L`invention de la necessité

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L’invention de la necessité
(Note)
Magdalena Pradilla Rueda1
La Force de la Regle.
Wittgenstein et l’invention de la nécessité
Jacques Bouveresse
Paris, Les Editions de Minuit, 1987. 177 p.
Jacques Bouveresse
Philosophe issu de l’École Normale Supérieure (ENS), reçu à l’agrégation de
philosophie en 1965, il est un des contributeurs de l’Histoire de la philosophie
dirigée par François Châtelet, il soutient en 1975 sa thèse de Doctorat d’État de
philosophie intitulée Le Mythe de l’Intériorité. Expérience, signification et langage
privé chez Wittgenstein. Il a construit son chemin intellectuel en marge des
grandes écoles philosophiques, s’inscrivant ainsi dans la lignée de la philosophie
des sciences de Jean Cavaillès, Georges Canguilhem ou Jean-Toussaint Desanti.
En 1976, il s’intéresse au positivisme logique, en particulier, aux cours de Jules
Vuillemin et de Gilles-Gaston Granger.
Héritier du rationalisme des Lumières du monde anglo-saxon et de la tradition intellectuelle et philosophique d’Europe centrale (Bolzano, Brentano,
Boltzmann, Helmholtz, Frege, Cercle de Vienne, Kurt Gödel) et également
de la pensée de Robert Musil. Bouveresse est actuellement un des grands
représentants de la pensée analytique française. Depuis plus de trente ans, il
est aussi connu pour des ouvrages critiques sur ce qu’il considère comme des
´impostures scientifiques et intellectuelles´, à savoir une partie de la philosophie française des années 1970 à 1990, attitrée par lui comme une nouvelle
philosophie liée à la presse, qui aurait asservi la philosophie en produisant un
journalisme philosophique sensationnaliste.
1
Docteur en Philosophie‚ Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne‚ 2008.
L’invention de la necessité (Note) - Magdalena Pradilla Rueda
Dans le même sens, il dénonce ce qu´il appelle la ´distorsion littéraire´ des
concepts scientifiques, ainsi dans son ouvrage Prodiges et vertiges de l’analogie,
il critique l´utilisation de la démonstration de Gödel dans son théorème d’incomplétude, qui ne vaut que pour des systèmes formels mathématiques ou
logiques, mais qui a été utilisée pour justifier d´autre type de réalités.
Sa carrière universitaire passe par l’ensegnement de la logique comme assistant, professeur de Philosophie de l’Université Paris I , professeur à l’Université
de Genève, et depuis 1995 Professeur au Collège de France où il est titulaire de
la chaire de ‹ Philosophie du langage et de la connaissance › et professeur émérite
depuis 2010. Il a publié plus d’une quarantaine d’ouvrages et il est reconnu en
France et internationalement.
Sur L a force de la règle
En 1987 Bouveresse publie cette étude significative qui continue à avoir de
l´actualité pour tous ceux qui s’interessent à Wittgenstein et ses relations avec
le monde de la logique.
La Force de la Règle est structuré en 11 chapitres reprend un des problèmes que
Wittgenstein ‹ n’a pas dit › : la nécessité. Bouveresse, ici retrace les différentes sujets
qui soulèvent cette problématique, en passant par la grammaire, la signification,
les règles, les propositions tant mathématiques comme a priori, les tautologies, le
calcul, la démonstration, l’arithmétique, pour en finir avec le cognitivisme.
Dans cet ouvrage, il revient sur une question wittgensteinienne posée dans
les Recherches philosophiques qu’il avait traitée dans un écrit antérieur (Cf.
Bouveresse 1976) concernant le sujet des règles et de ce que c’est que ‹ suivre
une règle ›, dans ses relations avec la possibilité d’un langage privé, dont la
notion de nécessité est crucial dans la présentation de la problématique. Bouveresse a toujours cru que ce que Wittgenstein disait sur ce sujet constituait une
des plus importantes contributions qu’il ait apportée à la discussion philosophique contemporaine, au moins pour des disciplines comme la linguistique
chomskyenne et l’anthropologie et pour celles qui font un usage non critique
de la notion de règle (spécifiquement, de règle tacite ou implicite).
