DE L'ANTHROPOLOGIE À L'ANTHROPOTECHNIQUE ?
Gilbert Hottois
Editions Kimé | Tumultes
2005/2 - n° 25
pages 49 à 64
ISSN 1243-549X
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-tumultes-2005-2-page-49.htm
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Pour citer cet article :
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Hottois Gilbert, « De l'anthropologie à l'anthropotechnique ? »,
Tumultes, 2005/2 n° 25, p. 49-64. DOI : 10.3917/tumu.025.0049
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TUMULTES, numéro 25, 2005
De l’anthropologie
à l’anthropotechnique!?
Gilbert Hottois
Université libre de Bruxelles
La résistance anthropologique
Dans Clones, genes and immortality1, John Harris
!philosophe anglais bien connu dans les milieux de la
bioéthique internationale! pose la bonne question!: «!If the
goal of enhanced intelligence and better health is something that
we might strive to produce through education (...) why should
we not produce these goals through genetic engineering!?!»,
étant entendu, que la technique serait sûre et sans effets
marginaux négatifs.
Le développement de la réponse apportée par Harris ne
nous paraît pas aller philosophiquement jusqu’au fond du
problème. Il convient, à cette fin, d’expliciter ce qui, dans
l’anthropologie (philosophique et théologique) dominante,
s’oppose si fortement à l’idée d’un progrès anthropotechnique.
Globalement, la réponse à cette question est le langage.
Plus précisément, la valeur et le rôle accordés au langage !et
plus généralement à ce que l’on a appelé au XXe siècle «!l’ordre
symbolique!» !dans la conception philosophique et religieuse
de l’homme!: son origine, sa nature, son avenir.
1. Oxford University Press, London, 1998, p.!173.
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De l’anthropologie à l’anthropotechnique!?
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Cette valeur tout à fait éminente du langage est attestée
dans les textes fondateurs de la civilisation occidentale qui
parlent du Verbe et du Logos, et font du langage, indissociable
de la pensée, un don divin et l’essence de l’homme. Exprimant la
pensée ou l’esprit, le langage est censé incarner la différence
anthropologique, cela même qui distingue essentiellement
l’homme parmi les êtres de nature, le relie à une surnature et
constitue le lieu et l’instrument de sa transcendance. Cette
importance essentielle du langage comme tel est devenue
spectaculaire dans la philosophie du XXe siècle critique de la
métaphysique et de l’onto-théologie traditionnelles. Le
surinvestissement contemporain du langage n’est cependant déjà
lui-même qu’une réaction à l’affaiblissement des notions
anciennement fondatrices de la différence anthropologique, tels
la raison, l’esprit, la pensée, l’idéalité, etc. Mais cette inflation
langagière peut en outre être interprétée comme le symptôme
d’une dévaluation du rôle et de l’importance du langage dans
l’économie de la condition humaine en évolution.
Que comporte ou comportait la valorisation traditionnelle,
directe ou indirecte, du langage!?
-!Le langage n’est pas un outil comme les autres, utile
seulement à la communication entre les humains et à leur
organisation!;
-il est l’instrument de l’hominisation, du devenir humain!:
il institue l’humanité en général et chaque sujet individuel en
particulier!;
-cette institution langagière de l’humain est constitutive
de la raison et de la liberté, caractéristiques traditionnelles de
l’homme!; c’est parce qu’il a la capacité de se représenter
symboliquement des possibles avec leurs contextes,
justifications et conséquences (représentation rationnelle) que
l’homme peut délibérer et choisir entre ces possibles (liberté)!;
-intimement solidaire de ce qui fait l’être humain, le
langage apparaît aussi comme le seul instrument légitime du
progrès authentiquement humain tant au plan individuel que
collectif. Vouloir substituer au langage un autre moyen
d’évolution ne pourrait donc être qu’aliénant.
