2 22 A ma petite fille Louna 2 3 42 Dolan le, 10 mars 2013 2 5 Charles 1er de Bourbon : « Le nouveau Absalon » Jean II de Bourbon : « Le fléau des Anglais » Charles de Bourbon, prélat des Gaules : « N’espoir ne peur » Pierre II de Bourbon : « Le cerf ailé » Anne de Beaujeu : « Madame La Grande » Charles III de Bourbon : « Spes mea in Ferro » 62 Préambule De la naissance de Jean en 1427, fils de Charles comte de Clermont-en-Beauvaisis à la mort de Charles III de Bourbon-Montpensier en 1527, devant les murs de Rome, un siècle s’est écoulé et les territoires patiemment constitués par la Maison Bourbon se dissolvent en tant qu’entité. Le dernier grand duché du royaume disparaît, en peu de temps, au profit de la Couronne alors qu’il semblait être à son apogée. On peut et l’on doit s’interroger sur ce paradoxe qui s’inscrit, de plus, dans une période de mutation profonde. De la guerre de Cent Ans, aux guerres de religion ; des guerres internes, Praguerie, guerre du Bien public, « guerre folle » ravageant le royaume, aux guerres d’Italie et aux conflits européens avec les Habsbourg et les rois anglais ; de Charles VII à François 1er, le royaume de France acquiert peu à peu une identité nationale sans être encore vraiment une nation. D’un royaume appauvri par la trilogie du malheur, peste, famine et guerres, à une vigoureuse reprise démographique et économique, la société s’en trouve profondément modifiée par l’émergence progressive 2 7 d’une bourgeoisie conquérante, d’une véritable administration jetant les prémices de l’État moderne tel qu’il perdurera jusqu’à la Révolution française. Cette prospérité retrouvée permettra l’essor d’un mécénat qui, du Languedoc à la Bretagne, du Val de Loire au Bourbonnais, de la Normandie à la Provence, de la Picardie à la Champagne, voit se multiplier les foyers de création. Poètes, sculpteurs, Maîtres-verriers, orfèvres, peintres, parfois venant de Flandre ou d’Italie parcourent la France et servent, rois, princes de sang, ecclésiastiques ou riches bourgeois que l’ascension sociale conduit aux marges de la noblesse, voire à la noblesse. Et la monarchie, les Valois en particulier, favorisa cet essor des arts et des lettres afin d’en tirer un profit politique. Ce renouveau culturel n’abandonne pas les nostalgies moyenâgeuses, celle de Charlemagne, celle des croisades et précipite Charles VIII et Louis XII dans les expéditions italiennes qui allaient hâter la circulation des idées nouvelles, accélérer l’émergence de l’individualisme, faire accéder la France à la modernité en trouvant sa propre identité. Il voit aussi s’illustrer des femmes étonnantes, mécènes accomplies comme Anne de France, fille coriace de « l’universelle araigne », Anne de Bretagne, le « roi femelle », Marguerite de Flandre et Louise de Savoie, avant que la femme ne soit confinée dans des rôles subalternes comme si, machisme et marche à l’absolutisme allaient de paire. De la morale du don et du contre don, d’une monarchie participative avec la réunion régulière des États généraux au sein desquels le tiers état est enfin représenté à l’affirmation progressive de l’autorité royale qui conduira à la monarchie absolue de droit 82 divin, la mystique du pouvoir et le pouvoir lui-même évoluent vers une monarchie qui ne rend de comptes qu’à elle-même et brise son lien fusionnel avec sa noblesse. Du parchemin au papier imprimé, des maisons en bois aux maisons en pierre ; du trébuchet à la couleuvrine ; du ban et l’arrière-ban féodal à l’armée proprement royale, plus royale que féodale ; d’une foi collective à une foi plus individuelle et à des pratiques religieuses plus laïques ; des danses macabres grimaçantes aux calmes des gisants ; de l’argent qui corrompt à l’argent qui grandit ; de Villon à Ronsard ; de l’art gothique à l’art renaissant, le royaume bascule du Moyen-âge à la Renaissance, même si la Renaissance n’est peut-être que l’achèvement, les derniers feux du Moyen-âge et qu’il est absurde d’opposer un Moyen-âge obscur à une Renaissance flamboyante. L’individu y surgit, hors de la sujétion au temps et de l’espérance, déborde vers l’absurde à la recherche de sens