Charles 1 - Edilivre

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A ma petite fille Louna
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Dolan le, 10 mars 2013
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Charles 1er de Bourbon : « Le nouveau
Absalon »
Jean II de Bourbon : « Le fléau des
Anglais »
Charles de Bourbon, prélat des
Gaules : « N’espoir ne peur »
Pierre II de Bourbon : « Le cerf ailé »
Anne de Beaujeu : « Madame La
Grande »
Charles III de Bourbon : « Spes mea
in Ferro »
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Préambule
De la naissance de Jean en 1427, fils de Charles
comte de Clermont-en-Beauvaisis à la mort de Charles
III de Bourbon-Montpensier en 1527, devant les murs
de Rome, un siècle s’est écoulé et les territoires
patiemment constitués par la Maison Bourbon se
dissolvent en tant qu’entité. Le dernier grand duché du
royaume disparaît, en peu de temps, au profit de la
Couronne alors qu’il semblait être à son apogée.
On peut et l’on doit s’interroger sur ce paradoxe qui
s’inscrit, de plus, dans une période de mutation
profonde. De la guerre de Cent Ans, aux guerres de
religion ; des guerres internes, Praguerie, guerre du Bien
public, « guerre folle » ravageant le royaume, aux
guerres d’Italie et aux conflits européens avec les
Habsbourg et les rois anglais ; de Charles VII à
François 1er, le royaume de France acquiert peu à peu
une identité nationale sans être encore vraiment une
nation.
D’un royaume appauvri par la trilogie du malheur,
peste, famine et guerres, à une vigoureuse reprise
démographique et économique, la société s’en trouve
profondément modifiée par l’émergence progressive
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d’une bourgeoisie conquérante, d’une véritable
administration jetant les prémices de l’État moderne
tel qu’il perdurera jusqu’à la Révolution française.
Cette prospérité retrouvée permettra l’essor d’un
mécénat qui, du Languedoc à la Bretagne, du Val de
Loire au Bourbonnais, de la Normandie à la
Provence, de la Picardie à la Champagne, voit se
multiplier les foyers de création. Poètes, sculpteurs,
Maîtres-verriers, orfèvres, peintres, parfois venant de
Flandre ou d’Italie parcourent la France et servent,
rois, princes de sang, ecclésiastiques ou riches
bourgeois que l’ascension sociale conduit aux marges
de la noblesse, voire à la noblesse. Et la monarchie,
les Valois en particulier, favorisa cet essor des arts et
des lettres afin d’en tirer un profit politique.
Ce renouveau culturel n’abandonne pas les
nostalgies moyenâgeuses, celle de Charlemagne, celle
des croisades et précipite Charles VIII et Louis XII
dans les expéditions italiennes qui allaient hâter la
circulation des idées nouvelles, accélérer l’émergence
de l’individualisme, faire accéder la France à la
modernité en trouvant sa propre identité.
Il voit aussi s’illustrer des femmes étonnantes,
mécènes accomplies comme Anne de France, fille
coriace de « l’universelle araigne », Anne de
Bretagne, le « roi femelle », Marguerite de Flandre et
Louise de Savoie, avant que la femme ne soit
confinée dans des rôles subalternes comme si,
machisme et marche à l’absolutisme allaient de paire.
De la morale du don et du contre don, d’une
monarchie participative avec la réunion régulière des
États généraux au sein desquels le tiers état est enfin
représenté à l’affirmation progressive de l’autorité
royale qui conduira à la monarchie absolue de droit
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divin, la mystique du pouvoir et le pouvoir lui-même
évoluent vers une monarchie qui ne rend de comptes
qu’à elle-même et brise son lien fusionnel avec sa
noblesse.
Du parchemin au papier imprimé, des maisons en
bois aux maisons en pierre ; du trébuchet à la
couleuvrine ; du ban et l’arrière-ban féodal à l’armée
proprement royale, plus royale que féodale ; d’une foi
collective à une foi plus individuelle et à des pratiques
religieuses plus laïques ; des danses macabres
grimaçantes aux calmes des gisants ; de l’argent qui
corrompt à l’argent qui grandit ; de Villon à Ronsard ;
de l’art gothique à l’art renaissant, le royaume bascule
du Moyen-âge à la Renaissance, même si la
Renaissance n’est peut-être que l’achèvement, les
derniers feux du Moyen-âge et qu’il est absurde
d’opposer un Moyen-âge obscur à une Renaissance
flamboyante. L’individu y surgit, hors de la sujétion au
temps et de l’espérance, déborde vers l’absurde à la
recherche de sens qu’il construit dans l’action.
