Père HYACINTHE DESTIVELLE, o.p.
L’ŒCUMENISME ENTRE HISTOIRE ET MEMOIRE
DANS L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE RECENT
Lœcuménisme est indissociable dun travail sur la mémoire et sur lhistoire. La relecture de
l’histoire, la purification de la mémoire, l’écriture d’une nouvelle histoire, la réconciliation des mémoires,
autant de thèmes étroitement liés à la promotion de l’unité des chrétiens. Mais avant d’essayer de situer
l’œcunisme dans l’interaction entre histoire et moire, il n’est sans doute pas inutile de revenir à la
première définition du travail de l’historien donnée par Hérodote, dans le Prologue de ses Histoires :
« Hérodote d’Halicarnasse expose ici ses enquêtes [historíai], pour empêcher que ce qu’ont
fait les hommes, avec le temps, ne sefface de la mémoire, et que de grands et merveilleux exploits,
accomplis tant par les Barbares que par les Grecs, ne cessent d’être renommés ; en particulier, ce
qui fut cause que Grecs et Barbares entrèrent en guerre les uns contre les autres » 1.
D’après ce célèbre Prologue, le premier travail de l’historien est donc un « travail de mémoire »,
une lutte contre l’oubli : alors que la mémoire, d’une certaine manière, présuppose l’oubli comme son
indispensable complément – car, loin d’être un pur négatif, l’oubli est le fond nécessaire à partir duquel
peut émerger la mémoire –, l’histoire, au contraire, vise à faire revenir l’oublié. Mais Hérodote précise
que l’objet formel de son travail sera d’établir les « causes ». En effet, alors que la mémoire individuelle
ou collective s’inscrit avant tout dans un récit du passé, un passé pensé à partir du présent, l’histoire, elle,
n’est pas seulement récit, mais enquêtes – au sens étymologique d’historíai – une investigation sur les
causes – les faits et les événements devant apporter une intelligibilité de l’ensemble du processus
historique. En troisième lieu, notons qu’Hérodote n’entend pas se faire le porte-voix des seuls grecs, mais
annonce qu’il traitera de tous les hommes, comme l’indique l’emploi du terme anthrpos souligné par la
complémentarité : « tant par les Grecs que les Barbares ». Alors que la mémoire est subjective, celle
d’une personne ou d’un peuple, l’histoire, elle, implique un décentrement du regard, une objectivi, qui
est la possibilité de changer de point de vue, de ne pas être soumis à un point de vue particulier.
Sur tous ces points – rapport à l’oubli, enquête sur les causes, recherche d’une objectivité
transcendant les partis – le travail de l’historien ressemble étrangement à celui de l’œcuniste. C’est
préciment la question que nous voudrions aborder dans ces pages consacrées aux enjeux, pour
l’œcuménisme, des relations entre histoire et mémoire. Nous verrons dans un premier temps quelles sont
les évolutions contemporaines des rapports entre histoire et mémoire. Il semble que l’on ait assisté à un
renversement : alors que l’histoire était jusqu’à récemment une partie de la mémoire collective, c’est
maintenant la mémoire qui est devenue objet d’histoire. Dans un deuxième temps, nous constaterons, à
travers le thème de la « purification de la mémoire » qu’une certaine dissociation entre histoire et
mémoire a également été le propre de l’œcuménisme spirituel, ou du dialogue de la charité entre
catholiques et orthodoxes inauguré à l’occasion du concile Vatican II. Dans un troisième temps, nous
essaierons de voir comment des retrouvailles entre histoire et mémoire sont possibles dans le cadre du
dialogue théologique.
I. Quelques évolutions contemporaines des rapports entre mémoire et histoire : de l’histoire,
objet de mémoire, à la mémoire, objet d’histoire
Les relations entre histoire et mémoire ont considérablement évolà la fin du XXe siècle, au point
de connaître un renversement. En France, cette évolution a donlieu à une abondante littérature, soit
d’historiens de la « Nouvelle histoire » comme Pierre Nora ou Jacques Le Goff, soit de philosophes
comme Paul Ricœur ou le franco-polonais Krysztof Pomian.
