Les Taux de Change d’Équilibre des Pays Sud Méditerranéens : Une estimation à partir de l’économétrie de données de panel non stationnaires. Hmida LOUHICHI1 CEPN Université Paris XIII Résumé : L’objectif de ce papier est d’estimer les taux de change d’équilibre de 11 pays Sud Méditerranéens entre 1980 et 2008. Le cadre méthodologique que nous retenons repose sur l’approche comportementale du taux de change d’équilibre (approche BEER) et consiste à estimer une relation de long terme entre le taux de change effectif réel et un certain nombre de fondamentaux. L’estimation économétrique repose sur l’économétrie de données de panel non stationnaires. Nos résultats indiquent qu’une augmentation du revenu par habitant, des dépenses du gouvernement, des termes de l’échange et de la position extérieure nette a tendance à apprécier le taux de change d’équilibre de long terme des pays considérés, alors qu’une augmentation du degré d’ouverture tend à le déprécier. Mots clés : Taux de change d’équilibre, BEER, cointegration en panel, Pays Sud Méditerranéens. Classification JEL: E69, C15, C23, F0, F31. 1 Doctorant au Centre d’Economie Paris Nord, (CEPN) 108 Avenue Aristide Briand 92220 Bagneux, La France Tél : +33 6 13 92 37 97 [email protected] 1 Introduction : La détermination d’un taux de change d’équilibre dans les pays émergents fait l’objet d’une vaste littérature tant théorique qu’empirique. Les premières définitions proposées reposent sur la PPA. Cependant, celle-ci ne semble guère appropriée dans le cas des pays émergents dont les niveaux de prix sont beaucoup plus faibles que dans les pays développés. Dès lors, l’appréciation tendancielle du change réel est perçue comme un phénomène naturel compte tenu du processus de rattrapage de ces pays (effet Balassa-Samuelson). Dans ce contexte, ce sont les productivités relatives dans les secteurs des biens échangeables et non échangeables qui déterminent le niveau d’équilibre du taux de change réel. Pourtant, cette définition n’est pas pleinement satisfaisante car elle propose un niveau d’équilibre de "long terme" et ne permet pas de relier le taux de change réel à la situation extérieure du pays. Une littérature relativement abondante a mis en exergue l’importance du taux de change pour des pays en transition comme les pays Sud Méditerranéens en tant qu’instrument de régulation et devant la nécessité de mettre en œuvre une politique de change capable d’atténuer, voire d’éliminer, les répercussions défavorables des mésalignements des taux de change. D’autant que l’expérience passée a montré qu’un taux de change durablement inadéquat peut être à l’origine de retombées négatives sur les performances et est, généralement, révélateur de dysfonctionnements structurels. En effet, de nombreuses difficultés rencontrées par certains pays durant les années 80 ont été, très souvent, attribuées à des politiques de change inappropriées. A titre illustratif, certains auteurs, n’hésitent pas à considérer que l’effondrement du secteur agricole, la stagnation économique et le surendettement d’un certain nombre de pays, notamment des pays Sud Méditerranéens, sont directement liés au maintien, pendant une longue période, d’un taux de change surévalué (Aglietta, Baulant et Coudert, 1999). Les tenants d’une telle approche considèrent que : les surévaluations, surtout quand elles persistent dans le temps, sont, généralement, des signes annonciateurs de profondes crises, comme ce fut le cas pour le Mexique en 1994 ou, plus récemment, pour le Sud-est asiatique; 2 les écarts du taux de change réel par rapport à sa trajectoire d’équilibre, sont, souvent, associés à de faibles taux de croissance économique sur le moyen et long terme. Le Partenariat Euro-méditerranéen entre l’Union Européenne et les pays méditerranéens a été lancé à Barcelone en 1995 afin de faire du bassin méditerranéen une zone de dialogue, d’échanges et de coopération. Cependant, sous l’effet de ce partenariat et de l’objectif ambitieux d’instaurer une zone de libre-échange euro-méditerranéenne d’ici à 2010, des processus de libéralisation se sont mis en place avec, comme caractéristiques communes, une plus grande ouverture au commerce international et, sur le plan intérieur, des réformes allant dans le sens du recul de l’Etat dans le fonctionnement de l’activité économique. Ces changements se sont accompagnés d’adaptation progressive des politiques budgétaires et monétaires pendant les dernières décennies. L’enjeu était alors clair, il s’agissait de permettre aux pays méditerranéens de pénétrer dans les étapes de la transition économique qui suivent l’étape de la stabilisation et de la bonne