Problématique Grands prédateurs - Fondation Prince Albert II de

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Les grandes espèces marines, clefs de voûte des écosystèmes marins Le rôle des grands prédateurs dans l’équilibre des écosystèmes La Principauté de Monaco a été le premier état indépendant à s’engager récemment en prenant fait et cause pour la protection du Thon rouge dans le monde. S.A.S Prince Albert II est devenu le symbole de la lutte pour la préservation de cette espèce. Malheureusement, le Thon rouge, qui fait partie du groupe des grands prédateurs marins (cf. Annexe 1), n’est pas le seul dans cette catégorie à faire désormais partie des espèces très menacées. Les super prédateurs ou grands prédateurs jouent au sein des écosystèmes un rôle fondamental en terme de dynamique des populations. Ils contribuent à réguler, limiter et stabiliser les populations de leurs espèces proies. Leur propre dynamique de population est directement influencée par celle de leurs proies (boucle de rétroaction). Par le biais de la sélection naturelle, en éliminant en priorité les animaux les plus faibles, malades, parasités, malformés, voire dans certains cas les cadavres, etc., ils jouent un rôle sanitaire essentiel. Mais au-­‐delà de l’équilibre proie/prédateur, il existe aussi des relations dites interspécifiques (entre espèces) qui font que le dérèglement de l’équilibre d’une population peut amener à la disparition d’une autre espèce qui ne semblait pas au premier abord en lien. Et ainsi, une seule extinction peut aboutir à la disparition 1
de nombreuses espèces et à la déstabilisation d’écosystèmes entiers . De façon générale, ce phénomène de co-­‐extinction souligne l’importance des relations complexes au sein des écosystèmes. Ainsi, une seule extinction peut aboutir à la disparition de nombreuses espèces et à la déstabilisation d’écosystèmes entiers. C’est le cas par exemple des espèces « clef de voûte », dont l’importance est telle que leur seule disparition entraîne de profondes modifications de l’écosystème. En milieu marin, l’impact de la disparition d’une espèce « clef de voûte » peut être encore plus visible qu’en milieu terrestre, car les aires de distribution sont plus étendues : quelques milliers de kilomètres en mer contre seulement quelques dizaines de kilomètres sur les continents. De ce fait, un événement qui survient en un endroit donné peut influencer des espèces situées à plusieurs milliers de kilomètres de là, notamment via les courants marins. Certaines espèces pâtissent de la disparition d’autres espèces, d’autres en profitent (cf. Annexe 2). Cependant, du point de vue humain et du fonctionnement des écosystèmes, on ne connaît pas les conséquences du déséquilibre d’écosystèmes océaniques aussi complexes. Les effets d’une telle désorganisation sont imprévisibles, d’autant plus lorsque l’Homme intervient lui aussi dans le processus par des prélèvements excessifs aux conséquences très inquiétantes. Constats sur les populations de requins Parmi les grands prédateurs marins et les espèces clefs de voûte, les populations de grands requins affichent aussi un déclin aux quatre coins du monde. Depuis une cinquantaine d’années, les pêcheries ont traqué les grands prédateurs marins : requins, thons rouge, marlins, morues, mérous, espadons avec une persévérance et une intensité sans précédent. Les requins étaient omniprésents dans les milieux coralliens, les morues dans les écosystèmes côtiers de l’Atlantique nord-­‐ouest. L’abondance de ces grands prédateurs était alors entre deux à dix fois voire même cent fois plus importante qu’aujourd’hui. Le constat est accablant: les océans sont aujourd’hui quasiment vides de leurs prédateurs. Les effets de cette surpêche sont observés au niveau des interactions trophiques dans de nombreux écosystèmes mondiaux et provoquent des perturbations du fonctionnement des écosystèmes. C’est le cas par exemple en mer Méditerranée, où les chiffres et études récentes indiquent que les populations de requin bleu ou le requin taupe ont chuté de plus de 90%. Partout 1
