Lettre d’information et d’analyse sur l’actualité bioéthique N°144 : Décembre 2011 25 ans du Téléthon : la face sombre Les 25 ans du Téléthon cette année ne doivent pas faire oublier l’analyse critique de cet évènement installé dans le paysage médiatique français. Dernièrement, le biologiste Jacques Testart a renouvelé sa dénonciation de la sélection eugénique opérée, entre autres, avec les dons du Téléthon. Une analyse du document de promotion de l’AFM1, "25 avancées spectaculaires au bénéfice du plus grand nombre", paru cette année pour la 25e édition, conforte cette critique. Des recherches transgressives Dans l’une des parties de ce document, intitulée "la révolution des biothérapies", l’AFM valorise les avancées "spectaculaires" que constituent selon elle les recherches de thérapies cellulaires du coeur et de la peau à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Pour la thérapie du coeur (traitement de l’insuffisance cardiaque post-infarctus), l’association évoque la perspective d’un futur essai clinique. Premier problème : cette annonce est régulièrement faite depuis 2 ans alors qu’aucune autorisation n’a encore été accordée dans la réalité. Deuxième problème : ces recherches dont l’AFM fait la promotion s’écartent des prescriptions prévues par la loi. En effet, selon la législation en vigueur au moment où ces travaux ont commencé, la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines est interdite et ne peut faire l’objet d’une autorisation, par dérogation, qu’à condition de "permettre des progrès thérapeutiques majeurs" et de ne pas pouvoir "être poursuivie par une méthode alternative d’efficacité comparable". Or, il s’agit là de recherches fondamentales : elles sont dépourvues de validation pour passer à l’essai clinique et n’entrent donc pas dans 1 Association française contre les myopathies, organisatrice du Téléthon l’exigence requise par la loi de permettre des "progrès thérapeutiques majeurs". De plus, des travaux alternatifs pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, utilisant des cellules souches non embryonnaires, ont démontré une efficacité thérapeutique. Concernant la thérapie cellulaire de la peau, l’AFM met en avant la reconstitution d’un épiderme humain à partir de cellules embryonnaires humaines, qui avait été fortement médiatisée en 2009. Le chercheur Marc Peschanski avait valorisé ces travaux destinés à traiter l’épidermolyse bulleuse, une maladie génétique rare de la peau, ainsi que les grands brûlés. Ces recherches étaient pourtant doublement transgressives. Elles se situaient uniquement, là encore, sur le plan fondamental. Par ailleurs, plusieurs équipes avançaient vers des traitements à partir de cellules souches non embryonnaires. Le Pr. Américain John Wagner avait déjà présenté des résultats thérapeutiques positifs pour le traitement de l’épidermolyse bulleuse. En France, le Pr. Jean-Jacques Lataillade avait obtenu une reconstitution de la peau grâce à des injections de cellules souches de la moelle osseuse ou de cordon ombilical. "On ne sait toujours pas soigner mais on apprend à trier efficacement... " Sous le titre "la révolution génétique", une autre partie du document de l’AFM évoque l’amélioration des diagnostics prénatals obtenue par la découverte des gènes responsables de maladies. L’AFM se félicite de cette avancée faisant reculer "l’errance diagnostique": "Le conseil génétique et les diagnostics pré-natal et pré-implantatoire donnent la possibilité aux familles de s’agrandir en toute connaissance de cause. L’espoir et la vie reprennent le dessus !" Pour les couples susceptibles de transmettre une maladie génétique, ces diagnostics rendent certes possible d’identifier les embryons ou foetus sains et d’éliminer ceux qui sont malades : ainsi, derrière les termes enthousiastes de l’AFM, c’est bien la réalité d’une sélection génétique des enfants à naître qui est à l’œuvre. Dans un article intitulé "Téléthon : le plus cher cabaret du monde !"2, Jacques Testart réprouve ce tri eugéniste. Il dénonce également le caractère indécent de ce "spectacle de masse" et des "promesses éhontées" à partir desquelles s’effectue chaque année la collecte de millions d’euros "au nom de l’équation