Paul Archambault Les enfants de familles désunies en France Leurs trajectoires, leur devenir 2007, Paris, Les Cahiers de l’INED, 214 pages. Issu du travail d’une thèse soutenue en 2001, la principale originalité de cet ouvrage tient au point de vue choisi sur le phénomène du divorce. En effet, ce ne sont pas les familles monoparentales ou recomposées qui sont au centre de l’analyse, mais les enfants. En outre, ceux-ci sont appréhendés au moment de leur construction scolaire, sociale, familiale et non lors de la rupture familiale ou de leur expérience de vie dans un foyer monoparental ou recomposé. Ainsi, pour la catégorisation des jeunes, l’auteur utilise la trajectoire familiale et non la situation au moment considéré. L’analyse repose sur le traitement de trois enquêtes quantitatives auprès de jeunes : Passage à l’âge adulte (INED, 1993), Jeunes, complémentaire de l’enquête Emploi (INSEE, 1992) et Jeunes et carrières, complémentaire de l’enquête Emploi (INSEE, 1997). L’ouvrage tente d’appréhender les effets des désunions parentales sur le parcours des individus, dans un contexte d’allongement de la jeunesse et d’autonomisation des différentes étapes : scolarité, insertion professionnelle, mise en couple. Les deux premiers chapitres rappellent les évolutions des familles monoparentales et recomposées. Naguère issues du décès d’un des parents (Paul Archambault rappelle ainsi qu’au Moyen Âge, 30 % à 40 % des enfants ne vivaient pas leur prime enfance avec leurs deux parents), aujourd’hui les familles « désunies » sont majoritairement le fruit d’une séparation. Le nombre d’enfants de couples désunis, avec la progression des divorces, croît. Ainsi, le parent absent au quotidien reste souvent présent dans l’éducation. Le développement des divorces et le souci de l’intérêt de l’enfant donne lieu à la diffusion d’un modèle du « bon » divorce où les parents restent un couple parental au-delà du couple conjugal. Par ailleurs, avec les recompositions, l’environnement familial des enfants se complexifie (présence ou non de demi-frères ou sœurs, de quasi-frères ou sœurs). Ce premier chapitre est également l’occasion d’évoquer les âges moyens de départ du foyer parental et de mise en couple, quelque peu tardifs qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale où ils étaient historiquement faibles. Le deuxième chapitre permet de faire le point des changements récents de l’environnement familial des jeunes. Il souligne également la diversité des situations des Recherches et Prévisions 121 enfants de familles désunies, la moitié des enfants ayant un beau-parent et la moitié des recompositions étant fécondes. L’évolution de la désunion parentale est liée à la fois à la progression de la séparation dans tous les milieux sociaux, mais aussi à la modification de la structure de la population dans le sens d’un accroissement des catégories dont les mariages sont les moins stables, comme les employés. Le chapitre 3 – le plus long et probablement le plus important de l’argumentation de l’auteur – porte sur la réussite scolaire des enfants de famille désunie. Les résultats, complexes à interpréter, montrent globalement un effet négatif de la désunion sur le parcours scolaire des enfants, même si l’effet de la désunion reste moins important que celui de l’origine sociale. L’auteur prend pour variables l’origine sociale des étudiants, le diplôme de la mère et la trajectoire familiale (vie en famille monoparentale, recomposée ou unie), variables qu’il reconnaît ne pas être indépendantes. Il montre que, en contrôlant le diplôme et le milieu d’origine, une dissociation familiale est associée à une réduction des chances scolaires et, plus précisément, à de moindres chances d’obtenir le diplôme type de la catégorie sociale concernée, raccourcissant d’un an le temps d’étude. L’effet est lié à la situation de monoparentalité, les familles recomposées obtenant quant à elles d’aussi bons résultats que les familles unies. Ainsi, la désunion ne bouleverse pas la hiérarchie scolaire, mais apporte un préjudice aux enfants par rapport à une union stable de même origine sociale. Par ailleurs, et plus inquiétant selon l’auteur, l’accroissement du nombre de familles désunies n’en banalise pas l’effet : de plus en plus d’enfants subissent ce préjudice. P. Archambault essaye d’en identifier les causes : raisons économiques, éventuel moindre contrôle parental ou mauvaise ambiance dans le foyer. Quoique la démonstration paraisse ici inaboutie, l’auteur conclut à une sous-estimation dans les théories sociologiques classiques de la variable financière au profit de la variable socioculturelle : certes, la reproduction du capital culturel est importante, mais les conditions matérielles de travail des enfants (avoir un bureau, une chambre isolée…) sont également très importantes dans la réussite scolaire. n° 93 - septembre 2008 Comptes rendus de lectures Dans le quatrième chapitre, l’auteur montre un lien négatif entre la désunion et l’insertion