Selon un article paru en 2004 dans la revue Science, il faudrait ajouter au moins 6300 espèces “co-­‐menacés” d’extinction à la liste rouge de l’IUCN qui en comprend déjà 15000 parmi les espèces d’organismes supérieurs. dans le monde les scientifiques font le même constat et considèrent que plusieurs espèces sont en voie de disparition. Les menaces principales sont la surpêche et la dégradation de l’habitat des requins. La première étude mondiale publiée en juin 2009 par le groupe de spécialistes des requins de l’IUCN (Union Mondiale pour la Nature) révèle que 32 % des 64 espèces de requins et de raies de haute mer sont menacées d’extinction. Cette situation est désormais plus que préoccupante en raison du rôle clef joué par ces prédateurs dans l’équilibre des écosystèmes marins. Il est important d’agir rapidement et de mobiliser tous les acteurs mondiaux sur la préservation des requins et des grands prédateurs d’une façon générale. La vulnérabilité des grands prédateurs Un cycle biologique particulier En règle générale, les grands prédateurs possèdent un cycle biologique qui les rend vulnérables aux effets d’une menace extérieure comme la pêche. Ils ont notamment une maturité tardive, des temps de gestation longs et un nombre limité de petits par portée. La survie de ces espèces dépend de grands individus adultes vivant assez longtemps pour pouvoir se reproduire plusieurs fois et renouveler la population. L’impact des pêcheries et le développement des « prises accessoires » Actuellement, plusieurs millions de requins sont tués chaque année pour alimenter le commerce des ailerons mais aussi celui de la consommation de chair de requin, également en plein essor (cf. Annexe3). Jadis considérés comme simples « prises accessoires », des espèces de requins de haute mer sont de plus en plus ciblées à cause des nouveaux marchés porteurs de la consommation de chair de requin et de la demande croissante pour les précieux ailerons entrant dans la fabrication de mets asiatiques recherchés, comme la soupe aux ailerons de requin. L’Europe alimente actuellement 1/3 du marché asiatique de Hong Kong. La pêche sur les grands fonds marins emploie des méthodes non discriminatoires comme le chalutage qui récolte des espèces non ciblées dont les requins (jusqu’à 40% des prises). Le Shark Finning Les ailerons sont coupés au moment de la capture et l’animal, parfois encore vivant, est rejeté à la mer. Cette pratique est dénommée finning. Bien que les lois interdisent cette pratique dans la plupart des eaux internationales, le manque de contrôle et de moyen dans leur mise en application entrave leur efficacité. Certains pays accordent encore des dérogations à leurs bateaux afin de poursuivre cette pratique pourtant interdite. Un Plan d’action européen a été adopté en avril 2009 pour encadrer la pêche des requins et mettre en place une exploitation pérenne. La Polynésie française a décidé d’interdire totalement le finning en 2004. Le Costa Rica a interdit le débarquement des requins privés d’ailerons. Les Etats-­‐Unis interdisent cette pratique sur le Pacifique et prendront bientôt cette mesure sur l’Atlantique. Que faire ? Les gouvernements doivent investir davantage de moyens dans la recherche sur les grands prédateurs afin de connaître l’évolution des populations, évaluer l’impact des activités humaines et du changement global, définir et mettre en œuvre les mesures de protection, de conservation et de gestion adaptées (quotas de capture, limitation des zones et des périodes de pêche, meilleure sélectivité des techniques employées, interdiction de mise sur marché de certaines espèces). Seule une coopération internationale permettra d’obtenir des résultats concrets en la matière du fait de l’absence de frontières dans les espaces occupés par ces grands prédateurs, par la globalisation des moyens de capture à l’échelle de la Planète et des enjeux financiers qui sont liés à ces activités. Parmi les actions qui peuvent être développées à une échéance relativement courte et avec un consensus large entre états, on peut envisager de :  Soutenir et promouvoir les recommandations de classement des nouvelles espèces en danger d’extinction aux annexes de la CITES.  Systématiser les labels « pêche durable » afin de responsabiliser les distributeurs et les consommateurs, orienter les marchés par la législation.  