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JEUX D’ENFANTS
Les petits Romains
jouaient au yoyo
Q
ui a dit que le hochet nétait pas
un sujet détude sérieux? Certai-
nement pas Archytas, son illustre in-
venteur. Ce grand homme de lAnti-
quité, philosophe, disciple de Platon,
géomètre, homme d’Etat,
mathématicien, est éga-
lement le père du fa-
meux jouet pour bébé.
Modelé en terre cuite en
forme danimal, denfant
ou détoile, le hochet rem-
pli de petites billes devait comme au-
jourd’hui apaiser le bébé et canaliser
son énergie. «On craignait beaucoup
que lenfant ne souffre d’un déséquili-
bre dû à la nervosité ou à la peur, ex-
plique Véronique Dasen, professeure
darchéologie classique à l’Université
de Fribourg. Une forte frayeur, pen-
sait-on, pouvait entraîner des con-
vulsions et causer la mort de l’enfant.
Doù l’importance de le tranquilliser.»
Les jouets existaient évidemment dé-
jà au temps de Jules Cé-
sar. Une récente exposi-
tion au Musée romain
de Nyon (voir encadré
p. 18), réalisée sous la
direction de Véronique
Dasen, leur était consa-
crée. L’intérêt du jouet pour lhisto-
rien? «Cest une manière de revisiter
l’histoire d’une société à côté de lhis-
toire des puissants, des guerres ou des
institutions. Le jeu est omniprésent
dans le quotidien des gens: il nous
renseigne sur les relations entre fil-
Jules César enfant a-t-il
joué aux petits soldats?
Les archéologues s’em-
parent d’un nouveau do-
maine d’étude: le jeu.
Loin d’être anodine, cette
activité dit beaucoup des
valeurs d’une société.
Garçons et filles
ne jouaient pas
aux mêmes jeux.
Ici, sur le tour-
nage d’une vidéo
de l’exposition.
Veni, vidi, ludique
La créativité
ne trouve pas
grâce aux
yeux de Platon.
SPÉCIAL JOUETS
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27 NOVEMBRE 2014
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les et garçons ou parents et enfants».
Le hochet, par exemple, bat en brèche
l’idée longtemps admise quà une épo-
que de forte mortalité infantile, les
parents ne sattachaient pas à leurs
bébés. Cest un objet fabriqué spécia-
lement pour les besoins du tout-petit
et il revêt parfois une forme symboli-
que appelant sa protection.
UNE DOULEUR DE FEMME
«Quelques textes expriment la
souffrance des parents
face à la mort d’un en-
fant: mais cette perte
est le plus souvent une
douleur muette, une dou-
leur de femmes, et cel-
les-ci nont pas la parole
dans la sphère publique»,
explique Véronique Da-
sen.
L’histoire du jouet anti-
que est un puzzle dont il
manque un grand nom-
bre de pièces. Quelques
traités de pédagogie nous
éclairent sur la fonction
dévolue au jeu par les philosophes,
mais très peu dobjets ont traversé les
siècles. Pour remplir ses onze vitri-
nes, lexposition nyonnaise a dû faire
appel à 19 musées suisses et europé-
ens! «Ce qui reste nest que la pointe
de l’iceberg, résume larchéologue.
Il nous manque tous les jouets en
bois, en cuir, en paille, en chiffon, que
le temps s’est chargé de faire dispa-
raître: ceux que les enfants fabri-
quaient eux-mêmes et ceux qu’ils dé-
tournaient de leur usage premier. Plu-
tarque raconte par exemple comment
les enfants pouvaient samuser à met-
tre les chaussures de leur père pour
jouer au magistrat.»
LA BARBIE GRECQUE
Et quand on retrouve un jouet en ter-
re cuite, en métal ou en os, encore faut-
il l’identifier comme tel. Une toupie,
une poupée ou un cheval à roulettes
sont vraisemblablement des jouets:
mais retrouvés dans un temple ou dans
une tombe, avaient-ils un usage pu-
rement profane ou également une va-
leur religieuse? «Quand on trou-
ve des jouets très semblables à
ceux daujourdhui, il faut faire
preuve de prudence et éviter
les amalgames, explique l’ar-
chéologue. La poupée grec-
que nest pas la Barbie d’au-
jourd’hui. De très belles fi-
gurines articulées en ter-
re cuite présentent tou-
tes un trou dans la tête,
manifestement pour les
suspendre. On en a re-
trouvé plus de 700 dans le
sanctuaire de Déméter et
Coré, à Corinthe.