gestion macroéconomique, à savoir la libéralisation de leurs régimes de commerce et de leurs systèmes financiers, ainsi que l’adoption d’instruments de politique monétaire fondés sur les mécanismes du marché. A la lumière de ces changements, les pays méditerranéens ont envisagé d’assouplir leurs régimes de change afin de faire face aux chocs extérieurs, de réduire le risque de crises bancaires et de contribuer à la stabilité financière. Les études concernant la question des taux de change réels d’équilibre des pays méditerranéens ne sont pas nombreuses. L’objectif poursuivi dans cet article est de déterminer le taux de change d’équilibre – c’est-à-dire compatible avec les équilibres interne et externe - des pays Sud méditerranéens. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si les taux de change de ces pays convergent ou non vers leur valeur d’équilibre afin d’évaluer l’ampleur des déséquilibres qui affectent ces pays. Les calculs s’appuient au niveau théorique sur l’approche comportementale du 3 taux de change d’équilibre (approche BEER). Nous estimons une équation réduite du taux de change effectif réel où ce dernier est expliqué par un certain nombre de fondamentaux économiques. Au niveau économétrique l’analyse repose sur les développements récents en économétrie de données de panel non stationnaires: tests de racine unitaire et de cointégration en panel. En nous basant sur les vecteurs de cointégration issue de la méthode Fully Modified OLS, nous calculons les taux de change d'équilibre afin d’en déduire leur degré de sur ou de sous-évaluation. La suite de cet article est organisée de la manière suivante. Une première section décrit le cadre théorique de l’approche comportementale du taux de change d’équilibre. La seconde section présente notre démarche économétrique et les résultats auxquels nous aboutissons. La dernière section présente nos principales conclusions. 4 1. Le cadre théorique : l’approche BEER : Dans le cadre des pays émergents, les études empiriques s’appuient généralement sur l’approche BEER (Behavioural Equilibrium Exchange Rate). Elles reposent sur l’estimation d’une équation réduite où le taux de change réel est régressé sur un certain nombre de fondamentaux censés affecter les équilibres interne et externe. Cette méthodologie permet de dépasser la disponibilité limitée des séries de volume de commerce dans les économies émergentes, qui contraint l’utilisation de la méthodologie de Williamson ou de tout autre modèle structurel. 1-1- Le modèle de base : Clark et MacDonald (1999) proposent une modélisation générale de l’approche BEER. Elle consiste à retenir un ensemble de variables fondamentales pouvant influencer le taux de change réel de long terme (terme de l’échange, productivité du travail, prix du pétrole, stock d’actifs étrangers nets, taux de chômage…) puis de chercher des relations de cointégration entre le taux de change qt et ces variables. Le modèle BEER se décline alors de la façon suivante : Clark et MacDonald (1999) partent de la condition de la parité des taux d’intérêt pour modéliser le taux de change d'équilibre. : q te k r t e, t k r t *, te k t (1) Où q te k est la variation e e anticipée en t+k du taux de change réel. r t , t k i t p t k r t *, te k i t* p * e t k représentent respectivement les et taux d'intérêt réels domestique et étranger. t représente une mesure de la prime du risque. L’équation (1) peut se réécrire : e q t q te, t k ( r t e, t k r t *,te k ) t (2), Si q t , t k est interprété comme une composante du taux de change réel espéré dans le "long e terme", on peut le remplacer (2) : qt x e t ,t k ( rt e, t k rt*,te k ) t 5 par x t ,t k dans l’équation (3) En supposant des anticipations rationnelles parfaites, l’équation (3) peut être récrite de la manière suivante : q t x t ( r t r t* ) (4) Le taux de change réel peut être écrit comme étant fonction de fondamentaux (de long et moyen termes) (x) et de variables à court terme (z): q t q t ( x t , z t ) (5) L'estimation du BEER repose sur quatre étapes (Balazs, Laszlo et Mac Donald 2005): 1. Estimer tout d’abord la relation entre le taux de change réel, les fondamentaux et les variables à court terme. 2. Calculer le mésalignement courant en supposant que les variables à court terme sont nulles et que les valeurs des fondamentaux correspondent aux valeurs observées. Le mésalignement réel correspond alors à la différence entre la valeur effective du taux de change réel et sa valeur d’équilibre. 3. Identifier la valeur d’équilibre de long terme des fondamentaux. Celle-ci est généralement obtenue en décomposant la série en composantes permanente et transitoire (par exemple, en utilisant un filtre HP ou une décomposition Beveridge-Nelson). 