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des considérations nouvelles sur l’apport juif à la québécitude et sur les
différents miroitements d’une identité québécoise conjuguée de multiples
manières. Jusqu’à maintenant, et c’était certainement le cas lorsque j’ai
entrepris ma carrière en 1980 à l’Institut québécois de recherche sur la
culture, les travaux sur les Juifs ne couvraient que le domaine restreint des
rapports historiques entre Juifs et Canadiens français, ce qui le plus souvent
revenait à mettre de l’avant des attitudes de méfiance réciproque et de repli
identitaire, notamment certaines tendances à l’antisémitisme, apparues
surtout au cours des années 1930. En dépassant ce carcan, il devenait pos-
sible de discourir sur l’histoire et la littérature juive au Québec, sans réfé-
rence préalable au monde franco-catholique et cette fois à partir des critères
et des valeurs véhiculées par la seule pratique sociale et artistique juive.
Plusieurs constatations émergent des onze textes proposés dans cet
ouvrage. Ceux-ci forment des points de départ pour des recherches plus
avancées ou en vue de l’établissement d’une trame descriptive et explicative
plus fine des différentes trajectoires juives au Québec. Premier élément
déterminant, et qui a déjà été abordé plus haut : l’identité juive est multiple
et sans cesse changeante. On y découvre plusieurs ensembles linguistiques,
culturels et religieux qui s’entrechoquent tout en se complétant, ce qui per-
met d’introduire l’idée dans ce cas d’un édifice constitué de multiples éta-
gements et paliers, mais communiquant entre eux sans entrave particulière.
Quand, après un siècle et demi de présence sur le territoire du Québec, la
communauté juive d’origine britannique et de tradition orthodoxe s’est
finalement découvert un espace d’insertion socioéconomique et culturel au
sein de l’élite anglo-protestante de Montréal, ce fut pour être aussitôt sub-
mergée vers 1900 par un apport ashkénaze est-européen de langue yiddish
en provenance de l’Empire russe. Au sein de cet univers, régnait une grande
diversité d’opinion et de perspective sur tout ce qui était fondateur à l’épo-
que pour l’identité juive : la tradition religieuse elle-même, l’éducation des
nouvelles générations, la création d’un foyer national juif en Palestine, sans
compter la lutte des classes, la syndicalisation des masses ouvrières, l’usage
du yiddish et l’influence de la modernité. Ces Ashkénazes yiddishophones
achevaient de s’angliciser et de s’installer, qu’un afflux de Sépharades fran-
cophones atteignait Montréal au début des années 1960 en provenance
surtout du Maroc. Aujourd’hui, la ville compte, en plus de ces communau-
tés constituées depuis longtemps, des Juifs issus de l’ancienne Union sovié-
tique, de l’Argentine, d’Israël et plus récemment de France. Le judaïsme n’a
jamais été aussi diversifié au Québec que maintenant, sans pour autant
cesser de former un tout cohérent. Qui plus est, ces identités juives fort
diverses plongent maintenant des racines profondes au Québec, au point
où la plupart des observateurs au sein de la communauté juive canadienne