professionnelle, davantage rattaché cette fois à l’effet indirect d’une moindre réussite scolaire qu’à un effet direct. On sait qu’il existe un effet propre de l’origine sociale sur la rentabilité des diplômes. L’effet de la trajectoire familiale est moindre que l’effet de l’origine sociale sur ce point. Toutefois, on remarque un effet propre de la dissociation par un parcours de stabilité plus long parmi les enfants de famille dissociée. En revanche, l’effet n’existe pas sur les risques de chômage de longue durée. Un effet global, limité donc, qui est plus expliqué par la précocité du départ du foyer parental. En outre, on assiste à un effet moindre du parcours familial sur la trajectoire en emploi des filles que sur celle des garçons. Le cinquième chapitre étudie les effets de la désunion sur la stabilité du premier couple ; des études américaines ayant en effet montré une moindre stabilité conjugale – dans des proportions toutefois assez faibles – des enfants de familles désunies. Là encore, les effets sont ambigus : on note des effets différents selon le sexe et selon si la famille s’est recomposée ou non. Ainsi, les filles reproduiraient plus largement la famille monoparentale. Ces constats s’expliquent par la décohabitation plus précoce chez les enfants de parents désunis, cette décohabitation étant un facteur d’instabilité du premier couple. D’autres effets sont testés : la rapidité du mariage (moindre chez les enfants de parents désunis alors que cela a un lien avec la stabilité du mariage), l’intensité du sentiment amoureux (identiquement moindre, mais il s’agit peut-être là d’une reconstruction a posteriori, suite à l’échec plus fréquent du couple), l’importance de la stabilité professionnelle sur la réussite du couple. Finalement, l’effet le plus déterminant sur la trajectoire du couple semble être la précocité du départ du foyer parental. Le dernier chapitre est constitué d’une réflexion sur les politiques publiques en faveur des familles monoparentales. Comme usuellement, P. Archambault décrit le système de protection sociale français comme un compromis entre deux modèles : celui de la Suède, universaliste et fortement redistributif et celui du Royaume-Uni, qui concentre ses moyens sur les plus démunis. Pour ce qui concerne le public ciblé des familles monoparentales, la France se classe plutôt parmi les pays généreux : le taux d’activité des mères de famille monoparentale est plus important que celui des mères en couple (86 % contre 73 %) et le taux de pauvreté des familles monoparentales avec un enfant passe ainsi de 64,2 % à 26 % après transferts sociaux (*). L’auteur décrit ensuite le fonctionnement redistributif de la politique familiale : • le système de quotient familial de l’impôt sur le revenu (qui peut être considéré comme une aide à la famille, ou comme une mesure d’équité fiscale permettant d’égaliser les capacités contributives en fonction du niveau de vie) est favorable aux familles monoparentales qui bénéficient d’une part supplémentaire dès le premier enfant. Toutefois, son impact est limité par l’absence de prise en compte de la progressivité du coût de l’enfant en fonction de son âge et par l’importance de la fiscalité indirecte (telle la TVA), non redistributive (l’impôt sur le revenu représente ainsi 6 % du budget contre 17 % pour les autres impôts) ; • la redistribution se fait également par le biais des allocations spécifiques (notamment l’allocation de parent isolé) qui contribuent à réduire sensiblement le taux de pauvreté de ces familles. Toutefois, les familles monoparentales de plus de deux enfants et les familles nombreuses de plus de quatre enfants (dont une part sont recomposées) sont encore victimes d’inégalités de niveau de vie après transfert ; plus inquiétant, avec l’accroissement du nombre de familles monoparentales, le pourcentage de ces familles en situation de pauvreté augmente. Or, ces inégalités sont nuisibles à la santé et à l’acquisition de capital scolaire des enfants vivant dans ces familles ; l’auteur suggère alors trois séries de mesures : • redistribution directe aux jeunes : faisant le constat que la société fait aux jeunes l’injonction paradoxale d’être autonome tout en ne leur donnant aucun moyen de le devenir, P. Archambault reprend à son compte l’idée d’une allocation pour les jeunes, distribuée en fonction des revenus parentaux, soumise, si le jeune travaille, à imposition, et tenant compte de l’éventuelle dissociation du foyer parental. Une partie de ce financement pourrait être octroyé sous forme de prêt. Cette proposition, qui poursuit son chemin dans la pensée politique, a reçu une réponse très partielle dans la mise en place du prêt jeune avenir, prêt à taux zéro pour les jeunes débutant dans la vie active ; • transformation de la pension alimentaire en pension d’entretien : compte tenu de l’importance des pensions non payées et des conflits ainsi générés, ainsi que de l’absence de barème de pension, l’auteur propose la fiscalisation de la pension