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Réflexions sur la problématique
de l’Islam face à la réalité contemporaine
Par : le professeur Mouhameth Galaye N’DIAYE,
L’héritage des musulmans après la disparition du prophète Mohammad (psl)
était le Qoran - parole divine inspirée par Dieu et transmise par la médiation de
l’ange Gabriel - et la Sunna (Tradition Prophétique). Tous deux sont considérés dans la
conception musulmane comme les sources fondatrices de la foi et de la pensée
islamiques. Avec la succession des califes, quelques années plus tard, un événement
majeur s’est produit : le 3ème calife, Ousmane, fut assassiné pour des motifs plus ou
moins ambigus. Les conséquences de cet incident furent deux grandes batailles : la
première (Al-jamel en 656), la seconde (Siffeine en 657), entre Ali le gendre du
prophète et 4
ème
calife élu après Ousmane – et Maawia, désigné lui aussi comme
gouverneur de Chaam (La Syrie actuelle) par le calife précédent, en l’occurrence
Ousmane. Maawia était venu pour réclamer le sang du calife assassiné, et c’est à travers
ce conflit que l’édifice se mit à chanceler : le désordre commença à s’installer, la
xénophobie et les querelles politico-religieuses habitèrent l’Islam.
Grosso modo, trois choses sont issues de ce conflit :
(1)- La Monarchie: l’Islam était devenu une monarchie, un pouvoir temporel exercé
par une autorité minoritaire tribale sur la majorité composante de la société
musulmane, les Omeyyades (661 - 750), Abbassides (750-1258), Ottomans (1281 -
1923).
(2)- Partis politiques : Les partisans d’Ali sont appelés les Chiites et les autres partis
qui découlent de ce conflit sont : Al-Khawârij, Al-Moatazila, Al-Mourjia.
(3)- Ecoles juridiques et doctrinales: quelques temps plus tard, les partis politiques
furent transformés en partis religieux (écoles doctrinales).
Après les deux événements majeurs assassinat d’Ousmane et conflit entre Ali et
Maawia et ses conséquences, de nouveaux éléments commencèrent à apparaître avec
l’expansion de l’Islam en dehors du golfe arabique par le biais des conquêtes menées
par les califes. Les penseurs musulmans, avec la distance qui les sépare de l’époque du
prophète (psl), commencèrent à interroger à nouveau les deux sources, à savoir le
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Qoran et la Sunna, et c’est ainsi qu’est survenue toute la problématique de
l’interprétation et de l’exégèse :
Ceux qui voient le Qoran comme un livre de droit ou de la loi pratique, ce sont les
jurisconsultes, ceux qui le considèrent comme un livre métaphysique, ce sont les
théologiens, ceux qui le tiennent pour un livre d’éthique ou du jugement dernier ce
sont les soufis et les moralistes et ceux qui le voient comme un livre du régime ou du
pouvoir ce sont les politiciens, etc. Et c’est ainsi que toutes les sciences dites
islamiques sont nées.
Toute la problématique de l’Islam après la disparition du Prophète (psl) se
focalise sur ce point, dans la mesure le Qoran et la Sunna sont devenus des
instruments que chacun pourrait utiliser à sa guise et selon ses préoccupations et
intérêts personnels. Le corpus canonique est ainsi devenu un terreau fertile pour
chaque cultivateur et sa semence idéologique.
Parmi ces écoles doctrinales, quelques-unes voient le Qoran comme un discours
qu’on ne doit interpréter que littéralement (les littéralistes : ahl a-thâhir), c’est-à-dire
selon son sens exotérique. D’autres disent le contraire, c’est-à-dire selon son sens
ésotérique ; d’autres encore font l’amalgame des deux, etc.…
Je pense qu’il est clair que le musulman d’aujourd’hui éprouve d’énormes
difficultés à se situer par rapport à ces diverses interprétations et à toutes ces écoles
doctrinales et de courants de pensée religieux, lesquels sont quelquefois radicaux et
parfois modérés. Ceci dit, l’Islam tel qu’on le vit de nos jours, comme toujours
d’ailleurs, n’est rien d’autre que le produit des interprétations du Qoran selon les
écoles. Voilà le nœud de la problématique de l’Islam actuel.
Il reste cependant à déterminer dans quelle mesure toute nouvelle tentative
d’interprétation risquerait d’accroître inutilement le nombre d’écoles et de rendre la
problématique encore plus délicate. (C’est bien là que se situe la vocation des
réformistes).
Il faudrait aussi se demander si le salut ou la solution ultime pour la majorité des
oulémas ne consisterait pas en un retour aux sources textuelles que sont le Qoran et la
Sunna, tout en essayant de comprendre et de vivre l’Islam comme l’a vécu le Prophète
(psl) et ses compagnons (la tendance salafite). Ceci constitue sans doute un dilemme
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qui paraît difficile à résoudre, même si la tâche n’est pas à mon avis impossible. Une
telle tentative, qui ferait en sorte que le musulman d’aujourd’hui vivrait et
comprendrait l’Islam du 7
ème
siècle avec une mentalité du 21
ème
siècle me paraît
possible, dès lors que le Qoran, comme parole divine, a une résonance intemporelle.