Elles étaient sans doute
consacrées au moment
du mariage de la jeune fille. Au-
cune nest abîmée ou réparée: il
est donc peu probable que les
fillettes aient joué avec.» Des
yoyos en terre cuite ont aussi
été retrouvés à Thèbes dans
des tombes du 5esiècle av.
J.-C. Mais les spécialistes se
demandent s’ils ont réelle-
ment été utilisés ou s’ils ne
sont que des copies dorigi-
naux en bois, aujourd’hui
perdus, fabriqués pour être
déposés dans la tombe.
SPÉCIAL JOUETS
Veni, vidi, ludique
DR
(suite en p.18)
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Le jeu na pas non plus le même rôle
d’une époque à lautre. La créativité, à
lhonneur aujourdhui, ne trouve pas
grâce aux yeux de Platon: pour lui,
le jeu devait initier lenfant aux lois
et en faire un bon citoyen. Pas ques-
tion d’inventer de nouvelles façons de
jouer! «Si le jeu et les enfants échap-
pent à la règle, il est impossible quen
grandissant les enfants deviennent
des hommes de devoir et de vertu so-
lide», affirmait le philosophe, se mon-
trant particulièrement... vieux jeu.
QUELQUES CLAQUES
Filles et garçons, dévolus à des rôles
bien différents, ne jouaient pas non
plus aux mêmes jeux. Platon préco-
nise qu’ils soient séparés dès l’âge de
six ans; puis quen jouant, les garçons
soient préparés à leur métier. Que le
futur architecte construise de petites
maisons, que le futur agriculteur samu-
se à travailler la terre. Même si, dans
les faits, le goût de lenfant guidait par-
fois le choix des adultes, comme en
témoigne Lucien de Samosate, orien-
par son père vers le métier de sculp-
teur : «Quand je revenais de l’école, je
prenais de la cire et jen façonnais des
bœufs, des chevaux et, par Jupiter!
Même des hommes, le tout fort gen-
timent au goût de mon père. Ce talent
mavait jadis attiré quelques claques
de mes maîtres; mais aujourd’hui, il
devenait un sujet d’éloges et le signe
d’une heureuse aptitude».
Quant aux filles, les pédagogues nen
disent rien. On sait, au vu des objets
retrouvés dans les tombes, quelles
samusaient parfois avec les mêmes
jouets que les garçons, mais pas de la
même manière: les osselets, par exem-
ples, leur servaient à des jeux de divina-
tion et non de compétition. Feraient-
elles un bon mariage? Auraient-elles
des enfants? Survivraient-elles à leurs
accouchements? «Les jouets nous par-
lent de leur apprentissage de la vie re-
ligieuse et de leur futur rôle dépouse
et de mère», conclut Véronique Da-
sen. Les féministes trouveront que...
ce nest pas du jeu! I
Christine Mo Costabella
Le jeu dans l’Antiquité a ins-
piré le projet Agora Veni, vi-
di, ludique, soutenu par le
Fonds national suisse. Il re-
groupe trois expositions: la
première, sur les jeux et les
jouets, a déjà quitté Nyon. La
deuxième revisite l’Antiquité
à travers les jeux de table et
les jeux vidéo d’aujourd’hui;
elle est visible jusqu’au 19
avril au Musée suisse du jeu,
à La Tour-de-Peilz. La derniè-
re concernera la reconstitu-
tion des règles perdues et les
lieux de jeux, du 14 mars au
21 février 2015 au Musée ro-
main de Vallon. I
En savoir plus:
venividiludique.ch. CMC
Sous toutes
ses coutures
La Barbie grecque,
articulée, ressem-
ble à celle d’au-
jourd’hui. Mais
elle ne servait pas
aux mêmes jeux.
FÊTE EN FAMILLE
Le défi du
«
P
ourquoi c’est Jésus qui a son
anniversaire et nous qui rece-
vons les cadeaux?», demandait un
jour une petite fille philosophe à pro-
pos de la fête de Noël. Une excellente
question que les sociologues nont
pas manqué de se poser (voir enca-
dré); mais réfléchie ou pas, attendue
ou jugée exaspérante, la coutume des
cadeaux sous le sapin revient imman-
quablement chaque année. Jusqu’
faut-il la suivre? Comment éviter les
excès?
