LA PENSÉE GRECQUE Alain DECIS 2007 Les

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LA PENSÉE GRECQUE
Alain DECIS
2007
Les références à la déontologie maçonnique sont si nombreuses dans cette
planche, qu' il ne m' a pas paru nécessaire de les reprendre, ce qui aurait alourdi la
démonstration. Il appartient à chacun de nous de trouver la résonance que la
Pensée Grecque peut avoir en nous-mêmes, ce qui j'en suis sur, éclairera notre
propre compréhension de l'Histoire de l'Homme.
Cette planche sera non pas une présentation exhaustive de ce qui a pu être
conçu par le Génie grec, mais plus simplement une recherche logique de la
progression et de l' évolution de cette pensée, avec ce qu' elle a de nouveau pour
son époque, je dirais même de révolutionnaire ; car je crois pouvoir vous faire
comprendre ce soir comment cette pensée a marqué son temps et a jeté les bases
éternelles des principes de la philosophie et de la conception de l' Homme, ainsi que
de sa place dans l' Univers; Tel est en effet, ce à quoi prétendirent toutes les Ecoles
de la Pensée Grecque.
Nous allons le voir dès le début, nous sommes assez loin des principes de la
philosophie moderne, qui, visant moins haut, mais étant beaucoup plus pragmatique
dans sa recherche, n' élabore des conceptions nouvelles que parce qu' elle est
confrontée à des problèmes nouveaux.
Nietzsche, avec une ardeur passionnée, ne va-t-il pas le premier s’élever
contre l’idée de finalité, contre l’idée que le monde a un sens ? Le fond des choses
c’est le hasard. Les paroles de Zarathoustra résonnent encore comme l’aveu
suprême de la pensée moderne : " Je les ai délivrés de la servitude du but." Oui,
l’Univers est délivré de la servitude de la perfection. D' où vient à l'homme le souci
de la perfection, il lui vient de lui-même, de sa propre puissance créatrice. La
perfection n’existe pas en soi, puisque c’est l'homme qui crée les valeurs. Le Bien
n’existe pas, mais l'homme doit enfanter le Surhomme. Terrible constat qui laisse le
F
M
pantois. La philosophie moderne revenait à Protagoras : l’Homme est la
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mesure de toutes choses. Or Platon avait déjà répondu à Protagoras, et par avance
à Nietzsche et à bien des modernes : ce n’est pas l’Homme, c’est l’Absolu qui est la
mesure de toutes choses.
Un certain nombre d’historiens de la philosophie ont essayé de démontrer
que la philosophie grecque était venue de l’Orient, d’Egypte en particulier, de Perse
et même de l’Inde. Cette hypothèse est à la fois vraie et fausse. En effet les
pensées primitives et l’orientale en particulier, dans la mesure où elles ont voulu
donner une explication de l' Univers, se sont exprimé à l' aide de mythes, comme la
Grèce antique et bien d’autres civilisations, elles étaient construites sur 2 éléments :
l’art poétique et l’empirisme. A l’origine ces pensées émanaient de la collectivité :
elles représentaient la force de la tradition. Et c’est en Grèce, que sont apparues
pour la première fois, de grandes personnalités qui ont rompu avec la manière
traditionnelle de penser et qui ont converti les associations religieuses en des
Ecoles, adonnées à la pure recherche de la Vérité. Ceux sont des Hommes dont le
prototype est resté Pythagore, qui se sont formé de l’Univers une conception
originale, posant les problèmes d’une façon nouvelle, et s'efforçant d’en indiquer la
solution du point de vue de la seule pensée rationnelle. On peut donc dire que la
Pensée Grecque possède vis-à-vis de la Pensée Orientale, une originalité, une
autonomie presque complète, en ce sens qu'elle manifeste une certaine création.
Résumons cette opinion en citant un auteur anglais qui proclame :" C’est à un petit
peuple..... qu’il a été donné de créer le principe du progrès."
