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arfois, le lien entre le saint
et le métier s’entend au
simple énoncé du nom,
comme Saint Pierre avec les ma-
çons (tandis que les architectes
ont au moins trois patrons). Le
Saint Fiacre des chauffeurs est
trompeur: il vient d’un Hôtel Saint-
Fiacre qui avait des «fiacres» pour
ses clients. Parfois, le lien se voit
au récit de la vie du saint: ainsi de
Saint Mathieu avec tous les métiers
d’argent, Jean Bosco avec ceux
de l’étude, que lui disputent parfois
Saint Jérôme et le fourre-tout Saint
Nicolas. Le patron des savants –
Albert le Grand – eut une vie toute
vouée à la science. Le patron des
acteurs - Genès de Rome – était
lui-même mime, et se convertit en
pleine scène au podium; et c’est
devant un four à pain que Saint Ho-
noré – patron des boulangers - eut
la vocation. La patronne des den-
tistes – Apolline – s’est fait casser
les dents juste avant d’être pous-
sée vers la mort. Les policiers ont
choisi Saint Martin, car il a su dia-
loguer avec des voleurs de grand
chemin. La patronne des servantes
– Sainte Blandine - fut esclave, et
celle des domestiques – Sainte Zita
– servante: la nuance change selon
le siècle, le lieu, la langue. Parfois,
la parenté vient d’un trait mental...
et le miracle qui s’ensuivit: ainsi,
les saint et sainte des métiers de
l’air ont été vus en lévitation, ou
voyaient en rêve la Terre de loin,
comme un œuf. Ce sont donc un
des Saint Joseph et une Sainte
Alpais qui veillent sur les avions, et
non le Bienheureux Charles Car-
nus, qui a pourtant fait une mongol-
fière de ses mains. Plus miraculeux
encore que la lévitation, et même
«chose admirable pour le peuple»:
un «avocat mais pas voleur», dit un
cantique populaire; les anecdotes –
parfois comiques – sur la défense
des faibles par Saint Yves a donc
fait de lui le patron des avocats, et
maint colloque juridique fixe ses
dates sur sa vie. Les portraits de
Saint Antoine le montrent souvent
avec un cochon de compagnie... il
n’en fallait pas plus pour faire de
lui le patron des charcutiers et des
brossiers (et – Dieu sait ou non
pourquoi – des papetiers, mais pas
des bouchers). Pour traverser un
cours d’eau, Christophe a pris sur
son dos un enfant plus ou moins
divin: maints métiers des trans-
ports ont donc choisi ce Saint.
Un métier, internaute?
Certaines histoires sont plus tor-
dues, même quand le nom semble
mettre sur la piste: Sainte Lucie a
perdu ses yeux de son propre fait,
pour couper avec les hommes...
elle fut donc choisie par les oph-
talmologues et les électriciens.
Pour les métiers du bois – menui-
siers, charpentiers, ébénistes -
protégés par Sainte Anne, mère
de Marie, on doit passer par la
généalogie et le tabernacle. Sainte
Barbe mourut-elle dans une tour
en feu, ou son bourreau fut-il
frappé par la foudre? L’affaire est
confuse, mais tous les métiers du
feu – pompiers, métallurgistes et
donc carillonneurs, et même ceux
qui creusent le sol, comme les mi-
neurs – se retrouvent en elle. Les
«affaires» de Saint Victorien ont
pris fin avec les quatre hommes
de négoce qui partagèrent sa
mort: c’est donc le patron des
commerçants. Pour les métiers
«modernes», la ligne est encore
moins droite... Les visions de
Sainte Claire en ont fait – en 1958
- la patronne de
la télévision; et
l’image de Jésus sur un linge
de Sainte Véronique l’adonne
aux photographes. Quant à Saint
Gabriel, par nature d’Archange
messager de Dieu, il protège les
métiers de la télé-communica-
tion. Mais c’est le cas de Saint
Isidore qui fait le plus réfléchir:
il avait bien plus de sémantique
dans ses tables de linguistique
que n’en ont les informaticiens
et les internautes qu’il protège.
Qui sont plutôt des prestidigi-
tateurs: est-ce pourquoi Don
Bosco prend ceux-ci sous son
aile à l’égal des autres «appren-
tissages»? Les journalistes s’ac-
crochent – comme les écrivains
– à Saint François de Sales ou à
Saint Bernardin, mais ils feraient
mieux de se mettre sous le ju-
pon de Sainte Rita des causes
perdues. On pourrait continuer
jusqu’à la fin des temps, surtout
si on ajoute les protecteurs invo-
qués par d’autres mythologies,
de la Grèce à la Chine. Mais le
lecteur saura lui-même suivre,
en ligne ou dans des livres, ce
lien social qui se tisse et se
coupe au fil du temps. n
Boris Engelson
13 mars 2017 – N
o
759
Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du
Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les
autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-
Gland-Saint Cergue). 159 514 exemplaires certifiés REMP/FRP.
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TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 759 • 13 MARS 2017
Un patron à la vie à la mort
Pas besoin d’être croyant pour jeter un coup d’œil sur les saints... au travail. Chaque métier – ou presque
– est «protégé» par un saint (ou une sainte)... certains ont plusieurs patrons, d’autres n’en ont qu’une
tranche (voir plus loin). On ne va pas, ici, les passer tous en revue: les listes ne manquent pas en ligne.
Mais à y voir de plus près, on trouve d’étranges passages d’un métier à l’autre... et surtout des énigmes.
•
Le Bienheureux Charles Carnus.