Un abcès cérébral à Nocardia cyriacigeorgica évocateur d`un

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Biologie au quotidien
Ann Biol Clin 2013 ; 71 (3) : 345-8
Un abcès cérébral à Nocardia cyriacigeorgica
évocateur d’un accident vasculaire cérébral
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Brain abscess due to Nocardia cyriacigeorgica simulating
an ischemic stroke
Emmanuelle Lavalard1
Thomas Guillard1,2
Sonia Baumard3
Antoine Grillon1
Lucien Brasme1
Verónica Rodríguez-Nava4
Fabien Litré5
Alain Delmer6
Patrick Boiron4
Christophe de Champs1,2
1
Laboratoire de bactériologievirologie-hygiène, CHU Reims, Hôpital
Robert Debré, Reims, France
<[email protected]>
2 UFR de médecine, SFR CAP-Santé,
EA 4687, Université de Reims
Champagne-Ardenne Médecine,
Reims, France
3 Service de maladies infectieuses,
CHU Reims, Hôpital Robert Debré,
Reims, France
Résumé. Les Nocardia spp. sont des bactéries souvent impliquées dans des
infections pulmonaires et du système nerveux central, essentiellement chez les
patients immunodéprimés. Nous rapportons ici le cas d’une femme immunodéprimée présentant un abcès cérébral initialement traité comme un accident
vasculaire cérébral. Malgré une bi-antibiothérapie menée par cotrimoxazole et
rifampicine, l’état clinique de la patiente ne s’est pas amélioré. Elle est décédée
trois mois plus tard après avoir arrêté son traitement.
Mots clés : Nocardia spp., Nocardia cyriacigeorgica, abcès cérébral, nocardiose
Abstract. Nocardia spp. are bacteria often implicated in pulmonary diseases
and central nervous system infections, especially in immunocompromised
patients. We report here the case of an immunocompromised woman presenting
an insidious brain abcess initially treated as a cerebral stroke. Despite a cotrimoxazole and rifampicin treatment she did not improve. She died 3 month later
after she stopped her treatment.
Key words: Nocardia spp., Nocardia cyriacigeorgica, brain abscess,
nocardiosis
4 UMR CNRS 5557 - Observatoire
français des nocardioses, Faculté de
pharmacie, Université Claude Bernard,
Lyon, France
5 Service de neurochirurgie, CHU
Reims, Hôpital Maison Blanche, Reims,
France
6 Service d’hématologie clinique, CHU
Reims, Hôpital Robert Debré, Reims,
France
doi:10.1684/abc.2013.0816
Article reçu le 12 octobre 2012,
accepté le 26 février 2013
La principale présentation clinique des infections à
Nocardia spp. est une symptomatologie pulmonaire. Les
localisations cérébrales font partie des principaux sites
d’infections secondaires décrits. L’inoculation de la bactérie peut se faire par traumatisme ou inhalation. Les abcès
cérébraux sont souvent insidieux et peuvent être confon-
dus avec une néoplasie cérébrale. Une antibiothérapie est
requise au moins 12 mois voire plus en cas de traitement
par corticoïdes ou médicaments cytotoxiques. Nous rapportons ici le cas d’une femme hospitalisée pour des signes
cliniques compatibles avec un accident vasculaire cérébral
(AVC). Le diagnostic d’abcès cérébral à Nocardia a été posé
Pour citer cet article : Lavalard E, Guillard T, Baumard S, Grillon A, Brasme L, Rodríguez-Nava V, Litré F, Delmer A, Boiron P, de Champs C. Un abcès cérébral à
Nocardia cyriacigeorgica évocateur d’un accident vasculaire cérébral. Ann Biol Clin 2013 ; 71(3) : 345-8 doi:10.1684/abc.2013.0816
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Biologie au quotidien
après la réalisation d’une biopsie cérébrale stéréotaxique
puis l’identification d’espèce réalisée par séquençage de
l’ARN 16S.