Il pose la problématique paradoxale de comment l’usage du langage peut
être, dans certains cas, aussi systématique et prédictible et en même temps,
aussi imprévisible et novateur. Ainsi, lorsque le parlant maitrise certaines
règles, il pourra prédire un bon nombre de choses concernant leur comportement mais il implique aussi que ce parlant puisse transformer le langage par
un processus de création ou d’invention.
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Ainsi, si Wittgenstein montre bien une ouverture vers une ‹ faiblesse › ou
impuissance de la règle, il présente aussi un élément qui est crucial et décisif
dans les réflexions de Wittgenstein: ‹ la force de la règle ›, à travers laquelle se
manifeste la nécessité sous laquelle nous agissons.
C’est de Crispin Wright (1980) que Bouveresse a pris l’idée d’une ‹ invention de la nécessité ›, qui vient du renversement d’un proverbe familier anglais
(Necessity is the mother of invention), idée qui synthétise la conception wittgensteinienne de la nécessité : entre spécifique et paradoxale. Or la nécessité ne
nous est pas imposée par une nature des choses, ce sont nos systèmes de
représentation qu’auraient dû consentir à cette nécessité par la manière dont
nous avons choisi les systèmes en question et leurs règles.
Bouveresse pour expliquer les enjeux de la nécessité va se placer dans l’ensemble des mathématiques car elles constituent l’espace dont la nécessité se
présente de façon plus systématique, il va ainsi soulever certains aspects posés
par Wittgenstein, en nous montrant l’illusoire de la nécessité dans certains cas
et dans d’autres son importance :
Les propositions mathématiques
Wittgenstein présente les propositions mathématiques dont le fonctionnement est semblable à ceux des règles, donc elles ne sont ni vraies, ni fausses,
mais va permettre de dire qu’on a dû commettre une erreur quelque part.
Bouveresse remarque le refus de Wittgenstein sur la distinction entre les
propositions mathématiques et les propositions ordinaires et soutient que
nous pouvons être aussi certains de la vérité de propositions empiriques que
nous le sommes d’une proposition mathématique. Ceci, car d’une façon illusoire, nous pouvons reconnaitre à ces dernières propositions une ‹ certitude
spéciale › issue de la nature spéciale des objets mathématiques sur lesquels
les propositions portent et de la façon dont nous les connaissons, car ils ne
sont pas connus de l’extérieur comme un élément étranger, mais de l’intérieur même des systèmes mathématiques. Question qui n’empêche pas de
prendre aussi pour certaines les propositions ordinaires qui se réfèrent aux
objets physiques connus donc de l’extérieur.
Bouveresse annote que la différence entre ces deux sortes de propositions
n’est pas du degré mais du type logique de la certitude. Néanmoins, la distinction apparente entre une nécessité qui peut se contester par la révision des
choix conceptuels et un dogme, n’existe pas. Ainsi même, ce que Wittgenstein
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cherche à établir est que, si nous voulons la nécessité, nous ne pouvons pas
avoir la vérité en ce sens-là.
Nature des objets
À travers l’exemple des propositions mathématiques, Wittgenstein cherche
à discréditer l’idée que ces propositions se distinguent des propositions ordinaires simplement par la nature particulière des objets dont elles traitent.
Ce qu’il critique est la tendance à croire qu’on doit parler de noms de choses
que sur la base d’une analogie crée à l’avance ; c’est comme si, pour pouvoir
jouer aux échecs, nous devions connaitre une troisième chose en plus des
règles qui déterminent la fonction (les possibilités) du roi et de la pièce qui
est le roi. Wittgenstein cherche à nous convaincre que cette troisième chose
(l’objet d’une autre nature que son corrélat visible et tangible) ne joue aucun
rôle réel, en dehors de celui qui consiste à satisfaire notre besoin philosophique de nous représenter l’usage comme étant un objet qui coexiste avec
le signe. Ainsi, rien ne permet de distinguer fondamentalement les règles de
l’arithmétique de celle d’un jeu.
Les regles et leur autonomie
Bouveresse nous signale d’un côté que, les règles de la grammaire ne peuvent
être justifiées par la réalité ni entrer en conflit avec elle, ni entrer en conflit
les unes avec les autres, donc il existe une autonomie de la grammaire et en
quelque sorte un arbitraire des règles.