incontournable : argent=recherche=guérison". Il observe que les promesses de guérison prochaine, sans cesse répétées, restent éloignées de la réalité difficile de maladies évolutives graves, d’autant que "la thérapie génique ne semble plus être une stratégie compétente pour guérir la plupart des maladies génétiques". Il rapporte les propos, parus sur internet en 2008, d’une personne myopathe indignée pour qui les faux espoirs alimentés par le Téléthon "s’apparente vraiment à de la manipulation de masse". Jacques Testart fustige également l’hypocrisie de la présentation médiatique des "bébéthons", destinés à valider le succès de l’opération. Nés de couples porteurs d’affections génétiques mais indemnes de ces maladies, ces enfants n’ont en réalité pas été guéris puisqu’ils n’ont jamais été malades. Ils ont fait l’objet d’une sélection : "les progrès du diagnostic génétique ont permis d’identifier les embryons ou foetus "normaux" conçus par les couples "à risque", et ainsi d’éliminer les autres. On ne sait toujours pas soigner mais on apprend à trier efficacement... avec les sous de ceux qui avaient donné pour guérir". 2 Site de Jacques Testart : http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte897 Gènéthique - n°144 – Décembre 2011 Ratification de la Convention d’Oviedo : un minimum de repères éthiques Voilà douze ans que cela était attendu, la "Convention pour la protection des Droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les Droits de l’homme et la biomédecine" dite "Convention d’Oviedo" a été ratifiée par la France le 13 décembre 2011. Déjà ratifiée par 28 Etats membres du Conseil de l’Europe, le texte entrera en vigueur en France le 1er avril 2012. Il aura alors une valeur supérieure aux lois nationales. Des principes éthiques fondamentaux inscrits La Convention d’Oviedo a le mérite d’être le premier texte international donnant comme cadre et repère communs des principes éthiques aux Etats signataires. Elle se donne pour finalité de protéger l’être humain dans sa dignité, son identité, et son intégrité (article 1) face aux évolutions de la médecine et de la biologie. Il est désormais explicitement inscrit que l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science (article 2), que toute forme de discrimination d’une personne à raison de son patrimoine génétique est interdite (article 11), que la sélection de convenance du sexe de l’enfant à naître dans les techniques d’assistance médicale à la procréation n’est pas admise (article 14), que la création d’embryons humains aux fins de recherche est prohibée (article 18.1) ou encore que le corps humain, ou ses parties ne peuvent être, en tant que tels, source de profit (article 21). Monsieur Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes, se félicite de la ratification de cette convention qui "pose pour lui des principes très forts qui sont à la fois généraux et intemporels" et "assez forts pour protéger l’être humain d’éventuels abus de nouvelles techniques médicales". Une protection imparfaite de l’embryon humain Bien que les principes posés par la Convention d’Oviedo ne soient pas contestables, il est regrettable qu’ils soient ramenés au minimum éthique. Par exemple, les tests prédictifs de maladies génétiques, sont bien encadrés par la Convention (article 12). Selon le rapport, ces tests "peuvent être très bénéfiques pour la santé, dès lors qu’ils permettent de mettre en place à temps un traitement préventif ou de diminuer les risques". Or sans aucune justification, le rapport explicatif de la convention exclut l’embryon et le fœtus humain du champ d’application de cet article. De ce fait il ne constitue pas un rempart à la sélection, à la discrimination des embryons atteints de maladies génétiques, et n’encourage pas non plus la recherche de traitements des maladies génétiques dépistables mais non encore curables à ce jour. En outre, la Convention exige que les Etats signataires autorisant la recherche sur l’embryon, assurent à ce dernier une "protection adéquate". Le principe est louable, seulement l’expression "protection adéquate" n’est pas définie et est donc laissée à des interprétations plus ou moins permissives. Enfin, le protocole