Le Point sur Fomépizole
Dossier 2000, XXI, 2 58
É
Éditorial
ditorial
Le fomépizole ou l'exemple de l'antidote idéal ...
L'intoxication aiguë par l'éthylène glycol est certes rare mais elle est responsable d'une morbidité élevée ainsi que de décès.
L'éthylène glycol, dont la toxicité est due à ses métabolites, l'acide glycolique et l'acide oxalique, est à l'origine d'une aci-
dose métabolique à trou anionique augmenté, de troubles de la conscience, de crises convulsives, d'insuffisance rénale
aiguë et de défaillance cardiorespiratoire.
Depuis les premiers cas publiés (1), le fomépizole ou 4-méthyl-pyrazole, délivré en France par la Pharmacie Centrale des
Hôpitaux, a reçu une autorisation de mise sur le marché pour le traitement de ces intoxications. La revue Dossier du
CNHIM propose un excellent article de synthèse sur le fomépizole, y détaillant son mode d'action, ses modalités de pres-
cription ainsi que les résultats obtenus au cours de l'étude rétrospective menée en Réanimation Toxicologique à l'Hôpital
Fernand Widal (2). Plus d'une trentaine de patients ont à ce jour été traités dans notre service, avec de bons résultats, une
excellente tolérance et des effets indésirables minimes. De plus, il est désormais bien établi qu'en l'absence d'insuffisance
rénale anurique ou d'acidose métabolique sévère, le fomépizole peut simplifier la prise en charge et réduire la nécessité de
recourir à l'hémodialyse (3).
Le fomépizole appartient à la catégorie des médicaments orphelins et d'autres applications sont actuellement en cours de
développement.
Ainsi, par exemple, notre équipe possède désormais une bonne expérience de l'utilisation du fomépizole au cours des
intoxications au méthanol (4). Cet alcool est à l'origine d'intoxications collectives graves, notamment dans les pays en voie
de développement où la législation et le contrôle de la fabrication des vins est moins stricte qu'en France. Plus de 300 décès
ont ainsi été attribués depuis 1998 aux vins frelatés en Europe de l'Est, en Asie et en Afrique. Il peut aussi être responsable
de séquelles ophtalmologiques graves voire d'une cécité complète. A ce jour, seules deux thérapeutiques ont été évaluées
et ont fait preuve d'efficacité dans la prise en charge des patients intoxiqués au méthanol. L'éthanol, tout d'abord, comme
substrat de l'alcool déshydrogénase (ADH), agissant par compétition avec le méthanol. Mais on imagine aisément toutes
les difficultés liées à sa prescription : troubles de conscience et ébriété éventuels, risque d'hypoglycémie chez l'enfant,
variabilité interindividuelle des posologies requises pour le maintien de taux thérapeutiques, rendant indispensable des
dosages plasmatiques itératifs, .... Et l'hémodialyse, d'autre part, permettant de corriger les anomalies métaboliques et d'ac-
célérer l'élimination du méthanol et de ses métabolites. Plusieurs patients intoxiqués au méthanol mais sans troubles de la
vision, ont bénéficié à ce jour avec succès du fomépizole, sans recours systématique à l'épuration extra-rénale et avec des
effets secondaires minimes malgré une durée d'administration prolongée dans certains cas (4). Par ailleurs, I'absence de
supériorité démontrée de la voie d'administration intraveineuse par rapport à la voie orale, pourrait faciliter l'usage de cette
thérapeutique dans les pays défavorisés, notamment en cas d'intoxication collective.
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Une seconde application pour le fomépizole également très utile est le traitement de l'effet antabuse lié à la prise d'étha-
nol. Celui-ci peut être, dans les cas les plus graves, à l'origine d'un collapsus vasoplégique sévère, que l'on attribue à l'acé-
taldéhyde qui provient du métabolisme de l'éthanol par l'ADH. Dans ces cas, une seule dose de fomépizole (7,5 mg/kg/j)
semble suffisante.
Somme toute, le fomépizole se présente comme un antidote idéal. Dépourvu d'effets indésirables importants, il peut être
administré précocement (dose de charge) dès la suspicion d'intoxication à l'éthylène glycol, sans attendre une confirma-
tion biologique formelle. Il peut ainsi permettre d'éviter toute aggravation secondaire liée à l'apparition des métabolites
toxiques, et ce d'autant plus que le patient est vu précocement et donc en général peu symptomatique. Le traitement d'en-
tretien (posologie et durée) doit alors être discuté après confirmation de l'intoxication, en fonction des éléments cliniques
et biologiques.