1. « Mémoire collective » et « mémoire historique »
Cette évolution des rapports entre histoire et mémoire est en grande partie due à la place
grandissante occupée par le thème de la « mémoire collective », avec ses corollaires : le culte de la
« commémoration », la revendication dun « devoir de moire », la multiplication des « lois
mémorielles » 2. Dès 1978, Pierre Nora opposait terme à terme « mémoire collective » et « mémoire
historique », « comme la psychologie classique opposait autrefois moire affective et moire
intellectuelle » 3. La mémoire collective, en effet, pour Nora, « est ce qui reste du passé dans le vécu des
groupes, ou ce que ces groupes font du passé ». La mémoire historique, de son côté, « est unitaire », « le
fruit d’une tradition savante et ‘scientifique’ ». Ainsi, tandis que « la moire historique unit, la moire
collective divise ». Jadis mémoire et histoire s’étaient pratiquement confondues : l’histoire semblait s’être
développée « sur le modèle de la remoration, de l’anamnèse et de la morisation ». Les historiens
donnaient la formule des « grandes mythologies collectives », « on allait de l’histoire à la moire
collective » et c’est l’histoire qui paraissait la mémoire collective du groupe. Mais toute l’évolution du
monde contemporain, sous la pression de l’histoire immédiate en partie fabriquée à chaud par les médias,
va vers la production d’un nombre accru de mémoires collectives. L’histoire s’écrit sous la pression de
ces moires collectives. Lhistoire dite « nouvelle », qui s’efforce de créer une histoire scientifique à
partir de la mémoire collective, peut être interprétée comme une « révolution de la mémoire » 4.
2. La « fin de l’histoire-mémoire »
En 1984, dans l’introduction à ses Lieux de mémoires, le même Pierre Nora annonçait la fin de
l’adéquation entre la mémoire et l’histoire, la « fin de l’histoire-mémoire ». L’accélération de l’histoire,
en effet, aurait révélé la distance entre « la mémoire vraie, sociale et intouchée, celle dont les sociétés
dites primitives, ou archaïques, ont représenté le mole et emporté le secret », et l’histoire « qui est ce
que font du passé nos sociétés condamnées à l’oubli, parce qu’emportées dans le changement ». On
assisterait ainsi à un « arrachement de mémoire sous la poussée conquérante et éradicatrice de l’histoire »
révélant « la rupture d’un lien d’identité très ancien, la fin de ce que nous vivions comme une évidence :
l’adéquation de l’histoire et de la mémoire » 5.
Par histoire, Pierre Nora entend non pas seulement l’histoire vécue, mais aussi l’opération
intellectuelle qui la rend intelligible – deux réalités pour lesquelles le français ne dispose que d’un seul
mot, alors que l’allemand distingue la Geschichte de l’Historie. Pierre Nora révèle le divorce en cours :
« Mémoire et histoire : loin dêtre synonymes, nous prenons conscience que tout les oppose ». La
mémoire « est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, toujours en évolution
permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations
successives » ; tandis que l’histoire est « la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui
n’est plus ». La mémoire est « un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire,
une représentation du passé ». La mémoire, « parce qu’elle est affective et magique », « ne s’accommode
que des détails qui la confortent » ; l’histoire, « parce que opération intellectuelle et laïcisante, appelle
analyse et discours critique ». La mémoire « installe le souvenir dans le sacré ; l’histoire l’en débusque,
elle prosaïse toujours ». La mémoire « sourd d’un groupe qu’elle soude, ce qui revient à dire […] qu’il y a
autant de mémoires que de groupes […] » ; l’histoire, au contraire, « appartient à tous et à personne, ce
qui lui donne vocation à l’universel […]. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connaît que le
relatif » 6. S’agissant du cas français, Nora note, par exemple, que l’histoire était « par excellence notre
milieu de mémoire », et « tous les grands remaniements historiques ont consisté à élargir lassiette de la
mémoire collective ». Mais cette « histoire-mémoire » a été comme subvertie par une « histoire-
critique » 7.