qu’il construit dans l’action. D’une Europe brisée où le Saint-Empire n’est qu’une mosaïque de principautés, l’Italie, un agrégat de Républiques rivales, où l’Espagne achève à peine sa reconquête et son unité et où l’Angleterre est déchirée par des guerres de succession, à l’Europe phare du monde moderne qui renaît avec l’union de l’Aragon et de la Castille, le sacre des Tudor, la paix de Lodi dans les cinq grands États italiens, tout s’enchaîne pour cette Europe marquée par la soif de connaissances, le désir d’une expansion coloniale, le triomphe du christianisme et sa soif de conversion, à l’aube des Grandes Découvertes. 2 9 La France se relève très vite de la trilogie du malheur et devient le plus grand royaume de la chrétienté. Sous Philippe le Bel, elle comptait dix-huit millions d’habitants, elle n’en avait plus que sept au lendemain de la Peste noire et de la guerre contre les Anglais. Cinquante ans plus tard, la paix de retour, ce nombre avait doublé. L’agriculture était florissante et le commerce reprenait. La France devient « le miroir du paradis », un jardin, celui des fleurs de lys que l’on sème sur les peintures, tapisseries et vitraux, les vêtements des rois, les pièces de monnaies. Le peuple français, aussi ancien que le peuple romain, venait de Francion, un fils d’Hector échappant, comme Énée, à l’incendie de Troie. Il était protégé par saint Denis et saint Michel dont le sanctuaire avait victorieusement résisté aux Anglais. Le royaume était celui de Clovis, de Charlemagne et de Saint Louis. Clovis avait fondé la monarchie chrétienne, Charlemagne protégé l’Église et restauré l’Empire romain d’Occident. Saint Louis avait incarné l’idéal de la croisade et du bon gouvernement, celui de la justice et de la paix. Dans L’automne du Moyen-âge, l’historien Johan Huizinga définit cette aube nouvelle comme « l’âpre saveur de la vie », avec ses paradoxes et ses contradictions. Période lumineuse dans les domaines de la pensée, de la technique et des arts, période de croissance économique, elle n’échappe pas cependant aux guerres et à leurs cortèges de cruauté, aux disettes à répétition, à la misère des campagnes, à la paupérisation des villes et à l’accroissement de l’insécurité. Parce qu’elle est encore médiévale, elle a aussi sa part d’ombres et d’archaïsmes. 2 10 En 1500, dans son atelier, Jérôme Bosch peint un de ses chefs d’œuvre : La nef des fous, cette folie des hommes qui éloigne de Dieu, à l’image de ce temps. Les enfants du duc Charles1erde Bourbon, Jean, Charles de Bourbon, Louis de Bourbon, Pierre de Beaujeu et sa femme Anne de France, leur fille Suzanne et leur gendre Charles de BourbonMontpensier traversent toute cette période mouvementée. Non seulement, ils marquent de leurs empreintes l’histoire du Bourbonnais, de l’Auvergne, du Forez, du Beaujolais et du Lyonnais, mais ils participent à celle du royaume par le rôle éminent qu’ils y joueront. Cet ouvrage, en deux tomes, les montre vivant côte à côte, solidaires ou adversaires dans les épreuves, mais toujours attachés au maintien, voire à l’accroissement de leurs prérogatives et de leurs domaines. Bien souvent, ils demeurent dans leur conception du politique, dans leurs actes, profondément médiévaux tout en n’étant pas insensibles aux nouvelles marques de l’humanisme, de la culture et de l’art de vivre de la Renaissance. Ni tout à fait du Moyen-âge, ni tout à fait de la Renaissance. Rien finalement de très original ni de très spécifique dans ce duché du Bourbonnais et d’Auvergne, dans une histoire commune à bien d’autres régions de France, mais qui apparaît cependant au premier plan du royaume pendant cette période. Ce qui rend attachants les enfants de Charles de Bourbon, ce sont bien leurs personnalités, leurs qualités et leurs défauts et leurs contradictions, mais surtout leur destin, celui d’une Maison si proche du 2 11 pouvoir, mais que le sens de l’histoire allait conduire à abattre. Il faut décliner les vies de Jean le brillant militaire, fantasque et susceptible, de Charles le prélat, tout à la fois grand seigneur et homme d’Église, de Pierre l’homme que l’on dit effacé, falot, mais qui tint les reines du pays bien longtemps, de sa femme Anne, fille de Louis XI, qui, si elle ne fut pas régente se comporta comme telle, de Charles Bourbon-Montpensier, militaire de valeur, mais psychorigide dans sa perception encore féodale de l’action politique, ce qui le conduira à sa perte et à celle du duché et rendre hommage à leur exceptionnelle destinée. 