Lu pour vous 2009/01 « Éthique et travail social » Brigitte Bouquet, Dunod, 2003 1
LU POUR VOUS
2009/01
« Éthique et travail social, une recherche du sens »
Brigitte BOUQUET, Dunod, 2003
’éthique est un terme qui a sa propre
signification, une néalogie complexe et qui a
connu une forte évolution. Par choix et parce
que cela paraît particulièrement éclairant et
pertinent pour le travail social, l’auteur se réfère
essentiellement à Paul Ricoeur, « la visée de la vie
bonne avec et pour autrui dans des institutions
justes », crivant ainsi trois moments forts de la
visée éthique :
1. Celui de la relation à soi-même : c’est la
croyance dans la liberté, c’est opposer
l’initiative de la liberté à la résignation, aux
déterminismes naturels et sociaux.
2. Celui de la relation à l’autre proche qui impose
le respect et la reconnaissance de sa liberté.
L’éthique ne transige pas sur le respect de l’être
humain. Elle est le face à face de proximité,
l’interaction dans laquelle la sollicitude est
porteuse de responsabilités réciproques.
3. Celui de la relation aux tiers anonymes qui
exige la médiation d’institutions justes. La
dimension sociale est constitutive de l’identité
du sujet, le tiers est constitutif du lien, et les
institutions (familles, communautés, État) sont
les médiations nécessaires sur le chemin de la
liberté.
Pour Brigitte Bouquet, les travailleurs sociaux se
sont toujours interrogés sur leurs valeurs, sur leur
morale et/ou éthique professionnelle. Elle montre
que « le réveil éthique » n’a pas attendu les récents
développements législatifs ; bien au contraire, « la
réflexion éthique du travail social s’est constam-
ment renouvelée au cours de son histoire, plus ou
moins en rupture ou en coexistence ; elle s’est
renouvelée par son rapport aux savoirs des
sciences sociales et humaines en même temps que
par l’interpellation des évolutions de la société ».
Les travailleurs sociaux ne doivent donc pas redou-
ter l’actuelle « référence inflationniste à l’éthique »,
le « renouveau » ou le « retour éthique » et surtout
les logiques de «management qualité » ou celles
des politiques d’amélioration continue des pratiques
qui comprennent la sensibilisation, voire la for-
mation des travailleurs sociaux aux démarches
d’évaluation. Ces logiques et politiques transfor-
ment en profondeur le travail social qui n’a jamais
érigé de savoir absolu dans ses pratiques, et dont
les agents ne mesurent pas encore suffisamment
« l’ampleur avec laquelle les récents changements
au sein du travail social bousculent l’ensemble
commun des valeurs ».
Il s’agit de faire du lien entre les valeurs et
l’adhésion aux valeurs. Les valeurs n’ont de alité
qu’intériorisées, portées par la force d’une
conviction qui cherche à la faire partager à autrui.
Connaître les valeurs n’est pas suffisant en soi,
encore faut-il les incarner, les réinterpréter dans la
pratique : penser l’action au regard des valeurs
pour en arriver à l’éthique.
Les mutations et les évolutions à l’œuvre posent un
défi à l’éthique professionnelle. L’éthique est sans
cesse à redécouvrir et interpréter. Elle procède à
partir de alités contradictoires et problématiques
de l’action. Chaque situation nouvelle, chaque outil,
chaque public la relance incessamment. Comment
harmoniser l’efficacité des pratiques avec leur
finalité éthique ? Car l’éthique du travailleur social
nécessite de recentrer toute intervention sur et en
faveur de la personne, avec elle, et de retrouver
une articulation entre le sir d’épanouissement
des individus et les mutations d’une société et par
là, de ses institutions.
L’auteur nous rappelle que « passer des valeurs à
l’éthique, c’est procéder de la mise en acte.
L’éthique s’éprouve dans l’acte ; elle a un question-
nement critique permettant d’éclairer celui-ci, de lui
donner sens. C’est une réflexion permanente et
perpétuelle sur le sens propre de l’acte à l’action
humaine ». L’éthique fait partie de l’acte mais ne
recouvre pas l’acte entier. Elle éclaire l’action mais
n’en épuise pas la signification.
a pratique confrontée à l’éthique est mise en
perspective dans la seconde partie de
l’ouvrage. La réflexion éthique est confrontée à
la praxis : « l’éthique est aussi une activité pratique
car elle est concrète, elle concerne des individus
singuliers qui sont des êtres de sir engagés dans
des relations et des situations singulières par le
L
L
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biais d’actions particulières ». L’éthique est une
activité réflexive car elle s’interroge sur le sens de
ce qui se manifeste au cœur de l’existence
humaine. L’éthique individuelle et professionnelle
est sans cesse à activer, à réinstituer. La
présence du travailleur social dans la sphère privée
engage sa responsabilité, et il lui appartient de tenir
une position éthique de la parole donnée.