additionnel portant interdiction du clonage d’un "être humain" laisse aussi cette notion à l’interprétation des Etats. Les Pays-Bas ont donc d’emblée fait remarqué qu’ils n’intégraient pas l’embryon ou le fœtus humain dans l’expression "être humain". Par ces trois exemples on peut percevoir que l’embryon est laissé de côté, comme une notion qui gêne, que l’on évite, et finalement que l’on exclut des dispositions protectrices. Il est dommage qu’un texte international ne puisse, à l’exemple de la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’affaire Brüstle c/ Greenpeace relative aux brevets, définir l’embryon humain et le protéger en conséquence. Un impact limité sur la législation française. La réouverture d’un débat ? L’impact de cette convention en droit français sera limité. En effet, la législation française n’émet aucune contradiction avec les principes généraux et consensuels de la Convention. Il n’entrainera donc pas de changements significatifs. Cependant, le contexte de l’entrée en vigueur de ce texte sera celui d’une campagne politique nationale. On peut alors s’interroger : Ne serait-ce pas l’occasion d’ouvrir à nouveau le débat sur la sélection des fœtus atteints de trisomie 21, qui font l’objet d’une discrimination à raison de leur patrimoine génétique ? Théorie du genre : inaction gouvernementale et immixtion silencieuse au Parlement Alors que les pétitions contestant la présence de la théorie du genre dans les manuels de SVT de première atteignent des nombres significatifs de signataires3 et continuent de circuler sur internet4, le ministre Luc Chatel persiste dans son refus de considérer l’enjeu et de prendre une décision politique. Par ailleurs les lobbys "pro-genre" tentent de donner une assise législative à cette théorie. L’inaction d’un ministre Lors d’une séance de questions à l’Assemblée nationale le 6 décembre, le député Philippe Gosselin a questionné le ministre de l’Education nationale sur la diffusion de la théorie dans les manuels scolaires et lui a demandé qu’aucune épreuve du baccalauréat ne porte sur ce sujet. Comme il l’avait déjà fait auparavant, le Ministre s’est à nouveau caché derrière la 3 4 Près de 41 000 signataires sur le site de l’école déboussolée Plus de 15 000 sur la plus récente pétition : http://un-ministreirresponsable.org/ liberté des éditeurs des manuels scolaires justifiant son incapacité à arrêter l’enseignement de cette théorie en cours de SVT. Il n’a pris aucune décision politique s’agissant du baccalauréat. Une immixtion législative silencieuse Lors d’un autre débat parlementaire, l’examen d’une proposition de loi "relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi de la liberté de la presse du 29 juillet 1881", plusieurs députés ont déposé trois amendements ayant pour objectif d’élargir le délit de discrimination au "genre". Pour eux "Il est important d’introduire le motif de "l’identité de genre", pour commencer une réelle pédagogie de la non discrimination transphobe". L’enjeu est de taille, puisqu’ils parlent bien d’une "pédagogie" à reconnaître l’identité de genre. Il y aurait donc une volonté de placer cette théorie dans la loi afin de la faire intégrer par la société. Cette légalisation donnerait une assise forte à la théorie du genre, et la justifierait de fait sans avoir besoin d’explications scientifiques ou philosophiques. Ces amendements n’ont pas été retenus par l’Assemblée nationale, cependant ils pourraient l’être par le Sénat qui les examinera prochainement. Il est important de rappeler que la loi est aujourd’hui la seule norme morale encadrant les comportements pour le bien de la société. L’intégration d’une notion dans la loi ne peut se faire qu’après un débat public permettant d’identifier l’intérêt, l’apport et le bien fondé d’un tel ajout. Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune 37 rue des Volontaires, 75 725 Paris cedex 15. Siège social : 31 rue Galande, 75 005 Paris www.genethique.org Contact : [email protected] Tél. : 01.44.49.73.39 Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné Rédacteur en chef : Valentine Solignac Imprimerie PRD S.A.R.L. – N° ISSN 1627 - 498 Gènéthique - n°144 – Décembre 2011 Gènéthique - n°144 – Décembre 2011