Les particules de subordination dans les langues romanes

STUDIAUBBPHILOLOGIA,LVIII,4,2013,p.231‐243
(RECOMMENDEDCITATION)
LESPARTICULESDESUBORDINATIONDANSLESLANGUESROMANES:
LEURIMPLICATIONDANSLAPRÉSENCEOUL'ABSENCED'UNE
"CONCORDANCE"DESTEMPS
ALVAROROCCHETTI1
ABSTRACT.SubordinationElementsinRomanceLanguages:TheirImplication
inthePresenceortheAbsenceofSequenceofTenses.Thestudyanalyzes
firstlytheoperationofsubordinationinanagglutinativelanguage‐Turkish‐
whosesyntaxissimilartothatoftheoldIndoEuropean.Itfollowsthe gradual
installationofanewtypeofsubordination‐verbalsubordination‐fromIndo‐
European to Latin and Romance languages up to clarify the conjunctions'
functionintheoperationofthesequenceoftenses.Thisoffersareportonthe
reasonsfortheabsenceofthesequenceoftensesintheRomanianlanguage.
Keywords:RomanceLanguage,agglutinativelanguage,IndoEuropean,Latin,
SequenceofTenses
REZUMAT.Particuleledesubordonareînlimbileromanice:implicaţiile
lorînprezenţasauînabsenţauneiconcordanţeatimpuluiverbal.Analizăm
într‐oprietapăfunionareasubordonăriiîntr‐olimbăaglutinantă–limba
turcă–acăreisintaxăestecomparabilăceleipropriivechiilimbiindo‐europene.
Urmăriminstalareaprogresivăaunuitipnoudesubordonare–subordonarea
verbală–dinindo‐europeanăsprelatinăşipânăînlimbileromanice, spre a
precizarolulcerevineconjuncţiilorînfuncţionareaconcordanţeitimpurilor.
Oferimastfelposibilitateadeaînţelegeraţiunilecareexplicăabsenţaconcordanţei
timpurilorînromână.
Cuvintecheie:limbiromanice,Implicație,limbiaglutinante,Indoeuropeană,
Latină,concordanțatimpurilor
 Lesgrammairesdesdiverseslanguesromanescomportentrégulièrement
unchapitreconsacréaux«conjonctions»,avec,généralement,unedistinction
entreles«conjonctionsdecoordination»etles«conjonctionsdesubordination».
Nous nous proposons, dans la présente étude, d’analyser, dans un premier
temps, une langue ayant un fonctionnement comparable à celui delancien

1Professeurémérite,UniversitédelaSorbonneNouvelle–Paris3.E‐mail:alvaro.rocchetti@free.fr
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indo-européen qui était une langue agglutinante et ne connaissait pas la
subordination verbale –, puis de suivre l’installation progressive de ce type
nouveau de subordination du latin aux langues romanes, afin de préciser le rôle qui
revient aux conjonctions dans le fonctionnement de la concordance des temps.
La méthodologie que nous utiliserons est celle de la psychomécanique
du langage proposée au siècle dernier par le linguiste français Gustave
Guillaume (1883-1960). Notre démarche mènera de front les approches
synchronique et diachronique la diachronie étant considérée comme une
succession de systèmes synchroniques –, de même qu’elle alliera l’observation
du fonctionnement linguistique et la réflexion théorique.
Que nous apprend donc la psychomécanique sur la subordination et,
plus précisément, sur la subordination verbale ? Nous aide-t-elle à comprendre
pourquoi la subordination verbale est un phénomène relativement récent dans
l’évolution des langues indo-européennes et pourquoi elle a évolué différemment
d’une langue romane à l’autre ? Nous allons voir qu’elle peut apporter une
réponse à ces questions.
Le terme subordination s’applique au fonctionnement linguistique qui
consiste à insérer une phrase dans une autre phrase. Ce phénomène passe par la
nominalisation de la phrase insérée qui reçoit le nom de « proposition
subordonnée ». La phrase dans laquelle est insérée la proposition subordonnée
prend, elle, le nom de « proposition principale ». On parle aussi de « proposition
régissante » et de « proposition régie ».
Comme chaque phrase implique, sauf le cas particulier des phrases
nominales, l’emploi d’au moins un verbe, le principe même de la subordination
postule l’emploi de deux verbes, l’un dans la proposition régissante, l’autre dans
la proposition régie. Cette situation est pratiquement toujours respectée dans les
langues romanes : il y a généralement au moins un verbe dans la proposition
principale et au moins un autre verbe dans la proposition subordonnée.