3. La mémoire « saisie par l’histoire »
En même temps, cette « fin de l’histoire-mémoire » s’accompagne, paradoxalement, d’un autre
phénone : la « moire saisie par lhistoire ». La moire, en effet, a subi trois métamorphoses
majeures. Elle est devenue une mémoire « archivistique », une « mémoire-archive » : « aucune époque,
dit Pierre Nora, n’a été aussi volontairement productrice d’archives que la nôtre, non seulement par le
volume que secrète spontanément la société moderne, non seulement par les moyens techniques de
reproduction et de conservation dont elle dispose, mais par la superstition et le respect de la trace ». À
mesure que disparaît la moire traditionnelle, on assiste à « la dilatation indifrenciée du champ du
mémorable », au « gonflement hypertrophique de la fonction de mémoire, lié au sentiment même de sa
perte » 8. La deuxième évolution est l’apparition de la « mémoire-devoir ». En effet, « Le passage de la
mémoire à l’histoire a fait à chaque groupe l’obligation de redéfinir son identité par la revitalisation de sa
propre histoire. Le devoir de mémoire fait de chacun lhistorien de soi ». Ce devoir de moire aboutit à
un éclatement de la mémoire, à la prolifération des moires, à la confrontation des moires : « La fin
de l’histoire a multiplié les mémoires particulières qui réclament leur propre histoire » 9. La troisième
évolution est l’apparition d’une « moire-distance ». Notre rapport au passé a changé. En effet, « pour
l’histoire-mémoire d’autrefois, la vraie perception du passé consistait à considérer qu’il n’était pas
vraiment passé ». Or nous sommes passés « d’une histoire qui se cherchait dans le continu dune mémoire
à une mémoire qui se projette dans le discontinu d’une histoire. On ne parlera plus d’’origines’, mais de
naissance’ » 10.
Quelques années plus tard, Jacques Le Goff, dans Histoire et mémoire, pouvait, à la suite de Pierre
Nora et dans son prolongement, noter à son tour les « bouleversements contemporains de la mémoire » 11.
Analysant les rapports entre histoire et mémoire, il remarque :
« des tendances naïves récentes semblent presque identifier l’une avec l’autre et même
préférer en quelque sorte la mémoire, qui serait plus authentique, plus ‘vraie’ à l’histoire qui serait
artificielle et qui consisterait surtout en une manipulation de la mémoire » 12.
Il est vrai, reconnaît Le Goff, que « l’histoire est un arrangement du passé, soumis aux structures
sociales, idéologiques, politiques dans lesquelles vivent et travaillent les historiens » ; il est vrai que le
développement récent de l’historiographie, histoire de l’histoire, se fonde « sur la prise de conscience et
l’étude de ces liens de la production historique avec le contexte de son époque et avec celui des époques
successives qui en modifient la signification ». Mais en réalité, pour Le Goff, « La mémoire est la matière
première de l’histoire » :
« Mentale, orale ou écrite, [la mémoire] est le vivier où puisent les historiens. Parce que son
travail est le plus souvent inconscient, elle est en fait plus dangereusement soumise aux
manipulations du temps et des sociétés […]. [La discipline historique] vient, à son tour, alimenter la
mémoire et rentre dans le grand processus dialectique de la mémoire et de l’oubli que vivent les
individus et les sociétés. L’historien doit être là pour rendre compte de ces souvenirs et de ces
oublis, pour les transformer en une matière pensable, pour en faire un objet de savoir. Trop
privilégier la mémoire c’est s’immerger dans le flot indomptable du temps »13.
Cette évolution des rapports entre histoire et mémoire annoncée il y a vingt ans par Nora et Le Goff
fut, récemment, particulièrement bien résue par Krysztof Pomian dans un article intitu« De
l’histoire, partie de la mémoire, à la mémoire, objet d’histoire » 14. Le philosophe et historien Krysztof
Pomian montre en particulier comment
« au XXe siècle, le retournement des rapports entre l’histoire et la mémoire fera de celle-ci
l’objet de celle-là, sous l’influence notamment d’une nouvelle révolution des médias comparable à
ce qu’à été dans son temps celle qu’a provoqué l’imprimerie » 15.
Mais il faut surtout citer ici Paul Ricœur qui, dans son avant-dernier livre, La mémoire, l’histoire et
l’oubli, renvoie dos à dos les deux tentations concurrentes de l’histoire et de la mémoire :
« d’une part, la prétention de l’histoire à réduire la mémoire au rang d’un de ses objets,
d’autre part, la prétention de la mémoire collective à vassaliser l’histoire par le biais de ces abus de
mémoire que peuvent devenir les commémorations imposées par le pouvoir politique ou par des
groupes de pression » 16.
