remerciements - Paris Descartes

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REMERCIEMENTS
Aux enfants et à ces mères qui participent à cette étude avec confiance, pour leur
disponibilité et leur enseignement toujours renouvelé.
A mes directeurs de thèse :
Le Professeur Bernard Golse, pour le chemin que j’ai pu parcourir grâce à lui, débuté au
travers du Programme de Recherche sur le Langage de l’Enfant (PILE), puis lors des journées
scientifiques de Michel Soulé, pour ses apports cliniques et ses capacités de synthèse et de
« rassembleur de théories », pour son langage poétique autour du bébé et de ses parents.
Enfin, pour sa capacité à nous interroger sur les origines de notre vocation à travailler autour
du bébé.
Le Docteur Gisèle Apter, qui m’a permis de suivre ses traces dans la recherche ainsi que
dans la clinique, véritable guide m’entraînant toujours à regarder plus haut, dans un souci de
finesse théorique et clinique, pour sa connaissance si pointue des troubles de personnalité
borderline maternels et des interactions mère-bébé, qu’elle m’a enseignée. Pour son énergie
toujours présente et son dynamisme permettant de lever les barrières et de contourner les
obstacles.
Aux membres du jury qui ont accepté de juger ce travail :
A Drina Candilis-Huisman, qui a accepté d’être rapporteur, pour ses qualités humaines et
de clinicienne, pour son enseignement si subtile et lumineux du Brazelton avec les bébés et
leurs mères.
Au Professeur Chantal Zaouche-Gaudron, qui a accepté d’être rapporteur, pour son
intérêt pour notre recherche et ses apports dans le domaine de la psychologie du
développement.
A Blaise Pierrehumbert, pour la qualité de ses apports théoriques et celle de ses outils de
recherche, pour sa générosité dans nos échanges et pour sa disponibilité.
Au Professeur Sylvain Missonnier, pour la qualité de son enseignement et la poésie de ses
écrits, entre psychanalyse et philosophie.
1
Au Docteur Annick Le Nestour, pour sa disponibilité, sa générosité, la qualité de ses
apports cliniques et ses talents de « conteuse de vignettes cliniques », et enfin, pour avoir
accepté de partager son expérience de thérapeute auprès de ces familles. A toute l’équipe de
l’Aubier qui m’ont enseigné leur savoir, pour leur disponibilité.
A tous mes collègues de PPUMMA et de l’Unité de Recherche, avec qui il fait bon
travailler et parler de clinique, pour tous ces projets de recherche en cours. A mes collègues
de la maternité Ambroise Paré de Bourg-la-Reine, avec qui il fait aussi bon prendre soin des
patientes et de leurs bébés.
A Emmanuel Devouche, pour sa disponibilité, sa gentillesse et son travail d’orfèvre dans
les diagrammes et tableaux et…son regard toujours positif et encourageant.
A Ayala Borghini, pour sa disponibilité et son enseignement, pour nos collaborations de
recherche à venir.
A mes amies, tout particulièrement à Valérie Garez, Sophie Rendolet et Emma Debroise,
« mes fonctions contenantes », pour leur disponibilité, la générosité de leur temps passé, leurs
relectures et leur soutien sans faille.
Aux Flibustiers de l’Imaginaire qui, au théâtre, ont improvisé avec moi sur la thématique
si particulière de la thèse.
A Yukiko, pour ces 100 grues pliées du Japon pour cette recherche.
A tous ceux que j’ai croisés sur mon chemin de clinicienne et en particulier à Danièle
Lefebvre et à Christine Ascoli, pour son amitié et son engagement au COPES.
A Michel, pour ce clin d’œil du 29 Septembre, jour de la St Michel.
Enfin, A ma famille si chère à mon cœur qui m’a soutenue tout au long de ce travail, à ma
mère tout particulièrement, pour la transmission de son intérêt pour la clinique et sa grande
implication.
A la Fondation Mustela, sous l’égide de la Fondation de France, pour la reconnaissance
de ce travail de thèse et la donation d’une bourse de recherche.
2
« Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirezvous par entrer insensiblement, un jour dans les réponses. »
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète. (1929)
« Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Un moment nous
serons l’équipage de cette flotte composée d’unités rétives, et le temps d’un grain, son amiral.
Puis le large la reprendra, nous laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés. »
René Char, Chants de la Balandrane. (1977)
3
4
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ...................................................................................................................... 1
SOMMAIRE................................................................................................................................... 5
Index des tableaux................................................................................................................................... 9
Index des figures.....................................................................................................................................10
I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 11
II. LES PATHOLOGIES BORDERLINE/ETATS-LIMITES ............................................ 15
A.
Du modèle structural de Kernberg au DSM IV ................................................................................15
La Définition du trouble de personnalité dans le DSM IV................................................................ 18
Le trouble de personnalité borderline ou état-limite dans le DSM IV ............................................. 18
B. Etat de la littérature anglophone concernant les troubles de personnalité borderline...................19
1.
Epidémiologie et prévalence du trouble de personnalité borderline ............................................. 19
2.
L’importance des comorbidités ....................................................................................................... 20
C.Les antécédents de traumatismes chez les sujets présentant un trouble de personnalité borderline ..21
1.
Psychopathologie chez les parents de patients borderline ............................................................. 22
D. Approche psychopathologique du trouble de personnalité borderline : les états-limites ...............23
1.
La notion d’état-limite ..................................................................................................................... 23
2.
La problématique du narcissisme : un narcissisme fragile .............................................................. 24
3.
Les mécanismes de défenses des sujets présentant un trouble de personnalité borderline ......... 26
E.
Les origines du trouble de personnalité borderline ou état-limite..................................................28
1.
L’importance des premiers liens...................................................................................................... 28
2.
Le trouble de personnalité borderline : un trouble de l’attachement ? .......................................... 41
3.
Vers un modèle épigénétique de la genèse du trouble de personnalité borderline ....................... 45
1.
2.
III.
LE DEVENIR MERE ..................................................................................................... 49
A.
La grossesse et la maternité : une crise maturative ........................................................................49
1.
Le désir d’enfant au cours du développement ................................................................................ 49
2.
Le lien à la mère d’origine ............................................................................................................... 52
3.
La maturation du fonctionnement psychique maternel pendant la grossesse ............................... 54
4.
Psychopathologie maternelle en période périnatale ...................................................................... 58
B.La maternité des mères borderline/état-limite : l’entrave aux remaniements identitaires de la
grossesse
62
1.
Vécu de la grossesse chez les femmes borderline : la problématique des identifications .............. 63
2.
De la nécessité d’un abord thérapeutique différent durant la grossesse ....................................... 67
3.
Dépressions périnatales et trouble de personnalité borderline...................................................... 73
IV.
LES INTERACTIONS MERE-BEBE : ENTRE RECHERCHE ET CLINIQUE ...... 79
A.
L’étude des interactions mère-bébé ...............................................................................................79
1.
Les différentes interactions ............................................................................................................. 79
2.
La théorie des systèmes dyadiques et le modèle de la régulation émotionnelle ........................... 82
3.
Les interactions mère-bébé dans le cadre de la psychopathologie maternelle : le cas de la
dépression maternelle post-natale ................................................................................................................... 92
B. Les mères borderline et leur bébé : les discontinuités interactives pathologiques .........................95
1.
Les scénarios narcissiques de la parentalité .................................................................................... 95
2.
Clinique des dysfonctionnements interactifs des mères borderline avec leur bébé : des
discontinuités interactives pathologiques ...................................................................................................... 100
3.
Les interactions des mères borderline avec leur bébé : une revue de la littérature ..................... 110
C.Processus d’intersubjectivation et de subjectivation du bébé : aux origines de la conscience de soi .115
1.
Le rôle de l’objet et de l’environnement facilitant dans le processus de subjectivation du bébé 118
2.
Les capacités de séparation comme témoins des modalités de naissance à la vie psychique. ..... 122
V.
LA MERE ET LE BEBE : TRANSMISSION DE L’ATTACHEMENT ...................... 135
A.
1.
Les comportements d’attachement de l’enfant............................................................................135
Aux origines des comportements d’attachement de l’enfant : les interactions précoces ............ 135
5
2.
Les modalités d’évaluation des patterns comportementaux d’attachement de l’enfant : « la
Situation Etrange » .......................................................................................................................................... 139
B.La qualité de l’attachement se transmet-elle de façon intergénérationnelle des parents à l’enfant ?143
1.L’importance de la transmission intergénérationnelle de la qualité de l’attachement de la mère à
l’enfant
143
2.
« Le transmission gap » : l’importance des capacités de fonction réflexive maternelles .............. 145
3.
Le modèle de la diathèse relationnelle de K. Lyons-Ruth : transmission de l’attachement
désorganisé de la mère à l’enfant ................................................................................................................... 148
C. L’attachement des enfants de mères borderline : état de la littérature ....................................... 153
VI.REPRESENTATIONS D’ATTACHEMENT ET NARRATIVITE CHEZ L’ENFANT157
A.
De l’étude des comportements d’attachement à celle des représentations d’attachement......... 157
1.
Les travaux décisifs de Mary Main dans l’évaluation des représentations d’attachement ........... 157
2.
Narrativité et attachement chez l’enfant : l’étude des représentations d’attachement par le test
des histoires à compléter ................................................................................................................................ 158
B. Evolution de la qualité de l’attachement au cours de la vie ......................................................... 162
1.
L’enfance : des comportements aux représentations d’attachement........................................... 162
2.
Evolution et changement dans la qualité de l’attachement de l’enfance à l’âge adulte ............... 165
C. Représentations d’attachement des enfants de mères borderline : état de la littérature ............ 169
D. Du concept de « pulsion d’attachement » à la narrativité : un pont entre psychanalyse et
attachement. ................................................................................................................................................ 173
VII.
A.
B.
C.
1.
2.
3.
D.
1.
2.
E.
1.
METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ............................................................... 183
Cadre de la recherche : un dispositif ............................................................................................ 183
Aspects éthiques et déontologiques des recherches dans un cadre thérapeutique...................... 185
La problématique de la recherche et les hypothèses générales ................................................... 185
Cadre conceptuel et théorique : la recherche en psychopathologie ............................................. 185
Problématique de la recherche...................................................................................................... 187
Hypothèses de la recherche........................................................................................................... 191
Populations de la recherche : critères d’inclusion et de non-inclusion des mères ........................ 194
Echantillon d’origine issu du PHRC ................................................................................................ 194
Constitution des deux groupes de population de notre recherche ............................................... 195
Outils de recueil des données ...................................................................................................... 197
Outils utilisés provenant des entretiens du protocole du PHRC .................................................... 198
VIII.