L’essor de la Pensée grecque a eu pour siège la côte de l' Asie Mineure :
Milet (Thalès, Anaximandre), Ephèse (Héraclite), Samos (Pythagore), Elée (Zénon,
Parménide) etc... C’est en fait avec la théorie pythagoricienne de l’âme qu’on peut
retrouver l’influence de l’Orient. Cette théorie vient de l’Orphisme qui est né du culte
de Dionysos. L’idée de la transmigration des âmes, 1' idée de parenté des hommes
et des animaux, avec l’interdiction de manger de la viande ; toutes ces idées se
retrouvent dans l’Inde. Socrate affirme également que Pythagore a rapporté les
mathématiques d’Egypte. On ne peut donc pas dire qu’il y ait eu un miracle grec et
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création ex nihilo, mais apparition d’un principe nouveau : l’Esprit. L’Esprit comme
conscience de lui-même, comme certitude de sa nature infinie ; l’Esprit comme
conscience de son indépendance à l’égard de toutes choses extérieures, comme
certitude de sa Liberté. La Liberté, voilà ce qui est né en Grèce et ce que les grecs
ont défendu contre l’Orient. Faut-il rappeler les noms de Marathon, des
Thermopyles, de Salamine ? Ce qu’ils représentent c’est la victoire de la Liberté,
c’est la Liberté assurée pour toute l’Humanité future. Mes FF
c’est ici que l’on
retrouve les principes qui nous sont chers. Rappelons la pensée d'Aristote :
"La Perfection n’est pas un résultat, mais un Principe."
Ainsi l’Esprit dans sa perfection, dans sa totalité, existe à l’origine de toutes
choses. La création n’a donc été possible qu’au moyen d'une rupture. Platon
explique bien cette rupture lorsqu' il oppose l’Esprit grec avide de savoir, à l’Esprit
phénicien et égyptien avide de gains. Aristote, lui, parle de la joie que nous procure
la connaissance en elle-même, indépendamment de toute utilité ; il exprime très bien
le caractère de la Pensée Grecque, en établissant sa fameuse distinction entre la
science et la simple connaissance empirique ; cette dernière étant la connaissance
des choses particulières, et nous indiquant le fait, mais non pas la raison du fait ; la
science étant la connaissance de l’Universel, et nous donnant la raison et la cause.
Descartes, Bacon et tous les modernes ont rompu avec la notion purement
spéculative que les grecs avaient proposé de la science, ils ont considéré que la
science devait être pratique et qu'elle devait assurer à l’Homme la domination sur la
Nature, engendrant malheureusement une conception strictement matérialiste de
l'Homme.
La Pensée Grecque, elle, a reconnu que la vraie substance des choses, est le
principe qui se trouve dans l’Homme : l'Esprit. Elle a reconnu que le Bien, auquel
nous aspirons, la Justice, est à l’origine du Monde, lequel est gouverné par une Loi
d' Harmonie Universelle. Remarquons aussi, que ce n’est pas seulement dans le
domaine de la science et de la philosophie que s’est manifesté le principe de Liberté
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qui anima la Pensée Grecque, c’est aussi dans le domaine des Arts et de la
Politique, avec le développement de la notion de citoyen. Selon le mot d’Aristote,
l’Homme est un être politique, la raison dont il a le privilège est un principe universel
qui produit le libre accord des individus. La société grecque fut pour la première fois
une société d' Hommes Libres. Plus tard, les Stoïciens détachés de leur Patrie que
les conquérants se disputaient, ne reconnurent plus le cadre étroit des cités
grecques ; ils se considérèrent comme citoyens de l’Univers, frères de tous les
hommes, et même des esclaves. Par là-même, ils ont présidé à une conception plus
profonde de l’Idée de Liberté, précédant et jetant les bases en cela, de ce qui plus
tard devait être la conception initiatique de l’Humanité.
LES PHILOSOPHES GRECS AVANT SOCRATE
Les premiers philosophes grecs, étonnés du changement qui emporte les
choses, ont recherché quelle pouvait être la substance fondamentale, qui reste
permanente à travers tout le devenir. Pour Thalès, cette substance fut l’Eau ; pour
Anaximène, elle fut l’Air ; pour Héraclite, le Feu. Pour Anaximandre les choses sont
en guerre les unes contre les autres ; et cette guerre est marquée par les injustices
dont elles se rendent coupables, en empiétant les unes sur les autres. Il faut donc,
que cette substance, soit non pas un terme contraire, mais quelque chose de plus
profond, d' où les contraires naissent et dans quoi ils se résorbent. Géniale
conception pour l'époque ! Héraclite fut le premier à synthétiser la pensée des
philosophes de son temps. Ecoutons-le :
" L’existence réelle et vivante ne se trouve pas dans la neutralité d’une paix où
toutes les différences seraient effacées, mais dans la lutte que les choses
soutiennent les unes contre les autres, et par laquelle chacune affirme sa nature
propre."