Mais ce type de construction se heurte au fait que, dans un grand
nombre de langues agglutinantes et on sait que l’indo-européen était une
langue agglutinante le verbe trouve toujours sa place normale à la fin de la
phrase. Si, d’un côté, la phrase comportant une principale et une subordonnée
nécessite au moins deux verbes (un dans chaque proposition) et que, de
l’autre, le verbe ne peut se trouver qu’à la fin, on est en droit de se demander
si les langues agglutinantes peuvent surmonter cette contradiction et, si oui,
comment elles rendent la subordination. Par exemple, quelle solution proposent
les langues agglutinantes pour traduire une phrase complexe minimale du type
j’attends qu’il vienne ? Comme l’indo-européen ne nous est plus accessible en tant
que langue parlée, nous allons illustrer le problème posé par la subordination
verbale en empruntant nos exemples à la langue qui passe pour le modèle le
plus parfait des langues agglutinantes : la langue turque.
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Le mécanisme qui veut que le verbe soit placé à la fin est si fort dans
cette langue que, dans le cas, par exemple, de la coordination de deux verbes
dépendant d’un même sujet, le premier verbe perd sa désinence. Celle qu’il
doit avoir est remplacée par une sorte de joker (dont la forme varie en fonction de
l’harmonie vocalique : -ip, -üp, -ıp, -up) qui signifie implicitement, bien sûr — :
‘ce verbe a la même désinence que celui qui viendra à la fin de la phrase. La
morphologie est donc amputée, ce qui présente deux avantages : d’une part le
principe du verbe à la fin de la phrase est respecté puisque ce qui a été donné
auparavant n’est que la notion sous la forme d’un radical dépourvu de toute
désinence verbale ; mais, d’autre part, une fois parvenu à la désinence verbale
finale, l’auditeur peut reconstituer l’ensemble des verbes dont les radicaux
étaient restés en attente d’achèvement. Ce procédé, très utilisé, n’intervient
cependant que dans le cas de verbes coordonnés et non subordonnés qui,
de plus, ne doivent dépendre que d’un même sujet. Il montre certes l’inventivité
linguistique de cette langue, mais aussi la contrainte du mécanisme de
postposition du verbe. Il faut donc placer, au départ de nos langues romanes, une
contrainte du même type dans l’indo-européen.
Si cette exigence est à ce point contraignante, c’est qu’elle doit
répondre à un besoin propre à ce type de langue. A quoi est-elle due ?
La différence que font les grammairiens des langues indo-européennes
modernes entre phrase et proposition (principale et subordonnée) n’existe
pas dans les langues agglutinantes : dans ce type de fonctionnement, les deux
coïncident. Si, dans ces langues, le verbe ne peut venir qu’à la fin, cela signifie
qu’on ne construit qu’une proposition-phrase chaque fois : tous les éléments
de la phrase doivent s’insérer avant que le verbe ne vienne clore la phrase. Ce
schéma n’est que la reprise de celui que le locuteur suit lorsqu’il construit son
verbe, car on peut véritablement dire quil construit sa phrase comme il a
construit son verbe. Examinons donc comment est constitué ce dernier : il
commence toujours par le radical, reçoit ensuite différents éléments
modalisateurs (infixe transformant une notion nominale en verbe, infixe
réfléchi, infixe réciproque, infixe indiquant la possibilité ou l’impossibilité,
infixe factitif, infixe de passivité, négation) avant de s’achever par une
désinence qui indique d’abord le temps et le mode (34 classes de conjugaison
existent dans la langue turque), éventuellement suivis de linfixe
d’interrogation, éventuellement aussi de l’infixe indiquant l’aspect perfectif,
enfin arrive la personne (1ère, 2ème ou 3ème ) avec, éventuellement, l’indication
de son pluriel. Comme on le voit, le verbe prend son départ avec l’expression
du radical (sans aucun préfixe !) et se termine par lindication de la personne :
il sagit là de deux éléments qui sont indispensables puisque tout verbe doit
indiquer une action et le sujet qui fait cette action. Ils fixent les deux limites
entre lesquelles doivent s’insérer les éléments moins fondamentaux qu’eux.
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Leur place ne peut pas varier2. Il en est de même de la phrase-proposition qui doit
toujours comprendre un verbe et un sujet (inclus nécessairement dans la
désinence verbale, mais qui peut aussi être annoncé en tête de phrase par un
pronom personnel) et souvent un objet. Lorsqu’il est présent, l’objet doit toujours
précéder le verbe. On peut dire que l’obligation de terminer la phrase par le verbe
est en tout point comparable à l’obligation pour le verbe de se clore par l’indication
de la personne. Il s’agit donc d’une exigence de corence fondamentale. Transiger
sur ce point équivaudrait à introduire le chaos dans la langue.
Si la subordination ne peut pas impliquer la présence d’un deuxième
verbe comme elle le fait dans les langues romanes et si elle doit intervenir
avant larrivée du verbe, on peut se demander comment elle est rendue dans
une langue agglutinante ? Dans sa Grammaire du turc, Bernard Golstein nous
donne cette explication : « Dans une proposition subordonnée conjonctive, le
verbe de la proposition subordonnée est en fait un substantif. Son sujet est
indiqué par son suffixe personnel possessif ; quant à sa fonction, elle est
déterminée par son suffixe de cas. La proposition n’est rien d’autre qu’un
complément de nom3. » Ainsi, pour rendre l’équivalent de j’attends qu’il vienne,
le turc dit geldiğini bekliyorum, c’est-à-dire ‘j’attends sa venue, littéralement :
‘sa venue (+ accusatif) j’attends’. La proposition subordonnée est le résultat de
la nominalisation (par l’intermédiaire de l’infixe spécifique en –dik-) du radical
verbal gel- ‘venir’.