D’une Europe brisée où le Saint-Empire n’est
qu’une mosaïque de principautés, l’Italie, un agrégat
de Républiques rivales, où l’Espagne achève à peine
sa reconquête et son unité et où l’Angleterre est
déchirée par des guerres de succession, à l’Europe
phare du monde moderne qui renaît avec l’union de
l’Aragon et de la Castille, le sacre des Tudor, la paix
de Lodi dans les cinq grands États italiens, tout
s’enchaîne pour cette Europe marquée par la soif de
connaissances, le désir d’une expansion coloniale, le
triomphe du christianisme et sa soif de conversion, à
l’aube des Grandes Découvertes.
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La France se relève très vite de la trilogie du
malheur et devient le plus grand royaume de la
chrétienté. Sous Philippe le Bel, elle comptait dix-huit
millions d’habitants, elle n’en avait plus que sept au
lendemain de la Peste noire et de la guerre contre les
Anglais. Cinquante ans plus tard, la paix de retour, ce
nombre avait doublé. L’agriculture était florissante et
le commerce reprenait.
La France devient « le miroir du paradis », un
jardin, celui des fleurs de lys que l’on sème sur les
peintures, tapisseries et vitraux, les vêtements des
rois, les pièces de monnaies. Le peuple français, aussi
ancien que le peuple romain, venait de Francion, un
fils d’Hector échappant, comme Énée, à l’incendie de
Troie. Il était protégé par saint Denis et saint Michel
dont le sanctuaire avait victorieusement résisté aux
Anglais. Le royaume était celui de Clovis, de
Charlemagne et de Saint Louis. Clovis avait fondé la
monarchie chrétienne, Charlemagne protégé l’Église
et restauré l’Empire romain d’Occident. Saint Louis
avait incarné l’idéal de la croisade et du bon
gouvernement, celui de la justice et de la paix.
Dans L’automne du Moyen-âge, l’historien Johan
Huizinga définit cette aube nouvelle comme « l’âpre
saveur de la vie », avec ses paradoxes et ses
contradictions. Période lumineuse dans les domaines
de la pensée, de la technique et des arts, période de
croissance économique, elle n’échappe pas cependant
aux guerres et à leurs cortèges de cruauté, aux disettes
à répétition, à la misère des campagnes, à la
paupérisation des villes et à l’accroissement de
l’insécurité. Parce qu’elle est encore médiévale, elle a
aussi sa part d’ombres et d’archaïsmes.
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En 1500, dans son atelier, Jérôme Bosch peint un
de ses chefs d’œuvre : La nef des fous, cette folie des
hommes qui éloigne de Dieu, à l’image de ce temps.
Les enfants du duc Charles1erde Bourbon, Jean,
Charles de Bourbon, Louis de Bourbon, Pierre de
Beaujeu et sa femme Anne de France, leur fille
Suzanne et leur gendre Charles de BourbonMontpensier traversent toute cette période
mouvementée. Non seulement, ils marquent de leurs
empreintes l’histoire du Bourbonnais, de l’Auvergne,
du Forez, du Beaujolais et du Lyonnais, mais ils
participent à celle du royaume par le rôle éminent
qu’ils y joueront.
Cet ouvrage, en deux tomes, les montre vivant côte à
côte, solidaires ou adversaires dans les épreuves, mais
toujours attachés au maintien, voire à l’accroissement de
leurs prérogatives et de leurs domaines. Bien souvent,
ils demeurent dans leur conception du politique, dans
leurs actes, profondément médiévaux tout en n’étant pas
insensibles aux nouvelles marques de l’humanisme, de
la culture et de l’art de vivre de la Renaissance. Ni tout à
fait du Moyen-âge, ni tout à fait de la Renaissance.
Rien finalement de très original ni de très
spécifique dans ce duché du Bourbonnais et
d’Auvergne, dans une histoire commune à bien
d’autres régions de France, mais qui apparaît
cependant au premier plan du royaume pendant cette
période.
Ce qui rend attachants les enfants de Charles de
Bourbon, ce sont bien leurs personnalités, leurs
qualités et leurs défauts et leurs contradictions, mais
surtout leur destin, celui d’une Maison si proche du
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pouvoir, mais que le sens de l’histoire allait conduire
à abattre.