II. Œcuménisme et mémoire. Purification de la mémoire et unité des chrétiens dans le
magistère conciliaire et pontifical (1963-2007)
Est-ce que cette évolution des rapports entre histoire et mémoire a également concerné les principes
catholiques de l’œcuménisme ? C’est la question à laquelle nous voudrions maintenant essayer de
répondre en étudiant le magistère pontifical sur la question de la « purification de la mémoire ».
A. La purification de la mémoire, un « fruit du dialogue de la charité »
1. Paul VI : purification de la mémoire et pardon réciproque
L’emploi de l’expression « purification de la mémoire » est directement lié au « dialogue de la
charité » commencé entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe dans les années soixante. En effet,
l’engagement officiel de l’Église catholique dans le mouvement œcuménique s’est accompagné, dès le
début, d’une démarche de pardon. Paul VI fut le premier pape à exprimer une demande de pardon
adressée aussi bien à Dieu qu’à ses contemporains 17. Cette demande de pardon portait sur la division des
chrétiens et supposait la réciprocité. Ainsi, dans son discours d’ouverture à la seconde session du Concile
Vatican II, le 29 septembre 1963, Paul VI déclare, immédiatement après avoir salué les observateurs :
« Si, dans les causes de cette séparation, une faute devait nous être imputée, nous en
demandons humblement pardon à Dieu et nous sollicitons aussi le pardon des frères qui se
sentiraient offensés par nous. Et nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à pardonner les
offenses dont l’Église catholique a été l’objet et à oublier les douleurs qu’elle a éprouvées dans la
longue série des dissensions et des séparations » 18.
Dans la même perspective et quasiment dans les mêmes termes, les Pères du concile Vatican II,
dans le cret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio publié le 21 novembre 1964, demandèrent
pardon, également dans la réciprocité, à l’ensemble des « frères séparés » : « Par une humble prière, nous
demandons pardon à Dieu et aux frères séparés, de même que nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés » 19. Il sagit du seul texte de Vatican II dans lequel les Pères conciliaires demandent
explicitement pardon – même si d’autres textes du Concile évoquent les responsabilités des chrétiens dans
les questions concernant les relations entre la science et la foi 20, la genèse de l’athéisme 21, ou lantisémi-
tisme 22.
Un an plus tard, dans les tout derniers jours du Concile, le 7 décembre 1965, cette demande trouva
une application concrète dans l’acte portant le titre officiel de « Déclaration commune du pape Paul VI et
du patriarche Athénagoras exprimant leur décision d’enlever de la mémoire et du milieu de l’Église les
sentences d’excommunication de l’année 1054 ». Le texte lui-même précise que les primats déclarent
« regretter et enlever de la mémoire et du milieu de l’Église les sentences d’excom-munication […] dont
le souvenir opère jusqu’à nos jours comme un obstacle au rapprochement dans la charité, et les vouer à
l’oubli » 23. Il s’agit là, explique la déclaration, d’un « geste de justice et de pardon réciproque », d’un
appel à la « purification des cœurs », au « regret des torts historiques » 24. Les termes « mémoire » et
« oubli » sont ici pour la première fois associés à propos de la division des chrétiens.
Mais c’est seulement dix ans plus tard, le 14 décembre 1975, que l’expression « purification de la
mémoire » fait son apparition dans le magistère de l’Église catholique. Dans une allocution célébrant
l’anniversaire de « lacte ecclésial solennel et sac» de la levée des anciens anathèmes, Paul VI déclare
qu« une purification intime de la mémoire se fraie un chemin de plus en plus large ». Paul VI, en se
référant à Unitatis Redintegratio, rattache cet acte de purification au dialogue de la charité : « C’est dans
cette perspective que le deuxième concile du Vatican avait clairement déclaré que "c’est du renouveau de
l’âme, du renoncement à soi-même et d’une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de
l’unité" (décret Unitatis Redintegratio, n. 7) » 25.
C’est donc bien dans le contexte de l’engagement œcuménique de l’Église catholique, et en
particulier du dialogue de charité entre catholiques et orthodoxes, que l’expression « purification de la
mémoire » est inaugurée. Loin d’être un « devoir de mémoire », cette purification consiste plutôt en un
oubli fondé sur un pardon réciproque.
