les particules déjà connues à de
nouvelles particules de masse très élevée que nous ne voyons pas encore dans nos
accélérateurs, qui ont reçu des noms très poétiques (photinos, Higgsinos, zinos,…). La plus
légère de ces particules est un excellent candidat pour constituer la matière obscure.
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La matière obscure
L’observation de l’univers révèle que la matière que l’on ne voit pas a une place beaucoup
plus importante que la matière que l’on voit. est divisible en unités, ce qui nous donne la
composition de la matière de l’univers. Le plus surprenant est que la matière ordinaire que
nous connaissons ne représente que 5% du total de l’énergie de l’univers ! Le reste se partage
entre 25% de matière et 70% d’énergie du vide. Nous ne sommes donc non seulement pas au
centre de l’univers, mais en plus, nous ne sommes pas fait de la matière la plus courante. La
question se pose de savoir quelle est la nature de cette matière, et de cette énergie. Les
observations astronomiques, si elles nous renseignent sur la distribution de la Matière Obscure
dans l’univers, ne nous donnent pas l’identité physique de ses composants.
Le grand collisionneur du CERN (LHC)
Les particules de la supersymétrie sont des candidats idéaux pour être les constituants de la
matière obscure froide. La seule manière de l’identifier est de la reproduire en laboratoire.
Nous allons donc chercher dans le monde microscopique l’explication de phénomènes à
l’échelle de l’univers. Pour produire ces particules supersymétriques, si elles existent, le Large
Hadron Collider est en construction au CERN. Il entrera en fonction en 2007, et sera constitué
par un tunnel de 27 kilomètres, qui comprendra d’énormes aimants capables d’accélérer les
protons et de les garder en orbite. Dans les collisions du LHC seront produites des quantités
de particules extraordinaires, et il faudra chercher dans cette soupe la signature du boson de
Higgs, ce qui devrait être possible avec la puissance de calcul adéquate ; Il se produira en
effet 40 millions de collisions par seconde au centre de chacun des quatre détecteurs, ce qui
représentera cent à mille méga octets par seconde à stocker sur un disque magnétique. Si ces
données étaient stockées sur des DVD, le total produit en une année serait de 15 millions de
disques, soit une pile de 20km de hauteur ! Cette technologie est en train d’être mise en place.
La gravité quantique
Comment accorder la théorie de la gravité avec la mécanique quantique ? Cette harmonisation
demande un changement conceptuel très important dans la façon de voir les particules
élémentaires : c’est la théorie des cordes. On imagine que les particules sont chacune des
vibrations différentes sur une sorte de corde microscopique, la supercorde. Cette théorie a été
développée par un certain nombre de personnes (Veneziano, Schwartz, Ramond, et beaucoup
d’autres). Cette théorie n’est pas cohérente dans un espace à quatre dimensions ! La cohérence
mathématique du modèle entraîne l’existence d’une dizaine de dimensions supplémentaires
recourbées sur elles-mêmes. Comment est-il possible que nous vivions dans un espace dont
nous n’appréhendons pas toutes les dimensions ? Cette question a été abordée depuis
longtemps : nous savons depuis Einstein (1905) que nous vivons dans un espace à quatre
dimensions (la quatrième dimension étant le temps). Théodore Kaluza en 1919 avait aussi
montré qu’une théorie unifiée de la gravité et de l’électromagnétisme pouvait être réalisée si
l’espace admettait une cinquième dimension. Klein (1925) a aussi considéré les particules
pouvant habiter dans la cinquième dimension. Cette cinquième dimension a donc pris le nom
de Kaluza-Klein. L’idée est qu’une dimension supplémentaire recourbée sur elle-même ne
laisse pas rentrer les ondes et les particules présentant respectivement des longueurs d’onde et
des faibles énergies. Une onde peut en effet s’accorder avec une dimension seulement si cette
dernière est un multiple de la première. Une onde présentant une longueur d’onde plus grande
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que le rayon de la dimension ne pourra pas y entrer. Selon la mécanique quantique, qui
associe une onde à chaque particule, la longueur de nos atomes est beaucoup trop importante
pour que l’on puisse pénétrer dans ces dimensions supplémentaires si elles existent.