Promouvoir un système efficace de contrôle du « shark finning » au niveau international. Les actions récentes Des grands prédateurs aux annexes de la CITES Pour certaines espèces de grands prédateurs, le commerce international est réglementé. La Convention sur le Commerce International des Espèces de faune et de flore Sauvages menacées d'extinction, connue sous son nom CITES ou encore comme la Convention de Washington, est un accord international entre Etats. Elle a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d'animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent. Parmi les espèces de grands prédateurs marins listés dans les annexes de la convention, il faut citer le requin-­‐baleine Rhincodon typus, le requin blanc Carcharodon carcharias, le requin pèlerin Cetorhinus maximus, Certaines populations de crocodile marin Crocodylus porosus, les cétacés, l'ours polaire Ursus arctos ou les tortues marines. Les Annexes I, II et III de la Convention sont des listes où figurent des espèces bénéficiant de différents degrés ou types de protection face à la surexploitation. Les espèces inscrites à l'Annexe I sont les plus menacées de toutes les espèces animales et végétales. Cette convention est régulièrement actualisée. Sur la base d'études scientifiques argumentées, certaines espèces peuvent être inscrites dans les annexes de la convention lors de la conférence des parties (CoP) qui réunit les délégués internationaux de chaque pays tous les deux ans. Le cas de deux espèces de requins, l'aiguillat commun Squalus acanthias et le requin taupe Lamna nasus sera ainsi examiné lors de la prochaine conférence en mars 2010. La Commission européenne et les états membres ont décidé en effet de soutenir le 24 septembre 2009 la proposition de l’Allemagne de placer ces deux espèces sur la liste de la CITES. L’aiguillat commun est principalement recherché pour sa chair qui est exportée aux quatre coins du monde pour satisfaire la demande européenne en fish and chips et filets de poisson fumé. Les pêcheries capturent généralement les femelles pleines ce qui entraînent des dommages sévères sur les populations. La chair du requin taupe est particulièrement prisée en Europe et ses ailerons sont exportés en Asie pour la soupe d’ailerons. Thon rouge : l’initiative monégasque La Convention de l’ONU sur le Commerce International des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) a rendu publique, dans le courant de l’été 2009, la proposition de Monaco d’inscrire le Thon rouge, Thunnus thynnus de l’Atlantique à l’Annexe I de la Convention des espèces qui ont 2
besoin du plus haut degré de protection. La France et l’Italie soutiennent cette proposition , ce qui place la Commission européenne en bonne position pour faire valider cette inscription. Certains états préféreraient une inscription en annexe II pour permettre à certains pêcheurs et notamment ceux qui utilisent des méthodes non 3
destructives de continuer à travailler . Si du côté des consommateurs et des restaurateurs plusieurs mesures ont récemment été prises pour protéger l'espèce, notamment en France ou les grands chefs se sont engagés à ne plus servir de thon rouge 2
Sous certaines conditions pour la France En France la pêche artisanale (canneurs et palangriers) du thon représente 200 navires, 700 emplois, 10% du quota de pêche, alors que les thoniers senneurs représentent 28 navires (subventionnés) 300 emplois et 90% du quota. Pêche illégale, problème d’autorité de La Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique (ICCAT) … 3
comme l'avait fait Monaco depuis deux ans, l'indécision a régné tout le mois de janvier sur le plan politique, en particulier en France ou la décision de soutenir cette initiative tardait à venir. Après plusieurs mois d'hésitations, et après que l'Italie se soit prononcée en faveur de l'annexe I, la France a finalement rejoint le 3 février 2010 le club des pays européens favorables à une interdiction du commerce international du thon rouge en préconisant d'inscrire cette espèce menacée à I’annexe I de la Cites, dont les 175 pays membres doivent se réunir à Doha du 13 au 25 mars. La France a néanmoins assorti sa position de conditions. Elle réclame un délai de dix-­‐huit mois, soit jusqu'en septembre 2011, avant I' entrée en vigueur de cette interdiction. Même s’il est unanimement reconnu que la pêche artisanale pourrait faire l’objet d’une mesure de sauvegarde et que des mesures compensatoires pourraient être mises en place pour la pêche industrielle, cette décision n'a satisfait personne. Le Syndicat des thoniers méditerranéens s’est déclaré « en état de choc » tandis que Greenpeace a accusé la France de « sauver les apparences » en affirmant vouloir sauver l'espèce, mais pas tout de suite. Le Japon, grand consommateur de thon rouge, qui doit pourtant accueillir en octobre la Conférence internationale sur la biodiversité, fait le maximum pour éviter que le thon rouge de l'Atlantique ne soit inscrit sur l'annexe I de la CITES. Une telle décision, synonyme de moratoire sur son commerce, est très mal perçue dans ce pays et pourrait avoir de fortes répercussions économiques. De son côté les deux Commissaires européens en charge de l’environnement et de la pêche ont pris une position favorable à cette inscription, proposition qui sera soumis d’ici peu aux Etats membres. De nombreux débats sont en cours dans plusieurs Etats. 