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L’observation
Une patiente de 71 ans a été hospitalisée dans le service d’hématologie pour syndrome confusionnel. Dans ses
antécédents, on note une maladie de Waldenström diagnostiquée vingt ans plus tôt, traitée par cytotoxiques, qui
s’est compliquée d’une anémie hémolytique auto-immune
deux ans auparavant, une insuffisance mitrale et aortique,
l’exérèse d’un épithéliome baso-cellulaire frontal, un herpès labial, une sécheresse buccale et oculaire sans étiologie
et un tabagisme actif. Son traitement habituel était composé
de : prednisone, oméprazole, acide folique, alendronate,
valaciclovir et calcium-cholécalciférol. À son admission
dans le service, elle a présenté une fièvre bien tolérée associée à des signes neurologiques tels qu’une aphasie de Broca
et une paraphasie phonémique. Il n’y avait aucune perte de
sensibilité ni de motricité.
La tomodensitométrie cérébrale sans injection a révélé
une hypodensité temporo-pariétale gauche évoquant une
lésion ischémique (figure 1). La radiographie pulmonaire
a montré une opacité parenchymateuse du lobe inférieur gauche. Les analyses biologiques ont révélé une
anémie à 80 g/L, un syndrome inflammatoire modéré
(CRP = 68 mg/L) et une lyse cellulaire. L’examen cytobactériologique des urines et les hémocultures sont restés
négatifs. À ce stade, considérant les signes clinicobiologiques, le diagnostic atypique d’accident vasculaire
cérébral ischémique sylvien gauche sans déficit moteur a été
évoqué. La patiente a reçu alors 160 mg d’acétylsalicylate
de lysine puis a été transférée dans un hôpital général
proche de chez elle pour poursuivre les investigations étiologiques.
Durant son hospitalisation, aucune amélioration clinique
n’a été observée. Les signes neurologiques ont persisté ; un syndrome cérébelleux gauche, une hémianopsie
latérale homonyme gauche et des vomissements sont apparus. Une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne a
confirmé les lésions pulmonaires. L’IRM a révélé la présence d’un abcès de l’hémisphère cérébral gauche de 3 cm
ainsi qu’un abcès fronto-pariétal de 5 cm, tous deux entourés d’une large zone d’œdème dite « en rosette » (figure 1).
Ces nouveaux éléments ont alors évoqué des lésions métastatiques.
La patiente a ensuite été réadmise dans le service
d’hématologie pour hypertension intracrânienne. Les
lésions cérébrales, les opacités parenchymateuses pulmonaires ainsi que le contexte d’immunosuppression ont
alors orienté vers une étiologie infectieuse de la maladie. Un traitement empirique couvrant l’aspergillose,
la toxoplasmose, la nocardiose et les bactéries pyogènes a été mis en route. Ce traitement se composait
d’imipénème, vancomycine, amphotéricine B liposomale
et triméthoprime-sulfaméthoxazole. Les sérologies aspergillaire et toxoplasmique, ainsi que les hémocultures se sont
révélées négatives. Une souche de Candida kefyr a été isolée
d’un lavage broncho-alvéolaire.
Considérant ces différents éléments et l’évolution clinique
de la patiente, les neurochirurgiens ont décidé de pratiquer une biopsie stéréotaxique. L’examen bactériologique
du pus a révélé la présence de bacilles à coloration de
Gram positive, aérobies stricts et catalase positive associés à des hyphes aériens observés à la loupe binoculaire
après culture, évoquant une bactérie du genre Nocardia.
2 cm
Figure 1. À gauche : scanner cérébral montrant un large œdème pariétal gauche. À droite : IRM montrant un abcès pariétal gauche.
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Abcès cérébral à Nocardia cyriacigeorgica
Le traitement antibiotique a alors été changé pour
800 mg de sulfaméthoxazole, 160 mg de triméthoprime
et 400 mg de rifampicine pour une durée initiale de
6 mois. L’identification moléculaire a été réalisée par
séquençage partiel d’un fragment de 441 pb du gène
hsp65 préalablement amplifié par un jeu d’amorce composé
de TB11 et TB12 [1]. Cette séquence a été comparée avec des séquences connues des gènes hsp65-groEL2
dans la base de données Bibi par Blast révélant 99,5 %
d’homologie avec Nocardia cyriacigeorgica (AY756522).