4. Calculer le mésalignement total, en supposant que les variables à court terme sont nulles et que les valeurs des fondamentaux ont atteint leur niveau d’équilibre de long terme. Le mésalignement total correspond à la différence entre la valeur effective du taux de change réel et sa valeur d’équilibre de long terme. A partir du cadre méthodologique général développé par Clark et MacDonald nous estimons dans la suite les taux de change d’équilibre des pays Sud Méditerranéens. 6 2-Estimation des taux de change d’équilibre des pays Sud Méditerranées : Dans cette section nous estimons, sur la période allant de 1980 à 2008, les taux de change réels d’équilibre des 11 pays Sud Méditerranéens suivants : Tunisie, Maroc, Algérie, Lybie, Egypte, Jordanie, Syrie, Israël, Chypre, Turquie et Malte. L’estimation repose sur le cadre théorique du taux de change d’équilibre tel qu’il est développé par Clark et MacDonald (1999). Ce cadre théorique nous permet de déterminer le taux de change d’équilibre de long terme comme une fonction de variables réelles (les fondamentaux) et d’étudier l’influence qu’ont les politiques macroéconomiques sur le taux de change réel. Nous expliquons tout d’abord le cadre méthodologique et ensuite la démarche économétrique que nous retenons. Enfin, nous exposons les résultats des estimations ainsi que les principales conclusions qui peuvent en être tirées. 2.1. Le cadre méthodologique : 2-1-1- L’équation réduite du taux de change réel : La forme de l’équation réduite que nous cherchons à estimer est la suivante : (6) Toutes les variables sont exprimées en logarithme, excepté nfa. Avec : rerit est le taux de change effectif réel de la monnaie nationale dans le pays i pour l'année t. (YT)i,t : mesure l’effet Balassa Samuelson selon lequel les pays à forte croissance tendent à se caractériser par une appréciation de leurs rerit (effet Balassa Samuelson). Openit représente le degré d’ouverture, mesuré par la part du volume des exportations et des importations dans le PIB du pays i pour l'année t. Il reflète l'impact de la politique commerciale. L’indicateur d’ouverture capte l’effet des politiques du commerce extérieur sur le rerit. Pxt : termes de l’échange définis comme le rapport des prix des exportations sur les prix des importations. L’effet global de cette 7 variable est cependant ambigu, dans la mesure où le prix des échangeables est une moyenne pondérée des prix des exportables et des importables. Govit représente les dépenses publiques ou la dette extérieure sur le montant des exportations. Si l’on suppose que l’essentiel de la dépense publique se porte sur les biens nonéchangeables, une hausse de la consommation publique élève la demande de non-échangeables, et donc leur prix, ce qui provoque une appréciation du taux de change réel d’équilibre. Nfait : la position extérieure nette en % de PIB. Un pays avec des avoirs nets extérieurs exporte des capitaux et bénéficie des revenus du capital. Une position extérieure nette excédentaire s’accompagne généralement d’une appréciation du taux de change réel d’équilibre dans la mesure où cette position créditrice autorise des déficits courants. 2-1-2- Les données : Les séries de taux de change effectifs réels (REER) sont extraites des Statistiques financières internationales (IFS) du Fonds Monétaire International (FMI), excepté pour l’Egypte, la Jordanie, la Libye, la Syrie et la Turquie où les valeurs ont été calculées par l’auteur. Ce taux de change effectif réel est calculé à partir de l’indice des prix à la consommation et est défini comme l’indice des prix domestiques rapporté à une moyenne pondérée de l’indice des prix des pays partenaires. Une hausse du taux de change effectif réel correspond donc à une appréciation réelle de la monnaie domestique. L’Effet Balassa est mesuré par le rapport entre le PIB PPA par habitant du pays et la moyenne pondérée du PIB PPA par habitant des pays partenaires. Les pondérations appliquées pour le calcul du PIB PPA sont définies comme suit : où représente la part du PIB du pays i dans le PIB des pays partenaires (k= 1….n). Les PIB PPA sont issus de la base de données World Economic Outlook (WEO) du FMI. Les termes de l’échange sont calculés comme le rapport de la moyenne pondérée des prix des cinq premiers produits exportés par le pays, rapportée à l’indice des prix à l’exportation des produits 8 manufacturés des pays industrialisés (MUV) : où : represente la part des exportations du produit k dans les exportations des cinq premiers produits exportés par la pays i, est le prix du produit k sur le marché mondial, obtenu à partir de la base IFS, est l’indice des prix des exportations de biens manufacturés des pays industrialisés, disponible dans la base WEO. Les valeurs de dépenses publiques ont été obtenues à partir des Statistiques financière internationale (IFS) du FMI. Les données concernant la position extérieure nette (NFA) sont extraites de la base de données de Philip R. Lane et Gian Maria Milesi-Ferretti (2006). Nous avons actualisé les données après 2004 en suivant la méthode utilisée par Coudert, Couharde et Mignon (2009) qui consiste à ajouter à la position extérieure nette les soldes courants en dollars. 