La véritable unité n’est pas une unité vide qui ne contiendrait en soi aucune
différence ; c’est une unité pleine, concrète qui renferme une opposition et la
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surmonte perpétuellement. La véritable unité est harmonie d’éléments opposés. Par
voie de conséquence, Héraclite enseignait que le Bien et le Mal sont Un. Citons le :
" Le sage comprend la nécessité, par laquelle toutes choses sont exactement ce
qu’elles doivent être. C' est une illusion humaine que de croire que certaines choses
sont bonnes ou mauvaises ; en réalité, pour celui qui se met au point de vue de
Dieu, toutes choses sont bonnes, toutes manifestent une Loi de Justice et de Beauté
."
L’Homme n’est pas Dieu, mais il est divin, en tant qu’il possède une
intelligence, et sa destinée est de s’unir à l'Intelligence Eternelle. Pythagore va plus
loin encore :
" Parce qu’elle subit un châtiment, l’âme est renfermée dans le corps et s' y trouve
ensevelie comme dans un tombeau. Séparée du corps, à l’instant que nous
appelons la mort, elle reste assujettie à la nécessité de rentrer dans un autre corps ;
une loi inexorable la condamne à subir les mêmes peines qu’elle a infligées à autrui ;
mais sa destinée est d’échapper à la roue des naissances. Au-dessus du monde des
choses périssables, se trouve le monde de l’harmonie et des nombres. La voie était
ouverte à la philosophie de l’Idée. Citons également l’école Eléate avec son plus
brillant représentant : Parménide. La grande idée de Parménide, c'est l’idée de
l'Etre. Toute la philosophie dépend de la solution que l’on donne à ce dilemme : l'
Etre est ou l' Etre n’est pas". Or pour Parménide la réponse ne saurait être douteuse
: l' Etre est. S’en suit toute une démonstration qui lui permettra d’affirmer :" l' Etre est
un tout absolument plein, un continuum, dans lequel il n' y a jamais aucun vide,
aucun intervalle, une parfaite unité qui n’admet en soi aucune multiplicité".
Empédocle, élève de Parménide, comme son maître, affirme que l' Etre est ;
mais allant plus loin que lui et refusant l’immobilisme qui est en contradiction avec le
témoignage des sens, il proclame que toute chose procède des quatre éléments
fondamentaux (feu, air, eau, terre) et que deux forces opposées sont à l’origine de
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leur combinaison : l’Amour et la Discorde. Tout l’Univers dépend du jeu de ces deux
forces contraires, qui s’opposent l’une à l'autre dans un combat sans fin. Anaxagore
poursuivant les idées de Parménide et d' Empédocle refuse d’admettre que les
corps élémentaires puissent être distincts les uns des autres et sera à l’origine de la
célèbre formule :
"Tout est dans tout, tout participe à tout ; dans chaque chose il y a une partie de
chaque chose". (Référence au concept de l’hologramme)."De même qu' à l'origine
du Monde, encore aujourd'hui toutes choses sont ensemble".
Mais surtout Anaxagore conçoit l’Intelligence comme la force ordonnatrice
des choses. Socrate, formé dans l' Ecole d' Anaxagore, saura s’en souvenir.
Cependant l' oeuvre de Socrate n’eut pas été possible si la philosophie n’avait fait la
critique de la science de la Nature, et ne s’était tourné vers l’étude de l’Homme luimême et des puissances qu’il renferme. Engager la philosophie dans cette réflexion,
fut le mérite des Sophistes. Ceux-ci enseignaient la science politique et la vertu.
D’une manière radicale, ils déclaraient que la connaissance humaine est incapable
de saisir la réalité telle qu’elle est en elle-même. Montrer que notre connaissance se
réduit à la sensation, et que la sensation ne nous donne pas la réalité telle qu' elle
est en elle-même ; ce fut l' oeuvre du premier et du plus grand des Sophistes :
Protagoras. Le premier, il vit que la connaissance dépend non pas seulement de
l’Objet connu, mais du Sujet connaissant. Par conséquent le principe des choses
doit être cherché, non pas dans le monde extérieur, mais à l’intérieur de l’homme.