Il faut décliner les vies de Jean le brillant militaire,
fantasque et susceptible, de Charles le prélat, tout à la
fois grand seigneur et homme d’Église, de Pierre
l’homme que l’on dit effacé, falot, mais qui tint les
reines du pays bien longtemps, de sa femme Anne, fille
de Louis XI, qui, si elle ne fut pas régente se comporta
comme telle, de Charles Bourbon-Montpensier,
militaire de valeur, mais psychorigide dans sa
perception encore féodale de l’action politique, ce qui le
conduira à sa perte et à celle du duché et rendre
hommage à leur exceptionnelle destinée.
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Charles 1er de Bourbon
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Du fidèle soutien au roi
au révolté de la Praguerie
Le duc Jean 1er de Bourbon, fait prisonnier et
conduit en Angleterre après la défaite d’Azincourt en
1415, attendit une libération toujours promise, mais
jamais octroyée. Marie de Berry, sa femme, assure la
régence, avec son fils aîné Charles, âgé de quinze ans.
Elle verse des sommes considérables, par trois fois,
pour obtenir sa libération, mais elle ne réussit pas à
réunir les 254 000 écus demandés. Le duché en
ressort appauvri et perd de son lustre, pris en otage
dans la lutte qui oppose Anglais et Bourguignons au
roi de France et aux Armagnacs, ses partisans. Les
Bourguignons alternent quelques marques de
sympathie pour une Maison privée de son chef avec
les incursions de leurs mercenaires en Bourbonnais et
Forez. Ils s’emparent même, un temps, du comté de
Clermont-en-Beauvaisis.
En 1418, à Paris, Marie de Berry et son fils se
retrouvent prisonniers des Bourguignons, dans leur
hôtel de Bourbon. Jean sans Peur y a pris le pouvoir
avec l’aide de l’Université et des artisans. Pour
s’attacher le duché du Bourbonnais dans sa lutte contre
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le pouvoir royal, il les fait libérer sous condition que le
jeune Charles épouse sa fille Agnès de Bourgogne,
solution qui avait déjà été envisagée, dès 1412, lors
d’une tentative de réconciliation générale entre le roi et
les princes. Les fiançailles sont célébrées, de nouveau,
solennellement. Charles de Bourbon part vivre dans
l’entourage de Jean sans Peur qui le considère déjà
comme son gendre. Mais, lors de l’entrevue de
Montereau, le 10 septembre 1419, entre le dauphin
Charles et le duc de Bourgogne, ce dernier est assassiné
par un des conseillers du dauphin.
Charles de Bourbon, présent dans l’escorte royale,
se déclare « bien joyeux de s’en venir avec le
dauphin »1 et renvoie au nouveau duc de Bourgogne,
Philippe le Bon, la jeune Agnès pour marquer sa
volonté de rupture avec le parti bourguignon.
Traditionnellement, les promises étaient éduquées
dans la Maison de leur futur époux.
En 1422, Charles VII accède au trône alors que les
Anglais dépècent la France avec l’appui des
Bourguignons. Charles participe au conseil du roi et
aide le souverain à « bouter l’Anglais » hors du
royaume. Homme de guerre accompli, il est nommé,
en 1420, lieutenant général pour la Guyenne, puis en
1421, gouverneur du Languedoc qu’il occupe et
pacifie aux dépens du comte de Foix. En 1423, il
obtient le commandant général du Lyonnais, de La
Marche et du Bourbonnais.
Dans cette lutte d’influence entre le roi et le duc de
Bourgogne, pour s’assurer la fidélité du Bourbonnais,
Charles VII, par lettres datées de Vierzon, le 4 juin
1
Le Febvre de Saint-Rémy, Chroniques, éd F. Morand, t. I, Paris
1876, p 377.
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1425, donne « Le duché d’Auvergne et le comté de
Montpensier, à la condition que ses seigneuries, avec
celle du duché de Bourbon et le comté de Clermont-enBeauvaisis, fussent considérés comme apanages2 et
revinssent à la couronne en cas d’extinction de la
descendance masculine de Bourbon ». Le roi conserve,
cependant, l’exclusivité des droits régaliens : la régale,
la frappe et la justice des monnaies, l’anoblissement, le
droit de grâce, l’ouverture des foires et la propriété des
richesses du sous-sol.3
Le 13 août 1425, la Duchesse-douairière et Charles,
comte de Clermont, confirment, officiellement, le retour
éventuel à la Couronne du Bourbonnais en l’absence
d’héritier masculin malgré l’opposition des officiers de
la Chambre des comptes du roi considérant cette cession
comme une aliénation et doutant que ces provinces
reviennent un jour à la Couronne.
Le mariage entre Charles et Agnès fille de Jean sans
Peur et de Marguerite de Bourgogne a cependant lieu.