2-2-Estimation de la forme réduite du modèle Pour estimer l’équation réduite du taux de change effectif réel, nous recourons à l’économétrie de données de panel non stationnaires pour estimer l’équation réduite. L’intérêt de cette méthode consiste à augmenter la puissance des tests de racine unitaire et de cointegration. Nous commençons par tester l’ordre d’intégration des séries avant de tester l’existence ou non d’une relation de coïntégration entre le taux de change réel et les fondamentaux et d’estimer la forme réduite de notre modèle théorique (équation (6)). 2-2-1- Tests de racine unitaire Les tableaux 1et 2 donnent respectivement les résultats des tests de racine unitaire selon Levin, Lin & Chu, Breitung (2000), IPS (2003), Philip Perron et Hadri (2000). Les tests de Levin, Lin & Chu, Breitung et de Hadri sont basés sur un processus commun de racine unitaire. Les deux premiers tests (Levin, Lin & Chu et Breitung) se fondent sur l’hypothèse nulle de racine unitaire, alors que le test de Hadri se fonde sur l’hypothèse 9 nulle d’absence de racine unitaire. L'hypothèse selon laquelle les paramètres autorégressifs sont communs aux individus sous l'hypothèse alternative constitue une hypothèse plutôt restrictive sur la dynamique de la variable. Pour cette raison, nous considérons également deux autres tests. Le test IPS (Im, Pesaran et Shin, 2003) tient compte de l'hétérogénéité du coefficient autorégressif sous l'hypothèse alternative. Ainsi, sous l'hypothèse alternative, certaines variables sont non stationnaires alors que d’autres peuvent être stationnaires. Comme le test d’IPS, les tests de Philip Perron sont fondés sur l'hypothèse selon laquelle le coefficient autorégressif n’est pas le même entre les individus. Tous les tests indiquent que les séries utilisées sont non stationnaires en niveau et stationnaires en différences premières (tableaux 1 et 2). Les variables étant donc toutes intégrées d’ordre un I(1), leur combinaison linéaire doit donc suivre un processus stationnaire I(0). Tableau 1 : Tests de Racine Unitaire en Panel: En Niveau 2 Null: Unit root (assumes individual unit root process) Levin, Lin & Chu Breitung IPS Philip Perron * AT ST AT ST AT ST AT ST Null: NO Unit 3 root Hadri AT ST RER 0.0517 0.1591 0.8310 0.7658 0.3719 0.0002 0.0682 0.0006 0.0000 0.0000 GOV 0.0004 0.0003 0.1173 0.0205 0.0001 0.0016 0.0000 0.0001 0.0000 0.0000 NFA 0.7681 0.8405 0.4587 0.8809 0.1680 0.9251 0.3390 0.5342 0.0000 0.0000 OPEN 0.9979 0.9998 1.0000 0.3070 0.6388 0.9997 0.0276 0.4615 0.0000 0.0000 0.9044 0.0000 0.9427 0.0035 0.0000 0.0001 0.0000 0.0070 0.0000 0.0000 P Y 1.0000 1 .0000 1.0000 0.0000 1.0000 1.0000 1.0000 0.0000 0.0000 0.0000 2 Si les valeurs (P-value) sont supérieures à 0 on accepte l’hypothèse de non stationnarité des variables. 3 Si les valeurs (P-value) sont supérieures à 0 on accepte l’hypothèse de stationnarité des variables. * AT : avec trend, ST : sans trend 10 Tableau 2 : Tests de Racine Unitaire en Panel: En Différence Première Null: Unit root (assumes individual unit root process) Levin, Lin & Chu Breitung IPS Philip Perron AT ST AT ST AT ST AT ST RER 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 GOV 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 NFA OPEN 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 P 0.0006 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 0.0000 Y Null: NO Unit root Hadri AT ST 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 1.0000 2-2-2- Test de cointégration Les tests de racine unitaire en panel ont été étendus à l’étude des tests de cointégration en panel. Pedroni (1996) a développé plusieurs stratégies de tests, ainsi que Kao (1999), Kao & Chiang (1999), Mc Coskey & Kao (1998). Ces tests de cointégration en panel sont fondés sur les tests de racine unitaire des résidus de Banerejee (1999). Nous introduisons ici les tests de Pedroni (1999) qui peuvent s’appliquer à un modèle caractérisé par des régresseurs multiples. Pedroni (1999, 2003) propose une extension au cas où les relations de