Les phénomènes se déroulent à un niveau beaucoup plus microscopique, ce qu’illustre la
phrase de Richard Feynman « Un chat ne peut pas disparaître à Pasadena et réapparaître en
Sicile, ce serait un exemple de conservation globale du nombre de chats, ce n’est pas la façon
dont les chats sont conservés ». C’est effectivement impossible à un objet macroscopique
comme un chat, mais ce serait possible pour une particule. Le démontrer expérimentalement
reviendrait à démontrer l’existence de dimensions supplémentaires. Nous savons maintenant
qu’il doit y avoir d’autres dimensions dans l’espace, mais quelle est leur dimension ? Existe-t-
il des particules ayant une longueur d’onde leur permettant de rentrer dans ces dimensions
supplémentaires, et donc de disparaître et de réapparaître ? Ce sujet a connu un
développement fulgurant ces dernières années. Les théories des supercordes développées
montrent en effet que les particules que nous connaissons (quarks, leptons et bosons de jauge)
sont confinées sur une membrane localisée à la surface de la dimension supplémentaire. Nous
n’entrons ainsi pas dans la cinquième dimension, non pas à cause de nos longueurs d’onde,
mais parce que nous sommes liés à une surface à quatre dimensions. Dans cette théorie, les
gravitons ne sont pas soumis au même phénomène et peuvent se propager partout, ce qui leur
donne des propriétés extraordinaires. Ainsi, lorsqu’il se produit une collision
positron/graviton, sept gravitons peuvent être produits et entrer dans la cinquième dimension.
La probabilité d’obtenir ce phénomène si la dimension s’accorde à l’énergie de cette particule
est assez grande. On a cherché dans les données expérimentales si l’on pouvait voir la
signature d’une disparition d’énergie, qui résulterait d’une interaction positron/graviton
produisant des photons, et des gravitons disparaissant. Une déviation est alors attendue, qui
n’est pas observée expérimentalement. On peut objecter que l’énergie est trop petite, et le
LHC devrait permettre de résoudre ce problème.
Un regard vers le futur
Dans le domaine de la physique des particules, le LHC est naturellement attendu avec
impatience. Quels sont les projets suivants ? Beaucoup de discussions ont été engagées sur la
construction d’un collisionneur linéaire électron/positron, qui permettrait de voir le boson de
Higgs. Dans le futur proche, deux devraient être construits (projet DESY en Allemagne et le
Next Linear Collider aux USA). Dans un avenir plus lointain, la formation d’un collisionneur
possédant plusieurs fois l’énergie du LHC, soit linéaire électron/positron, ou le Very Large
Hadron Collider de Fermilab qui devrait avoir une circonférence de plus de deux cents
kilomètres. Mais la physique des particules ne se fait pas seulement autour des accélérateurs
et des collisionneurs, mais aussi dans les laboratoires sous marins et souterrains. Les théories
prévoyant l’unification des forces entre elles et de la matière prédisent une instabilité du
proton que l’on n’a pas encore observé expérimentalement.
Dans le domaine de la cosmologie, le défi est maintenant de voir au delà du fond cosmique :
c'est-à-dire de voir ce qui s’est passé entre le Big Bang et la formation des atomes, 300 000
ans après. Les photons ne peuvent nous donner aucune information. Des télescopes à
neutrinos sont donc en construction ou déjà construits (Amanda au Pole Sud pour étudier si
des neutrinos traversent la Terre, Antarès Nemo dans la Méditerranée qui est en projet). Ces
laboratoires vont remplacer les laboratoires souterrains, et il est imaginable d’avoir ainsi des
laboratoires qui vont surveiller 1km3 de matière pour voir si quelques protons se désintègrent,
ou si des neutrinos traversent cette matière. Il existe aussi des détecteurs d’ondes
gravitationnelles (LIGO aux USA, avec des bras de cinq millions de kilomètres de long ou
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