L’Observatoire français des nocardioses (OFN) a confirmé
notre identification moléculaire par séquençage de l’ARN
16S préalablement amplifié par un jeu d’amorce Noc1 et
Noc 2 [1], ainsi que le gène hsp65 préalablement amplifié
par le jeu d’amorces TB11 et TB12. Après une brève amélioration clinique, l’état général de la patiente s’est dégradé.
La présence d’une pancytopénie a nécessité une diminution
des doses de cotrimoxazole. La patiente a ensuite refusé de
prendre son traitement puis a présenté des signes dépressifs.
Elle est décédée 3 mois plus tard.
Le point de vue du clinicien
Soixante pour cent des patients présentant une nocardiose sont immunodéprimés (par exemple traitement par
corticostéroïdes ou cytotoxiques, transplantation d’organe,
tumeurs malignes, lupus érythémateux disséminé, diabète)
[3, 4].
Les manifestations pulmonaires sont présentes dans 85 %
des cas et les localisations extrapulmonaires, après dissémination hématogène, s’observent dans 45 % des cas.
Les abcès cérébraux à Nocardia spp. [5] ne représentent
que 1 à 2 % des abcès cérébraux, mais sont responsables
d’une mortalité élevée. Les signes cliniques sont le plus
souvent aspécifiques. L’imagerie peut être évocatrice de
divers diagnostics comme un gliome, une tumeur primitive ou secondaire, une sclérose en plaques ou un accident
vasculaire cérébral. Ces particularités expliquent en grande
partie le délai souvent élevé avant mise en évidence de
l’agent infectieux responsable, ainsi que la prescription
d’antibiothérapies inadéquates.
Ces derniers éléments expliquent le retard diagnostique
chez cette patiente compte tenu de son âge ainsi que des
signes cliniques et radiologiques non spécifiques. Le traitement initial recommandé est le cotrimoxazole par voie
intraveineuse. En cas de contre-indication au traitement,
l’utilisation de l’imipénème ou du céfotaxime est envisageable en association avec l’amikacine. Après un traitement
intraveineux, un relais par voie orale par cotrimoxazole doit
être mis en place pendant une durée d’au moins 6 mois. La
minocycline et la ciprofloxacine peuvent être des alternatives [4].
Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 3, mai-juin 2013
Le point de vue du biologiste
Le genre Nocardia comprend plus de 70 espèces. Ce
sont des bacilles à coloration de Gram positive, aérobies stricts, filamenteux, minces et branchés. Ces bactéries
ubiquitaires peuvent être trouvées dans le monde entier
comme saprophytes de l’eau douce ou salée, du sol, des
matières végétales et animales en décomposition. La plupart des infections à Nocardia sont acquises par inhalation
de spores ou de fragments mycéliens aéroportés provenant
de source environnementale, plus rarement par traumatisme suivi d’une contamination environnementale de la
plaie. Dans le cas de cette patiente, en dépit des lésions
pulmonaires, ni le liquide broncho-alvéolaire, ni la fibroscopie bronchique n’ont permis de mettre en évidence une
Nocardia spp. Dans la plupart des cas, les espèces responsables appartiennent au complexe Nocardia asteroïdes :
N. abscessus, N. cyriacigeorgica, N. farcinica, N. nova
[2].
La culture des Nocardia spp. requiert plusieurs jours avant
l’apparition des colonies. Ces bactéries sont non exigeantes.
Les colonies prennent un aspect cérébriforme de couleur
variable. Après quelques jours, elles présentent un aspect
de « barbe-à-papa », observable à la loupe binoculaire, dû
aux hyphes aériens. L’inspection macroscopique initiale de
l’échantillon détermine la présence ou non de granulations
souvent présentes lors de nocardioses.