28 février 2010 Annexes Annexe 1 -­‐ Qu’est-­‐ce qu’un grand prédateur marin ? Les grands prédateurs marins ou super prédateurs sont des prédateurs qui, à l’âge adulte, sont situés au plus haut niveau de la pyramide du réseau alimentaire marin. En règle générale, ils ne sont eux-­‐mêmes que la proie de l’Homme principalement, ou exceptionnellement d’autres super prédateurs. Ces grands prédateurs existent chez les poissons, les oiseaux, les mammifères et les reptiles. On peut citer parmi les animaux marins l’orque ou l’ours polaire chez les mammifères, le thon rouge, le requin blanc, la raie manta, la morue, le marlin, le requin taupe chez les poissons, chez les oiseaux l’albatros ou l’aigle de mer et chez les reptiles le crocodile de mer. Annexe 2 – Exemples d’effets cascade Malgré des mesures de protection prises depuis plusieurs années, le nombre de loutres, sur les côtes ouest de l’Alaska, s’effondre brutalement. Cet effondrement serait lié à la modification du régime alimentaire des orques qui se seraient mises à chasser les loutres de mer alors que depuis longtemps elles cohabitaient pacifiquement dans les mêmes eaux. Effectivement les orques se nourrissaient de jeunes baleines qui ont vu leurs stocks s’effondrer, elles se sont alors nourries de phoques, dont la population était déjà en danger suite à la surexploitation par l’homme des espèces de poissons dont ils nourrissaient… La disparition des loutres a alors d’autres conséquences. Leurs proies préférées, les oursins, pullulent, ils broutent les algues et déséquilibrent ainsi les populations d’herbivores et de leurs prédateurs (disparition en cascade de nombreux poissons et crustacés)… Ce qui implique un problème économique pour l’homme qui exploitait certaines espèces… Quant à la morue, l’effondrement des populations sur les côtes de Nouvelle-­‐Ecosse (Canada) à la fin des années 1980 a induit, par divers effets directs et indirects, un bouleversement complet du réseau trophique marin, mettant ainsi au chomâge de nombreux pêcheurs. Cependant, la disparition des morues a permis à leurs proies (petits poissons pélagiques et crustacés) de se développer, ce qui a eu pour conséquence, jusqu’à la prochaine rupture trophique, une reconversion des pêcheurs. L’exemple un peu différent de l’étoile de mer, qui n’est pas forcément un super prédateur au sens où on l’on entend, a prouvé que la disparition d’une espèce pouvait appauvrir la biodiversité : des chercheurs ont retiré les étoiles de mer sur certaines zones de balancement des marées en Californie. Les moules, leurs proies, se sont alors mises à pulluler et à coloniser les rochers dans ces zones, faisant disparaître ainsi certaines espèces de crustacés et d’algues qui n’avaient plus d’espace ou de nourriture. On est alors passé de quinze espèces en présence des étoiles de mer à un système à huit espèces, ce qui prouve que les étoiles de mer maintiennent localement la biodiversité. Annexe 3 -­‐ Nous mangeons du requin … parfois sans le savoir ! Dans nos régions septentrionales, nous retrouvons du requin dans de très nombreux produits alimentaires dérivés, y compris de la nourriture pour les animaux domestiques. Le requin taupe ou l’aiguillat commun entrent dans la composition des Fish and Chips, dont on connaît le succès chez les consommateurs, en particuliers dans les pays anglo-­‐saxons. Sous le terme de saumonette, met très prisé de nos cantines scolaires, se cachent de nombreuses espèces de requins : l’aiguillat commun Squalus acanthias, le requin chagrin Centrophorus granulosus, le squale liche Dalatias lichia, la grande et la petite roussette, Scyliorhinus canicula et st Scyliorhinus stellaris, etc…, toutes classées en danger critique d’extinction ou vulnérables par l’IUCN, l’Union Mondiale pour la Nature… 
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