La frénésie des achats qui entoure la
fête a beau stimuler l’économie (les
grandes surfaces réalisent 25% de leur
chiffre d’affaires en période de Noël,
les magasins de jouets 60%), elle pose
question à plus d’un, à commencer
par les parents, généralement les pre-
miers concernés. Noël est peu à peu
devenu la fête des enfants où les adul-
tes sémerveillent de voir les petits des
étoiles plein les yeux... et les cadeaux
y jouent un grand rôle.
Pourtant, certains se demandent com-
ment ne pas tomber dans une suren-
chère nuisible à la magie même de la
fête puisque les cadeaux peuvent de-
Les cadeaux font partie
de la magie de Noël.
Mais multipliés à l’ex-
cès, ils peuvent nuire à
l’éducation des enfants et
encombrer les parents.
Des alternatives existent.
19
SPÉCIAL JOUETS 19
autre à qui elle doit faire un cadeau.
«Chez nous, cest la solution qui sest
imposée d’elle-même, explique Claire,
une jeune grand-maman lausannoise
qui a opté pour ce système il y a cinq
ans. En famille, nous avions l’habi-
tude que seules les jeunes reçoivent
des cadeaux. Je ne trouvais pas nor-
mal qu’ils shabituent à recevoir et à
ne rien donner. Et comme nous som-
mes nombreux, il nétait pas possible
de demander que chacun fasse un ca-
deau à tout le monde!» Un mois avant
la fête, elle envoie donc aux convives
le nom de la personne à qui ils offri-
ront un présent.
Cela limite à un le nombre de cadeaux
offerts et reçus: pas trop de frustra-
tions? «Je crois que ça prend plutôt
bien. Dès début décembre, je reçois
des coups de fil de gens qui me de-
mandent à qui ils doivent faire un
cadeau pour qu’ils aient le temps de
penser à quelque chose qui corres-
ponde aux goûts de la personne. On
ne fait qu’un cadeau, mais on y met
plus dargent et on se donne de la pei-
ne pour faire plaisir!» I
Christine Mo Costabella
cadeau de Noël
venir une exigence («Je veux que tu
machètes ce jouet pour Noël») ou
saccumuler à tel point que les enfants
nont pas le temps de les découvrir
qu’un nouveau jouet vient déjà dé-
tourner leur attention.
MANGEURS D’ESPACE
Culture du zapping oblige, un cadeau,
même longtemps désiré, néveille-
ra leur intérêt qu’un moment avant
d’êtrelaissé au profit du suivant,
sen allant rejoindre la cohorte des ob-
jets mangeurs d’espace tant redoutée
par les parents.
Une première étape peut être de pro-
poser aux oncles, tantes ou grands-
parents de sassocier pour faire un ca-
deau, ce qui limite le nombre de pa-
quets et permet doffrir un jouet de
plus grande valeur qui dure plus long-
temps. D’autres préconisent un «ca-
deau immatériel» (spectacle, parc dat-
tractions, week-end dans une ville),
qui a le double avantage de ne pas
prendre de place et de faire vivre un
moment de qualité avec lenfant, lais-
sant de beaux souvenirs. D’autres en-
fin optent pour le tirage au sort: cha-
que personne reçoit le nom d’une
Un certificat du
Père Noël pour
apprendre à offrir
de bons cadeaux?
Keystone-a
Depuis quand se fait-on des cadeaux à Noël?
Dès l’Antiquité, les «étrennes» étaient offertes
le premier janvier. C’est au 19
e
siècle que l’échan-
ge de cadeaux a reculé d’une semaine pour s’in-
viter autour du sapin. Selon la sociologue Mar-
tyne Perrot, auteure de Le cadeau de Noël, his-
toire d’une invention, c’est la famille bourgeoise
anglo-saxonne qui a donné sa forme moderne
à la fête de Noël. De fête religieuse publique,
elle est devenue fête familiale privée. La révolu-
tion industrielle et l’apparition des grands maga-
sins, avec leurs vitrines fleurissant de lumières
et de jouets, ont accompagné l’évolution d’une
célébration toujours plus axée sur les enfants et
les cadeaux. ICMC
Une invention
du 19esiècle
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