cointegration comprennent plus de deux variables. Les tests de Pedroni prennent en compte l’hétérogénéité par le biais de paramètres qui peuvent différer entre les individus. Une telle hétérogénéité peut se situer à la fois au niveau des relations de cointégration et au niveau de la dynamique de court terme. Ainsi sous l’hypothèse alternative, il existe une relation de cointégration pour chaque individu du panel. La prise en compte d’une telle hétérogénéité constitue un avantage puisqu’en pratique, il est rare que les vecteurs de coïntégration soient identiques d’un individu à l’autre du panel. Les résultats reportés dans le tableau 3 confirment l’existence d’une relation de cointégration entre le taux de change réel d’équilibre et les variables fondamentales. Toutes les statistiques à l’exception de la statistique panel ν (-0.57810) rejettent l’hypothèse nulle d’absence de cointegration. 11 Tableau 3 : Les tests de cointégration de Pedroni4 (1999) panel v-stat -0.57810 panel rho-stat -3.20119 panel pp-stat -15.01846 panel adf-stat -11.40004 group rho-stat -2.14161 group pp-stat -17.19222 group adf-stat -12.59969 2-2-3- Estimation des vecteurs de cointégration : Les méthodes développées par Pedroni (1999) permettent seulement de tester l’existence d’une relation de cointegration entre le taux de change réel et les fondamentaux, mais elles ne permettent pas d’estimer un vecteur de cointégration. Si ces tests indiquent que les variables sont cointégrées, dans ce cas il est possible d’utiliser plusieurs méthodes de cointégration telles que la méthode Pooled Mean Group (PMG) développée par Pesaran & alii (1999) et l’estimateur du Fully Modified (FMOLS) développé par Pédroni (1996, 1999). La méthode FMOLS permet de tenir compte des problèmes d’endogénéité du second ordre des régresseurs (engendrée par la corrélation entre le résidu de cointégration et les innovations des variables I (1) présentes dans la relation de cointégration) et des propriétés d’autocorrélation et d’hétéroscédasticité des résidus. Elle présente l’avantage de donner des résultats plus robustes que la méthode usuelle des MCO lorsque les échantillons sont de petite taille. En outre, les distributions asymptotiques des estimateurs basés sur la méthode FM-OLS sont non biaisées et ne dépendent pas des paramètres de nuisance. Pesaran & alii (1999) considèrent un modèle où les paramètres de long terme sont supposés homogènes et ceux de court terme hétérogènes. Ils proposent le Pooled Mean Group qui est un estimateur qui permet de rendre en compte l’hétéroscédasticité des résidus. Cette approche, qui est basée sur l'estimation avec maximum 4 Si le statistique panel est supérieur à 1,6445 on accepte l’hypothèse de cointégration. Pour toutes les autres statistiques on accepte l’hypothèse de cointégration si leurs statistiques est inférieur à 1,6445. 12 de vraisemblance, fournit un cadre normal. La détermination de présence d’homogénéité est basée sur le test de Hausman. Le tableau 4 (Voir Annexes) présente les vecteurs de coïntégration obtenus à partir des deux méthodes PMG et FMOLS. L’estimation par les deux méthodes PMG et FMOLS montre que les fondamentaux exercent un impact significatif sur le taux de change réel. Cependant, la comparaison des résultats des différents estimateurs montre de grandes différences dans la taille des coefficients. Les signes des coefficients montrent qu’une augmentation de Y, P, GOV et NFA provoquent une appréciation du taux de change réel d’équilibre, alors qu’une augmentation du degré d’ouverture (OPEN) provoque une dépréciation réelle. Nous utiliserons dans la suite le vecteur de cointégration obtenu à partir de l’approche FMOLS pour calculer les taux de change d’équilibre. La décision pour préférer une méthode aux autres dépend crucialement de leurs propriétés. En principe, le FMOLS exige peu de conditions et tend à être plus robuste. Pedroni (2000) constate que le FMOLS a les propriétés satisfaisantes même pour de petits panels si T est plus grand que le N. Vu notre échantillon T = 29 et N = 11, les résultats disponibles suggèrent que l'estimateur mis en commun de FMOLS ont les meilleures propriétés. 