pour cette raison que l’on parle du "deuxième Wittgenstein" à propos de son travail phi-
losophique entre 1929 et sa mort en 1951. Son deuxième chef-d’œuvre, les Investigations
philosophiques, fut publié après sa mort en 1953. L’œuvre du deuxième Wittgenstein est
une lente et difficile élaboration d’une conception radicalement nouvelle de la philosophie,
portant principalement sur le langage, la nécessité, les couleurs, la psychologie philoso-
phique, les mathématiques, la certitude. En opposition avec la conception cartésienne, il
place l’être humain dans sa globalité comme sujet de l’interrogation philosophique sur
l’esprit, indiquant que les formes de pensée de l’homme sont indissociables de sa vie so-
ciale, de ses comportements, de son corps, de ses joies et peines, en bref de sa forme de
vie.
Le corps humain est la meilleur image-tableau de l’âme humaine.
(L. Wittgenstein, Big Typescript.)
La philosophie de Wittgenstein a la réputation d’être obscure et, en tant que telle, ré-
servée à une poignée de spécialistes. A l’opposé, le personnage Wittgenstein exerce une
véritable fascination auprès d’un large public, au point d’occulter son œuvre proprement
dite. Sans tomber dans cette forme extrème d’idolâtrie, il peut être intéressant pour éclai-
rer sa philosophie d’avoir quelques éléments sur sa propre forme de vie. Cette dernière
fut, à l’image de l’époque tragique dans laquelle elle s’est inscrite, relativement originale
et tourmentée. Dans le cadre d’une profonde crise sprirituelle et morale qui l’affecta à
ce moment de sa vie, il vécut sa participation à la grande guerre en première ligne sur
le front est puis le front sud comme une mise à l’épreuve face à son destin d’homme. Il
livra un véritable combat personnel pour avoir le courage d’affronter à la fois la brutalité
de la vie de la troupe et la mort probable sur un champ de bataille tout en pousuivant
l’écriture du Tractatus. Héritier d’une très riche famille industrielle, il fit don de sa for-
tune en 1919. Il opta ensuite pour le métier d’instituteur en milieu rural, puis devint
jardinier dans un monastère. Ensuite, il conçut une maison de style moderniste pour sa
sœur Margaret ; il supervisa la construction de l’édifice qui depuis, est devenu un modèle
architectural. Accueilli à Cambridge avec un statut d’universitaire, il ne supportait pas les
rites et honneurs inhérents à cette vénérable institution ; il se retira fréquemment de longs
mois dans une sorte de cabane isolée en Norvège ou en Irlande pour poursuivre seul sa
recherche. Pendant la deuxième guerre mondiale, il s’engagea dans des postes subalternes
(portier, aide-laboratoire,...) dans des services de santé à Londre et Newcastle. Le mystère
de sa vie affective et sexuelle alimente des rumeurs sur son éventuelle homosexualité. Ses
carnets personnels révèlent une vision pessimiste de l’époque moderne, une insatisfaction
permanente quant à l’intérêt de son travail et même de sa vie, un souci exacerbé de l’hon-
nêteté intellectuelle. L’extrème tension de sa pensée semble inséparable d’une profonde
inquiétude spirituelle et morale. Et pourtant, ses derniers mots ont été "Dites-leur que
cette vie a été merveilleuse pour moi".
Le texte que je présente ne prétend pas à l’originalité. C’est une présentation des ré-
flexions du second Wittgenstein sur la notion de règle qui s’appuie non seulement sur les
écrits et notes du philosophe mais aussi sur les analyses de nombreux commentateurs. En
particulier, j’ai largement utilisé les études et ouvrages suivants sans prendre le soin de
séparer nettement mes propres phrases de celles des auteurs en question dont par ailleurs
je recommande vivement la lecture :
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