ANALYSES DES RESULTATS ............................................................................. 225
A. Données naissance et sociodémographiques des deux groupes .................................................. 225
B. Caractéristiques du groupe « TPB » ............................................................................................. 226
C. Données recueillies au moment des 3 mois du bébé : l’étude des interactions mère-bébé, au cours
du paradigme du Still-Face ........................................................................................................................... 227
1.Analyses des dimensions comportementales et émotionnelles au cours du paradigme du Still-Face228
2.
Analyses de l’évolution des comportements et des émotions des bébés et des mères au cours des
trois temps de la passation du SF .................................................................................................................... 234
D. Données recueillies aux 13 mois de l’enfant : l’évaluation des comportements d’attachement au
cours de la Situation Etrange ........................................................................................................................ 240
1.
Données générales obtenues au moment des 13 mois de l’enfant .............................................. 240
2.Analyse Comparative des résultats obtenus à la Situation Etrange entre les groupes TPB et contrôle
242
3.
Analyse des échelles de cotation des comportements d’attachement des enfants des deux
groupes, lors des deux épisodes de retrouvailles de la Situation Etrange ...................................................... 243
E.
Analyse du lien entre la qualité de l’attachement à 13 mois et les données recueillies à 3 mois au
Still-Face au sein du groupe TPB ................................................................................................................... 247
1.
Analyse des comportements des bébés à 3 mois au cours du paradigme du SF en lien avec la
qualité de leurs comportements d’attachement à 13 mois ............................................................................ 247
2.
Analyse des comportements des mères des bébés à 3 mois au cours du paradigme du SF en lien
avec la qualité des comportements d’attachement de l’enfant à 13 mois ..................................................... 250
F.
Données recueillies entre 4 et 8 ans............................................................................................. 252
G. Analyses des données recueillies chez les enfants âgés de 4 à 8 ans par le biais du test des histoires
à compléter, au sein des deux groupes ......................................................................................................... 254
6
1.
Analyses des résultats concernant la qualité de l’attachement évaluée par le biais des
représentations de l’enfant, âgé de 4 à 8 ans, au sein des deux groupes ...................................................... 254
2.
Analyses des résultats obtenus aux échelles descriptives du codage « CCH » chez les enfants des
deux groupes................................................................................................................................................... 258
H. Analyse de l’évolution de la qualité de l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans chez les enfants des
deux groupes ................................................................................................................................................260
1.
Au sein du groupe contrôle ........................................................................................................... 260
2.
Au sein du groupe TPB ................................................................................................................... 261
I.
Analyse de la qualité des échelles descriptives des narratifs des enfants du groupe TPB, en
fonction de la qualité de leur attachement à 13 mois ...................................................................................262
J.
Analyse des résultats concernant l’évaluation du fonctionnement psychique des enfants du
groupe TPB par le biais de la passation du test des histoires à compléter à l’âge de 4-8 ans .........................264
IX.
DISCUSSION DES RESULTATS .............................................................................. 265
A. Eléments de discussion concernant les données recueillies aux 3 mois du bébé au cours de la
procédure du Still-Face .................................................................................................................................265
1.
Le temps T1 ................................................................................................................................... 265
2.
Le temps du SF ............................................................................................................................... 267
3.
Le temps du T2 : le retour de la mère ........................................................................................... 268
B. Eléments de discussion concernant les données recueillies aux 13 mois de l’enfant ....................271
1.
Synthèse des résultats concernant la qualité de l’attachement des enfants au sein des deux
groupes
274
C. Eléments de discussion concernant la mise en Lien des données à 3 mois et celles de l’attachement
à 13 mois dans le groupe TPB .......................................................................................................................276
1.
Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement classés (B) : sécures dans leur attachement à
13 mois
276
2.
Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement classés (A) : insécure évitant dans leur
attachement à 13 mois ................................................................................................................................... 278
3.
Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement classés (C) : insécure ambivalent résistant dans
leur attachement à 13 mois ............................................................................................................................ 279
4.
Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement classés (D) : désorganisés dans leur
attachement à 13 mois ................................................................................................................................... 280
D. Discussion concernant les résultats obtenus lors des évaluations des enfants entre 4 et 8 ans au
test des histoires à compléter .......................................................................................................................282
1.
Eléments de discussion concernant les résultats obtenus à l’évaluation des représentations
d’attachement chez l’enfant ........................................................................................................................... 282
2.
Description qualitative des résultats aux échelles descriptives des enfants du groupe TPB ........ 283
E.
Evolution des enfants entre 13 mois et 4-8 ans ............................................................................287
1.
Evolution de la qualité de l’attachement des enfants dans les deux groupes .............................. 287
F.
Fonctionnement psychique des enfants du groupe TPB à 4-8 ans ................................................289
1.
Des difficultés dans les relations avec autrui ................................................................................ 295
2.
Des troubles de la gestion des émotions ou de la régulation émotionnelle ................................. 296
3.
Différentes conflictualités dépressives .......................................................................................... 296
4.
Des éléments psychopathologiques en faveur d’une hyperadaptation de l’enfant à
l’environnement.............................................................................................................................................. 297
G. Perception maternelle des enfants de 4-8 ans .............................................................................298
X.
DISCUSSION FINALE ET REPONSES AUX HYPOTHESES .................................. 301
A.
1.
2.
B.
1.
2.
C.
1.
2.
D.
Les interactions à 3 mois ..............................................................................................................301
Les principaux résultats ................................................................................................................. 301
Réponses aux hypothèses ............................................................................................................. 302
Les données à 13 mois .................................................................................................................303
Les principaux résultats ................................................................................................................. 303
Réponses aux hypothèses ............................................................................................................. 303
Les interactions à 3 mois en lien avec la qualité de l’attachement à 13 mois ...............................304
Les principaux résultats ................................................................................................................. 304
Réponses aux hypothèses ............................................................................................................. 304
Les données à 4-8 ans ..................................................................................................................304
7
1.
2.
E.
1.
2.
3.
F.
G.
1.
2.
3.
Les principaux résultats ................................................................................................................. 304
Réponses aux hypothèses .............................................................................................................. 306
Evolution des enfants entre 13 mois et 4-8 ans ............................................................................ 307
Les principaux résultats ................................................................................................................. 307
Réponses aux hypothèses .............................................................................................................. 307
Réponse à l’hypothèse générale .................................................................................................... 308
Les épisodes dépressifs chez les mères du groupe TPB ................................................................ 310
Réflexions quant aux modalités de prise en charge de ces dyades ............................................... 311
Quand intervenir ? ......................................................................................................................... 311
Axes thérapeutiques ...................................................................................................................... 312
Comment intervenir ? .................................................................................................................... 314
XI.
LIMITES DE LA RECHERCHE ................................................................................ 317
XII. CONCLUSION ............................................................................................................. 319
XIII.
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................... 323
XIV. ANNEXES .................................................................................................................... 353
A.
B.
C.
8
Annexe 1 : information et consentement..................................................................................... 353
Annexe 2 : autorisation de filmer ................................................................................................. 355
Annexe 3 : cas cliniques ............................................................................................................... 356
1.
Dyade 1 : Léa .................................................................................................................................. 356
2.
Dyade 2 : Chloé .............................................................................................................................. 367
3.
Dyade 3 : Albert ............................................................................................................................. 375
4.
Dyade 4 : Anna ............................................................................................................................... 380
5.
Dyade 5 : Côme .............................................................................................................................. 388
6.
Dyade 6 : Eloi ................................................................................................................................. 395
7.
Dyade 7 : Cerise ............................................................................................................................. 405
8.
Dyade 8 : Paul ................................................................................................................................ 419
9.
Dyade 9 : Mathieu.......................................................................................................................... 427
10.
Dyade 10 : Ali ............................................................................................................................. 436
11.
Dyade 11 : William ..................................................................................................................... 442
12.
Dyade 12 : Léon ......................................................................................................................... 453
13.