2-3- Les résultats : Nous calculons les valeurs d'équilibre du taux de change de chaque pays à partir du vecteur de cointégration. Les valeurs de long terme des fondamentaux sont calculées en utilisant le filtre de Hodrick-Prescott avec un coefficient de lissage =25. Les graphiques (voir Annexes) reportent la valeur observée du taux de change effectif réel et sa valeur d’équilibre. Compte tenu de la définition du taux de change effectif réel, une valeur observée supérieure à la valeur d’équilibre traduit une surévaluation réelle. L'examen de l'évolution des taux de change effectifs réels des pays Sud Méditerranéens par rapport à leur niveau d’équilibre, au cours de la période 1980-2008, permet de distinguer plusieurs tendances distinctes. Une phase de surévaluation au cours des années 80 suivie d’une phase de sous-évaluation au cours des années 90 et 2000 13 (à l’exception de la Turquie). Un tel résultat peut s’expliquer par la mise en place de régimes de changes plus flexibles, qui a accompagné le processus de libéralisation financière de ces pays. La surévaluation réelle des années 80 est due principalement à la détérioration du commerce extérieur et du compte courant suite à une période de récession économique et au déclin des revenus pétroliers dans les années 80. Dinar Algérien : La surévaluation du Dinar Algérien (DA) qui atteint 46% en 1986 est due principalement à la détérioration du commerce extérieur et du compte courant suite à la chute des prix du pétrole en 1986. Le déficit budgétaire financé par la création monétaire a eu comme conséquence des pressions inflationnistes et un taux de change surévalué. Le mésalignement s'est élevé à 38% en 1989 et 27% en 1990 du à un rétablissement provisoire du prix du pétrole lié à la guerre du Golfe. L'Algérie a adopté un programme de libéralisation en 1992-1993, suivi par l’adoption en 1994 d’un programme d’ajustement structurel proposé par le FMI et la banque mondiale, ainsi que la signature des accords de libre-échange avec l’Union européenne en 1995. L'amélioration des prix du pétrole en 1996-1997 et 2002-2003 a contribué de manière significative à rétablir les déséquilibres externes. En 2007, le DA était sous-évalué d’environ 16%. Dirham Marocain : L’économie marocaine se fonde essentiellement sur l’agriculture et sur l’exploitation de ses ressources en matières premières, tel que le phosphate. Les sécheresses des années 90 ont ramené la croissance potentielle à un niveau plus faible, ce qui explique la surévaluation réelle qui traduit une dégradation de la balance courante et qui atteint 15% en 1994. Le manque de compétitivité des produits marocains aurait dû pousser les autorités à dévaluer la monnaie depuis plusieurs années. Ces derniers ont préféré concentrer leurs efforts sur la consolidation du système financier et l’allégement du fardeau de la dette. Il aura fallu attendre avril 2001 pour que les autorités dévaluent la valeur du dirham de 5 %. Elles ont en fait modifié la pondération des différentes devises qui composent le panier en donnant une plus grande importance à l’euro au détriment du dollar, suite à l’intégration croissante du Maroc dans 14 l’union européenne, ce qui a contribué à la sous-évaluation du dirham, 20% en 2005, qui a été accompagnée d’une amélioration du déficit de la balance courante (l’augmentation des transferts de l’étranger et des revenus de la privatisation). Livre égyptienne : D’abord, nous observons qu’elle a été fortement surévaluée, 29% en 1984, ensuite fortement sous-évaluée, 40% en 1990, jusqu’à la réforme de 1991 qui a entraîné une convergence du taux de change réel effectif vers son niveau d’équilibre. Avec le début du programme de la réforme économique en 1991, le gouvernement égyptien a unifié le système des taux de change et a annoncé l’adoption du régime à flottement administré. En fait, le taux de change a été dévalué en 1991-1992, avec un fort excédent de la balance courante. A partir de 1997, le taux de change égyptien est devenu sujet à de nombreux chocs externes comme la crise de l’Asie de l’Est au milieu de l’année 1997 qui a provoqué un flux de capitaux, un ralentissement des investissements du marché des capitaux. La dévaluation des devises asiatiques a rendu leurs exportations plus compétitives, ce qui a conduit à une augmentation des importations égyptiennes à partir de ces pays, augmentant ainsi le déficit commercial. En janvier 2001, le gouvernement a décidé de dévaluer la livre égyptienne. Malheureusement, les effets négatifs des chocs exogènes de 1997-1998 ont été aggravés surtout après les événements du 11 Septembre 2001, avec un déclin supplémentaire du tourisme et des revenus du canal du Suez. Les conséquences des attaques terroristes de New York, la guerre en Afghanistan et la violence accrue Israélo-palestinienne aux frontières de l’Egypte, ont assombri l’image de l’Egypte comme une localisation attractive pour les investissements étrangers. En même temps, le contrôle des capitaux imposé par les autorités (en 2003) a encouragé les opérations du marché noir, ce qui met le taux de change sous pressions. Ainsi, nous observons qu’il y a forte surévaluation, 