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Gilbert Hottois 51
La valorisation du langage par l’anthropologie
philosophique va de pair avec la dévalorisation de la technique
et de l’opération matérielle. Les techniques matérielles ne font
pas partie de la culture au sens noble du terme qui identifie
culture et ordre symbolique. Empiriques et mécaniques, les
techniques n’aident pas à l’institution de l’homme en tant qu’être
rationnel et libre. Elles s’appliquent au monde matériel, au
milieu extérieur à l’homme. Il est illégitime et impossible de les
appliquer à l’homme lui-même dans le but de mieux l’instituer et
de le faire progresser!: elles ne concernent pas ce qui fait
l’homme en tant qu’homme. C’est pourquoi les techniques
matérielles et mécaniques ne permettent ni une organisation
humaine de la société (la technocratie tend à ignorer l’institution
symbolique de la société) ni une acculturation ou éducation
humaine du petit d’homme. Or, les biotechnologies, le génie
génétique, relèvent des techniques matérielles que certains
prétendent appliquer à l’individu et à la société dans un but de
progrès et en les substituant à l’institution et à l’acculturation
symboliques traditionnelles, jugées imparfaites ou peu efficaces.
C’est à semblable ambition que la question posée par Harris au
sujet de l’éducation référait.
Ce qui s’oppose donc à l’idée d’anthropotechnique est la
très ancienne idée «!anthropo-logique!» elle-même!: c’est par le
logos exclusivement (aujourd’hui!: le langage) qu’anthropos se
constitue et progresse.
La résistance anthropologique !la conviction que c’est
par le langage exclusivement que l’homme se gagne et se
perd!— demeure capitale dans la philosophie contemporaine, des
courants néo-modernistes aux tendances postmodernes, de la
phénoménologie-herméneutique à la philosophie analytique.
Cette anthropologie prétend constituer la base de tout
humanisme possible et exclure tout propos ou entreprise
anthropotechniques. Signalons toutefois que des courants
utilitaristes anglo-saxons soulignent l’importance de la
sensibilité des êtres vivants, commune aux humains et aux non-
humains, plus que du langage, et voient dans l’accentuation de la
différence anthropologique sous la forme du logos une
expression du spécisme anthropocentrique, c’est-à-dire d’une
sorte de chauvinisme étroit de l’humanité, qu’ils dénoncent pour
des raisons éthiques et de philosophie générale. Cette remarque
n’est pas sans portée, dans la mesure l’idée même
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De l’anthropologie à l’anthropotechnique!?
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d’anthropotechnique est quelquefois favorablement accueillie
dans le monde anglo-américain, alors qu’elle ne l’est pas dans
l’Europe franco-allemande de l’après-guerre. Notre analyse
concerne donc prioritairement l’anthropologie philosophique
caractéristique de cette dernière.
L’usage légitime de la technique
Un postulat anthropologique est que les techniques
matérielles s’appliquent au milieu!: c’est par rapport au monde
que l’homme est légitimement homo faber. Par rapport à lui-
même, il est légitimement seulement homo loquax. Ce postulat
souffre cependant certaines exceptions qui se regroupent
principalement sous l’idée médicale. Sont permises les
interventions thérapeutiques, c’est-à-dire ces actions
techniquement outillées qui ont pour but de restaurer l’état
physique de l’homme lorsqu’il a été accidentellement lésé.
Absolue dans la médecine ancienne, l’idée que la technique
médicale n’a d’autre but et justification que la restitution d’un
équilibre, d’une intégrité, d’un ordre naturels, demeure encore
déterminante dans la médecine moderne. Les missions et les
limites imposées à celle-ci sont solidaires d’une philosophie de
la nature et d’une philosophie de l’homme pré-darwiniennes,
conditionnées par les sensibilités religieuses et métaphysiques
traditionnelles. Toute modification du corps humain qui
prétendrait aller dans une voie méliorative ou exploratrice est
condamnée. Néanmoins, le caractère problématique de cette
norme traditionnelle apparaît dans des domaines de plus en plus
divers!: médecine du sport, médecine du travail, médecine de
confort ou du désir, procréatique, génétique,
psychopharmacologie, neurosciences,… Le terme même de
«!biomédecine!» exprime bien le problème et l’ambiguïté
croissante dans laquelle les pratiques médicales s’enfoncent.
Parce qu’elle est médecine toujours tributaire de la philosophie
traditionnelle, la médecine contemporaine ne peut pas en
principe intervenir dans un sens autre que thérapeutique. Mais
ses capacités opératoires et les demandes, individuelles et
collectives, auxquelles elle ne cesse d’être confrontée, la tirent
de plus en plus du côté de ce qu’on devrait appeler
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