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud
Réanimation Médicale et Toxicologique
Hôpital Lariboisière, 2 Rue Ambroise Paré, 75010 Paris
1 - Baud FJ, Galliot M, Astier A, et al. Treatment of ethylene glycol poisoning with intravenous 4-methylpyrazole. N Engl J Med 1988 ;
319 : 97-100.
2 - Mégarbane B, Borron SW, Bismuth Ch, Baud FJ. Efficacité et tolérance du 4-méthylpyrazole dans les intoxications à l'éthylène
glycol. Réan Urg 1999 ; 8(Suppl3) : 180S.
3 - Borron SW, Mégarbane B, Baud FJ. Fomepizole in the treatment of uncomplicated ethylene glycol poisoning. Lancet 1999 ; 354 :
831.
4 - Mégarbane B, Borron SW, Krencker E, Flesch F, Jaeger A, Baud FJ. 4-methylpyrazole treatment in acute methanol intoxication.
Clin Toxicol (in press).
FOMÉPIZOLE
PLACE DANS LES INTOXICATIONS AIGUËS PAR L'ÉTHYLÈNE GLYCOL
Marie-Pierre Berleur*, Bernard Sarrut*, Sarah Guatel*
et la participation du comité de rédaction
* SIMP, Pharmacie Centrale des Hôpitaux de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
Remerciements : P Houzé (Paris), J Jouglard (Marseille), B Mégarbane (Paris)
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Le Point sur
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Résumé
Les intoxications aiguës par l’éthylène glycol sont rares en France.
La toxicité de l'éthylène glycol est liée aux effets toxiques de ses métabolites, notamment le glycolate et l'oxalate.
L'intoxication aiguë se traduit par une acidose sévère, des troubles du système nerveux central, une atteinte cardiopulmo-
naire et une insuffisance rénale oligo-anurique.
La mise en jeu du pronostic vital et le risque de séquelles, notamment rénales, imposent un traitement d’urgence efficace,
qui doit être mis en route en cas de suspicion sans attendre la confirmation du diagnostic.
La prise en charge des patients intoxiqués par l'éthylène glycol comprend des mesures symptomatiques ainsi que l'admi-
nistration d'un antidote, éthanol ou fomépizole. Ces antidotes agissent en inhibant le métabolisme de l'éthylène glycol.
L'éthanol fut durant plusieurs décennies, le seul antidote connu. Les principales limites à son utilisation sont liées à la gran-
de variabilité interindividuelle de sa pharmacocinétique et à sa toxicité neurologique. En France, il n'existe pas actuelle-
ment de forme d'éthanol commercialisée avec cette indication.
La Pharmacie Centrale des Hôpitaux de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris a obtenu une autorisation de mise sur le
marché en mai 1999, pour une solution injectable de sulfate de fomépizole (ou 4-méthylpyrazole), dans l’indication “trai-
tement de l’intoxication aiguë par l’éthylène glycol”. Cette solution présente certains avantages (pharmacocinétique et
effets indésirables neurologiques) par rapport à l’éthanol.
Le schéma d'administration recommandé comporte une dose de charge de 15 mg/kg, suivie toutes les 12 heures de doses
d'entretien adaptées en fonction de la concentration plasmatique en éthylène glycol. Les effets indésirables sont peu fré-
quents, modérés et transitoires. L'allergie aux dérivés pyrazolés est la seule contre-indication au traitement ; des cas d'aug-
mentation des transaminases hépatiques ont été rapportés ainsi que des étourdissements et des vertiges.
Mots clés : antidote, éthanol, éthylène glycol, fomépizole, intoxication.
Le Point sur Fomépizole
Le Point sur Fomépizole
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INTRODUCTION
Au début du XXème siècle, l’éthylène glycol était considéré
comme très peu toxique, à l’instar du propylène glycol et de
la glycérine, et fut même utilisé comme substitut de la gly-
cérine dans les produits pharmaceutiques.
Sa toxicité est maintenant bien connue. Il est prouvé que
son ingestion, même en faible quantité (DL : 100 ml ou 1,4
ml/kg) (38), peut conduire à une issue fatale ou laisser des
séquelles.