Dyade 14 : Justine ...................................................................................................................... 466
Index des tableaux
TABLEAU 1. RÉPARTITION DES TRAITS BORDERLINE CHEZ LES MÈRES DES DYADES CLINIQUES DE NOTRE POPULATION..................... 201
TABLEAU 2. TABLEAU RÉCAPITULATIF DES DONNÉES RECUEILLIES À CHAQUE ÂGE ................................................................... 224
TABLEAU 3. DONNEES NAISSANCE ET SOCIODEMOGRAPHIQUES POUR CHAQUE GROUPE. ........................................................ 225
TABLEAU 4. TYPES ET NOMBRE TOTAL DE CRITERES RENCONTRES POUR CHAQUE MERE DU GROUPE TPB.................................... 226
TABLEAU 5. TROUBLES DE LA PERSONNALITE ASSOCIES POUR CHAQUE MERE DU GROUPE TPB. ................................................ 227
TABLEAU 6. DONNEES RECUEILLIES AUX 3 MOIS DU BEBE DANS CHAQUE GROUPE : L’AGE EN JOURS ET LES DONNEES RELATIVES AUX 4
DIMENSIONS DU BRUNET-LEZINE POUR LE BEBE, ET LES SCORES AUX ECHELLES DE DEPRESSION POUR LA MERE. .................. 228
TABLEAU 7. PROPORTIONS DE COMPORTEMENTS ET D’EMOTIONS OBSERVEES CHEZ LA MERE ET LE BEBE DANS LES DEUX GROUPES AU
TEMPS 1 (T1)................................................................................................................................................. 229
TABLEAU 8. PROPORTIONS DE COMPORTEMENTS ET D’EMOTIONS OBSERVEES CHEZ LA MERE ET LE BEBE DANS LES DEUX GROUPES AU
TEMPS DU SF, ET DIFFERENCES DE PROPORTIONS ENTRE LE TEMPS T1 ET LE TEMPS SF. ................................................. 230
TABLEAU 9. PROPORTIONS DE COMPORTEMENTS OBSERVEES CHEZ LA MERE ET LE BEBE DANS LES DEUX GROUPES AU TEMPS T2, ET
DIFFERENCES DE PROPORTIONS ENTRE LE T1 ET LE T2. ............................................................................................ 232
TABLEAU 10. DONNEES RECUEILLIES AUX 13 MOIS DU BEBE DANS CHAQUE GROUPE : L’AGE EN JOURS ET LES DONNEES RELATIVES AUX
4 DIMENSIONS DU BRUNET-LEZINE POUR LE BEBE, ET LES SCORES AUX ECHELLES DE DEPRESSION POUR LA MERE. ............... 241
TABLEAU 11. CLASSIFICATION DE LA QUALITE DES COMPORTEMENTS D’ATTACHEMENT A 13 MOIS AU SEIN DES DEUX GROUPES. .... 242
TABLEAU 12. COMPORTEMENTS D’ATTACHEMENT OBSERVES CHEZ LES ENFANTS DES DEUX GROUPES LORS DES DEUX EPISODES DE
RETROUVAILLES A LA SITUATION ETRANGE. .......................................................................................................... 244
TABLEAU 13. COMPORTEMENTS MATERNELS PERTURBES ENVERS L’ENFANT EVALUES LORS DE LA SITUATION ETRANGE, SELON LA
GRILLE AMBIANCE (LYONS-RUTH ET AL., 1999). ................................................................................................ 246
TABLEAU 14. DONNEES RECUEILLIES A 4-8ANS CHEZ LES ENFANTS DE CHAQUE GROUPE : L’AGE EN ANNEES ET LES DONNEES RELATIVES
AU QUOTIENT INTELLECTUEL VERBAL (QIV) ET AU SCORE A LA VITESSE DE TRAITEMENT ET LES SCORES AUX ECHELLES DE
DEPRESSION POUR LA MERE............................................................................................................................... 252
TABLEAU 15. COMPARAISON DES MOYENNES OBTENUES AU TEST DES HISTOIRES A COMPLETER (ASCT) ENTRE LES 4 DIMENSIONS DE
L’ATTACHEMENT ET LES ECHELLES DESCRIPTIVES DU CCH ENTRE LES DEUX GROUPES ET ENTRE CES DEUX GROUPES ET LE GROUPE
DE REFERENCE. ............................................................................................................................................... 254
TABLEAU 16. QUALITE DE L’ATTACHEMENT EVALUEE PAR LE BIAIS DES REPRESENTATIONS D’ATTACHEMENT AU TEST DES HISTOIRES A
COMPLETER (ASCT) CHEZ LES ENFANTS DU GROUPE CONTROLE ET DU GROUPE TPB. ................................................... 257
TABLEAU 17. EVOLUTION DE LA QUALITE DE L’ATTACHEMENT ENTRE 13 MOIS ET 4-8 ANS AU SEIN DES GROUPES........................ 260
TABLEAU 18. COMPARAISON DES MOYENNES OBTENUES AUX 4 DIMENSIONS DE L’ATTACHEMENT ET DES MOYENNES OBTENUES AUX
ECHELLES DESCRIPTIVES DU CCH CHEZ LES ENFANTS DU GROUPE TPB EN LIEN AVEC LA QUALITE DE LEUR ATTACHEMENT A 13
MOIS. ........................................................................................................................................................... 262
TABLEAU 19. DONNEES CONCERNANT LES MERES ET LES PERES DES DYADES, LE SUIVI PSYCHOTHERAPEUTIQUE ET LA QUALITE DE
L’ATTACHEMENT DE L’ENFANT A 13 MOIS ET A 4-8 ANS DANS LE GROUPE TPB. ........................................................... 291
9
TABLEAU 20. DONNEES CONCERNANT LES ENFANTS DU GROUPE TPB : QUALITE DE L’ATTACHEMENT A 13 MOIS ET A 4-8 ANS,
ELEMENTS SYMPTOMATIQUES PRECOCES ET ACTUELS, ELEMENTS PSYCHOPATHOLOGIQUES SAILLANTS, QUALITE DE LA
PERCEPTION MATERNELLE DES DIFFICULTES DE L’ENFANT. ........................................................................................ 292
Index des figures
FIGURE1. EVOLUTION DES REGARDS VERS LA MERE AU COURS DES TROIS TEMPS DANS LES DEUX GROUPES ................................. 234
FIGURE2. EVOLUTION DES COMPORTEMENTS D’AUTOREGULATION DU BEBE AU COURS DES TROIS TEMPS DANS LES DEUX GROUPES 235
FIGURE3. EVOLUTION DES MANIFESTATIONS DU SNA (SYSTEME NERVEUX AUTONOME) AU COURS DES TROIS TEMPS DANS LES DEUX
GROUPES ....................................................................................................................................................... 235
FIGURE4. EVOLUTION DES VOCALISATIONS NEGATIVES AU COURS DES TROIS TEMPS DANS LES DEUX GROUPES ............................ 236
FIGURE5. EVOLUTIONS DES EMOTIONS NEGATIVES AU COURS DES TROIS TEMPS POUR LES DEUX GROUPES .................................. 236
FIGURE6. EVOLUTIONS DES EMOTIONS POSITIVES AU COURS DES TROIS TEMPS POUR LES DEUX GROUPES ................................... 237
FIGURE7. EVOLUTION DES MOUVEMENTS DE RECUL DU CORPS ENTIER AU COURS DES TROIS TEMPS POUR LES DEUX GROUPES ........ 237
FIGURE8. EVOLUTION DES COMPORTEMENTS D’ENGAGEMENT SOCIAL MATERNEL ENTRE LE T1 ET LE T2 POUR LES DEUX GROUPES.. 238
FIGURE9. EVOLUTION DU TOUCHER NON-INTRUSIF ENTRE LE T1 ET LE T2 DANS LES DEUX GROUPES .......................................... 239
FIGURE10. EVOLUTION DES EMOTIONS POSITIVES MATERNELLES ENTRE LE T1 ET LE T2 POUR LES DEUX GROUPES ........................ 239
FIGURE 11. COMPORTEMENTS D’ATTACHEMENT OBSERVES CHEZ LES ENFANTS DES DEUX GROUPES LORS DES DEUX EPISODES DE
RETROUVAILLES A LA SITUATION ETRANGE. ........................................................................................................... 244
FIGURE12. EVOLUTION DES REGARDS VERS LA MERE (A GAUCHE) ET REGARD VERS OBJET (A DROITE) AU COURS DES 3 TEMPS DANS LES
4 SOUS-GROUPES DE BEBES DU GROUPE TPB. ....................................................................................................... 247
FIGURE13. EVOLUTION DES COMPORTEMENTS D’AUTOREGULATION AU COURS DES 3 TEMPS DANS LES 4 SOUS-GROUPES DE BEBES DES
MERES DU GROUPE TPB ................................................................................................................................... 248
FIGURE14. EVOLUTION DES MANIFESTATIONS DU SNA AU COURS DES TROIS TEMPS DANS LES 4 SOUS-GROUPES DU GROUPE TPB. 249
FIGURE15. EVOLUTION DES EMOTIONS NEGATIVES AU COURS DES 3 TEMPS DANS LES 4 SOUS-GROUPES DE BEBES DU GROUPE TPB 249
FIGURE16. EVOLUTION DE L’ENGAGEMENT SOCIAL CHEZ LES MERES DU GROUPE TPB EN FONCTION DES 4 SOUS-GROUPES DE BEBES
ENTRE LE T1 ET LE T2. ...................................................................................................................................... 250
FIGURE17. EVOLUTION DES TOUCHERS INTRUSIFS (A GAUCHE) ET TOUCHERS NON-INTRUSIFS (A DROITE) ENTRE LE T1 ET LE T2 CHEZ
LES MERES DANS LES 4 SOUS-GROUPES DE BEBES DU GROUPE TPB. ........................................................................... 251
FIGURE18. EVOLUTION DES EMOTIONS MATERNELLES POSITIVES AU SEIN DU GROUPE TPB EN FONCTION DES 4 SOUS-GROUPES DE
BEBES ENTRE LE T1 ET LE T2. ............................................................................................................................. 251
FIGURE19. REPARTITION DES DIFFERENTES DIMENSIONS DE L’ATTACHEMENT CHEZ LES ENFANTS DES TROIS GROUPES ................... 255
FIGURE 20. EVOLUTION DE LA QUALITE DE L’ATTACHEMENT ENTRE 13 MOIS ET 4-8 ANS AU SEIN DES 9 ENFANTS DU GROUPE TPB
AYANT ETE EVALUES AUX DEUX AGES. .................................................................................................................. 261
10
I.
Introduction
L’intérêt pour cette recherche est né de notre travail au sein de la maternité Ambroise
Paré de Bourg-la-Reine (92) et d’une équipe de psychiatrie de liaison dirigée par le Dr Apter
(PPUMMA1). Nous faisons partie, avec cette équipe, de l’intersecteur 7 du Sud des Hauts-deSeine dirigé par le Dr Le Nestour au sein de l’Hôpital Erasme. En tant que psychologue en
maternité, nous avons pu suivre des patientes avec différents troubles, différentes histoires.
Nous avons notamment rencontré de nombreuses patientes présentant un trouble de
personnalité borderline/état-limite et la fréquence élevée de ce diagnostic dans notre file
active nous a frappés. Ces patientes se caractérisent par leur difficulté à s’inscrire dans une
prise en charge psychologique ou psychiatrique, nous nous sommes donc heurtés à cette
problématique dans nos prises en charge. Nous avons alors développé tout un travail en réseau
de professionnels autour de ces patientes, lors de leur maternité. Dans ce moment de crise
identitaire, nous avons été préoccupés par l’ampleur de leur symptomatologie et de leurs
décompensations ; leurs moments d’angoisses étaient particulièrement aigus et bruyants.
Notre préoccupation était de leur permettre de mener leur grossesse dans de meilleures
conditions psychiques mais aussi physiques, en créant du lien autour d’elles par le biais de
synthèses avec les professionnels de la maternité, ceux de l’équipe de PPUMMA, mais aussi
ceux du réseau Périnat 92 Sud.
Comment allaient-elles pouvoir accueillir ce bébé à venir, dans le chaos de leurs
manifestations psychiques ? Au sein de nos prises en charge, nous étions disponibles pour ces
mères en devenir, en souffrance, tout en leur rappelant notre rôle de prévention et de
protection de l’enfance.
La littérature sur les patients borderline/états-limites aussi bien anglophone que
francophone est prolixe, mais elle laisse toutefois peu de place aux études sur la maternité des
femmes qui présentent cette affection. Une revue de la littérature sur les recherches
concernant les enfants de ces mères (Genet, Golse, Apter ; sous presse) met en lumière le peu
d’études existantes. Les études qui se sont intéressées aux interactions de ces mères avec leur
bébé
ont
observé
les
dysfonctionnements
interactifs
qui
les
caractérisent,
des
dysfonctionnements que même une clinique fine peine à objectiver. Les autres études
1
Psyhiatrie Périnatale d’Urgence Mobile en Maternité.
11
observaient des troubles de l’attachement ou des troubles psychopathologiques chez les
enfants de mères borderline. Toutefois, aucune de ces études n’avaient observé de façon
longitudinale les interactions mère-bébé, puis la qualité de l’attachement et du fonctionnement
psychique de ces enfants.