Mais au lieu de poursuivre cette voie, il plaçait l’ordre social au-dessus des
divergences individuelles et c’est Socrate, qui au delà de la Nature, allait trouver le
principe absolu de Vie et de Perfection.
LE PRINCIPE DE SAGESSE : SOCRATE
Socrate, abandonnant la physique pour la morale, inaugure une méthode de
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recherche dialectique, qui consistait à extraire de l’âme de ses interlocuteurs par des
questions habilement posées, la juste notion du Bien. De même que notre corps est
une partie des éléments qui compose l’univers, de même notre âme est une partie
de l’intelligence universelle. Tous les ennuis de Socrate viendront de ce qu’il
proclamait entendre en lui-même, une voie divine qui lui dictait sa conduite.
L’homme pouvait communiquer directement avec Dieu sans passer par le culte
établi, ce qui à l’époque était considéré comme un crime. Reprenant la théorie
pythagoricienne de la mort, il posera la science comme étant une vertu, la science
qui est contenue dans l’âme, et que notre Devoir est de développer la science du
Bien. La vraie purification, consiste à dépouiller l’âme de toutes les opinions reçues,
pour la ramener à son état originel, d' où jaillit la science du Vrai et du Bien. La
santé, la Beauté, les richesses, voilà des choses que nous disons être utiles, mais
ces mêmes choses, nous disons également qu' elles sont nuisibles ; elles sont utiles,
lorsque l' on en use bien, elles sont nuisibles, lorsque l' on en use mal. Nous en
usons bien, lorsque nous avons la connaissance rationnelle du Bien : c’est donc
cette connaissance qui décide de l’utile. La Liberté consiste donc à connaître le Bien
et
par suite à l’accomplir. La Justice, forme suprême de la Sagesse, c’est
l’intelligence humaine se conformant à l' Intelligence Eternelle. Voilà les dispositions
grâce auxquelles l’homme, vivant par la partie divine de lui-même, fait de son
existence, une image de l' Etre universel. Tirer les conséquences de la recherche
socratique et la transformer en une grandiose métaphysique, base et modèle de
toutes les métaphysiques futures, telle a été l'oeuvre de Platon.
LE PRINCIPE DE L'IDEE : PLATON
Avec Platon c’est la science toute entière qui est contenue dans l’âme,
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comme le souvenir d’une vérité dont l’âme a joui pleinement au cours de son
existence céleste. Il n' y aurait point de connaissance, si tout changeait, et si rien ne
demeurait inébranlable. Seules les choses sensibles sont sujettes au changement ;
mais l’Essence, elle, reste toujours la même. L’élément essentiel, par lequel les
choses sont ce qu’elles sont, est unique, quelle que soit la diversité des choses dans
lesquelles il se manifeste. C’est l’Essence, en tant que distincte des choses
sensibles, que Platon appelle l'Idée. Mais Platon ne se contente pas de poser l’Idée
au-dessus des choses sensibles, comme un monde à part ; il veut montrer de plus
que l’Idée est la cause de l’existence des choses. L’homme doit se détacher des
choses sensibles, et se tourner vers le monde intelligible, pour s’élever d’idée en
idée, jusqu' à l’Idée du Bien. Cet élan de l’intelligence vers le souverain Bien, met en
jeu toutes les puissances de notre être et nous soulève d’un enthousiasme divin qu’il
appelle l’Amour. L’Amour, c’est le désir d’une possession éternelle, au fond c'est le
désir d’immortalité. C'est pourquoi, l’Amour tend à la génération, car c'est par la
génération que les êtres mortels participent à l’immortalité. Tout change en nous,
tout se transforme, mais par la puissance que nous avons d’engendrer, nous vivons
perpétuellement. Dans l’ordre des corps, nous nous rendons immortels, en
engendrant des êtres semblables à nous. De même, dans l’ordre de l’âme, nous
nous rendons immortels, en engendrant la Sagesse et les autres Vertus, par
l’intermédiaire de la Beauté. Nous rappelant la distinction entre l' Etre éternel et l'
Etre en devenir, Platon nous parle de l’unité de l' Etre unique, comprenant en lui la
multitude des êtres auxquels il a donné une partie de l’âme intelligente. C'est l’âme
qui met en mouvement l’univers, et répand partout l’harmonie, dont le rythme se
déroule dans le temps, cette image mobile de l’immobile Eternité.