Tout hôpital est susceptible de recevoir un patient intoxiqué
par l’éthylène glycol, d’autant que ce produit entre dans la
composition de nombreux produits domestiques.
Le fomépizole ou 4-méthylpyrazole est utilisé en France
depuis 1981. C’est un antidote de l’éthylène glycol.
Une solution injectable de sulfate de fomépizole, fabriquée
depuis plusieurs années en tant que préparation hospitalière
par la Pharmacie Centrale des Hôpitaux de l’Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris, a obtenu une autorisation de
mise sur le marché en mai 1999, sous le nom de Fomépizole
AP-HP, avec comme seule indication “ traitement de l’in-
toxication aiguë par l’éthylène glycol ”.
INTOXICATION AIGUË PAR
L'ÉTHYLÈNE GLYCOL
L'intoxication aiguë par l'éthylène glycol est une intoxica-
tion rare, potentiellement mortelle.
Son incidence globale exacte n'est pas connue.
Selon une étude française, la fréquence des intoxications
par l'éthylène glycol a été de 1991 à 1994 de 35 cas pour 5,4
millions d’habitants (27.
Circonstances des intoxications (16, 38)
L’éthylène glycol est un liquide incolore, sirupeux, de
saveur douceâtre (2), légèrement alcoolique et sucrée (21).
Il entre dans la composition de nombreux produits :
- à usage domestique : antigels, liquides pour frein, liquides
de refroidissement pour moteur de voiture, produits ména-
gers (liquides de lavage des vitres et des pare-brises), sol-
vant de pesticides ;
- ou à usage industriel : liquides hydrauliques, liquides
d’échanges thermiques, agent de synthèse dans l’industrie
chimique et la fabrication d’explosifs ou de condensateurs
électrolytiques, agent de déshydratation, agent humectant et
plastifiant, liquide de réfrigération.
Les intoxications aiguës surviennent presque toujours après
ingestion. Elles peuvent être d'origine volontaire (tentatives
de suicides ; recherche d’un état d’ébriété) ou accidentelle :
- par confusion avec une boisson (déconditionnement) : la
saveur sucrée de l’éthylène glycol, qui persiste après dilu-
tion, lui a valu d’être souvent confondu avec une boisson
sucrée par les enfants, les adultes ou les animaux domes-
tiques. L’ajout de substances amères aux liquides de refroi-
dissement ou antigels à base d’éthylène glycol dans le but
de diminuer la fréquence des intoxications accidentelles, est
obligatoire depuis 1995 (décret n° 95-326 du 20/03/1995).
- par méconnaissance du risque : ingestion de l’ “eau ” d’un
chauffage central, d’un circuit d’eau chaude ou d’un radia-
teur de voiture.
Le risque d’intoxication par voie respiratoire est quasiment
nul car l’éthylène glycol est très peu volatil.
Les vapeurs du produit chauffé sont irritantes. Les temps
d’exposition sont généralement trop courts pour permettre
une absorption importante. L'absorption par voie pulmonai-
re ou cutanée est faible (15).
Toxicocinétique de l’éthylène glycol
Après ingestion orale, l’éthylène glycol est rapidement et
totalement absorbé dans l’estomac et dans tout le tractus
intestinal (38).
Le Tmax est atteint en 1 à 2 heure(s).
L’éthylène glycol diffuse rapidement dans l’eau de l’orga-
nisme. Son volume de distribution est de 0,4 à 0,9 l/kg (15).
La biotransformation de l’éthylène glycol se fait essentiel-
lement dans le foie (4) (cf schéma 1).
L’élimination se fait majoritairement par filtration gloméru-
laire rénale (19) et par voie pulmonaire (16).
Environ 18 à 37 % de la dose absorbée sont excrétés sous
forme inchangée, le reste étant éliminé sous forme métabo-
lisée (16).
Les demi-vies apparentes d'élimination - calculées selon
une équation d’une cinétique de premier ordre par différents
auteurs chez des cas isolés de sujets intoxiqués - varient
entre 3 heures (46) et 8,4 heures (35).
Physiopathologie
La toxicité de l’éthylène glycol est principalement liée aux
effets toxiques de ses métabolites oxydatifs d’origine hépa-
tique : glycolaldéhyde, acide glycolique, acide glyoxylique
en partie transformé en acide oxalique à l’origine de cris-
taux d’oxalate de calcium.
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