Nous travaillons également au sein d’une unité de recherche en psychiatrie périnatale
dirigée par le Dr Apter (RePPer2), au sein de l’Hôpital Erasme à Antony. Cette dernière, ainsi
que le Dr Le Nestour, responsable de l’Aubier3, ont toujours eu à cœur d’allier la recherche à
la clinique. Dès la création de l’Aubier en 1992, des études ont débuté sur les interactions
mère-bébé aboutissant, entre autres, à l’obtention d’un PHRC4 en 1998 qui visait à
comprendre les liens entre les dysfonctionnements interactifs précoces entre la mère et le
bébé, et les troubles psychiatriques maternels. Au sein de cette recherche, le Dr Apter a
particulièrement ciblé ses travaux sur les troubles de la personnalité borderline et les
interactions mère-bébé durant la première année de vie de l’enfant.
Portés par cette équipe et par notre réflexion clinique, nous avons continué à inclure des
dyades dans ce protocole de recherche et entrepris de poursuivre cette étude en y ajoutant une
évaluation des enfants de mères borderline, alors âgés de 4 à 8 ans. Notre recherche porte
ainsi sur les interactions mère-bébé à 3 mois, sur la qualité de l’attachement de l’enfant à 13
mois puis, sur la qualité de l’attachement, de la narrativité et du fonctionnement psychique
des enfants entre 4 et 8 ans. Il s’agit donc d’une étude prospective longitudinale sur les
enfants de mères présentant un trouble de personnalité borderline.
Notre travail se compose de 5 parties théoriques qui ont appuyé notre réflexion dans cette
recherche :
- Nous avons choisi d’aborder en premier les troubles de personnalité borderline/étatslimites. Ce chapitre donne une vision d’ensemble de ces pathologies visant à éclairer les
particularités du fonctionnement psychique des patients qui en souffrent.
- Nous abordons ensuite le processus du « devenir mère », du désir d’enfant à la
particularité du fonctionnement psychique propre à la grossesse. Ce chapitre met en lumière
les remaniements psychiques de cette crise maturative chez la femme enceinte, en l’absence
de trouble psychique, pour ensuite présenter les troubles psychiatriques périnatals. Enfin, nous
2
Recherche en Psychiatrie Périnatale à Erasme.
Centre thérapeutique du tout-petit (0-2 ans).
4
Projet Hospitalier de Recherche Clinique.
3
12
développons les difficultés rencontrées par les mères présentant un trouble de personnalité
borderline qui sont autant d’entraves aux remaniements identitaires durant leur grossesse.
- Ensuite, nous étudions les interactions précoces mère-bébé et les modèles permettant
une appréhension de la dyade comme un système. Ce chapitre aborde aussi la façon dont se
développe le processus particulier du « devenir mère » chez les femmes au trouble de
personnalité borderline. Ce processus se développe au travers d’une reviviscence de leur
propre histoire infantile, souvent douloureuse. Nous proposons une revue de la littérature sur
les écrits théorico-cliniques et de recherche abordant les interactions de ces mères avec leur
bébé. Enfin, ce chapitre se termine par un développement théorique sur les processus
d’intersubjectivation et de subjectivation chez le bébé aidés par sa rencontre avec l’objet au
sein des interactions.
- Puis, un chapiste est consacré à l’attachement qui découle de l’intériorisation de la
qualité des interactions entre le sujet et ses figures d’attachement. Il aborde notamment les
mécanismes de transmission de la qualité de l’attachement de la mère à l’enfant et se termine
par les études portant sur les comportements d’attachement des enfants de mères borderline.
- Enfin, nous terminons notre partie théorique avec un chapitre concernant les
représentations d’attachement et la narrativité chez l’enfant plus grand. Il aborde les méthodes
d’évaluation de ces représentations d’attachement puis la question du changement ou de la
stabilité de la qualité de l’attachement au cours de la vie. Il présente la particularité de ces
représentations chez des enfants de mères borderline. Enfin, nous insistons sur la notion de
narrativité offrant la possibilité d’un pont entre psychanalyse et attachement.
Les chapitres théoriques sont suivis d’un chapitre concernant la méthodologie et les
hypothèses de notre recherche. Le chapitre VIII expose nos résultats, le IX les discute et le X
réalise une synthèse et répond à nos hypothèses. Ce dernier apporte des pistes de réflexion en
termes de prises en charges et de politiques de santé pour les familles touchées par le trouble
de personnalité borderline. Enfin, nous concluons en ouvrant sur d’autres pistes de recherche.
13
14
II. Les pathologies borderline/étatslimites
Les troubles de la personnalité borderline (TPB) restent pour la psychiatrie un véritable
défi tant sur le plan des prises en charge psychothérapeutiques que sur le plan de la
nosographie. La question reste encore en suspens quant à la catégorie nosographique à
laquelle ils appartiennent : à quelles pathologies doit-on les rattacher ? Sont-ils des
pathologies psychiatriques à part entière ? Ou bien « un terrain fertile sur lequel la pathologie
est plus susceptible de prospérer ? » (Le Nestour et al., 2007, d’après Trull, 2001) On perçoit
bien ici toute la difficulté de rattacher les troubles de personnalité borderline à un spectre
donné. Utiliser une définition catégorielle des troubles de personnalité fait courir le risque
d’un diagnostic restreint et formel qui semble parfois peu adapté à la clinique (Le Nestour et
al., 2007, citant Morey, 1988). La clinique nécessite souvent une approche plus fine et plus
complexe que celle d’un simple diagnostic. Si la majorité des approches cliniques s’accordent
sur l’approche diagnostique du TPB, des concepts théoriques encore très différents la soustendent (Le Nestour et al., 2007, d’après Zimmerman et Mattia, 1999). Toutefois, depuis les
approches théoriques de Kernberg (1989), le TPB semble rassembler les approches
psychiatriques et psychanalytiques. Les critères diagnostics du DSM IV (Manuel diagnostique
et statistique des troubles mentaux, 1996) permettent d’objectiver les mécanismes de défenses
intrapsychiques. De plus, l’impact de l’environnement et des interactions sociales est toujours
pris en compte en tant qu’élément anamnestique important des patients.
La définition du trouble de personnalité borderline selon les critères du DSM IV, en
accord avec la perspective psychodynamique de Kernberg (1989) est certes restrictive mais
constitue toutefois la définition la plus consensuelle entre les critères de recherche et de
clinique.
A. Du modèle structural de Kernberg au
DSM IV
L’approche descriptive et seulement basée sur les critères diagnostiques appliquée aux
états borderline peut, selon Kernberg, mener à des erreurs. Pour ce dernier, la question du
diagnostic borderline se pose à la fois en fonction de ces critères mais surtout dans une
approche structurale de la personnalité. Kernberg (1989) a développé cette approche
15
structurale des troubles de la personnalité assortie d’une approche développementale, dans le
cadre d’une conceptualisation psychanalytique. Il a lui-même participé à l’élaboration des
critères du DSM-IV qui servent de repères diagnostiques pour la majorité des études portant
sur ce trouble de personnalité. Ainsi, les définitions des troubles de personnalité borderline du
DSM-IV que nous allons développer et les caractéristiques structurales de Kernberg se
complètent et se répondent.
L’approche structurale permet de mettre en lumière le rapport existant entre les divers
symptômes borderline, au travers d’une réflexion sur les troubles de personnalité, basée sur la
description du mode de fonctionnement psychique des patients. Il s’agit de pouvoir décrire les
caractéristiques structurales intrapsychiques de ces derniers car elles ont d’importantes
implications pronostiques et thérapeutiques. Pour Kernberg, la personnalité borderline est
associée à un niveau de fonctionnement de la personnalité. La qualité des relations d’objet et
le degré d’intégration du Surmoi sont les critères pronostiques essentiels pour la prise en
charge thérapeutique de ces patients. De plus, la nature des transferts primitifs chez ces
derniers est directement liée aux caractéristiques des relations d’objet internalisées (Kernberg,
1989). Les critères de l’évaluation structurale se basent donc sur le degré d’intégration
d’identité (représentation du self et de l’objet), les types de mécanismes de défenses et
l’aptitude à l’épreuve de réalité. Chez les patients borderline, le manque d’intégration de
l’identité se manifeste par une intégration insuffisante du Soi (ou de l’idée du self) et des
proches (non-intégration des représentations d’objet). Selon Kernberg, l’absence d’un Soi
intégré chez les patients borderline les contraint à des sentiments itératifs et chroniques de
non-réalité, de perplexité, et de vide caractéristique de leurs épisodes dépressifs. Ils sont
soumis à une perturbation du « sentiment de Soi » et dans une approche kleinienne, on peut
percevoir avec acuité leur incapacité à intégrer les bonnes et mauvaises parties du Soi. Ces
patients sont alors en difficulté pour intégrer leurs propres expériences tant affectives que
cognitives, ne pouvant ressentir l’impact de leurs attitudes et de leurs comportements au sein
de leurs relations interpersonnelles. Il leur est impossible de se forger des représentations
d’eux-mêmes et des autres constantes dans le temps parce qu’ils sont soumis à une nonintégration des représentations d’objet. Celles-ci sont soit dévalorisées soit totalement
idéalisées. Ainsi, la perturbation des relations interpersonnelles chez ces patients peut-elle
s’expliquer par le manque d’intégration des bons et mauvais objets. Il leur est impossible
d’évaluer les autres de façon réaliste et leurs relations se caractérisent par une distorsion
croissante de leur perception des autres. Les renversements et les mises en actes des
16
représentations de soi et de l'autre sont susceptibles d’être extrêmement fréquentes et rapides,
entraînant des relations interpersonnelles instables et chaotiques et des troubles de l’identité.
Face à leur instabilité émotionnelle et à leur sentiment chronique de vide, ces relations les
soumettent alors à des angoisses d’abandon qu’ils cherchent à contrecarrer dans un rapproché
fusionnel. Enfin, ils manquent d’empathie et leurs comportements, face à ce manque
d’intégration, vont être régis par leurs perceptions immédiates. Toutefois, le principe de
réalité est conservé, mais ce serait même son écrasante présence qui menacerait la fragilité des
patients borderline. Ils sont mus par leur impulsivité, elle-même soumise à l’intensité des
pulsions destructrices, auto ou hétéro-agressives. Par ailleurs, la faiblesse de leur Moi les
empêche de les contenir. Le bon objet introjecté est sans cesse menacé, obligeant le sujet au
recours à des défenses primitives, tel que le clivage, pour garder séparées des représentations
contradictoires de soi et de l’autre. Kernberg souligne que les sujets peuvent vivre des
moments transitoires de déréalisation lors de stress majeurs.
