RESPONSABILITé éTHIQUE DU TRAVAIL SOCIAL ENVERS AUTRUI
ET ENVERS LA SOCIéTé: UNE QUESTION COMPLEXE
Brigitte Bouquet
ERES | Vie sociale
2009/3 - N° 3
pages 43 55
ISSN 0042-5605
Article disponible en ligne l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2009-3-page-43.htm
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Pour citer cet article :
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Bouquet Brigitte, Responsabilité éthique du travail social envers autrui et envers la société : une question
complexe,
Vie sociale, 2009/3 N° 3, p. 43-55.
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Responsabilité éthique du travail social
envers autrui et envers la société :
une question complexe
Brigitte Bouquet*
a responsabilité est une notion cente (l’usage courant du mot
« responsable » ne remonte qu’au XVIIIe siècle), ambiguë, poly-
sémique et mal définie. Selon Claude Zilberberg1, le paradigme de la
responsabilité est à construire. Cependant la responsabilité est sans
cesse évoquée dans nombre de débats contemporains. Paul Valéry2
estimait d’ailleurs que la notion même de responsabilité était un « maî-
tre mot », un terme qui a plus de valeur que de sens. La responsabilité
est en effet une notion complexe à la fois morale et juridique qui
s’articule sur celle de la liberté humaine.
La responsabilité renvoie à la figure du « vis-à-vis ». Liberté et
responsabilité sont très impliquées et la responsabilité serait la condi-
tion de la vraie liberté et comme l’a dit Victor Hugo, « Tout ce qui
augmente la liberté augmente la responsabilité ». Que devient cette
vision éthique ? On observe que dans les sociétés actuelles, le Droit
concernant la responsabilité l’emporterait sur la réflexion morale… De
plus, libre-arbitre et déterminisme ne cessent de se poser… La ques-
tion d’une juste prise de responsabilités est au cœur de positions ambi-
valentes et chacun se vit écartelé entre d’une part, ce qui oblige – la
fraternité, la solidarité, la réciprocité –, d’autre part, ce qui est de
l’ordre des possibilités, et enfin entre les réactions de culpabilités ou
* Professeure titulaire de la Chaire Travail social au CNAM.
1. Claude ZILBERBERG, « De la responsabilité », Nouveaux actes sémiotiques, oct.
2007.
2. Paul VALÉRY, Cahiers, tome I, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1973.
L
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de victimisation ou de fuite. S’y ajoute la question des articulations de
la responsabilité face à la « pluralité humaine3 » et des responsabilités
plurielles partagées, car les modes de représentation et d’exercice de la
responsabilité sont inscrits dans un environnement humain (une socié-
té, une culture) qui les façonne et les oriente. Dans le fait de la respon-
sabilité se croisent sans cesse le sujet et la société en leurs différentes
dimensions.
S’appuyant sur les fondements de la responsabilité éthique, cet arti-
cle propose une réflexion centrée sur les divers aspects de la responsa-
bilité éthique professionnelle, sans sous-estimer les implications éco-
nomiques, sociales, voire environnementales, qui influencent le rap-
port des droits et des devoirs des travailleurs sociaux. Avoir à rendre
compte de son rapport à soi, à autrui, aux choses du monde, c’est met-
tre l’effectivité de la responsabilité simultanément, dans un système de
valeurs irréductibles, dans un cadre institutionnel, dans le contexte
social. Aussi seront abordées les responsabilités éthiques de chacun,
les responsabilités éthiques à l’égard des usagers, les responsabilités
éthiques envers les institutions employeurs, les responsabilités éthi-
ques vis-à-vis de la société…
RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE : RAPPEL DES FONDAMENTAUX
Résumons brièvement qu’étymologiquement, le terme « responsa-
bilité » provient du verbe latin respondere qui signifie obligation de
« répondre », se porter « garant ». Ce mot trouve aussi son origine
dans la racine latine sportio qui recouvre l’idée de se porter caution,
d’être garant d’événements qui vont se produire, de se référer à un
mécanisme projectif, tourné vers l’avenir. Enfin Respondeo veut dire
« je deviens responsable en répondant – par l’action ou par la parole –
à l’appel de quelqu’un ou de quelque chose », mais ce terme a égale-
ment le sens de « comparaître devant un tribunal ».
Sous le premier aspect, être responsable, c’est apporter son con-
cours à une autre personne, ce qui suppose fraternité et solidarité, une
relation éthique. Le « je veux » précède « je dois ». Être responsable
individuellement, c’est être capable d’assumer sa liberté et les situa-
tions correspondantes4. Mais la responsabilité se situe surtout par rap-
port aux autres. C’est les assumer avec leurs demandes. Il existe donc
3. Gérôme TRUC, Assumer l’Humanité. Hannah Arendt : la responsabilité face à la
pluralité. Ed. de l’Université de Bruxelles, 2008. Dans cet ouvrage, G. Truc aborde la
pluralité, au sens où la fait valoir Hannah Arendt, c’est-à-dire qui lance un défi à la respon-
sabilité. Sommes-nous capables d’assumer l’humanité ?
4. Jean-Paul SARTRE, Cahiers pour une morale, Paris, Gallimard, 1983.
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Responsabilité éthique du travail social envers autrui et envers la société…
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un partage au sein de toute personne entre responsabilités « égoïstes »
et « altruistes ».
Sous le second aspect, être responsable, c’est être redevable de ses
actes devant la loi, dans une relation juridique.