D’un autre côté, il soulève que la signification et la compréhension d’une
proposition grammaticale ne sont pas déterminées au départ d’une manière telle
que nous nous serions engagés, irrévocablement, à accepter la résultante logique
de ces propositions. Wittgenstein, critique ici la signification d’un mot comme
étant une caisse pleine, dont le contenu nous est apporté avec elle, et que nous
n’avons qu’à explorer : image qu’incite à considérer que, lorsqu’on effectue une
inférence logique, la conclusion doit déjà, avoir été comprise dans les prémisses.
Bouveresse, remarque l’illusion provoquée par la distinction entre deux
espèces de règles : celles qui fixent (arbitrairement) la signification des signes
en les affectant à la désignation d’une certaine catégorie d’entités (comme les
nombres ou couleurs) et d’autres qui explicitent les conséquences inévitables
de ce choix préalable.
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l´idée du ´corps de la signification´
Ce qui est illusoire dans la mythologie de la signification est que les règles
puissent être développées à partir de la signification. La philosophie du Tractatus était une illustration de ce genre de mythologie, puisque les possibilités
de combinaison des noms dans le langage y étaient conçues comme reflétant
les possibilités de combinaison des choses signifiées, objets auxquels ils sont
coordonnés dans la réalité. En abandonnant cette idée (années 30), Wittgenstein renonce à l’idée que la logique pourrait traiter d’un objet dont découlent
les règles concernant leur fonctionnement, au contraire les règles de grammaire déterminent en toute indépendance les combinaisons de signes qui ont
un sens et celles qui n’en ont pas.
Le vide d´une regle
L’autonomie des règles grammaticales conduit à ce qu’aucune réalité ne leur
correspond; de même, les propositions mathématiques ne sont pas des propositions d’expérience, ni des propositions descriptives, donc elles sont vidées de
contenu. Bouveresse précise la conception wittgensteinienne de la nécessité car
elle résulte de la décision d’adopter une règle et une convention déterminées.
Au contraire de Crispin Wright qui postule une faculté spéciale qui permet de
découvrir ou de reconnaitre des nécessités préexistantes. Pour Wittgenstein une
nécessité peut être reconnue lorsqu’on reconnait une norme ou un impératif.
L’idée de la normativité des énoncés nécessaires était destinée à la fois à enlever
notre inclination à les considérer comme une espèce de vérités et à apporter une
contribution à l’explication de ce qu’est essentiellement la nécessité.
Bibliographie
Bouveresse, Jacques. ‘Herméneutique et Linguistique’ suivi de ‘Wittgenstein et
la Philosophie du Langage’.Paris : Eds. de l’Eclat, 1998.
---. Le Mythe de l’Interiorité : Expérience, Signification et Langage Privé chez
Wittgenstein. Paris : Les Editions Minuit, 1976.
---. La Force de la Règle. Paris : Les Eds. Minuit, 1988. Collection Critique.
---. La Parole Malheureuse : De l’Alchimie Linguistique à la Grammaire Philosophique. Paris : Les Eds. Minuit, 1971.
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---. Pays des Possibles : Wittgenstein les Mathématiques et le Monde Réel. Paris :
Les Eds. Minuit, 1988. Collection Critique.
---. Le Philosophe et le Réel. Entretiens avec Jean-Jacques Rosat. Paris : Hachette
Littératures, 1998.
Chauviré, Christiane. Ludwig Wittgenstein. Paris : Seuil, 1989.
Marion, Mathieu. Ludwig Wittgenstein : Introduction au « Tractatus LogicoPhilosophicus ». Paris : PUF, 2004.
Wittgenstein, Ludwig. Grammaire Philosophique. Edition posthume dûe aux
soins de Rush Rhees. Traduit de l’allemand et présenté par Marie-Anne
Lescourrent. Paris : Gallimard 1980.
---. Remarques sur les Fondements des Mathématiques. Paris : Gallimard, 1983.
---.Tractatus Logico-Philosophicus, trad. de G.G. Granger. Paris : Gallimard,
1993
Wright, Crispin. Wittgenstein on the Foundations of Mathematics. Londres :
Duckworth, 1980.
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