2 12 Charles 1er de Bourbon 2 13 2 14 Du fidèle soutien au roi au révolté de la Praguerie Le duc Jean 1er de Bourbon, fait prisonnier et conduit en Angleterre après la défaite d’Azincourt en 1415, attendit une libération toujours promise, mais jamais octroyée. Marie de Berry, sa femme, assure la régence, avec son fils aîné Charles, âgé de quinze ans. Elle verse des sommes considérables, par trois fois, pour obtenir sa libération, mais elle ne réussit pas à réunir les 254 000 écus demandés. Le duché en ressort appauvri et perd de son lustre, pris en otage dans la lutte qui oppose Anglais et Bourguignons au roi de France et aux Armagnacs, ses partisans. Les Bourguignons alternent quelques marques de sympathie pour une Maison privée de son chef avec les incursions de leurs mercenaires en Bourbonnais et Forez. Ils s’emparent même, un temps, du comté de Clermont-en-Beauvaisis. En 1418, à Paris, Marie de Berry et son fils se retrouvent prisonniers des Bourguignons, dans leur hôtel de Bourbon. Jean sans Peur y a pris le pouvoir avec l’aide de l’Université et des artisans. Pour s’attacher le duché du Bourbonnais dans sa lutte contre 2 15 le pouvoir royal, il les fait libérer sous condition que le jeune Charles épouse sa fille Agnès de Bourgogne, solution qui avait déjà été envisagée, dès 1412, lors d’une tentative de réconciliation générale entre le roi et les princes. Les fiançailles sont célébrées, de nouveau, solennellement. Charles de Bourbon part vivre dans l’entourage de Jean sans Peur qui le considère déjà comme son gendre. Mais, lors de l’entrevue de Montereau, le 10 septembre 1419, entre le dauphin Charles et le duc de Bourgogne, ce dernier est assassiné par un des conseillers du dauphin. Charles de Bourbon, présent dans l’escorte royale, se déclare « bien joyeux de s’en venir avec le dauphin »1 et renvoie au nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, la jeune Agnès pour marquer sa volonté de rupture avec le parti bourguignon. Traditionnellement, les promises étaient éduquées dans la Maison de leur futur époux. En 1422, Charles VII accède au trône alors que les Anglais dépècent la France avec l’appui des Bourguignons. Charles participe au conseil du roi et aide le souverain à « bouter l’Anglais » hors du royaume. Homme de guerre accompli, il est nommé, en 1420, lieutenant général pour la Guyenne, puis en 1421, gouverneur du Languedoc qu’il occupe et pacifie aux dépens du comte de Foix. En 1423, il obtient le commandant général du Lyonnais, de La Marche et du Bourbonnais. Dans cette lutte d’influence entre le roi et le duc de Bourgogne, pour s’assurer la fidélité du Bourbonnais, Charles VII, par lettres datées de Vierzon, le 4 juin 1 Le Febvre de Saint-Rémy, Chroniques, éd F. Morand, t. I, Paris 1876, p 377. 2 16 1425, donne « Le duché d’Auvergne et le comté de Montpensier, à la condition que ses seigneuries, avec celle du duché de Bourbon et le comté de Clermont-enBeauvaisis, fussent considérés comme apanages2 et revinssent à la couronne en cas d’extinction de la descendance masculine de Bourbon ». Le roi conserve, cependant, l’exclusivité des droits régaliens : la régale, la frappe et la justice des monnaies, l’anoblissement, le droit de grâce, l’ouverture des foires et la propriété des richesses du sous-sol.3 Le 13 août 1425, la Duchesse-douairière et Charles, comte de Clermont, confirment, officiellement, le retour éventuel à la Couronne du Bourbonnais en l’absence d’héritier masculin malgré l’opposition des officiers de la Chambre des comptes du roi considérant cette cession comme une aliénation et doutant que ces provinces reviennent un jour à la Couronne. Le mariage entre Charles et Agnès fille de Jean sans Peur et de Marguerite de Bourgogne a cependant lieu. Le pape Martin V accorde les dispenses nécessaires à l’union de cousins au troisième degré. Le contrat de mariage est signé en février 1425 et le mariage se déroule à Autun, le 17 septembre 1425. Elle reçoit une dot de 100 000 écus, dont une partie pour acheter des terres pour elle et ses descendants et on lui assigne en douaire le château de La Bruyère en Bourbonnais. De cette union naît en 1426, le 30 août, Jean, le futur duc de Bourbon. Il est baptisé, sans faste particulier le 2 Apanage du latin médiéval apanare, donner du pain, donner de quoi vivre. Il permet, à l’origine d’éviter les révoltes des cadets puinés. 