Les méthodes d’identifications conventionnelles phénotypiques sont fastidieuses, chronophages et le plus souvent
non contributives. Il est donc indispensable que le clinicien précise la suspicion de Nocardia au laboratoire car
les méthodes moléculaires sont bien plus rapides et précises. Le séquençage du gène hsp65 et de l’ARN 16S
apparaissent comme des méthodes fiables et reconnues
dans l’identification des espèces de Nocardia [1]. Nocardia
cyriacigeorgica représente 12 % des espèces de Nocardia
isolées en clinique humaine en France (OFN).
Une antibiothérapie adaptée par voie intraveineuse et la
durée de cette antibiothérapie sont vitales dans ce type
d’infection. En raison du mauvais pronostic, l’évaluation
de la résistance aux antibiotiques est essentielle [3]. À ce
jour, aucun référentiel n’a émis de recommandation quant
à l’évaluation de la susceptibilité aux antibiotiques des
Nocardia spp. En dépit de la lenteur de la culture, la technique de dilution sur gélose est la plus fréquemment utilisée.
La culture, observée à 24-48 h, se fait à 37 ◦ C avec un
inoculum de 106 UFC/mL.
Conclusion
Ce cas de nocardiose cérébrale montre la difficulté du
diagnostic et du suivi de cette maladie. Le manque de
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Biologie au quotidien
spécificité des signes cliniques et radiologiques, comme la
localisation cérébrale décrite ici, peuvent allonger considérablement le délai du diagnostic. Bien que les signes
pulmonaires soient présents dans 85 % des cas, l’isolement
de ces bactéries dans le liquide broncho-alvéolaire est
habituellement absent. Il est donc d’autant plus important de signaler au laboratoire la suspicion de ce type de
bactérie afin de permettre l’amélioration de la vigilance
du microbiologiste à l’égard de ce type de prélèvement.
Les méthodes moléculaires permettent une identification
fiable et relativement rapide de ces bactéries. Les espèces
appartenant au complexe Nocardia asteroïdes sont les plus
fréquemment observées chez les Actynomycetales. Tester
la susceptibilité aux antibiotiques est primordial pour prédire la réponse au traitement mis en place. Le traitement de
choix est le cotrimoxazole pour une durée minimale de 6
mois. Les bactéries du genre Nocardia ont donc leur importance médicale parmi les bactéries aérobies de l’ordre des
Actinomycetales à cause du fort taux de mortalité engendré
(30-55 %) [3, 4].
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Liens d’intérêts :
aucun.
Références
1. Rodríguez-Nava V, Couble A, Devulder G, Flandrois JP, Boiron P,
Laurent F. Use of PCR-restriction enzyme pattern analysis and sequencing
database for hsp65 gene-based identification of Nocardia species. J Clin
Microbiol 2006 ; 44 : 536-46.
2. Wauters G, Avesani V, Charlier J, Janssens M, Vaneechoutte M, Delmée
M. Distribution of Nocardia species in clinical samples and their routine
rapid identification in the laboratory. J Clin Microbiol 2005 ; 43 : 2624-8.
3. Sorell TC, Mitchell DH, Iredell JR. Nocardia species. In : Mandell GL,
Bennett JE, Dolin R, eds. Principles and practice of infectious diseases.
Philadelphia : Elsevier, 2005 : 2916-23.
4. Laurent F, Rodríguez-Nava V, Freney J, Serrano JA, Boiron P. Nocardia
et actinomycètes aérobies apparentés. In : Freney J, Renaud F, Leclercq
R, Riegel P, eds. Précis de bactériologie clinique. 2e édition. Paris : Eska,
2007 : 1285-302.
5. Boiron P, Provost F, Chevrier G, Dupont B. Review of nocardial
infections in France 1987 to 1990. Eur J Clin Microbiol Infect Dis
1992 ; 11 : 709-14.
Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 3, mai-juin 2013
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