L’ouvrage pose aussi des questions fondamentales
sur les formes de communication du social, d’autant
que « le secret met en cause les prétentions
universelles de la communication, fondées sur le
postulat d’ouverture et de transparence ». Pour
l’auteur, le respect du secret professionnel est
essentiel ; d’une part parce qu’il traduit la valeur
accordée à la personne et au respect de sa vie
privée, d’autre part parce qu’il est nécessaire à
l’établissement et au maintien de la relation de
confiance qui doit exister entre le praticien et les
personnes qu’il aide. Il s’inscrit donc dans deux
champs : éthique et technique.
Brigitte Bouquet s’est ainsi attachée à décrire les
liens entre l’éthique (de la transmission) et le
partage de l’information, et plus spécifiquement sur
certaines formes de la communication, en
particulier les écrits d’action et de cision
(informations des différents dossiers sociaux, droits
d’accès des usagers à ces derniers, devoir de
mémoire et droit à l’oubli…).
Les technologies de l’information et de la commu-
nication entrent elles-mêmes dans cet espace de
réflexion (partage de l’information et protection des
données). En effet, le partenariat et les interven-
tions en seau se sont développés pour faire face
d’une part à la complexité et à la diversité des
situations, d’autre part à la nécessité de travailler
en commun entre professionnels issus de métiers et
de cultures différentes. La communication s’est
désormais introduite dans le champ de l’action
sociale et du travail social, et elle tend à s’imposer.
Il n’y a pas de travail social sans communication,
sans mise en commun des compétences, sans
actions communes. Sa place dans la pratique
assure la qualité et la coordination de l’intervention
sociale.
Si le partage de l’information « est devenu une
exigence fondamentale », l’auteur précise que « le
fondement éthique reste premier et détermine
l’information à transmettre selon l’usage qui en
sera fait et selon le degré d’astreinte au secret
professionnel des personnes qui la reçoivent ». Elle
appelle aussi à la vigilance en matière de Nouvelles
technologies de l’information et de la communi-
cation (NTIC) et les questions soulevées par leur
usage suscitent des controverses parce qu’il y a
risque d’atteinte au respect des libertés. Un certain
nombre de principes éthiques sont ainsi à mobiliser
et à concrétiser au quotidien. On ne peut se saisir
d’une technique sans interroger le sens qui lui est
attribué, l’univers symbolique dans lequel elle
s’inscrit.
Dans un autre registre, l’auteur s’intéresse dans
cette partie de l’ouvrage au mouvement de
rationalisation qui traverse les activités sociales et
médico-sociales, et plus précisément aux enjeux de
l’évaluation et de la qualité au regard de l’éthique.
La question de l’évaluation est un enjeu fort situé
au carrefour des besoins des personnes, d’un projet
associatif et d’une politique publique. Elle nécessite
une réflexion stratégique importante car le choix de
ce qui est évalué et de la méthode pour le faire est
à penser en fonction de l’objectif à atteindre. De
plus elle produit des effets variables en fonction du
type d’implication des acteurs, des zones
d’investigation et enfin du choix des indicateurs.
Comment vérifier que les évaluateurs ont une
pratique éthique et démocratique ?
L’évaluation et plus largement la démarche qualité
sont dorénavant des modalités de l’action sociale :
comment les effectuer dans un souci éthique ? En
premier lieu, se situer dans une approche
dynamique et participative avec des temps de
réflexion partagée pour que l’évaluation devienne
un processus d’apprentissage collectif ; vérifier par
ailleurs la place accordée à la personne accueillie
dans le processus évaluatif ; enfin un troisième
élément est d’ordre plus politique, il s’agit de
s’interroger sur la façon dont est exercée la mission
de service public. C’est au regard de ces trois
éléments de réponses que le sens éthique est
sauvegardé.
ôle et fonction de tout instrument
déontologique, comités d’éthique et instances
de discussion, formation et éducation à
l’éthique, interrogation sur l’éthique professionnelle,
autant d’enjeux identifiés par l’auteur dans la
troisième partie de l’ouvrage comme autant de
dimensions centrales à prendre en compte par les
acteurs sensibles à la question d’une « possible
éthique professionnelle commune » qui
s’exprimerait « dans un langage communicable,
clair et rigoureux ».
Concernant le premier enjeu - rôle et fonction de
tout instrument déontologique - l’auteur fait un
détour par la définition de la ontologie qui
regarde du côté de la norme et appartient à la gle
instituée. Car outre les fondements éthiques, les
règles peuvent être techniques ou juridiques. La
déontologie constitue un encadrement de l’action
qui doit se dérouler en conformité aux valeurs
admises par un corps professionnel, selon le
contexte social et en s’adaptant gulièrement aux
nouvelles techniques ou aux nouvelles missions.