3 Voir André Legay, Les ducs de Bourbon pendant la crise monarchique du XVe siècle, Société des Belles Lettres, 1962. 2 17 dimanche suivant, dans l’église prieurale de Souvigny. Sa marraine, Marie de Frolois, ses parrains, choisis dans la noblesse locale, le seigneur de Dompierre, Jacques 1er de Chabannes et Étienne de Norry, fils d’un conseiller de feu le duc Louis II, lui sont bien utiles en cette période où la mort rôde partout. En 1429, Charles mène un convoi de secours vers la ville d’Orléans assiégée par les Anglais, mais il doit se retirer piteusement lors de la « Journée des harengs ». Après la délivrance d’Orléans par Jeanne d’Arc, s’estimant mal récompensé par le roi, il se retire à Moulins, dans son duché du Bourbonnais. Le roi aura dû attendre près de sept ans pour parvenir à se faire sacrer à Reims, en juillet 1429, en présence de Jeanne d’Arc. Assuré de son pouvoir, il peut commencer la reconquête facilitée par les divisions des Anglais. Charles VII va s’appliquer à maîtriser l’anarchie qui ronge la France et le pouvoir royal. Il trouve un pays épuisé par la famine, la peste, livré aux bandes d’écorcheurs, anciens soldats devenus brigands, qui pillent villes et villages. Cette reconquête a été rendue possible grâce à une importante réforme administrative. Elle dote le roi de France d’un outil militaire performant et permanent et des moyens de le financer de manière stable avec l’instauration de la taille royale, impôt que les nobles levaient jusqu’alors sur leurs paysans. Ces réformes accroissent son pouvoir en ne rendant plus indispensable la convocation du ban et de l’arrièreban féodal et en interdisant les guerres privées. L’armée royale est désormais commandée par des officiers royaux. Quant aux villes, elles sont invitées à constituer des milices civiques et des régiments 2 18 d’archers. Le roi, pour faire la guerre, ne dépend plus du bon vouloir de ses vassaux. Même si Paris redevient une capitale administrative, le roi continue à résider dans les villes et châteaux du Val de Loire, au cœur du royaume, proche des provinces du Sud et du Centre, ensemble territorial qui assure une certaine cohésion au royaume de Bourges. En 1434, après le décès de Jean 1eren Angleterre, le 5 janvier 1434, le comte de Clermont, Charles, devient le duc Charles 1erde Bourbon et Jean, le fils aîné, né en 1426, comte de Clermont-en-Beauvaisis comme le veut la tradition. En août 1435, le traité d’Arras met fin au désastreux traité de Troyes signé le 21 mai 1420 entre Charles VI, le roi fou, et Henri V d’Angleterre. Le nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon se réconcilie avec le roi de France, abandonne l’alliance anglaise, obtient, en échange, de nombreuses villes. Charles VII, lui, fait amende honorable pour l’assassinat de son père. Charles 1er, sollicité par sa femme4, est l’un des initiateurs de cette paix, par ses médiations. Les bienfaits de cet apaisement ne se font pas attendre : en 1436, le roi reprend Paris et y entre triomphalement. Partout, les possessions anglaises vacillent. 4 Agnès de Bourgogne est présente en 1435 à Nevers lors des pourparlers qui conduisirent au traité d’Arras, mais aussi à Nevers, en 1442, lors de l’assemblée des princes pour relancer l’agitation princière. Elle obtient le mariage de son neveu Charles le Téméraire avec Isabelle de Bourbon. Elle ancre les Bourbons dans la mouvance bourguignonne. Il faudra attendre son décès, le 1er décembre 1476, à Moulins, pour que les Bourbons tournent définitivement la page. 2 19 2 20