Jean Charron
compétence et de la crédibilité demeure un enjeu vital pour les courriéristes parlementaires. Il
existe en effet une sorte de paranoïa professionnelle chez ces journalistes qui ont l'impression
que leur crédibilité est constamment menacée et remise en question. Cela tient à plusieurs
facteurs.
Les journalistes parlementaires occupent une position privilégiée dans le jeu de la commu-
nication politique et détiennent un pouvoir qu'ils doivent justifier. La médiatisation de l'espace
public moderne qui fait des journalistes un point de passage quasi obligé de la communication
politique, la marge de liberté que détiennent les journalistes pour sélectionner, traduire,
rapporter et interpréter les discours et les « événements » politiques du jour, la règle de la
transparence qui contraint l'action des élus, voilà autant d'atouts qui placent les journalistes
politiques dans une position de pouvoir. Mais ils ne détiennent pas de «titre» officiel,
légalement sanctionné, qui leur conférerait une autorité universellement reconnue et qui les
définirait comme arbitres incontestables dans la lutte pour la définition du vrai dans le champ
politique. Leur position de salariés au service d'entreprises privées vouées à la recherche du
profit ajoute à la précarité du statut professionnel des journalistes3. La contradiction entre
l'étendue de leur pouvoir et la précarité de leur statut fait de la reconnaissance de leur pouvoir
symbolique, un problème constant pour les journalistes parlementaires.
Par ailleurs, cette position privilégiée leur est chaudement disputée par les politiciens qui
peuvent invoquer une légitimité de représentation pour faire reconnaître leur pouvoir de
nommer les choses et contester celui des journalistes. Bien qu'ils affichent, en bons démocrates,
une sympathie de bon aloi à l'égard de la fonction journalistique, les politiciens n'en critiquent
pas moins la pratique, surtout quand leur crédibilité et la légitimité de leurs actions sont mises en
cause par des comptes rendus de journalistes.
La paranoïa des journalistes parlementaires tient aussi aux soupçons de contamination
partisane ou idéologique qui pèsent en permanence sur les journalistes politiques, réputés
« proches » des milieux politiques. Dans la lutte pour l'imposition d'une perception de la réalité
politique, les journalistes parlementaires sont l'objet de pressions multiples, plus ou moins
subtiles, destinées à influencer leur performance professionnelle. Les sources politiques domi-
nantes, contraintes par la médiatisation de l'espace public moderne, sont devenues, par la force
des choses, de véritables experts, voire des artistes de la communication publique. Elles se sont
dotées des ressources stratégiques (humaines, techniques et financières) qui leur ont permis
d'accroître l'efficacité de leurs actions de communication publique. Les politiciens qui savent se
mettre en scène et mettre en valeur leurs messages et qui savent brouiller la communication
lorsqu'ils le jugent utile représentent des « challengers » sérieux dans la compétition pour le
contrôle de la production de l'actualité politique.
Bref,
la menace est grande pour les journalistes
politiques d'être perçus et de se percevoir eux-mêmes comme de simples porte-voix des
détenteurs de pouvoir.
En outre, la « réalité » politique dont parlent les journalistes parlementaires est constituée
de messages et d'« événements » qui se caractérisent par un degré tel d'ambiguïté qu'il est
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