Pour Kernberg, les structures borderline se caractérisent par la prédominance de
mécanismes de défense primitifs comme le clivage, l’idéalisation primitive, l’identification
projective, le déni, la toute-puissance et la dévalorisation. Pour pouvoir appréhender le
fonctionnement des patients borderline, il est nécessaire d’avoir accès à la qualité de leurs
mécanismes de défense, que nous décrirons un peu plus loin dans notre exposé. Ces
mécanismes ont pour but de protéger les bons objets en maintenant clivées les différentes
parties de l’objet. Cependant, l’attaque de l’objet altère également leur sentiment de
cohérence. Marqués par cette instabilité, les sujets borderline sont sans cesse menacés
d’effondrement dépressif (Winnicott, 1989). Enfin, les passages à l’acte seraient une des
manifestations de leurs mécanismes de défense pour juguler les mauvaises parties de l’objet et
de soi.
Le trouble de personnalité borderline est entré dans le DSM en 1980, il constitue un
trouble sévère de la personnalité dont les répercussions relationnelles affectent tout
l’environnement social des personnes souffrant de ce trouble.
17
1. La Définition du trouble de personnalité dans le
DSM IV
Nous reprenons la définition du trouble de personnalité telle qu’elle est formulée dans le
DSM IV :
A. Modalité durable de l'expérience vécue et des conduites qui dévient notablement de ce
qui est attendu dans la culture de l'individu. Cette déviation est manifeste dans au moins deux
des domaines suivants:
1. la cognition, c’est-à-dire la perception et la vision de soi-même, d’autrui et des
événements
2. l'affectivité (c'est-à-dire la diversité, l'intensité, la labilité et l'adéquation de la réponse
émotionnelle)
3. le fonctionnement interpersonnel
4. le contrôle des impulsions
2. Le trouble de personnalité borderline ou étatlimite dans le DSM IV
Nous reprenons ci-dessous la définition telle qu’elle apparaît dans le DSM IV. Il s’agit
d’un mode général d'instabilité des relations interpersonnelles, de l'image de soi et des affects
avec une impulsivité marquée, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présent dans des
contextes divers, comme en témoignent au moins 5 des manifestations suivantes:
1. Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés
2. Mode de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisées par l'alternance
entre les positions extrêmes d'idéalisation excessive et de dévalorisation
3. Perturbation de l'identité: instabilité marquée et persistante de l'image ou de la notion
de soi
4. Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet
(dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie)
5. Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou
d'automutilations
18
6. Instabilité affective due à une réactivité marquée de l'humeur (dysphorie épisodique
intense, irritabilité ou anxiété de quelques heures à rarement plus de quelques jours)
7. Sentiments chroniques de vide
8. Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa colère (fréquentes
manifestations de mauvaise humeur, colère constante ou bagarres répétées)
9. Survenue transitoire dans des situations de stress d'une idéation persécutoire ou de
symptômes dissociatifs sévères
Pour que le diagnostic de TPB puisse être posé, il faut que le sujet présente au moins 5
des critères cités. En tant que trouble de la personnalité, il est responsable de répercussions
dans au moins deux des domaines suivants : la cognition, les émotions, le contrôle des
impulsions et les relations interpersonnelles. Or, tous ces domaines sont particulièrement
mobilisés dans la relation mère-bébé.
B. Etat de la littérature anglophone
concernant les troubles de personnalité
borderline
1. Epidémiologie et prévalence du trouble de
personnalité borderline
Les évaluations les plus précises concernant la prévalence du TBP émanent des EtatsUnis où le TPB représenterait 1,8% de la population, taux aussi élevé que celui du trouble
bipolaire de type I (Zimmerman et al., 2005). On retrouve au sein des différentes études des
taux allant de 1 à 2% dans la population générale (Lenzenweger et al., 2007 ; Skodol et al.,
2002). Toutefois, au sein des populations cliniques, les sujets présentant un TPB
représenteraient approximativement de 15% à 20 % des patients (Skodol et al., 2002). Le TPB
présente une prévalence plus importante chez les femmes, puisque les 2/3 des patients affectés
sont des femmes (Gunderson et Lyons-Ruth, 2008).
Enfin, le TPB est très souvent associé à d’autres troubles psychiatriques (Skodol et al.,
2002) ; Zanarini et al., 1998a, 1998b) et présente un risque élevé de suicide pouvant aller
jusqu’à 10% (Gratz et al., 2009)
19
Le TPB s’avère être une construction complexe, valide, dont le devenir et les étiologies
sont de mieux en mieux connus mais toutefois appréhendés différemment selon les approches
(Gunderson et Lyons-Ruth, 2008).
2. L’importance des comorbidités
Les comorbidités sont élevées dans le TPB, que ce soit avec d’autres troubles de
personnalité (appartenant à l’axe 2 du DSM IV) ou avec des épisodes dépressifs majeurs ou
encore avec des troubles bipolaires (axe 1 du DSM IV). Plus de 10% des TPB seraient
associés à des troubles anxieux, dépressifs ou à une dysthymie (Le Nestour et al., 2007 :
Nurnberg, 1989 ; Pepper, 1995). Le diagnostic du trouble de personnalité borderline
recouperait certains traits d’autres troubles de personnalité souvent associés à celui-ci,
particulièrement ceux du cluster B du DSM IV (Smith et al., 2004).
A l’heure actuelle, face à ces nombreuses comorbidités, il existe de nombreux débats
autour de l’appartenance du TPB à plusieurs spectres de maladies. Certains auteurs tendent à
admettre ce trouble au sein du spectre des maladies bipolaires (Smith et al., 2004 ; Paris,
2004), d’autres auteurs le rattacheraient au spectre des syndromes de stress post-traumatiques
(Lonie, 1993) en raison des nombreux antécédents de traumatismes retrouvés chez ces
patients. Il existe aussi, par ailleurs, un débat autour de la légitimité de considérer ce trouble
comme un syndrome à part entière (Paris, 1994 ; Gunderson et Lyons-Ruth, 2008). Dans ce
dernier débat, les auteurs se demandent s’il ne s’agit pas de considérer qu’il y aurait d’un côté
une moitié féminine borderline et sa contrepartie masculine « antisociale ». Des études
d’ordre génétique apportent des arguments en faveur de cette controverse (Gunderson et
Lyons-Ruth, 2008).
C’est la question autour d’une possible appartenance du TPB au spectre des troubles
bipolaires qui a toutefois donné lieu au plus grand nombre d’études. Ces dernières ont mis en
évidence des taux de comorbidités entre le TPB et les troubles bipolaires (ou unipolaire)
pouvant aller jusqu’à 30% chez les patients (Vieta et Colom, 1999 ; Brieger et al., 2003).
Cette comorbidité augmenterait le risque suicidaire et la sévérité des symptômes (Smith et al.,
2004). Cependant, le terme de comorbidité renvoie à deux affections séparées chez un même
individu mais ne rend pas compte des interactions complexes entre celles-ci. Smith et al.
(2004) concluent qu’il existerait un grand nombre de patients diagnostiqués borderline qui
20
auraient souffert, dans un premier temps, d’un trouble bipolaire dans une vision élargie de ce
spectre.
Enfin, ce qui ressort de ces études est le caractère hétérogène des patients avec un TPB,
puisqu’ils peuvent parfois n’avoir que peu de symptômes en commun (Smith et al., 2004).
Les critères du DSM IV mettent ainsi parfois le clinicien en difficulté pour rendre compte de
la complexité de ce trouble de personnalité.
C. Les antécédents de traumatismes chez
les sujets présentant un trouble de
personnalité borderline
Dans l’anamnèse des sujets présentant un TPB, on retrouve souvent des événements de
maltraitance, de carences, de deuils et de négligences, voire d’abus sexuels. Ces antécédents
sont eux-mêmes fortement corrélés à des troubles dépressifs (Zanarini et al., 1989 ;
Bezirganian et al., 1995 ; Bernstein, 1999). La notion de traumatisme précoce en tant que
facteur pathogénique est admise par la plupart des auteurs ; les antécédents de traumatismes
sont donc systématiquement recherchés dans les données anamnestiques des patients. Ils sont
mentionnés dans la majorité des études. La littérature sur les recherches cliniques
psychanalytiques avec des patients borderline fait aussi état de l’importance de ces
antécédents traumatiques ou douloureux (Le Nestour et al., 2007). Il semble, par ailleurs, que
l’intensité des événements traumatiques soit directement corrélée à la gravité de la
symptomatologie borderline (Zanarini, 2002). De tels événements sont connus pour leurs
effets délétères sur les capacités relationnelles des sujets et les données issues de
l’épigénétique corroborent ces effets délétères. Les études animales ont en effet montré que la
descendance négligée d’une génération de rongeurs aura, à son tour, des comportements
inadéquats de léchage et de nourrissage de leurs propres portées (Francis et al., 1999 ; Meany,
2011). Ces études éthologiques et biologiques servent aujourd’hui de références pour appuyer
les hypothèses sur la transmission transgénérationnelle des comportements pathologiques.
Même si les modèles animaux sont loin de traduire la complexité des comportements
humains, ils créent cependant des bases de réflexion désormais difficiles à contourner.
Toutefois, ces données cliniques anamnestiques sont souvent recherchées de façon
nécessairement réductrice tant il est difficile de rassembler tous ces événements de vie
douloureux sous la même appellation de traumatisme. Les patients, lorsqu’ils parlent de leur
21
propre histoire, se souviennent d’expériences douloureuses de leur enfance, de relations
d’attachement difficiles. Ils font état de négligences émotionnelles précoces au sein de leur
famille, de la part des deux parents, parents dont les manifestations comportementales et
affectives avaient pour conséquences le déni de leurs propres pensées ou ressentis, ou leur
invalidation. Ils décrivent, dans l’après-coup, le retrait émotionnel de leurs parents, voire des
parents inconsistants et qui, se montraient soit incapables de les protéger, soit trop contrôlants
à leur égard (Zanarini et al., 1997; Zweig-Frank & Paris,1991). Par ailleurs, les séparations
précoces font aussi partie de l’histoire des patients présentant un TPB (Bandelow et al., 2005;
Reich & Zanarini, 2001). Selon Gerull et al. (2008), au sein des échantillons cliniques de
patients borderline, jusqu’à 90% des patients disent se souvenir d’expériences traumatiques
précoces incluant des abus d’ordre sexuel ou émotionnel, évoluant dans un contexte de
relations perturbées avec les caregivers (Herman et al., 1989 ; Ogata et al., 1990) ou encore la
perte ou la séparation précoce d’un parent (Zanarini, 2000). Toutefois, tous ne vont pas
répéter ces mêmes mauvais traitements.
