LES PARTICULES DE SUBORDINATION DANS LES LANGUES ROMANES …
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Le mécanisme qui veut que le verbe soit placé à la fin est si fort dans
cette langue que, dans le cas, par exemple, de la coordination de deux verbes
dépendant d’un même sujet, le premier verbe perd sa désinence. Celle qu’il
doit avoir est remplacée par une sorte de joker (dont la forme varie en fonction de
l’harmonie vocalique : -ip, -üp, -ıp, -up) qui signifie — implicitement, bien sûr — :
‘ce verbe a la même désinence que celui qui viendra à la fin de la phrase’. La
morphologie est donc amputée, ce qui présente deux avantages : d’une part le
principe du verbe à la fin de la phrase est respecté puisque ce qui a été donné
auparavant n’est que la notion sous la forme d’un radical dépourvu de toute
désinence verbale ; mais, d’autre part, une fois parvenu à la désinence verbale
finale, l’auditeur peut reconstituer l’ensemble des verbes dont les radicaux
étaient restés en attente d’achèvement. Ce procédé, très utilisé, n’intervient
cependant que dans le cas de verbes coordonnés – et non subordonnés – qui,
de plus, ne doivent dépendre que d’un même sujet. Il montre certes l’inventivité
linguistique de cette langue, mais aussi la contrainte du mécanisme de
postposition du verbe. Il faut donc placer, au départ de nos langues romanes, une
contrainte du même type dans l’indo-européen.
Si cette exigence est à ce point contraignante, c’est qu’elle doit
répondre à un besoin propre à ce type de langue. A quoi est-elle due ?
La différence que font les grammairiens des langues indo-européennes
modernes entre phrase et proposition (principale et subordonnée) n’existe
pas dans les langues agglutinantes : dans ce type de fonctionnement, les deux
coïncident. Si, dans ces langues, le verbe ne peut venir qu’à la fin, cela signifie
qu’on ne construit qu’une proposition-phrase chaque fois : tous les éléments
de la phrase doivent s’insérer avant que le verbe ne vienne clore la phrase. Ce
schéma n’est que la reprise de celui que le locuteur suit lorsqu’il construit son
verbe, car on peut véritablement dire qu’il construit sa phrase comme il a
construit son verbe. Examinons donc comment est constitué ce dernier : il
commence toujours par le radical, reçoit ensuite différents éléments
modalisateurs (infixe transformant une notion nominale en verbe, infixe
réfléchi, infixe réciproque, infixe indiquant la possibilité ou l’impossibilité,
infixe factitif, infixe de passivité, négation) avant de s’achever par une
désinence qui indique d’abord le temps et le mode (34 classes de conjugaison
existent dans la langue turque), éventuellement suivis de l’infixe
d’interrogation, éventuellement aussi de l’infixe indiquant l’aspect perfectif,
enfin arrive la personne (1ère, 2ème ou 3ème ) avec, éventuellement, l’indication
de son pluriel. Comme on le voit, le verbe prend son départ avec l’expression
du radical (sans aucun préfixe !) et se termine par l’indication de la personne :
il s’agit là de deux éléments qui sont indispensables puisque tout verbe doit
indiquer une action et le sujet qui fait cette action. Ils fixent les deux limites
entre lesquelles doivent s’insérer les éléments moins fondamentaux qu’eux.