Le pape Martin V accorde les dispenses nécessaires à
l’union de cousins au troisième degré. Le contrat de
mariage est signé en février 1425 et le mariage se
déroule à Autun, le 17 septembre 1425. Elle reçoit une
dot de 100 000 écus, dont une partie pour acheter des
terres pour elle et ses descendants et on lui assigne en
douaire le château de La Bruyère en Bourbonnais.
De cette union naît en 1426, le 30 août, Jean, le futur
duc de Bourbon. Il est baptisé, sans faste particulier le
2
Apanage du latin médiéval apanare, donner du pain, donner de
quoi vivre. Il permet, à l’origine d’éviter les révoltes des cadets
puinés.
3
Voir André Legay, Les ducs de Bourbon pendant la crise
monarchique du XVe siècle, Société des Belles Lettres, 1962.
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dimanche suivant, dans l’église prieurale de Souvigny.
Sa marraine, Marie de Frolois, ses parrains, choisis dans
la noblesse locale, le seigneur de Dompierre, Jacques 1er
de Chabannes et Étienne de Norry, fils d’un conseiller
de feu le duc Louis II, lui sont bien utiles en cette
période où la mort rôde partout.
En 1429, Charles mène un convoi de secours vers
la ville d’Orléans assiégée par les Anglais, mais il
doit se retirer piteusement lors de la « Journée des
harengs ». Après la délivrance d’Orléans par Jeanne
d’Arc, s’estimant mal récompensé par le roi, il se
retire à Moulins, dans son duché du Bourbonnais.
Le roi aura dû attendre près de sept ans pour
parvenir à se faire sacrer à Reims, en juillet 1429, en
présence de Jeanne d’Arc. Assuré de son pouvoir, il
peut commencer la reconquête facilitée par les
divisions des Anglais. Charles VII va s’appliquer à
maîtriser l’anarchie qui ronge la France et le pouvoir
royal. Il trouve un pays épuisé par la famine, la peste,
livré aux bandes d’écorcheurs, anciens soldats
devenus brigands, qui pillent villes et villages.
Cette reconquête a été rendue possible grâce à une
importante réforme administrative. Elle dote le roi de
France d’un outil militaire performant et permanent et
des moyens de le financer de manière stable avec
l’instauration de la taille royale, impôt que les nobles
levaient jusqu’alors sur leurs paysans. Ces réformes
accroissent son pouvoir en ne rendant plus
indispensable la convocation du ban et de l’arrièreban féodal et en interdisant les guerres privées.
L’armée royale est désormais commandée par des
officiers royaux. Quant aux villes, elles sont invitées à
constituer des milices civiques et des régiments
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d’archers. Le roi, pour faire la guerre, ne dépend plus
du bon vouloir de ses vassaux.
Même si Paris redevient une capitale
administrative, le roi continue à résider dans les villes
et châteaux du Val de Loire, au cœur du royaume,
proche des provinces du Sud et du Centre, ensemble
territorial qui assure une certaine cohésion au
royaume de Bourges.
En 1434, après le décès de Jean 1eren Angleterre,
le 5 janvier 1434, le comte de Clermont, Charles,
devient le duc Charles 1erde Bourbon et Jean, le fils
aîné, né en 1426, comte de Clermont-en-Beauvaisis
comme le veut la tradition.
En août 1435, le traité d’Arras met fin au
désastreux traité de Troyes signé le 21 mai 1420 entre
Charles VI, le roi fou, et Henri V d’Angleterre. Le
nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon se
réconcilie avec le roi de France, abandonne l’alliance
anglaise, obtient, en échange, de nombreuses villes.
Charles VII, lui, fait amende honorable pour
l’assassinat de son père.
Charles 1er, sollicité par sa femme4, est l’un des
initiateurs de cette paix, par ses médiations. Les
bienfaits de cet apaisement ne se font pas attendre : en
1436, le roi reprend Paris et y entre triomphalement.
Partout, les possessions anglaises vacillent.
4
Agnès de Bourgogne est présente en 1435 à Nevers lors des
pourparlers qui conduisirent au traité d’Arras, mais aussi à
Nevers, en 1442, lors de l’assemblée des princes pour relancer
l’agitation princière. Elle obtient le mariage de son neveu
Charles le Téméraire avec Isabelle de Bourbon. Elle ancre les
Bourbons dans la mouvance bourguignonne. Il faudra attendre
son décès, le 1er décembre 1476, à Moulins, pour que les
Bourbons tournent définitivement la page.
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