Marc D
OMINICY
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peut mesurer l’ampleur du travail abattu, et ce qu’il impliquait d’attention à
l’autre, à ses intuitions et à ses critiques. La fascination que j’ai toujours
ressentie, à l’instar de nombreux autres lecteurs, face aux textes de Nicolas
tient aussi à sa « touche » particulière, consistant à attaquer le sujet au hasard
d’une lecture, en réponse à une opinion prestigieuse ou unanimement
répandue, et à transformer ce qui s’offre, dans son apparence initiale, comme
une note d’humeur ou comme l’expression d’une inquiétude ponctuelle, en
une étude approfondie et systématique qui déborde, en fin de parcours, les
limites mêmes du domaine traité.
Pour des raisons en grande partie historiques, l’on a coutume de
distinguer « deux Ruwet » : le musicologue et poéticien structuraliste, qui
cite volontiers Lévi-Strauss, mais aussi Lacan ; et le générativiste de moins
en moins fidèle à Chomsky. Cette dichotomie ne me semble guère refléter
la réalité des choses. Dès son article de 1959 sur les « Contradictions du
langage sériel » (1972a : chapitre 1), Nicolas a voulu débusquer les
paramètres qui, en assurant la perception de certains traits structuraux,
permettent à l’auditeur et au lecteur, de musique ou de poésie, d’extraire
une certaine signification. Il lui est apparu, très rapidement, que les
théoriciens de l’art musical — et, en particulier, les tenants du sérialisme —
sous-estimaient le rôle de la répétition, alors que celle-ci occupait une place
éminente dans la poétique de Roman Jakobson. Mais à ce stade, il lui
importait aussi de ne pas mêler sémantique musicale et sémantique
linguistique : l’une, d’abord évocative, ne peut donner accès à des états de
choses précis (1972a : 14) ; la seconde, parce qu’elle appartient — croyait-
il alors — au système de la langue, nous livre des représentations du réel.
Ceci entraîne que si le jeu des répétitions garantit, en musique, l’identification
d’une « grammaire » (par exemple, tonale ; cf. 1972a : chapitre 5), l’impact
des parallélismes poétiques devrait se cantonner, par contre, à des effets
d’essence rhétorique qui se bornent à souligner la similarité ou la dissimilarité
de certains termes ou de certaines expressions (1972a : 34-35, 45-47, 157,
165, etc.).
Au contact de la grammaire générative, Nicolas glissera vers une
épistémologie falsificationniste, d’inspiration poppérienne (voir, par
exemple, 1967/68 : 11-14). Le contraste s’avère brutal pour qui lit, dans
leur continuité diachronique, les textes musicologiques antérieurs à 1968 et
un article de 1975 où Nicolas, tout en critiquant Nattiez, paraît surtout s’en
prendre à lui-même (1975b)4. Mais les nombreux lecteurs de l’Introduction
à la grammaire générative (1967/68) savent que la pérennité de ce livre,
dans un univers où les manuels se démodent si vite, tient précisément à son
souci de ne jamais partir d’une table rase, et de (re)découvrir, dans les
innovations les plus actuelles, les traces ou le souvenir d’intuitions déjà
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