Cet infixe, ajouté au radical du verbe, indique à lorigine, avec sa
construction basée sur le suffixe perfectif di, une action qui a été effectuée.
Mais elle a été par la suite généralisée pour exprimer la subordination en
général. La forme verbale qui en est pourvue se comporte comme un
substantif. Elle est figée dans le sens où, quel que soit le temps de l’action
exprimée par la principale, elle ne change pas. On peut ainsi avoir :
Geldigi zaman, sohbet ettik =quand il est venu, nous avons parlé
(en fait : “à sa venue”)
Geldigi zaman, sohbet ediyoruz = ‘quand il vient, nous parlons’
Geldigi zaman, sohbet ederiz = ‘quand il viendra, nous parlerons’
Gezdikten sonra... = après avoir visité (‘après le fait d’avoir visité’)
Evlendiǧim adam =lhomme avec qui je me suis mariée (litt.le fait
d’avoir, moi, épousé [cet] homme’)
2 On notera que le latin, mais aussi litalien, lespagnol ou le portugais, gardent encore dans la
conjugaison du verbe des traces de cette position finale de la personne, même si on ne reconnaît pas
aussi nettement la personne que dans les langues agglutinantes : c’est que l’agglutination est devenue
flexion. En revanche, le français a antéposé sa personne verbale sous la forme du pronom personnel,
mais en conservant la liaison étroite avec le verbe.
3 Bernard Golstein, Grammaire du turc, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 212.
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Avec la forme en -dik, additionnée du possessif et suivie des particules
adéquates (zaman, icin, gibi, etc.), on peut ainsi traduire toutes sortes de
subordonnées (de temps, de but, de cause, etc.), mais aussi des relatives. Le même
principe de subordination par l’intermédiaire d’une nominalisation peut être
aussi utilisé avec d’autres noms verbaux comme le nom verbal général en me ou
le nom verbal intentif en –(y)ecek, suivis, eux aussi, du possessif :
Hemen bașlamanızı istiyoruz = ‘Nous désirons que vous commenciez
[le fait que vous commenciez] immédiatement’ ;
Evi temizlemeyeceǧinden korkuyorlar = ‘Ils craignent qu’il ne nettoie
pas la maison’ [son non- nettoyage de la maison]
On peut en conclure que la langue turque n’a pas recours à la
subordination verbale. Elle utilise des formes substantivées du verbe que lon
pourrait gloser par : ‘le fait d’avoir...’ : celles-ci lui permettent de maintenir sa
structure phrastique particulière, avec le verbe en position finale.
Des formes verbales substantivées équivalentes étaient aussi employées
par l’indo-européen. La subordination verbale n’est intervenue que par la suite,
comme nous allons le voir. On en a une preuve dans le fait que nos langues
présentent souvent les deux possibilités, l’ancienne, avec la subordination
nominale + l’adjectif possessif (j’attends son arrivée, nous souhaitons son retour, il
craignait son départ...) et la nouvelle, avec la subordination verbale (j’attends
qu’il arrive, nous souhaitons qu’il revienne, il craignait qu’il parte...). La double
possibilité se révèle être ainsi un bon instrument d’archéologie... linguistique.
Nous venons de voir, à travers l’exemple du turc, comment une langue
agglutinante doit préserver la structure de sa phrase et surtout éviter de
mettre dans une même phrase deux verbes avec deux sujets différents.
Pourtant c’est bien ce qu’a faire l’indo-européen au cours de son
évolution vers les langues classiques, puis les langues modernes (parmi
lesquelles les langues romanes). En comparant la syntaxe des langues
agglutinantes illustrée à nouveau par le turc et celle d’une langue comme le
français, on peut constater qu’elles sont très exactement inversées. Par exemple,
Kararımı bildireceğimje ferai savoir ma décision sanalyse de la manière
suivante : Karar (décision) –ım (possessif 1ère personne)ı (accusatif), bil (radical
du verbesavoir) –dir (infixe factitif) –eceğ (infixe futur) –im (suffixe de 1ère
personne), cest-à-dire l’ordre que l’on aurait si on inversait parfaitement l’ordre
des termes et si on disait en français : *décision-ma savoir-ferai-je. Passer d’un
type de syntaxe à l’autre n’a pas pu se faire en un jour : le renversement complet
de la syntaxe s’est étalé sur plus de trois milnéaires. Remarquons qu’à l’étape
du latin le travail n’était qu’amorcé : le verbe restait souvent en position finale
et les désinences personnelles du verbe étaient toujours en place. Cependant
le latin nétait déjà plus une langue agglutinante dans laquelle les infixes sont
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