Platon n’a pas expliqué la relation entre les Idées, puisque les nombres qu’il
admettait ne pouvaient pas s’associer les uns aux autres. Il fallait une philosophie
qui conçut l’Idée comme n’étant autre que l’âme, et qui fit comprendre l’unité de
l’âme et du corps, l’unité de l’idéal et du réel. Cette philosophie, achèvement du
platonisme, fut la philosophie d'Aristote.
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LE PRINCIPE DE LA FORME : ARISTOTE
Le mouvement n' est pas autre chose que le passage de l' Etre en
puissance, à l' Etre en acte ; et ce passage a lieu sous la pression d' une sorte de
désir qui se trouve dans la matière : la matière désire la forme, comme la femelle
désire le mâle. Tels sont d' après Aristote les deux causes de l' Etre en devenir : la
Matière et la Forme. Aristote ajoute : les premiers philosophes n’ont considéré que la
cause matérielle: pour Thalès, c’était l'Eau, pour Anaximène, l’Air, pour Héraclite, le
Feu. Ensuite quelques philosophes ont admis la cause motrice : Anaxagore a posé
l’Intelligence, Empédocle, l’Amour et la Discorde. La cause formelle a été entrevue
par les Pythagoriciens et Platon. Quant à la cause finale, personne n’en a parlé
clairement. Ainsi la Vérité ne se trouve que par lambeaux dans ces premiers essais
de spéculation. Le devenir est complètement expliqué par les deux principes :
matière et forme ; de par sa perfection, la forme est le but auquel tend le devenir. Et
c’est aussi la force motrice par laquelle le but est réalisé. La forme est le principe
interne de mouvement, par lequel les êtres tendent vers leur perfection, et qui
produit l' harmonie de tous les êtres entre eux ; par lequel aussi les êtres
accomplissent les fonctions de la vie et s' élèvent à l' acte divin de la Pensée. La
forme, c’est la nature et c'est l’âme. C' est pourquoi, la science doit avoir pour objet,
non pas les choses sensibles, mais l’essence, à laquelle seule appartient l’unité, et
qui seule dure éternellement.
Du haut en bas de l’échelle des Etres, la Nature nous apparaît comme une
force organisatrice, déterminée par des fins. De cette manière, Aristote rejoint Platon
et pose le problème de l’immortalité de l’âme. Ecoutons le : " il importe donc de faire
une distinction profonde entre l’Intellect, qui est l’âme en soi, et les états communs à
l’âme et au corps. Les passions, les sensations, la mémoire, même la pensée
discursive, n’appartiennent pas à l’âme en soi, mais au sujet qui possède l’âme. Seul
l' Intellect, comme pensée pure, comme pure intuition rationnelle, appartient à l' âme
elle-même, et peut être séparé des autres fonctions, comme l' éternel du périssable.
C'est pourquoi, lorsque l’être humain est détruit, périssent aussi les souvenirs et les
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amitiés ; mais l’Intellect, lui, subsiste, impérissable et divin.
Aristote estime que le mouvement de l’univers est éternel : la cause première
de ce mouvement étant un moteur immobile. Etant éternel, indivisible acte pur, c’est
l’essence intelligible, dégagée de toute matière. Comme tel c’est l’objet suprême du
désir. Et voilà la raison de son universelle efficacité : le premier moteur meut, en tant
qu'il est aimé. A lui sont suspendus, par une aspiration indéfectible, le Ciel et la
Nature tout entière. Le mouvement qu’il engendre est un acte d’amour éternel. Cet
Etre parfait qui attire à soi l’univers, c’est l' Etre que la philosophie appelle Dieu. Cet
Etre ne dépend d’aucun objet autre que sa propre perfection. L’Intelligence divine,
en pensant l’Intelligible, se pense elle-même : elle est Pensée de la pensée. La
distance reste grande entre la fin à laquelle aspirent les mortels et le résultat qu’ils
atteignent effectivement. Il n’en reste pas moins que le grand ressort de l’activité des
Etres est l’attrait qu’exerce sur eux la Vie Eternelle et Parfaite. C’est lorsqu' il pense
divinement, que l’Homme accomplit sa destinée et qu’il possède le Bonheur.
