1594 Revue Médicale Suisse
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24 août 2011
actualité, info
Questions sur les «perturbateurs
endocriniens» (1)
Aux confins des acquis de l’endocrinologie
et des interrogations environnementales, ce
n’est sans doute pas le plus simple des dos-
siers auxquels sont confrontés les responsa-
bles de la santé publique ; des responsables
qui ne pourront bientôt plus rester inactifs
face aux interrogations croissantes que sou-
lèvent ces molécules qu’il est convenu de
réunir sous une appellation quelque peu mys-
térieuse : «perturbateurs endocriniens». Une
nouvelle étape dans la prise en compte offi-
cielle et collective de ce sujet vient d’être
franchie avec l’adoption par l’Office parle-
mentaire français d’évaluation des choix scien-
tifiques et technologiques (OPECST)1 d’un
rapport concluant que vis-à-vis de ces molé-
cules «le temps de la précaution» était -
sormais venu.
De quoi parle-t-on ici ? Avant toute chose
d’un postulat. Celui selon lequel, en dépit de
l’augmentation continuelle de l’espéran ce de
la vie humaine, la «dégradation de l’environ-
nement» et l’«artificialisation du mode de
vie occidental» conduiraient, à terme, à une
multiplication de maladies d’origine environ-
nementale, voire à une menace sur la survie
même de l’espèce par une atteinte de ses fa-
cultés de reproduction. Pour la santé, le pro-
grès scientifique et technique deviendrait en
quelque sorte un facteur de recul du progrès
humain. Le rapport de l’OPECST reprend
ce postulat et ajoute : «au-delà de sa véracité
propre, ce point de vue trouve d’autant plus
facilement un écho que l’attention du public
se porte sur de nouvelles causes de décès ou
de maladies car les plus anciennes ont été
résolues ou maîtrisées».
Les questions soulevées par les perturba-
teurs endocriniens accusés aussi bien d’être
à l’origine d’une épidémie de cancers que
d’une baisse de la fertilité s’inscrivent plei-
nement dans ce contexte. Elles alimentent de
vifs débats et suscitent de nombreuses con-
troverses qui, quoique scien-
tifiques, ne sont pas dénuées
de certains aspects irration-
nels. L’attention du grand pu-
blic est depuis quel ques années
attirée sur cette problématique nouvelle, en
France comme à l’étranger. Les médias d’in-
formation générale évoquent à échéance ré-
gulière des résultats expérimentaux a priori
inquiétants obtenus chez des animaux ainsi
qu’un nombre croissant d’étu des alertant sur
les risques pour l’homme (plus particulière-
ment sur les fœtus et les jeunes enfants) liés
à l’exposition à des substances chimiques
présentes dans son environnement immé-
diat. L’une des controverses qui a récem-
ment rencontré le plus d’échos (et conduit à
des décisions d’interdiction dans différents
pays) concerne le bisphénol A présent dans
des plastiques alimentaires dont les bibe-
rons pour bébés (Rev Med Suisse 2008;4:1233).
On peut définir les perturbateurs endocri-
niens (PE) comme «des substances chimi-
ques d’origine naturelle ou artificielle étran-
gères à l’organisme qui peuvent interférer
avec le fonctionnement du système endocri-
nien et induire ainsi des effets délétères sur
l’individu ou sur ses descendants». Cette in-
terférence (cette perturbation) peut se pro-
duire de trois manières : imitation de l’action
d’une hormone naturelle (effet agoniste) ;
liai son au récepteur hormonal et blocage de
l’émission d’un signal (effet antagoniste) ;
blocage du mécanisme de production ou de
régulation des hormones ou des récepteurs
et modification des concentrations hormo-
nales physiologiques.
Ces substances peuvent avoir deux ori-
gines. On distingue ainsi les substances «na-
turelles» des «anthropiques». Les premières
comprennent les œstrogènes, la progestérone
et la testostérone ainsi que les phyto-œstro-
gènes présents dans certaines plantes (com me
les germes de luzerne et le soja) et qui peu-
vent avoir une activité œstrogène like. Il faut
aussi compter avec les hormones de syn-
thèse : contraceptifs oraux, les traitements
hormonaux de substitution, additifs alimen-
taires pour animaux, etc. «Des hormones
naturelles ou des produits de synthèse se re-
trouvent dans les rejets humains, animaux,
végétaux ou industriels, rappelle le rapport
de l’OPECST. Une étude réalisée en Angle-
terre a montré que, dans certains cours d’eau,
la principale source de perturbateurs endo-
criniens est constituée de rejets humains,
avant les rejets industriels.»