Le Qoran a été transmis (Inzâl) intégralement au cours d’une période de 23
ans et chaque partie de ce texte est liée à une circonstance ou à un événement
déterminé (c’est ce qui est communément appelé dans le jargon des exégètes : les
causes circonstancielles de la descente (transmission) du Qoran : Asbâb a-Nuzûl). Ce
discours divin est ancien par rapport à notre génération, 14 siècles nous en séparent ;
mais il demeure en même temps continuellement récent, si l’on tient compte du fait
que son auteur se soustrait à la sphère du temporel.
Donc, à mon avis, on peut en déduire que le Qoran, même s’il est
contingent, c’est-à-dire du papier et de l’encre, demeure éternel. Ceci dit, il doit y
avoir, comme interlocuteur dans le cadre d’un dialogue permanent, une corrélation
intersubjective entre la conscience réflexive de l’exégète et l’auteur du texte
coranique. Ce qui nécessite une élimination totale et définitive du temps historique
qui nous sépare de l’époque du Prophète (psl). Cette marche consiste à dénoncer
fermement tout abus et erreur résultant d’un traditionalisme aveugle et s’efforce de
concilier les exigences de la vie moderne avec les enseignements coraniques. En outre,
elle n’entraîne pas une incitation totale à renoncer à toute ancienneté (les acquis de nos
vertueux devanciers), mais elle implique tacitement une opération sélective qui réfute
tout archaïsme et approuve tout ce qui va de pair avec la «Modernité».
L’Imam Malick Ibn Anas
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(mort en 179H 795 A-J) avait raison de se mettre
en désaccord avec la proposition du calife abbasside Al-Mansour (712-775 A-J) qui
voulait imposer Al-Mouwatta (c’est un recueil de Hadith) comme la seule référence
pour tous les musulmans de son époque.
L’Imam Chafii
2
(Mort en 204H 820 A-J) avait aussi raison de renoncer à
certains de ses avis juridiques (Fatwâ), une fois installé en Egypte à la suite de son
1
- L’Imam Malick est le principal fondateur du « rite malickite» en jurisprudence islamique.
2
- L’Imam Chafii est le principal fondateur du « rite chafiite » en jurisprudence islamique
4
départ de Bagdad. Il sied de noter que ces deux grands Imams (Malick et Chafii)
avaient pris conscience de la différence énorme qui existe entre les peuples.
Le prophète (psl) a dit : «Dieu envoie pour cette Ummah (communauté
musulmane), au début de chaque centenaire, un rénovateur [Mujaddid] de leur
religion
3
». Ce Hadith met incontestablement un terme à l’ère des prophètes - au sens
théologique du terme - et des miracles et leur substitue respectivement les savants et la
science : le Prophète Mohammad (psl) a dit : «Les savants sont les héritiers des
prophètes
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».
Pour boucler cette réflexion, je me demande, maintenant, pourquoi nous
sommes attachés aveuglément à l’atavisme de nos aïeux tandis que le message divin
(le Qoran) nous incite et nous invite à explorer les mystères de l’univers, lesquels nous
ouvrent les portes qui mènent vers la « Modernité » : « Ô peuple de djinns et
d’hommes! Si vous pouvez sortir du domaine des cieux et de la terre, alors faites-le.
Vous ne pourrez en sortir qu’à l’aide d’un pouvoir
5
[L’intelligence humaine]».
Aujourd’hui, parmi les obstacles majeurs auxquels le monde islamique est confronté,
nous en retiendrons, d’une part, cette sorte de conscience collective qui croit à
l’infaillibilité du patrimoine islamique dans son ensemble et, d’autre part, cet
obscurantisme moyenâgeux qui voit de l’apostasie, du blasphème, de l’athéisme et de
l’impiété dans chaque avancée vers le rationalisme. Et pour ne pas trahir l’esprit du
Qoran, ce mouvement ani par des esprits sclérosés et réactionnaires doit être
combattu sous toutes ses formes.
«Ô Seigneur, accorde-nous le bien ici-bas et le bien aussi dans l’au-delà,
et protège-nous du "châtiment du Feu», Amen.
Professeur Mouhameth Galaye N’DIAYE
E-mail : gala[email protected]r
GSM : 0032-488.463.530
Bruxelles, le 17/11/2008
Belgique.
3
- Hadith rapporté par Abou Dâwoud et d’autres.
4
- Hadith rapporté par Al-Boukhari, Abou Dâwoud, Al-Tirmithî, Ibn Mâjah, Ahmed, Malick et Ad-
Dâramî.
5
- Sourate Ar-Rahmân (Le tout Miséricordieux), verset : 33.
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