La lettre des économistes de l’AFD • 5 • N° 3 novembre/décembre 2003
La Tunisie, dès 1996, et le Maroc en
2000, ont été les premiers pays sud-
méditerranéens à débuter le démantèle-
ment tarifaire prévu dans le cadre du pro-
cessus de Barcelone – avec des achève-
ments respectivement programmés pour
2008 et 2012. Le processus en cours dans
ces deux pays permet d’établir un premier
bilan assez mitigé de l’impact écono-
mique de la zone de libre-échange (ZLE)
euro-méditerranéenne et de tirer quatre
principaux enseignements. Sans remettre
en cause le bien fondé de la logique éco-
nomique sous-jacente du partenariat et
l’impérieuse nécessité de l’ouverture pour
les pays sud-méditerranéens, ces pre-
mières conclusions suggèrent que la ZLE
euro-méditerranéenne ne peut suffire à
elle seule à accélérer la croissance au sud
de la Méditerranée. A court terme, la
contribution de la ZLE à la création d’em-
plois apparaît limitée alors que le "défi
de l’emploi" constitue la priorité de ces
pays confrontés à une forte croissance de
leur population active1.
Premier enseignement des expériences
marocaine et tunisienne, la plupart des
effets destabilisateurs anticipés sur les
finances publiques et la balance des paie-
ments ne se sont à ce jour pas matériali-
sés. La Tunisie a su compenser la baisse
de ses recettes douanières – de 2,6
points de PIB entre 1995 et 2002 – par
une augmentation des autres recettes
budgétaires et une limitation de la crois-
sance des dépenses publiques. Les pertes
additionnelles annuelles de recettes
douanières ne devant pas dépasser 0,1 %
du PIB à partir de 2004, la transition fis-
cale tunisienne peut d’ores et déjà être
considérée comme un succès. Au Maroc,
elle reste à faire d’autant que le gouver-
nement, concomitamment à la baisse des
recettes douanières, a adopté des
mesures d’allègement fiscal se traduisant
par une détérioration des soldes budgé-
taires2. Du côté de la balance des paie-
ments, la croissance des importations
générée par le démantèlement tarifaire a,
dans les deux pays, été plus que compen-
sée par celle des exportations et des
transferts courants permettant une nette
amélioration des comptes courants de la
balance des paiements, et ce en l’absen-
ce de dépréciation monétaire marquée.
L’augmentation des transferts s’explique
principalement par les transferts privés
alors que l’aide effectivement décaissée
par la Commission Européenne (dons
MEDA) n’a représenté en moyenne
annuelle que 0,1 % du PIB marocain et
0,2 % du PIB tunisien sur la période
1995-2002.
Deuxième enseignement, le processus de
mutation des secteurs productifs induit
par la logique de Barcelone3semble
prendre du temps à se matérialiser, d’où
l’absence de nette accélération de la
croissance et des créations d’emplois. Le
nombre de créations d’entreprises ne s’est
pas accéléré, ni même celui des dépôts
de bilan d’entreprises non compétitives
dans un environnement concurrentiel.
Cette évolution lente s’explique pour par-
tie par le profil graduel et différencié
retenu pour le démantèlement sur les
produits industriels qui s’est traduit par
une hausse initiale de la protection
effective (voir "le point sur le taux de
protection effective") des industries
marocaines et tunisiennes. Par contre,
l’augmentation de l’investissement privé
– d’environ 4 % du PIB au Maroc comme
en Tunisie depuis 1995 – traduit proba-
blement en partie les efforts de moderni-
sation des entreprises industrielles de ces
deux pays.
Troisième enseignement, l’appropriation
de la réforme est un facteur déterminant
pour le succès du processus d’ouverture.
Les performances économiques plus favo-
rables en Tunisie qu’au Maroc – avec un
rythme annuel de croissance respectif de
5% et 3 % – semblent en partie liées au
succès du programme de "mise à niveau"
de l’économie mis en place en Tunisie
(voir le "point sur la mise à niveau"). La
Tunisie, considérant le "processus de
Barcelone" en adéquation avec sa straté-
gie de développement, a utilisé cette
perspective de zone de libre-échange
comme "ancrage extérieur" - et donc
gage de crédibilité et de soutien finan-
cier - à sa politique d’ouverture écono-
mique et de restructuration de l’appareil
productif. Le Maroc s’est engagé plus
timidement dans le processus, traduisant
plus un choix de politique étrangère - la
volonté d’affirmer la priorité qu’il accorde
à sa relation avec l’Europe - que de poli-
tique économique en faveur de l’ouvertu-
re commerciale.
Quatrième enseignement, les investisse-
ments directs étrangers (IDE) au Maroc et
en Tunisie demeurent insuffisants, signifi-
cativement inférieurs à ceux effectués par
les pays de l’Union Européenne dans les
futurs Etats membres4. Si l’on raisonne
hors privatisations – qui correspondent à
des IDE "exceptionnels" – le Maroc et la
Tunisie ont attiré depuis l’adoption du
processus de Barcelone en moyenne 1,5
points de PIB d’IDE chaque année, un
niveau insuffisant pour générer une réelle
dynamique de croissance tirée par les
investissements étrangers. Cette faiblesse
des IDE traduit à la fois :
•un relatif scepticisme sur l’efficacité
ou la pérennité, voire sur l’engage-
ment même des réformes ;
•l’absence de progrès notables en
matière d’intégration régionale qui
limite la taille des marchés locaux
pour un investisseur potentiel ;
•la faible attractivité de la région,
confrontée à des tensions politiques
récurrentes.
L’investissement public s’est par ailleurs
contracté sur la période, en conséquence
des efforts de rationalisation budgétaire
engagé par les deux Etats, au détriment
du développement des infrastructures
publiques pourtant nécessaire à l’amélio-
ration de l’environnement des affaires.
LES PREMIERS ENSEIGNEMENTS DE LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE DE LA
ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE AVEC L’EUROPE AU MAROC ET EN TUNISIE
■Vincent Caupin
Département Méditerranée et Moyen
Orient,
1) Banque mondiale, "Unlocking the Employment Potential in the Middle East and North Africa: Toward A New Social Contract" , Septembre 2003.
2) Soldes budgétaires hors recettes de privatisation.
3) Restructuration de certaines industries, fermeture d’entreprises d’import-substitution reposant sur la protection, et création de nouvelles entre-
prises compétitives.
4) Rapport sur la transition économique 2003 : les effets de l’élargissement sur les partenaires méditerranéens, FEMISE, Marseille.