Pour ne rien simplifier, les substances an-
thropiques représentent quant à elles des
milliers de produits et comprennent des pro-
duits de l’industrie chimique (phtalates, bis-
phénol A, métaux lourds, etc.) et les produits
phytosanitaires utilisés en agriculture (her-
bicides, fongicides, insecticides, etc.).
Reste, dans ce contexte, à répondre à une
question essentielle : celle de savoir si l’on
assiste ou non aujourd’hui à une augmenta-
tion, voire à une épidémie, des «maladies
environnementales». Le rapport s’intéresse
ici tout particulièrement aux cancers hor-
mono-dépendants et aux pathologies de la
fertilité. Pour le cancer de la prostate, cancer
le plus fréquent chez l’homme (avec un âge
médian d’apparition d’environ 74 ans), les
chiffres semblent convergents : en France,
on constate une augmentation de 5,3% par
an entre 1975 et 2000, soit une quasi-multi-
avancée thérapeutique
Assiste-t-on ou non aujourd’hui à une augmen-
tation, voire à une épidémie, des «maladies
environnementales» ? …
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plication par quatre de leur nombre. Modifi-
cations environnementales, augmentation de
l’activité diagnostique et/ou augmentation
de l’espérance de vie ?
En ce qui concerne le cancer du sein, il est,
en France, passé depuis 1980 de 21 000 nou-
veaux cas annuels à près de 50 000 aujour-
d’hui. En éliminant l’effet de l’âge, son inci-
dence a doublé en France passant de 56,8 à
101,5 pour 100 000, soit une hausse de 2,4%
par an. Le risque de développer un cancer
du sein est passé de 4,9% pour une femme
née en 1910 à 12,1% pour une femme née en
1950. A l’inverse, le taux d’incidence du can-
cer de l’ovaire a diminué de 0,4% entre 1980
et 2005, avec une tendance à l’accélération
de cette diminution. L’une des explications
de ce phénomène pourrait être la diffusion
de contraceptifs oraux qui se révèlent pro-
tecteurs chez les femmes nées à partir de
1950, une preuve si cette explication était
démontrée, des effets potentiellement para-
doxaux des PE.
Pour le cancer de la thyroïde, l’incidence a
augmenté chaque année (entre 1978 et 2000)
de 2,89% chez les hommes et de 4,80% chez
les femmes. Pour autant, les conclusions sont
difficiles à tirer du fait de possibles biais diag-
nostiques avec amélioration du dépistage et
mise en évidence de réservoirs de tumeurs
infracliniques et faiblement évolutives.
Ajoutons que beaucoup d’autres patholo-
gies sont aujourd’hui considérées comme
pouvant avoir une composante environne-
mentale et étroitement liées «au mode de
vie moderne à l’occidentale». C’est le cas de
l’obésité aujourd’hui en forte progression
dans de nombreux pays depuis une tren-
taine d’an nées. Généralement associées au
vieillissement des populations, les maladies
neurodé génératives, lorsqu’elles sont diag-
nostiquées chez des sujets jeunes, sont par-
fois perçues comme ayant une dimension
environnemen tale. C’est notamment le cas
de l’usage de certains pesticides agricoles en
liaison avec les maladies de Parkinson et
d’Alzheimer.
(A suivre)
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
1 L’O PECST est composé à parts égales de trente-six -
putés et sénateurs français. Il se veut «un intermédiaire
entre le monde politique et celui de la recherche» et «se
doit d’être à l’écoute des milieux de la recherche et de
solliciter des avis autorisés». Il est assisté d’un Conseil
scientifique constitué de vingt-quatre personnalités «de
haut niveau choisies en raison de leur compétence».
Créé en 1983, il a pour l’essentiel abordé de manière
égale quatre grands thèmes : l’énergie, l’environnement,
les nouvelles technologies et les sciences de la vie.
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