Gilbert Hottois 51
La valorisation du langage par l’anthropologie
philosophique va de pair avec la dévalorisation de la technique
et de l’opération matérielle. Les techniques matérielles ne font
pas partie de la culture au sens noble du terme qui identifie
culture et ordre symbolique. Empiriques et mécaniques, les
techniques n’aident pas à l’institution de l’homme en tant qu’être
rationnel et libre. Elles s’appliquent au monde matériel, au
milieu extérieur à l’homme. Il est illégitime et impossible de les
appliquer à l’homme lui-même dans le but de mieux l’instituer et
de le faire progresser!: elles ne concernent pas ce qui fait
l’homme en tant qu’homme. C’est pourquoi les techniques
matérielles et mécaniques ne permettent ni une organisation
humaine de la société (la technocratie tend à ignorer l’institution
symbolique de la société) ni une acculturation ou éducation
humaine du petit d’homme. Or, les biotechnologies, le génie
génétique, relèvent des techniques matérielles que certains
prétendent appliquer à l’individu et à la société dans un but de
progrès et en les substituant à l’institution et à l’acculturation
symboliques traditionnelles, jugées imparfaites ou peu efficaces.
C’est à semblable ambition que la question posée par Harris au
sujet de l’éducation référait.
Ce qui s’oppose donc à l’idée d’anthropotechnique est la
très ancienne idée «!anthropo-logique!» elle-même!: c’est par le
logos exclusivement (aujourd’hui!: le langage) qu’anthropos se
constitue et progresse.
La résistance anthropologique —!la conviction que c’est
par le langage exclusivement que l’homme se gagne et se
perd!— demeure capitale dans la philosophie contemporaine, des
courants néo-modernistes aux tendances postmodernes, de la
phénoménologie-herméneutique à la philosophie analytique.
Cette anthropologie prétend constituer la base de tout
humanisme possible et exclure tout propos ou entreprise
anthropotechniques. Signalons toutefois que des courants
utilitaristes anglo-saxons soulignent l’importance de la
sensibilité des êtres vivants, commune aux humains et aux non-
humains, plus que du langage, et voient dans l’accentuation de la
différence anthropologique sous la forme du logos une
expression du spécisme anthropocentrique, c’est-à-dire d’une
sorte de chauvinisme étroit de l’humanité, qu’ils dénoncent pour
des raisons éthiques et de philosophie générale. Cette remarque
n’est pas sans portée, dans la mesure où l’idée même
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris-Descartes - Paris 5 - - 193.51.85.60 - 01/12/2013 10h14. © Editions Kimé
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