Analysant ce que peut être le bonheur humain, Aristote en vient à la
conclusion que seule la mise en actes de la Vertu peut y conduire. La Vertu suppose
un choix réfléchi, une intention volontaire ; elle suppose l’Intelligence. Aucun animal
ne peut être dit heureux, parce qu’aucun n’est jamais capable de penser. Le
bonheur commence donc avec la pensée, et s’accroît à mesure que la pensée ellemême s’accroît. Si le sage se détourne des plaisirs honteux, c’est parce qu’il a ses
plaisirs à lui, que la sagesse seule peut goûter. L’activité conforme à la Vertu la plus
haute, l’activité de la pensée, comporte des plaisirs admirables par leur constance et
leur pureté.
Le système d’Aristote marque l’apogée de la philosophie en Grèce. Il
rassemble en une vaste synthèse tous les courants de pensée qui s’étaient produits
avant lui, et il donne pour toujours le modèle de la vraie recherche philosophique.
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EPICURE ET LES STOÏCIENS
Cependant, après Aristote, la philosophie grecque, est redescendue des
hauteurs où elle avait été portée. Il est probable que la nouvelle orientation est due
aux transformations politiques. La philosophie de l’Idée avait été fille de la Liberté,
mais maintenant que la Grèce perdait son indépendance, la pensée repliait ses
ailes, et bornant son regard au monde sensible, la nouvelle philosophie ne
reconnaissait plus que des principes corporels. S’inspirant de Démocrite, la nouvelle
philosophie de la Nature est une réaction contre l’idéalisme platonicien et la
multiplicité des cultes extravagants venus d’Orient, qui sollicitaient les masses et, où
les croyances les plus bizarres étaient proposées. En ce sens, la philosophie
d’Epicure a apporté à une multitude de gens, un certain réconfort et la paix. Epicure
voulut, en effet, conjurer les craintes qui étaient nées de la religion. La cause des
frayeurs qui assiègent l’âme, c’est l’idée que l’homme a pour maîtres les dieux, qui
sont enclins à la colère ; c’est l’idée que l’âme subira après la mort, des châtiments
terribles. La religion, en tant qu’elle inspire à l’homme des frayeurs insensées, voilà
la puissance formidable qu’Epicure a voulu abattre.
Comme Epicure, les Stoïciens rétablirent la sensation comme base de la
connaissance, mais le fondement et le plus haut précepte de la morale stoïcienne
pose la loi divine comme étant la seule vérité, à laquelle toutes les choses sont
soumises pour leur plus grand bien. Prendre conscience de cette loi et de son
universelle efficacité, voilà notre Devoir. Les êtres raisonnables sont appelés à
reconnaître la raison partout présente dans les choses. Mais la grandeur du
Stoïcisme, lui vient de sa morale. Les Stoïciens ont en effet pensé que l’Homme doit
se considérer comme membre de l’ordre universel ; en ramenant l’attention sur la
Nature elle-même, ils ont signifié que la vertu n’est pas une haute et difficile
spéculation, mais qu’elle appartient à tout homme. Par cette vue, ils ont infiniment
élargi les cadres de la vie morale. En effet, dans les communautés pythagoriciennes,
le salut était réservé aux seuls initiés ; le Bien restait l’apanage de quelques
privilégiés. Or la grande révélation, c’est que la perfection est accessible à tout
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homme, fut-ce le plus humble et le plus ignorant, pourvu qu’il accepte du grand
dispensateur, la part qu’il lui accorde. Même l’esclave est l’égal des plus grands.
Ainsi portée, par le sentiment profond de la fraternité de tous les hommes, et de leur
commune destination au Bien, la morale stoïcienne a préparé la voie au
Christianisme, et inspirant les moralistes de la Rome Impériale, elle a présidé à la
constitution du droit romain, qui est devenu la loi des peuples modernes.
Epicure et les Stoïciens viennent de proclamer la vérité de la certitude
sensible et la réalité des corps ; il appartiendra au Scepticisme (Pyrrhon) de mettre
en lumière les faiblesses de leur philosophie, en démontrant que l’évidence de la
perception ne saurait être le garant de sa vérité ; des objets qui n’existent pas font
sur nous une impression aussi vive que des objets réels.
Mais le Scepticisme n’eut qu’une valeur négative, et il devait appartenir au
Néo-Platonisme, fusion du dernier élan du Platonisme, renforcé de l’Aristotélisme,
retenant les meilleurs éléments du Stoïcisme et influencé par l' Ecole d' Alexandrie
de nous offrir le suprême épanouissement de la Pensée Grecque.
