Les religions et le monde moderne
dossier
12 / mars 2013 / n°429
dit à l’Académie française), ne réveillons pas
les vieux réflexes guerriers qui sommeillent
dans notre inconscient collectif et demandez
à votre collègue Manuel Valls pourquoi il
était présent l’autre jour à l’intérieur de la
cathédrale Notre-Dame de Paris, pour la
messe qui inaugurait son 850e anniversaire,
et ensuite à l’extérieur, pour prononcer un
discours également remarquable sur les
relations actuelles entre l’Église et l’État,
fondées sur la séparation, la différence
et le respect mutuel ! Et le respect inclut
et exige la connaissance des réalités, et
en particulier de tout ce qui concerne la
présence actuelle de l’Église catholique à
l’intérieur de la société française.
À l’intérieur de la société
française
Je sais bien : un certain nombre de
catholiques rêvent encore ou à nouveau
de camper en dehors de la cité commune,
pour mieux critiquer ses métamorphoses et
pour être ainsi des spectateurs prêts à tous
les combats qu’ils jugeraient nécessaires.
À moins que – mais le résultat serait le
même – ils ne s’imaginent être enfermés
dans une citadelle assiégée en attendant
l’assaut des barbares ! La posture serait la
même, guerrière, avec un mélange d’actions
défensives et offensives.
Quelle stupidité ! Comme si nous n’étions
pas tous et toutes des citoyens français, tout
en étant des membres de l’Église catholique,
et si nous ne devions pas souffrir ensemble,
avec ceux et celles qui ne croient pas au
ciel de Dieu, à cause de tout ce qui tend à
déshumaniser et à déréguler notre société
si fragile, et si dure en même temps, avec
tant de phénomènes de fragmentations, de
séparations, de violences parfois.
Ce n’est donc pas l’heure de nous situer
à l’extérieur de notre société. D’autant
plus que le qualificatif de catholique,
parfois si déprécié aux yeux mêmes de
certains catholiques, inclut une ouverture
primordiale à l’universel, ou plus exactement
une participation à l’ouverture même du
Dieu vivant, le Père de Jésus, quand il vient
« chercher et sauver ce qui était perdu »
(Luc 19,10).
Et c’est à la lumière de ce qualificatif
respectable et non pas dangereux qu’il faut
comprendre le combat intransigeant que
l’Église catholique pratique et pratiquera en
France pour être « l’avocate de l’humanité
de toute personne humaine », comme disait
jadis le cardinal Lustiger. À commencer
par les plus fragiles, ceux et celles qui ne
crient pas, qui ne manifestent pas, mais
qui s’enferment dans leur solitude, plus
ou moins liée à l’aggravation si réelle de la
pauvreté, aux conséquences du chômage,
aux déchirures du tissu
social dans les grands
ensembles urbains et aussi
dans des zones rurales en
voie de désertification.
J’aime le redire ici avec
insistance, parce qu’il
me semble que l’Église
catholique est parfois
maladroite ou timide pour
le faire entendre comme
il faudrait. Le plus grave,
c’est évidemment la crise économique dont
les effets sont maintenant de plus en plus
sensibles et l’un de ces effets est la perte
ou la dissolution de l’espoir, parce que le
temps n’est plus porteur de promesses,
comme il semblait l’être au temps des
Trente glorieuses, que beaucoup de jeunes
ne savent pas quel métier ils pourront
exercer demain après leurs études et que
beaucoup de parents ou de grands-parents
se demandent souvent comment ils pourront
nourrir convenablement leurs enfants le soir,
après les repas pris à la cantine, si encore
ils ont les moyens de payer la cantine,
aussi bien dans les établissements de
l’enseignement catholique que dans ceux
de l’enseignement public.
Beaucoup de catholiques sont conscients
de ces réalités qui atteignent des personnes
concrètes. Et ils agissent discrètement
pour faire face à des situations de misère,
à travers de multiples associations
d’obédience catholique ou laïque. Et, bien
entendu, ils n’oublient pas la parabole du
Bon Samaritain, que le pape Benoît XVI
proposait comme modèle de son message
pour le Carême de cette année 2013. Et
tous les diocèses de France se préparent
actuellement à ce que l’on appelle dans
notre jargon l’opération Diaconia 2013,
qui a pour but de faire apparaître que la
charité est constitutive, autant que la foi,
de l’identité catholique, comme au temps
de saint Martin, de saint Vincent de Paul
ou du bienheureux Frédéric Ozanam.
Oui, notre combat est indivisible : nous nous
savons appelés à manifester, à promouvoir,
à défendre la dignité de toute personne
humaine, et d’abord de celles qui sont
confrontées à des situations de détresse
ou de peur, de celles qui sont l’objet de
discriminations scandaleuses et intolérables,
de celles que l’on manipule comme des
pions ou comme des objets, en fonction
des impératifs exclusifs
de la rentabilité financière
ou technique, ou de
celles dont les activités,
aussi bien économiques
que sexuelles, ne sont
déterminées que par les
lois du marché.
Et en agissant ainsi, nous
ne nous prenons pas pour
la conscience critique d’un
monde sans conscience.
Nous tenons simplement, comme l’avait
affirmé en 1996 la Lettre aux catholiques
de France (que j’ai bien des raisons de
connaître par le cœur puisque je l’avais
conçue et rédigée avec des amis), « à être
reconnus, nous catholiques en France, non
seulement comme des héritiers, solidaires
d’une histoire nationale et religieuse, mais
aussi comme des citoyens qui prennent part
à la vie actuelle de la société française, qui
en respectent la laïcité constitutive et qui
désirent y manifester la vitalité de leur foi. »
(Lettre aux catholiques de France, Paris,
éditions du Cerf, 1996, p. 28).
La vitalité de la foi et de la
charité
Au sujet de cette vitalité de notre foi, il y
aurait beaucoup à dire, et en particulier
ceci, qui est fondamental : en deçà ou par-
delà l’affaiblissement évident de beaucoup
d’institutions catholiques (lié à la baisse
de la pratique religieuse, au vieillissement
des prêtres, à la pénurie des vocations), se
produit un renouvellement en profondeur du
tissu de l’Église catholique en France. Il n’y
a pas seulement des églises fermées. Il y
a beaucoup d’églises ouvertes, notamment
les 410 églises romanes du diocèse
d’Angoulême, parce que des élus locaux,
des municipalités comprennent que ces
bâtiments ne sont pas comme les autres,
et que des catholiques ont à cœur non
seulement de les entretenir, mais d’y prier
et d’y accueillir des pèlerins de passage.
Et surtout, dans un climat général
de désenchantement et parfois de
Beaucoup de
catholiques sont
conscients de
ces réalités qui
atteignent des
personnes concrètes