Pour M. Corcos (2011), des expériences infantiles telles que la négligence parentale,
notamment émotionnelle, plus difficile à identifier objectivement que d’autres traumatismes
avérés, constitueraient des « expériences pouvant se sexualiser dans le fantasme et dans
l’après-coup pubertaire ». Elles pourraient être un facteur de risque significatif pour le
développement des troubles borderline. Des études récentes suggèrent que le traumatisme
n’est pas un évènement nécessaire ni suffisant pour que se développe un trouble de
personnalité borderline. Des études prospectives ont montré un lien de corrélation important
entre des types de comportements maternels dans les interactions précoces mère-bébé et le
développement du trouble de personnalité borderline à l’adolescence ; le retrait maternel était
d’ailleurs le comportement le plus corrélé au développement ultérieur de ce trouble (LyonsRuth, 2005).
1. Psychopathologie chez les parents de patients
borderline
De nombreuses études ont fait état d’une fréquence importante de troubles
psychopathologiques chez les parents de patients présentant un TPB (White et al., 2003), sans
toutefois pouvoir confirmer l’intuition de Masterson and Rinsley (1975) selon laquelle les
mères des patients avec un TPB étaient elles-mêmes atteintes du même trouble. Cela reste vrai
dans environ 10 à 15% des cas (White et al., 2003). Toutefois, cela représente un taux
22
particulièrement élevé pour cette pathologie estimée par ailleurs dans la population tout
venant entre 1 à 2 %. Par ailleurs, White et al. (2003) ont également observé des taux élevés
de consommation de substance, de troubles dépressifs, de troubles du comportement
alimentaire ou de trouble de personnalité antisociale ou d’autres troubles de personnalité chez
les deux parents. Gunderson et Lyons-Ruth (2008) estiment que seulement 30% des parents
de patients présentant un TPB ne sont pas atteints de trouble psychiatrique.
D. Approche psychopathologique du
trouble de personnalité borderline : les
états-limites
1. La notion d’état-limite
Les pathologies limites sont le plus souvent regroupées dans la littérature, pour les
besoins de la recherche, sous l’intitulé de trouble de personnalité borderline grâce au DSM
IV. Cependant, ce diagnostic ne permet pas toujours de rendre compte de la complexité et de
l’hétérogénéité intrinsèques à ces patients. Les états-limites renvoient à des particularités du
fonctionnement psychique plus largement explicitées que par les seuls critères sémiologiques
du DSM IV. Toutefois, nous pouvons admettre que les TPB ont des caractéristiques
semblables se superposant aux spécificités des états-limites, sans rentrer plus avant dans la
discussion qui rapprocherait ou éloignerait ces deux catégories nosographiques.
Si l’entité clinique des états-limites a été identifiée et relativement bien décrite depuis le
milieu du XXe siècle, elle a pu porter de multiples appellations et n’a pas toujours recouvert
les mêmes catégories psychopathologiques. V. Estellon (2010) a recensé de façon exhaustive,
dans son « que sais-je ? » sur les états-limites, toutes les dénominations que les auteurs ont pu
leur attribuer. Notre but n’est pas ici de toutes les nommer mais seulement de pouvoir en
dresser un certain tableau. Il s’agit de comprendre que les états-limites ont parfois été isolés
en syndrome autonome du côté des névroses puis, le plus souvent, du côté de la psychose ou
de la psychopathie ; l’organisation limite s’est peu à peu individualisée pour appartenir
aujourd’hui, en tant que telle, à la classification des maladies mentales.
Freud (1938), dans son Abrégé de Psychanalyse, avait déjà identifié cette autre
organisation qu’il n’arrivait pas à mettre ni du côté des psychoses ni du côté des névroses ;
« manifestement très proche des psychoses […] les causes aussi bien que les mécanismes
23
pathogéniques de leur maladie doivent être identiques ou tout au moins très semblables à
ceux des psychotiques (Estellon, citant Freud (1938), p. 32) ». Cette maladie mentale serait
liée à une possible désorganisation du Moi. En psychanalyse, les différentes classifications
renvoient à de multiples configurations cliniques spécifiques, avec de nombreux points de
rencontre mais parfois de divergences.
Cette catégorie psychopathologique est née de la difficulté à analyser certains sujets qui
développaient dans le transfert psychothérapeutique de véritables états de détresse ou épisodes
de déréalisation. A. Green (1990) et d’autres psychanalystes comme R. Roussillon (1991) ont
souligné la particularité de leur transfert, marqué par la massivité et la brutalité des
identifications projectives et la quasi-absence de refoulement. A. Green explique que ces
patients limites se situent « aux limites de l’analysable » mais restent pourtant les patients qui
ne cessent de faire parler les psychanalystes, tant cette pathologie semble actuelle.
J. Bergeret (1970, 1996), avec sa notion « d’aménagement limite », voit les états-limites
comme une pathologie des frontières. Les états-limites seraient perçus comme instables dans
leur fonctionnement et leur structure psychique, menacés de basculement dans la psychose,
pouvant évoluer vers la névrose. Toutefois, aujourd’hui, les états-limites ne sont plus une
pathologie « à la limite de » mais bien une « pathologie des limites du Moi. » (Estellon,
2010). Paradoxalement pourtant, « l’état limite est une entité clinique relativement stable dans
son instabilité » (Widlocher, cité par Estellon, 2010, p.40). Il se caractérise par un
fonctionnement montrant la persistance d’un mode précis d’organisation fait de défenses
primaires, ni organisé en des processus secondaires de type névrotique (refoulement,
déplacement, formation réactionnelle), ni morcelé, comme dans la psychose. « La structure
des états limites pourrait être ainsi figurée comme celle tentant de borner un fleuve fiévreux
au cours imprévisible et qui en crise emporterait avec lui ses rives (dans l’espace et le
temps). » (Corcos, 2011). Ainsi, l’état limite à la « structure ondoyante » (Corcos, 2011) doitil être appréhendé par ses symptômes polymorphes, ses mécanismes de défense qui tentent de
pallier les faiblesses du Moi et par le mode de relation qu’il développe avec autrui
(notamment le thérapeute).
2. La problématique du narcissisme : un narcissisme
fragile
Le sujet limite est sans cesse obligé de constituer des défenses face à son moi
originairement défaillant. Corcos (2011) parle de « structure trouée » pour décrire le
24
narcissisme du sujet limite, en raison des défaillances des objets parentaux lors des premières
phases du développement où s’organise la constitution de l’identité corporelle et psychique de
l’enfant. Son narcissisme se serait constitué entre vide et plein, désinvestissement et
surexcitation de ses objets parentaux. Ce trou dans la structure n’est pas celui de la psychose,
précise M. Corcos : « le narcissisme de ces sujets n’est pas sans miroir mais s’est construit en
regard d’un miroir, sans tain par endroit ou tacheté de trous d’ombres » (Corcos, 2011, p.
19). Le sujet limite n’a pas bénéficié d’objets parentaux suffisamment bons, pouvant lui
renvoyer ses propres expériences affectives.
a)
Le problème de la notion de soi
Pour P. Fonagy (1995), les pathologies borderline se caractérisent par l’incapacité d’un
retour sur soi. L’absence d’un soi (Self anglo-saxon) intégré coexiste avec la non-intégration
des représentations d’objet dans leur totalité. Les sujets présentant un trouble de personnalité
borderline sont alors en difficulté pour inclure les autres dans des scénarios de représentation.
Leurs comportements sont régis par des perceptions immédiates plutôt que par un modèle
intériorisé, persistant et continu de soi et des autres. Les expériences affectives ne peuvent
être pleinement intégrées dans le ressenti subjectif des états-limites qui ne perçoivent pas non
plus l’impact de leurs comportements dans les relations interpersonnelles puisque leur
structure psychique est peu étanche. Ces patients présentent donc une difficulté majeure à
intégrer un mode relationnel serein tant les rapports qu’ils entretiennent avec leurs objets
internes conditionnent leur rapport au monde. Ils présentent une véritable problématique de la
distance relationnelle en lien avec leurs failles narcissiques ; ils sont soumis aux angoisses
d’intrusion d’un côté et aux angoisses d’abandon de l’autre.
Des processus de modifications des identifications par le réaménagement des
investissements des objets internes pourraient constituer une voie de dégagement pour l’état
limite. Ainsi, dans les prises en charge psychothérapeutiques des patients présentant un
troubles de personnalité borderline/état-limite, le travail s’effectue autour du Self (ou du Soi)
en tant que représentation du noyau fragile. Il est nécessaire, pour le thérapeute, de soutenir la
fonction d’établissement de la continuité de soi et de se situer en deçà de l’interprétation. Pour
Kernberg, l’interprétation ne peut se faire que dans un second temps, lorsqu’une certaine
sécurité dans la relation au thérapeute a été établie. Les interprétations trop rapides dans le
transfert auraient valeur de nouvelles irruptions traumatiques hyper sexualisées pour des
patients en quête d’assise de Soi, avant d’être dans des possibilités d’intégration du Moi
25
(Kernberg, 1989). Les patients présentant un trouble borderline ont des difficultés à évaluer
leurs idées en termes de représentations de la réalité externe, ils sont dans l’obligation d’avoir
recours à la pensée concrète (Segal, 1964) et de s’appuyer sur une relation thérapeutique de
type anaclitique. Pour P. Fonagy (1995), ces patients présentent d’importantes difficultés de
représentations de leurs émotions et de celles des autres. Pour P. Fonagy, les difficultés de ces
patients seraient liées à leur manque de capacités de fonction autoréflexive et réflexive. Leur
manque d’empathie proviendrait d’un défaut d’intériorisation des émotions d’autrui qui serait
en lien avec le fait d’avoir manqué d’un miroir empathique maternel suffisamment bon
(Winnicott, 1971).
3. Les mécanismes de défenses des sujets
présentant un trouble de personnalité borderline
Les mécanismes de défense sont des stratégies inconscientes à visée adaptative et
homéostatique pour protéger le Moi du sujet contre les angoisses et/ou la souffrance
dépressive, en adéquation avec les situations rencontrées et en les utilisant avec souplesse.
Toutefois, lorsque ces mécanismes de défense persistent en dehors de la situation face à
laquelle ils ont été érigés, ils tendent à rigidifier la personnalité du sujet qui se retrouve en
quelque sorte prisonnière de ses propres mécanismes de défense. Chez les patients limites ou
borderline, les mécanismes de défense sont utilisés de façon rigide, sans qu’ils puissent
prendre en compte les modifications de l’environnement tant internes qu’externes. Ces
patients ont recours de manière prépondérante à des mécanismes de défense primaires
(clivage, idéalisation primitive, déni et identification projective) ce qui se traduit par des
comportements impulsifs.