LE PRINCIPE D’ABSOLU : PLOTIN
C’est en vain, déclare Plotin, qu’Aristote a voulu considérer l’acte de la
pensée comme s’accomplissant au sein de la pure unité. La compréhension est
précisément la réduction du multiple à l’Unité. La pensée se détruirait elle-même, si
jamais elle pouvait supprimer toute multiplicité. Il devient donc, évident que la
pensée est le désir de l’Unité, plutôt que la possession même de l’Unité ; elle
cherche l’Unité, et cette recherche est sa vie même. La pensée suppose une division
qui s’est produite au sein de l’Unité primordiale : elle est comme Saturne qui a mutilé
son père. Pour trouver la vraie Unité, et le vrai principe des choses, il faut remonter
au-delà de l’intelligence, jusque dans la région mystérieuse et suprême où toute
pensée s’anéantit devant la majesté de l’Absolu. Si nous considérons la liberté de
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l’Homme, nous voyons qu’elle a son principe dans l’Intelligence. Les actes qui sont
en notre pouvoir, les actes libres, sont les actes qui relèvent uniquement de notre
volonté. Or la volonté, c’est le désir réglé par l’Intelligence. Est libre, celui qui
affranchit des passions du corps, n’est déterminé dans ses actes que par
l’Intelligence. C’est donc l’Intelligence qui est le principe de la liberté humaine. Mais
l’Intelligence procède elle-même d’un principe supérieur, et c’est de ce principe
qu’elle tient son indépendance et sa liberté. Tous les autres êtres sont à la fois euxmêmes et autre chose, parce qu’ils dépendent d’une cause extérieure ; ainsi seul
Dieu est l’absolue Liberté. Le monde sensible, produit par l’expansion de l’âme, ellemême émanée de l’Intelligence, à son tour engendrée par le Un, le monde sensible
dis-je, est soumis à la loi du temps, car seul l' Etre dont on peut dire que le passé ne
lui a rien fait perdre, et que l’avenir ne lui fera rien acquérir, seul, cet être là, possède
l' Eternité. Mais celui qui aura appris à se connaître lui-même, connaîtra en même
temps d' où il vient. Laissons-nous donc aller au mouvement naturel de l’âme, qui
tourne autour d’un centre invisible. Par cette fuite de l’homme vers Dieu, nous
rentrons dans le sein de l' Etre, d’où toutes choses proviennent, et nous trouvons en
nous perdant nous-mêmes, la Vie Absolue et sans limites. Le centre du cercle des
Initiés, l’invariable milieu de Confucius.
La liberté n’appartient pas seulement à quelques hommes capables de
science, mais à tous les Hommes, simplement par l’élan naturel de l’Amour ; telle est
l’idée qui a été produite par l’apogée de cette Pensée Grecque et dont le
développement est sans doute loin d’être achevé. Nous avons le droit, nous F..M..,
d’espérer un avenir où la liberté existera vraiment sur la Terre. Pour préparer cet
avenir, la philosophie grecque peut nous apporter l’aide la plus précieuse. En
surgissant de la nuit orientale, cette philosophie a montré lumineusement la toute
puissance de l’Esprit, qui sort de la Nature, et s’accroît perpétuellement, triomphant
de toutes les limites. Par cet enseignement, qu'
elle nous donne, la Pensée
Grecque est la source inépuisable de sagesse à laquelle nous devons retourner
pour apprendre à connaître, dans leur vérité, l’Univers et nous-mêmes.
Enfin, je ne voudrai pas vous quitter, sans vous faire partager la beauté de la poésie
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grecque, beauté que son plus grand poète, Homère, fit apparaître dans les vers qui
suivent :
" C’est par amour que j’ai revêtu l’habit de lin et me suis voué à la grande
connaissance de la vie ascétique. C’est par amour que j’ai cherché l’esprit divin, j’ai
traversé les cavernes, les puits des pyramides et les tombeaux de l’Egypte. J’ai
fouillé la mort pour y chercher la Vie, et par-delà la vie j’ai vu les limbes, les sphères
lumineuses. La Terre m’a ouvert ses abîmes, le Ciel, ses portiques flamboyants,
guidé par Eros. Par lui, j’ai invoqué l' Esprit d' Hermès. "
J’ai dit.
Alain Décis
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