alimentaire. Ainsi, le parent non gardien serait soumis à un prélèvement, sur son impôt sur le revenu, proportionnel à son nombre d’enfants. Parallèlement, le parent gardien serait bénéficiaire d’une prestation dépendant du nombre d’enfants à charge et de ses revenus. Ce système revient donc à étatiser le système de pension alimentaire ; • réformer la fiscalité familiale : puisque les mécanismes fiscaux sont insuffisamment redistributifs, l’auteur préconise de mieux tenir compte du coût réel de l’enfant, et notamment du fait que (*) Source : DREES, Études et résultats n° 621, janvier 2008. Recherches et Prévisions 122 n° 93 - septembre 2008 Comptes rendus de lectures l’enfant adolescent coûte plus cher, de prendre en compte des critères familiaux (revenu familial, situation des parents, taille de la fratrie) dans l’octroi de bourses, de fiscaliser les revenus de transferts pour dégager des ressources, de favoriser l’emploi dans les familles monoparentales notamment en développant la conciliation vie familialevie professionnelle (par exemple, en promouvant la possibilité de temps partiel jusqu’aux 12 ans de l’enfant et en adaptant le rythme scolaire aux rythmes professionnels), accroître la part de l’impôt sur le revenu dans le total des recettes fiscales. Au global, l’idée est que lisser le niveau de vie des familles contribuera à améliorer l’égalité des chances entre les enfants. En conclusion, P. Archambault souligne la nécessité de développer les enquêtes par cohorte – qui existent peu – et le croisement entre les données d’enquêtes et les données de gestion des administrations – qui existent, tout comme les simulations sur la base de ces données –, le tout géré par un organisme public qui aurait pour mission l’analyse de l’impact des politiques familiales. D’une façon générale, une écriture un peu heurtée accroît la difficulté de lecture qui pourrait être plus fluide et plus axée sur la démonstration. Certaines affirmations sont peu démontrées comme « le désir d’enfant des parents plus jeunes est sans doute moins intense » (p. 83). En outre, certains résultats semblent surtransposés, comme lorsque l’auteur interprète une plus grande passivité des hommes vis-à-vis du mariage, car 8 % d’entre eux, contre 4 % des femmes, déclarent qu’ils n’ont pas pensé à se marier alors que leur conjoint y pensait (p. 156). L’auteur aurait pu enrichir son propos par des points de vue contradictoires. Par exemple, il affirme que le système d’allocations engendre – par rapport à une redistribution par l’impôt – un surcoût pour la collectivité, et produit des effets de plafond et de seuil (p. 189), ce qui est discutable. Il n’en demeure pas moins que l’axe d’analyse, porté sur les enfants, ainsi que les résultats, dont les plus intéressants démontrent le désavantage des enfants de familles désunies sur le plan scolaire, sont une manière intéressante de réfléchir à l’égalité des chances. Delphine Chauffaut CNAF – Responsable du Département de l’animation de la recherche et du réseau des chargés d’études. Maurice Berger Ces enfants qu’on sacrifie… Réponse à la loi réformant la protection de l’enfance 2007, Paris, Dunod, 184 pages. Après avoir lancé un pavé dans la mare en 2003 avec L’échec de la protection de l’enfance, Maurice Berger, pédopsychiatre, dresse un nouveau réquisitoire contre un système accusé de ne pas protéger efficacement les enfants des violences intrafamiliales. La première édition de cet ouvrage – au titre racoleur – entendait influencer les discussions lancées par le ministre Philippe Bas autour de la réforme du dispositif de protection de l’enfance. À cette occasion, l’auteur avait fait l’objet d’une audition par la Mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant de l’Assemblée nationale. Mais quelques mois après le vote par les parlementaires de la loi du 5 mars 2007, cette seconde version est celle d’un lobbyiste déçu : en dépit de sa croisade, M. Berger n’a pas réussi à influencer profondément le législateur, resté selon lui prisonnier de compromis inadaptés. Ce Recherches et Prévisions 123 n’est pourtant pas faute de défendre avec verve ses thèses. Pour l’auteur, les enfants maltraités sont victimes de la primauté hexagonale accordée à la défense de la famille, qui conduit la plupart des professionnels des services sociaux et judiciaires à privilégier systématiquement le maintien du lien avec les parents sur la nécessaire séparation. Présentée comme largement partagée, cette posture, irrationnelle et purement idéologique, est opposée par l’auteur à la dureté des faits et aux certitudes de la science. Cette stratégie argumentative sera déclinée tout au long du livre, et en particulier au début de l’ouvrage. Le premier chapitre, intitulé « L’enfant peut bien supporter ça » confronte le lecteur à trois récits soigneusement choisis d’enfants maltraités sans que les administrations n’interviennent. Dans les cas présentés, l’incompétence semble généralisée n° 93 - septembre 2008 Comptes rendus de lectures