49% en 2007. Dinar Tunisien : la période 1980-1984 a connu une forte demande interne et des tensions inflationnistes qui ont contribué à une réelle surévaluation de la devise nationale. Cependant, la récession et 15 les problèmes de la balance des paiements de la moitié des années 80 ont exercé une pression significative sur le dinar. Pour répondre à ceci, des tentatives ont été entreprises en 1985 pour stabiliser le taux de change en changeant la composition du panier des monnaies. Ces modifications ont été inefficaces, menant par conséquent les autorités, à l’adoption du programme d’ajustement structurel en 1986 et à une forte dépréciation nominale du dinar, ce qui explique la sousévaluation durant la période 1989-1994. Entre 1994-2000, Il convient, toutefois, de souligner que, bien qu’il y ait sous-évaluation du Dinar par rapport à son niveau d’équilibre durant cette période, nous pouvons constater que le taux de change suit la trajectoire du taux de change d’équilibre. En effet, à partir de 1994 jusqu’en 2000, une tendance inverse est observée et correspond à une diminution continue de cet écart et donc, à un rapprochement du taux de change vers son niveau d’équilibre annulant ainsi la surévaluation des années passées, de sorte qu’en 2000, le taux de change est proche de son équilibre. Une telle tendance traduit en fait la stratégie mise en œuvre ces dernières années consistant à assurer la stabilisation du taux de change réel du Dinar. Ce qui laisse penser que l’objectif de stabilisation du Dinar est en voie de réalisation. La dévaluation du dinar de 5% en 2003 afin d’encourager les exportations explique la sous-évaluation du dinar qui atteint 20% environ en 2007. La Livre Turque : la surévaluation de la Livre turque (LT) est la plupart du temps due aux déficits des secteurs publics excessifs et persistants qui produisent des taux d'inflation élevés (50 pour cent en moyenne au cours de la période 1985-1989). Malgré le déficit de sa balance de paiement, la Turquie a commencé à recevoir des entrées de capitaux substantielles dans la fin des années quatre-vingt, après sa forte stratégie tournée vers l'extérieur et la pleine libéralisation du compte capital. Pour le cas de la Turquie nous pouvons conclure que le taux de change est très proche de son niveau d’équilibre. Il semble bien que la stabilisation de l’économie turque passe par la stabilisation de sa monnaie sur les marchés internationaux, à la fois pour que les échanges de marchandises (et de services) et les mouvements de capitaux à l’entrée ou à la sortie s’établissent sur des bases durables. 16 Shekel Israélien : le commerce extérieur israélien a évolué de façon assez sensible depuis la décennie 80 ; une réorientation nette des échanges extérieurs d'Israël s’est manifestée: le pays accroît ses achats à l'Europe et diminue ceux aux Etats-Unis, mais en revanche il vend de plus en plus aux Etats-Unis et à l'Asie et de moins en moins à l'Europe occidentale. A partir de 1986 et jusqu’en 2001 le taux de change réel passe au-dessus du taux de change d’équilibre. Ceci traduit une surévaluation du Shekel par rapport à sa valeur d’équilibre qui atteint 13% en 1997. Cela est dû à la dégradation des termes de l’échange et à l’ouverture de l‘économie israélien depuis 1986. Livre Chypriote : la conclusion principale qui peut être tirée est que le taux de change réel a été sous-évalué durant la période 19801985 (20% en 1984) mais à partir de 1986, le taux de change réel est très proche de son niveau d’équilibre. La variation de mésalignement en % entre le taux change réel et le taux de change d’équilibre est très petite (de -3% à +5,5%) pendant la période 1986-2007. Cela est dû généralement au force exercé par les fondamentaux. Ainsi, la baisse des dépenses publique et du degré d’ouverture était la principale source pour que le taux de change d’équilibre converge vers sa valeur d’équilibre. Lire maltaise : la surévaluation de la Lire maltaise qui atteint 25% en 1985, résulte de la détérioration des termes de l'échange dû à la baisse des prix de produits électroniques et au déclin des capitaux étrangers nets. La période de 1990 à 2000 montre que le taux d’équilibre est au-dessus du taux de change réel, la Lire maltaise est sous-évaluée d’environ 6% en 1996. Ce résultat est dû essentiellement à la dévaluation de la Lire maltaise d’environ 10% en 1992 et à la forte croissance des années 94-96. Malgré l’adhésion de Malte à l'Union européenne, la croissance stagnée depuis 2004. Cette lente croissance a reflété la faiblesse des exportations et la perte de compétitivité envers ces partenaires commerciaux, dû à la surévaluation de 10% en 2007. 