Le terme « responsabilité » comporte ce double sens et signifie ré-
pondre devant une autorité souveraine (tribunal intime de la cons-
cience ou tribunal externe institué). Il y a ainsi être responsable et être
tenu pour responsable, deux principales formes de responsabilité sui-
vant l’autorité devant laquelle on doit répondre : la responsabilité
morale vis-à-vis de son for intérieur, fierté de l’homme libre, possibili-
té pour chaque être humain de s’accomplir ; et la responsabilité so-
ciale qui peut être une responsabilité professionnelle, une responsabili-
té pénale ou civile, une responsabilité politique… Cependant, on ne
peut être responsable que lorsque l’action a au moins un élément de
liberté, car rappelons que liberté et responsabilité sont intrinsèquement
liées.
Dans « l’Éthique à Nicomaque5 », Aristote pose le principe de la
responsabilité, il affirme que l’homme doit répondre de ses actes dès
lors qu’il en a pris l’initiative et qu’il est même responsable de son
irresponsabilité. Répondre présent, répondre de l’autre – c’est du vi-
sage de l’autre que naît le sentiment de responsabilité –, considérer
toujours une personne en tant que fin (le visage bouleversant d’une
personne saisie dans le face à face, selon Emmanuel Levinas6), tel est
le premier contenu de la responsabilité éthique personnelle d’un indi-
vidu, libre et pleinement conscient. Dans Soi-même comme un autre7
en réponse à son interrogation « Que faut-il faire pour atteindre la vie
bonne avec autrui et pour soi-même ? », Ricœur en appelle également
à une éthique de responsabilité ; celle-ci a pour rôle d’examiner la
situation qui pose problème, passer la décision au crible de la loi mo-
rale afin d’éviter une aspiration trop individuelle et de revenir à
« l’intuition fondamentale de l’éthique », c’est-à-dire à l’esprit du de-
voir que seul le discernement peut apprécier. Il souligne que la souf-
france des victimes crée des obligations pour les autres. « La souf-
france oblige, dit-il, elle rend responsable ses témoins. Le premier
droit est ainsi du côté de la victime. Son droit est d’être reconnu ». À
ce droit originaire correspond l’obligation inconditionnelle de porter
secours. « Ce devoir, selon Ricœur, est un impératif catégorique qui
dérive de celui, plus formel, de traiter les personnes comme des fins et
non pas seulement comme des moyens ». Ainsi, le souci d’assumer son
5. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, Paris, Garnier-Flammarion, 1965.
6. Dans Difficile liberté. Essais sur le judaïsme, Levinas indique qu’autrui est « celui
qui par son visage ouvre à l’au-delà, invite au dialogue et suscite une vigilance éthique ».
7. Paul RICŒUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1996.
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existence et le devoir d’en porter les conséquences, l’existence ne sont
pas séparables des autres existences et au sein de toute personne
coexistent une responsabilité de l’ego et une responsabilité altruiste.
Cependant, dit-il, « Entre la fuite devant la responsabilité des consé-
quences et l’inflation d’une responsabilité infinie, il faut trouver la
juste mesure et répéter le précepte grec : "rien de trop" 8».
Les travailleurs sociaux peuvent-ils s’accorder – en dépit de leurs
identités professionnelles différentes et de leurs emplois très variés –
sur cette question majeure de la responsabilité éthique ? La réponse
devrait être positive puisque le travail social postule le principe de la
primauté et de la valeur de la personne, de sa singularité… En ce sens,
ils rejoignent P. Ricœur qui énonce que « le noyau éthique est la ren-
contre9 » et que tout repose sur le caractère inaliénable de la personne.
La responsabilité éthique est bien d’abord aptitude à être affecté par
l’autre et à vouloir qu’il soit lui-même.
RESPONSABILITÉ ÉTHIQUE ENVERS LES USAGERS : UN ENGAGEMENT
Pour le professionnel, à cette responsabilité personnelle s’ajoute
celle de la fonction. La responsabilité éthique personnelle se conjugue
en effet avec la responsabilité éthique professionnelle. Pour cette der-
nière, la responsabilité éthique est une charge voulue, entraînant la
prise de décisions partagées avec l’usager et obligeant celui qui en est
investi à rendre compte de ses actes et de ses résultats à ceux qui la lui
ont confiée. Qu’il l’ait choisi ou non, le travailleur social est responsa-
ble des actes qu’il accomplit dans l’exercice de sa fonction profession-
nelle, même si les références éthiques sont pluralistes : respect de la
dignité de la personne qui se rattache à la tradition Kantienne ; devoir
de solidarité, qui a été prôné par Léon Bourgeois ; principe de bienfai-
sance qui est de tradition anglo-saxonne ; principe de justice dévelop-
pé par Rawls, etc.
La responsabilité éthique envers les usagers est aussi une responsa-
bilité en situation qui réunit dans l’action, le savoir, le pouvoir, le vou-
loir10 : Le savoir se réfère à la conscience (conscience de ses rapports à
soi, à autrui, aux choses du monde) dans un environnement humain
où le professionnel connaît les implications de ses actes ou de ses
omissions. Le pouvoir concerne la capacité de modification appliquée
à « l’espace-temps » humain. Le vouloir concerne la décision
8. Citation sur Paul Ricœur, mentionnant la gazette de l’APAG.
9. Paul RICŒUR, préface du Code de déontologie médicale, Paris, Ed. du Seuil (coll.
Points), 1998.
10. Pierre GIRE, « Penser la responsabilité », Université Catholique de Lyon, colloque
de L’ESDES.
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