J. Laplanche et J-B. Pontalis, dans leur Vocabulaire de la psychanalyse (1967, p. 67)
donnent du clivage la définition suivante, issue des travaux de M. Klein : « Mécanisme […]
considéré comme la défense la plus primitive contre l’angoisse : l’objet, visé par les pulsions
érotiques et destructrices est scindé en un « bon » et un « mauvais » objet qui auront alors
des destins relativement indépendants dans le jeu des objets partiels. Le clivage de l’objet est
particulièrement à l’œuvre dans la position paranoïde-schizoïde où il porte sur des objets
partiels. Il se retrouve dans la position dépressive où il porte alors sur l’objet total. Le
clivage des objets s’accompagne d’un clivage corrélatif du moi en « bon » moi et « mauvais »
moi, le moi étant pour l’école kleinienne essentiellement constitué par l’introjection des
objets. »
26
L’état-limite est dominé par le clivage et l’idéalisation primitive massive, qui
fonctionnent de manière complémentaire afin de pouvoir conserver et protéger les bons objets
qu’il a incorporés, au prix de l’introjection de mauvais objets destructeurs qui attaquent son
narcissisme et entravent la constitution d’un Moi intégré. « La fixation pathologique du
clivage permet de pallier l’angoisse inhérente à l’introjection du mauvais objet qui risquerait
d’affaiblir le Moi élaboré autour des introjections positives du bon objet. (Corcos, 2012, p
87) » Le clivage permet le maintien du sentiment de soi, du « self », et de la continuité
d’exister (Winnicott, 1958). « L’instabilité marquée et persistante de l’image ou de la notion
de soi » contraint le sujet à des sentiments chroniques de perplexité, de vide et à l’incapacité à
se percevoir comme un être complet intégrant bonnes et mauvaises parties de soi. Il est sans
cesse menacé d’effondrement, mais ne peut s’écrouler et n’arrive guère qu’à se maintenir.
L’idéalisation primitive fonctionne entre sentiment d’omnipotence et de dévalorisation pour
se dégager « sans souffrance » de l’objet lorsque celui-ci devient insatisfaisant.
Les effets du clivage se traduisent ainsi : « sous la crainte d’un effondrement, le sujet
dans certaines circonstances, s’absente de la situation, ne réagissant plus que par « personne
interposée », son faux self, s’absente à lui-même. Il faut voir dans la symptomatologie limite
une organisation défensive contre les effets d’un traumatisme primaire (primaire au sens de
qui affecte l’organisation des processus de symbolisation) et contre la menace qui perdure
quant à la stabilité de l’organisation psychique du fait de la compulsion de répétition.
(Corcos, 2012, p88) »
Les états-limites sont caractérisés par un Moi fragile et instable qui entraîne la mise en
place de leurs mécanismes de défense pour réagir contre les angoisses de séparation (de perte)
et/ou l’angoisse d’intrusion. Leur fonctionnement défensif serait lié aux troubles des
interrelations précoces et/ou du trauma, perçus comme étant à l’origine des troubles de
personnalité borderline dans l’ensemble de la littérature, comme nous le développons plus
loin. Ces mécanismes de défense maintiennent le sujet dans un équilibre précaire où le poids
des mouvements projectifs le met continuellement à risque de se confronter encore et toujours
à la confusion identitaire. Les mouvements fantasmatiques destructeurs refont surface,
véritables sources d’excitation de la pensée, sans réelle associativité qui permettrait au sujet
une possible élaboration psychique et la sédation des symptômes.
Un autre mécanisme de défense important chez le sujet borderline est l’identification
projective. J. Laplanche et J-B. Pontalis, dans leur Vocabulaire de la psychanalyse (1967, p.
192) en donnent la définition suivante éclairée par M. Klein : « mécanisme qui se traduit par
27
des fantasmes, où le sujet introduit sa propre personne (his self) en totalité ou en partie à
l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder, le contrôler. » La description initiale de
l’identification projective revient à M. Klein (1946). Ce mécanisme est corrélatif du clivage et
de la projection, donc de la phase schizo-paranoïde. L’identification projective devient
pathologique en fonction du degré d’altérité de l’objet et de l’utilisation qui en est faite. En
tant que mécanisme de défense, l’identification projective est alors excessive, pathologique,
négatrice de la nature de l’objet : sa visée est expulsive et est en lien avec le clivage (Chabert
et al., 1999). Elle se distingue ainsi de l’identification projective « qui établit l’investissement
de l’autre pour le constituer en objet, crée la relation, rend possible des identifications
introjectives laissant aux objets leur part d’altérité, enrichit le moi et détermine le
développement de rapports structurés et structurants entre le monde interne et le monde
externe, entre l’intérieur et l’extérieur, le dedans et le dehors, soi et l’autre, donc la
croissance psychique (Chabert et al., 1999). » La notion d’identification projective renvoie à
la nécessité de l’existence d’une zone d’indifférenciation entre deux êtres. Cette zone vient
mettre en lumière la confusion des sujets limites entre soi et l’autre, de même que leur perte
temporaire des limites. C’est elle qui sera aussi responsable de l’angoisse suscitée par le
rapprochement du sujet d’avec l’objet. Ainsi, l’identification projective compromet-elle la
relation qui s’établit entre deux sujets, en tentant d’abolir la séparation tout en créant un lien
sur un mode fusionnel et affectif primaire. C. Chabert et al. (1999) rappellent que cette notion
recoupe, en référence au clivage défensif de l’amour et de la haine, la notion freudienne
d’identification primaire comme première forme de relation d’objet. H. Segal (1964, p. 17,
citée par Chabert et al, 1999) en donne la définition suivante : « des parties du moi et des
objets internes sont détachées et projetées dans l’objet externe, lequel devient alors une
possession des parties projetées, qui le contrôlent et auquel elles s’identifient. »
E. Les origines du trouble de personnalité
borderline ou état-limite
1. L’importance des premiers liens
a)
La faillite de l’objet contenant
Les hypothèses étiopathogéniques sur le fonctionnement limite, qu’elles soient
d’orientation psychodynamique, attachementiste ou développementale ont toutes insisté sur
l’importance des expériences précoces du sujet, c’est-à-dire de ses interrelations précoces, de
28
ses rapports avec l’objet et de la qualité de leur lien. Toutefois, elles ont toutes souligné
l’impossibilité d’identifier un facteur causal unique. La fréquence des troubles psychiatriques
chez les parents de patients borderline constituerait un facteur de fragilisation de ces
interrelations précoces. Dans les études rétrospectives, les patients borderline parlent euxmêmes souvent du caractère imprévisible et fluctuant des relations avec leurs parents.
L’existence d’une pathologie mentale maternelle favoriserait des messages contradictoires à
l’égard de l’enfant, source de traumatisme émotionnel précoce. Les études rétrospectives sur
les antécédents de patients borderline font ainsi référence aux mouvements paradoxaux de
leurs parents, entre présence excessive voire intrusion, et carences affectives. Pour M. Corcos
(2011, p. 67), ces deux dimensions seraient toujours associées : « une défaillance de
l’investissement est vécue à terme comme une aliénation par l’absence et un investissement en
emprise altère l’échange tendre. » Dans ces deux cas, il souligne l’importance de la notion de
fiabilité de l’objet : « le fondement d’une structure psychique saine et stable est certainement
à rapporter à la fiabilité de la mère interne, mais cette capacité est elle-même soutenue par
l’individu. Il est vrai que les gens passent leur vie à porter le réverbère sur lequel ils
s’appuient, mais quelque part au commencement, il doit y avoir un réverbère qui tient tout
seul, sinon, il n’y a pas d’introjection de la fiabilité. (Corcos, 2011, p. 67, citant Winnicott,
1966) »
Tout ce que nous savons des expériences traumatiques, des changements sociaux et
familiaux sur les sujets états-limites-borderline, n’a évidemment pas le même impact sur tous
les sujets. De la même manière, tous les bébés ne réagissent pas de façon similaire à la
pathologie maternelle. Le psychisme et ses jeux d’identifications sont ainsi faits que des
enfants d’une même fratrie peuvent tout partager sauf la place que chacun occupe dans le
monde représentationnel de leurs propres parents (Golse, 2001). B. Golse cite les travaux de
D. Stern montrant que des jumeaux monozygotes peuvent en effet être confrontés, au sein des
processus d’accordage affectif, à des modalités de fonctionnement très différentes en raison
d’interactions fantasmatiques spécifiques et particulièrement distinctes pour chacun d’entre
eux (Stern, 1983a, b, 1985 in Golse 2001).
Les patients états-limites n’auraient pas bénéficié d’une mère « suffisamment bonne » qui
leur aurait permis de garder suffisamment longtemps ce sentiment d’omnipotence ou en
d’autres termes, ils auraient vécu une désillusion trop précoce. Celle-ci aurait perturbé le
processus de séparation/individuation chez l’enfant entravant son autonomisation et sa
subjectivisation. Le miroir maternel, selon les mots de Winnicott (1971), n’aurait pas joué son
29
rôle auprès de l’enfant, qui n’aurait donc pas pu se reconnaitre et se sentir reconnu au travers
du regard de sa mère.
L’évolution d’un adolescent, écrit M. Corcos (2011) est en grande partie conditionné par
la nature et la qualité de son développement durant l’enfance. « C’est dans cette période, dans
l’avant-monde prélinguistique, et dans les régions les plus obscures de l’enfance, que se
constituent pour l’infans les assises narcissiques, et avec elles le sentiment serein d’une
continuité dans la filiation, terreau indispensable au développement potentiel d’une confiance
en soi puis d’une estime personnelle (Corcos, 2012, p. 68).» Il conçoit avec d’autres que « les
conduites agies des adolescents limites stigmatisent un dysfonctionnement dans le processus
de séparation ; autonomie-subjectivation d’avec les objets primaires et de construction
corporelle et psychique de l’identité à l’adolescence, processus dans la continuité des lignes
de forces de ceux qui se sont joués lors des deux premières années de la vie ».
Ainsi, l’environnement familial au sein duquel s’est développé le sujet limite est presque
constamment caractérisé par des problématiques d’attachement et des états dépressifs.
L’ambivalence de cet environnement familial à l’égard de l’enfant est souvent soulignée et
constitue un facteur de stress pour ce dernier, soumis à l’alternance de mouvements
contradictoires de collages et de rejets.
Masterson (1975), qui a essentiellement pris en charge des patients adolescents borderline
et leurs mères, a conclu que ces dernières auraient été dans l’incapacité de permettre le bon
déroulement de la phase de séparation-individuation (entre 15 et 22 mois) pour leur enfant.