17 Le Dinar Jordanien, le Dinar Libyen et la Livre Syrienne: En analysant l’évolution du taux de change réel par rapport à son niveau d’équilibre de la Syrie, de la Jordanie et de la Lybie, nous constatons que le taux de change réel est en dessous de son niveau d’équilibre à partir de 1991. Cela est dû à l’augmentation des revenus pétroliers. Durant cette période, l’excédent commercial était la principale source pour que ces trois pays augmentent leurs dépenses publiques. C’est une politique adaptée pour éviter une surévaluation de leurs monnaies. La période de 1980-1990 a été caractérisée par une surévaluation remarquable (60% de la Lire syrienne, 40% de la Livre libyenne et 50% du dinar jordanien). Cette surévaluation est due généralement au déclin des revenus pétroliers dans les années 80. 18 Conclusion : L’objectif de cet article était d’estimer les taux de change d’équilibre de 11 pays Sud Méditerranéens entre 1980 et 2008. Notre cadre théorique repose sur l’approche comportementale du taux de change d’équilibre (BEER). Nous avons estimé une relation de long terme entre le taux de change effectif réel et un certain nombre de fondamentaux. L’estimation économétrique repose sur l’économétrie de données de panel non stationnaires. Nos résultats indiquent qu'à moyen et à long terme, le taux de change réel dépend du PIB PPA par tête, des dépenses du gouvernement, des termes de l’échange, du degré d’ouverture et de la position extérieure nette. Nous montrons qu’une augmentation du revenu par habitant, des dépenses du gouvernement, des termes de l’échange et de la position extérieure nette a tendance à apprécier le taux de change réel d’équilibre, alors qu’une augmentation du degré d’ouverture tend à le déprécier. Les pays sud méditerranéens ont connu une période de surévaluation significative de leur monnaie au cours des années 80. Cependant, la surévaluation de leur monnaie a diminué à partir des années 90 (à l’exception de la Turquie). Cela est dû à la mise en place de régimes de change plus flexibles pour un certain nombre de pays et à une meilleure gestion macroéconomique pour d’autres. 19 BIBLIOGRAPHIE Aglietta M, Baulant C et Coudert V, "Pourquoi l’euro sera fort : une approche par les taux de change d’équilibre", Revue Economique, vol 49, n°3, mai 1998. Balazs, Laszlo et Mac Donald (2005), "Equilibrium Exchange Rates in Transition Economies", THE WILLIAM DAVIDSON INSTITUTE. Clark, Peter et MacDonald (1999), "Exchange rates and economic fundamentals: a methodological comparison of BEERs and FEERs", International Monetary Fund. Clark, Peter et MacDonald (2000), "Filtering the BEER- A permanent and transitory decomposition", International Monetary Fund, IMF. Coudert, V, Couharde C et Mignon V (2009), "Do Terms of Trade Drive Real Exchange Rates? Comparing Oil and Commodity Currencies", CEPII. Hurlin C et Mignon V (2007), "Une synthèse des tests de cointégration sur données de Panel", Economie et prévision. Kao C (1999),"Spurious regression and residual-based tests for cointegration in panel data", Journal of Econometrics, 90, 1-44 Kao C et Chiang M (2000),"On the estimation and inference of a cointegrated regression in panel data", in B. Baltagi and C. Kao (eds). McCoskey S Kao C (1998), "A residual-based test of the null of cointegration in panel data", Econometric Reviews, Vol. 17, pp. 57.84. Pedroni, P (1999), "Critical values for cointegration tests in heterogeneous panels with multiple regressors", Oxford Bulletin of Economics and Statistics, S1, 61, 653-670. Pedroni, P (2004), "Panel cointegration. Asymptotic and finite sample properties of pooled time series tests with an application to the PPP hypothesis", Econometric Theory, 20, 597-625. 20 Pedroni, P. (1996a), "Fully Modified OLS for Heterogeneous Cointegrated Panels and the Case of Purchasing Power Parity". Department of Economics, Indiana University. Lane P, Maria G et Ferretti M (2006), "Exchange Rates and External Adjustment" The Institute for International Integration Studies series. Pesaran, S et Smith (2003) "Pooled Mean Group Estimation of Dynamic Heterogeneous Panels" Journal of American Statistical. 21 ANNEXES : Graphiques d’évolutions de REER et BEER5 : _ _ _ : BEER ─── : REER Tableau 4 : Estimation des vecteurs de cointégration : PMG Variable Coeff T-Stat Rert-1 0.89 34.42 Y -0.31 -2.44 OPEN 0.08 2.25 P -0.02 -1.97 GOV -0.10 -1.99 NFA -0.13 2.28 FMOLS Coeff T-Stat ***** ***** -0,49 -6.18 0,37 -4.17 -0,12 -2.99 -0,17 -2.90 -0,34 -9.94 Graphiques d’évolution de REER et BEER5 : 5 REER : Taux de change effectif réel BEER : Taux de change d’équilibre Si REER >BEER traduit une surévaluation. 22 23