2. Jean-Paul II : la purification de la mémoire, composante de l’« œcuménisme spirituel », est
étendue à l’ensemble du passé de l’Église et de l’humanité
Avec le pontificat de Jean-Paul II, l’expression « purification de la moire » sera explicitement
rattachée au « dialogue de la charité » permettant d’avancer sur le chemin du « dialogue de la vérité » 26.
Utilisée pour la première fois par le nouveau pape le 30 novembre 1979 dans une déclaration commune
avec le patriarche de Constantinople Dimitrios I annonçant le début du dialogue théologique, elle se voit
adjoindre le qualificatif de « collective ». La « purification de la moire collective » des Églises est
présentée comme « un fruit important du dialogue de la charité et une condition indispensable des progrès
à venir » 27 :
« Le dialogue de la charité (cf. Jn 13, 34 ; Ep 4, 1-7), enraciné dans une fidélité complète à
l’unique Seigneur sus-Christ et à sa volonté sur son Église (cf. Jn 17, 21), a ouvert la voie à une
meilleure compréhension des positions théologiques réciproques et, de là, à de nouvelles approches
du travail théologique et à une nouvelle attitude vis-à-vis du passé commun de nos Églises. Cette
purification de la mémoire collective de nos Églises est un fruit important du dialogue de la charité
et une condition indispensable des progrès à venir. Ce dialogue de la charité doit continuer et
s’intensifier dans la situation complexe que nous avons héritée du passé et qui constitue la réalité
dans laquelle doit se dérouler aujourd’hui notre effort ».
L’expression, toujours liée à une démarche de charité permettant un dialogue de vérité, sera ensuite
étendue par Jean-Paul II au contexte du dialogue entre catholiques et protestants, notamment à Paris en
1980 lors de sa rencontre avec les représentants des autres confessions chrétiennes :
« Dans la dynamique du mouvement vers l’unité, il faut purifier notre mémoire personnelle et
communautaire du souvenir de tous les heurts, les injustices, les haines du passé. Cette purification
s’opère par le pardon réciproque, du fond du cœur, condition de l’épanouissement d’une vraie
charité fraternelle, d’une charité qui n’entretient pas de rancune et qui excuse tout. Je le dis ici car je
sais les cruels événements qui, dans le passé, ont marqué en ce pays les relations des catholiques
avec les protestants » 28.
Cette conception de la « purification de la mémoire » comme fruit du dialogue de charité trouve une
application concrète en 2000 lorsque, dans son discours à l’archevêque Christodoulos d’Atnes, le pape
associe l’expression « purification de la mémoire » à sa célèbre demande de pardon – une démarche
comparable à celle de 1965, mais qui, cette fois, est unilatérale :
« Certes, nous portons le fardeau de controverses passées et présentes, et d’incompréhensions
persistantes. Mais dans un esprit de charité mutuelle, celles-ci peuvent et doivent être dépassées,
parce que tel est ce que le Seigneur nous demande. On a clairement besoin d’un processus libérateur
de purification de la mémoire. Pour toutes les occasions passées et présentes où les fils et les filles
de l’Église catholique ont péché par action et par omission contre leurs frères et sœurs orthodoxes,
puisse le Seigneur nous accorder le pardon que nous lui demandons ! » 29.
Écrire « une nouvelle histoire d’amour fraternel »
Dans le contexte du Jubilé, la purification de la mémoire est enrichie de plusieurs thèmes. Un
premier thème est celui de la « spiritualité de communion ». Dans son homélie pour la fin de la semaine
de prière pour l’unité de 2001, le pape présente la purification de la mémoire comme « une des tâches
fondamentales » du troisième millénaire, qui devra panser les blessures du deuxième : « Au cours du
deuxième millénaire, nous avons été opposés et divisés, nous nous sommes condamnés et combattus
réciproquement ». Comme en 1965, le terme d’« oubli » est repris : « Nous devons oublier les ombres et
les blessures du passé, et être tendus vers l’heure de Dieu qui vient (cf. Ph 3, 13) ». La purification de la
mémoire apparaît comme une réconciliation des mémoires dans une ecclésiologie de communion :
« Purifier la moire veut dire aussi édifier une spiritualité de communion – à l’image de la
Trinité (koinônia) qui incarne et manifeste l’essence même de l’Église (cf. Novo millennio
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