« Opposant le privatisme des valeurs et l’instru-
mentalisme des normes, certains caractérisent
l’éthique comme la recherche de ce qui est le plus
juste, alors qu’ils perçoivent la déontologie comme
R
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un risque de formalisation rigide et d’unification
excessive ». La déontologie pose des limites, ce
qu’on ne fait pas ; elle donne un coup d’arrêt. Que
reste-t-il alors du questionnement individuel ? La
réponse est que la ontologie n’épargne à aucun
individu la dimension éthique du questionnement
de sa pratique. Les codes et les chartes sont des
outils qui montrent un mouvement dialectique
d’ouverture/fermeture, et qui portent la question du
sens de l’action. Il s’agit pour l’auteur d’une
régulation technicienne et d’une auto-régulation de
type consensuel, voire de compromis qui
conduisent à légitimer, afficher des valeurs et en
même temps, à favoriser l’autodétermination grâce
à leur appui.
Par rapport aux comités d’éthique et aux instances
de discussion, elle fait férence à Appel et
Habermas. L’éthique de discussion est une exigence
argumentative permettant d’élaborer ensemble une
évaluation de la situation, de donner du sens et de
la cohérence aux actes à poser. Karl Otto Appel
suppose l’accès possible des citoyens à une valeur
supérieure à « la liberté gative » des individus. Il
la caractérise de « co-responsabilité collective ».
L’apparition des instances éthiques dans le champ
social est récente. Elle date des années 1990 et
s’est inspirée des comités d’éthique du secteur
public. La pratique éthique ne peut s’élaborer en
dehors d’une confrontation et d’un dialogue cant
des situations nouvelles, car l’évaluation éthique ne
peut pas se fonder sur la seule intuition
individuelle. Le travail social se situe à l’articulation
sujet/société et c’est pourquoi une réflexion éthique
collective est de nature à permettre aux travailleurs
sociaux d’agir en évitant de s’épuiser seuls. Des
lieux de bat s’imposent ainsi pour permettre la
maturation individuelle et collective sur les valeurs,
les obligations, la finalité des activités, la
pondération des intérêts, les critères de
justification, les dilemmes et ambiguïtés.
Le troisième enjeu se centre sur la formation à
l’éthique qui est importante. L’éthique s’ancre dans
la réalité concrète mais ce qui la soutient se situe
en aval de l’action. Il s’agit de la rendre sensible,
lisible, et de la construire pour ne pas se contenter
de l’implicite. La dynamique pédagogique doit
rechercher la réflexion qui construit, actualise et
enrichit l’éthique personnelle et professionnelle. La
compétence éthique est un processus continu.
Quant à l’interrogation sur l’éthique professionnelle,
si l’éthique part du sujet, le comportement profes-
sionnel est déterminé par les valeurs et une éthique
personnelle qui n’est pas susceptible de fonder une
action commune. C’est ainsi que pour ne pas
renvoyer toute cision éthique à l’individu, un
courant professionnel propose de constituer une
éthique professionnelle concertée qui semble le
vœu d’une grande majorité alors que d’autres la
craignent. Il serait à redouter effectivement que
l’éthique professionnelle devienne un évitement ou
un repli. Elle se centrerait plutôt sur un question-
nement permanent permettant un éclairage de la
pratique et une construction pragmatique. Elle
s’appuierait sur un dialogue pluridisciplinaire et
prendrait la démarche d’une construction qui
dépasse la compétence technique et les modalités
de l’action pour rechercher les finalités et le sens de
l’intervention.
our conclure, nous pouvons avancer après la
lecture de cet ouvrage que pour Brigitte
Bouquet, l’éthique est la sultante d’une
construction personnelle et professionnelle,
l’éthique du travail social se positionne sur le plan
existentiel autant que sur le plan collectif. La
démarche éthique et sa mise en œuvre relèvent
toujours de projets fortement contextualisés qui
relient des professionnels, des valeurs et principes
en voie de codification et des savoirs indigènes. Elle
est toujours et simultanément, démarche person-
nelle et collective de recherche d’un sens… des
finalités et de l’utilité du travail social. Ceci est
d’autant plus important à une période l’usager
sera de plus en plus consulté pour donner sa
traduction du sens du travail social. Dans ce
contexte, le soutien à la prise de cision éthique
(comité d’éthique ou autres instances) comme la
formation à l’éthique (depuis l’apprentissage de la
philosophie morale jusqu’au processus d’analyse
éthique des pratiques) seront des plus utiles.
L’éthique professionnelle est évolutive en fonction
de la mutation de la société, de la représentation
des métiers et des modes d’organisation des
activités. Elle recherche l’adaptation régulière aux
nouvelles missions. Elle est d’une part un étayage
pour les pratiques et d’autre part un affichage
public des valeurs issues des compromis conviction
/responsabilité face aux enjeux de la société.
L’ouvrage de Brigitte Bouquet
s’apparente à un manuel en évoquant des textes
fondateurs, des (dis)positions professionnelles
par rapport au secret
Éthique et travail social constitue une solide base
de réflexion pour l’ensemble des acteurs du social.
Le comité de lecture
Technè-conseil
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