Pour lui, la mère de ces patients borderline est comblée par les premiers moments fusionnels
avec le nourrisson mais serait particulièrement en difficulté lorsque le bébé grandit et cherche
à se séparer plus activement d’elle. Il évoque un fonctionnement maternel qui, au sein des
interactions, favorise la régression chez l’enfant et se retire libidinalement lorsque celui-ci lui
signifie, dans son comportement, qu’il cherche aussi à se séparer d’elle. L’enfant, face à cette
incapacité maternelle, est pris dans un conflit entre son désir d’autonomie et d’exploration de
l’environnement et la crainte du retrait affectif maternel face à son éloignement ou à ses
tentatives de sollicitation. Devant ce retrait, il est laissé dans un sentiment d’abandon et
submergé par une excitation intense qui se transformerait en avidité du fait du retour sur soi
de l’investissement pulsionnel et affectif non accordé par l’objet (Corcos, 2011). L’enfant
construirait alors une défense narcissique dans un rejet actif de renouer des liens plus sereins
avec la mère, et un cercle vicieux s’installerait alors au sein de la relation mère-enfant. « Au
retard de l’objet répond un coup d’avance défensif de l’enfant. C’est cet « encouragement » à
30
la régression narcissique qui serait à l’origine du retrait des investissements libidinaux pour
l’enfant. » (Corcos, 2011, p. 70). Pour Masterson, le patient borderline est dans l’incapacité de
se résoudre à la réalité de la séparation d’avec sa mère et se réfugie dans des défenses de type
narcissique, marquant l’instabilité des fondements de sa construction psychique liée à la
crainte de perdre l’objet. En effet, la nécessaire illusion du bébé de pouvoir garder la mère
tient aussi à sa capacité à supporter de la perdre. Le bébé, dans sa créativité, au sens de
Winnicott, instaure « un gradient de différenciation » entre sa mère et lui (Golse, 1999),
notamment par le biais des objets transitionnels. Cet important travail de différenciation entre
le sujet et l’objet ne se fait pas que dans un sens, il n’est pas seulement l’œuvre du bébé qui
peut lui aussi être en difficulté dans ce processus. La mère doit faire vivre à ce dernier une
alternance de rapprochements et de distanciations adéquate grâce à sa « préoccupation
maternelle primaire suffisamment bonne (Winnicott, 1956)». Or, c’est justement ce qui
semble avoir fait défaut chez les mères des patients présentant un trouble de personnalité
borderline.
Les travaux de Masterson semblent aussi faire écho à la lecture de B. Golse (1999) sur le
concept « d’objet malléable » de Milner (1990) qui éclaire notre réflexion sur la séparabilité
de l’objet. Ce concept a, par ailleurs, soutenu plusieurs de nos pistes de réflexion théoriques.
Les mères des patients borderline auraient été en difficulté pour être cet objet malléable à
l’égard de leur bébé, entravant le processus de séparation-individuation. La notion d’objet
malléable rend compte de la facilitation de l’objet pour que « le sujet [puisse] graduellement
se dégager de l’objet en y imprimant et en y contemplant de manière transitoire sa marque en
négatif, véritable image spéculaire en creux avec une double connotation de trace et de
vestige. (Golse, 1999, p. 283)» Chez les mères des patients borderline, les capacités ou
fonctions de l’objet malléable auraient fait défaut. Cet objet malléable :
- participe au système de pare excitation (Golse, 1999)
- est un objet sur lequel le sujet peut laisser son empreinte en négatif et avant de le lâcher,
avoir l’illusion d’une fusion totale avec lui. L’objet a ensuite la capacité de reprendre sa forme
initiale, et n’est donc pas abîmé par les « attaques du sujet ». L’enfant peut donc y porter sa
marque éphémère sans avoir à se faire de souci dépressif pour l’objet, sans craindre de l’avoir
endommagé, sans craindre ses rétorsions (Golse, 1999).
31
- ne confronte pas l’enfant à la question de la réciprocité et lui évite les angoisses d’une
possible rétorsion face à son agressivité. L’enfant borderline lui, serait confronté à l’angoisse
d’avoir endommagé l’objet.
Ces caractéristiques auraient pour effet de permettre le processus de différenciation mais
aussi de séparation-individuation. L’objet malléable atténuerait donc les angoisses de
séparation et de différenciation pour le bébé (le sujet), en même temps que ce dernier mettrait
en place différentes défenses pour lutter contre ces mêmes angoisses.
Ce concept d’objet malléable, nous rappelle B. Golse (1999), peut en effet être entendu
en termes d’objet partiel (le sein) ou d’objet total (la mère). Il serait l’équivalent de la « mère
suffisamment bonne » qui sait s’offrir à l’enfant comme séparable et comme malléable afin de
l’aider […] à établir progressivement l’écart interpersonnel et intersubjectif qui lui est
nécessaire pour devenir une personne (Golse, 1999, p.28).»
b)
Les origines développementales du trouble de
personnalité borderline dans les interactions précoces
d’attachement : le travail de P. Fonagy
(1)
Le développement de la capacité de mentalisation
La capacité de mentalisation se développe lorsque le caregiver permet au bébé de penser
ses propres pensées et celles des autres. Elle permet au sujet d’avoir des capacités de fonction
réflexive et autoréflexive qui font précisément défaut aux patients borderline. Le
développement des capacités de mentalisation se fait en lien étroit avec la qualité des relations
d’attachement parents-bébé, ou mère-bébé en particulier, dont dépend la capacité du bébé à se
forger une représentation de son « self en tant qu’agent » que l’on appelle agentivité.
L’agentivité s’établit au travers de différentes étapes : il existe 5 niveaux d’agentivité du self
qui se complexifient au cours du développement de l’enfant (Gergely, 2001 ; Fonagy et al.,
2002) :
- Le niveau physique : à ce stade là, le bébé comprend qu’il possède une énergie à
l’origine de ses propres mouvements et que ces derniers ont des conséquences directes sur les
corps avec lesquels il est en contact immédiat (Fonagy et al., 2003, d’après Leslie, 1994).
- Le niveau social (ou relationnel) : autour de 3 mois, le bébé acquiert la conscience de
l’impact de ses comportements sur les comportements et les émotions de ses partenaires
(Rochat et Morgan, 1995).
32
- Le niveau téléologique : le bébé a alors la capacité de choisir le moyen le plus efficace
pour parvenir à un but. Ce stade apparaît entre 8 et 9 mois et se limite à la dimension
physique. Les bébés n’ont pas encore l’idée que leurs actions vont avoir une conséquence
chez l’autre.
- Le niveau intentionnel : le bébé comprend, à ce stade qui apparaît durant la 2ème année
de vie, qu’il est un agent intentionnel dont les actions sont causées par des états d’esprit tels
que des désirs (Fonagy et al., 2003, d’après Wellman et Phillips, 2000).
- Le niveau représentationnel : entre 3 et 4 ans, l’enfant peut se représenter comme étant
habité par des désirs ou des croyances, c’est-à-dire des états mentaux intentionnels qui
peuvent être différents de ceux d’une autre personne (Fonagy et al., 2003, d’après Wellman,
1990 et Perner, 1991).
Ces deux derniers niveaux marquent l’avènement de la capacité de mentalisation chez
l’enfant, qui trouve également ses racines dans la qualité du miroir maternel. En effet, en
l’absence d’éléments psychopathologique, la mère est capable de répondre aux états
émotionnels de son bébé (Tronick, 1989). En lui renvoyant ses émotions de façon adéquate,
en se faisant le miroir de son expérience subjective, elle lui permet de différencier
progressivement ses sensations physiques et viscérales liées aux émotions et joue donc un rôle
clef dans la régulation émotionnelle de ce dernier (Stern, 1985 ; Papousek et Papousek, 1987 ;
Gergely et Watson, 1996). L’intériorisation par le bébé de la réponse maternelle en miroir,
notamment face à ses états de détresse, lui permet de se représenter son propre état interne
dans ce que Fonagy et al. (2003) nomment une représentation secondaire de son propre état
émotionnel. Ce miroir maternel agit donc comme un organisateur d’un état du Soi du bébé.
Par conséquent, on comprend pourquoi ce miroir maternel permet d’aider le bébé à réguler ses
propres émotions ainsi que de développer ses premiers niveaux d’agentivité. Il participe à la
construction du sens de soi du bébé mais également à la qualité du lien d’attachement entre lui
et la mère, par le biais de la régulation émotionnelle.
Toutefois, comme nous le développerons plus loin, ce miroir maternel doit être
suffisamment contingent (en adéquation) par rapport aux expériences et aux émotions du
bébé. S’il manque de contingence et de congruence, le bébé est dans l’incapacité de
s’attribuer son propre vécu émotionnel et le miroir maternel ne joue pas son rôle de régulation
émotionnelle. Le bébé peut alors attribuer ses propres émotions négatives à la mère. Dans ce
cas là, au lieu d’être régulée, la détresse du bébé ou ce que d’autres nomment « l’éveil de la
33
peur » sera augmentée. C’est parce que la mère, de façon contingente, réfléchit les émotions
du bébé avec un certain décalage se traduisant par le recours au « motherese » (adaptation du
ton de sa voix) ou par le fait de parler de façon appuyée (Gergely et Watson, 1996 ; Fonagy et
al., 2003), que le bébé peut s’attribuer ses propres émotions et vécus.
Ainsi le bébé peut passer d’un début de conscience de ses états internes à ce que Fonagy
et al. (2003) nomment un état de « conscience fonctionnelle » où il serait capable d’être
« agent des états mentaux de l’autre ». Peu à peu, il est capable de mettre en lien le contrôle
qu’il peut avoir sur le miroir parental avec l’effet positif de changement dans son propre état
affectif et donc faire l’expérience de soi en tant qu’agent d’auto-régulation (Gergely et
Watson, 1996, 1999, cités par Fonagy et al., 2003). « La mise en place des représentations
d’émotions de second ordre constitue la base de la régulation émotionnelle et affective et du
contrôle de l’impulsivité ; elle apporte à l’enfant la pierre angulaire nécessaire au
développement ultérieur de la capacité de mentalisation (Fonagy et al. 2003). » Pour P.
Fonagy et M. Target (1996) et M. Target et P. Fonagy (1996), la conscience précoce des états
mentaux s’établit selon deux modes « l’équivalence psychique » et le « faire semblant ». Le
premier, « l’équivalence psychique », renvoie au mode d’équation symbolique (Segal, 1964)
pour lequel il existe une équivalence entre le monde interne et le monde externe. Ainsi, dans
ce mode d’équation symbolique, l’expérience interne peut être vécue comme particulièrement
douloureuse lorsque les fantasmes projetés à l’extérieur semblent être réels. Il s’agit ensuite,
pour l’enfant, de faire l’expérience qu’une pensée ne peut être qu’une pensée et ne pas
toujours correspondre à une réalité externe. Cette expérience, pour P. Fonagy et al. (2003)
peut se développer au sein de ce qu’ils nomment le mode « du faire semblant » au sein duquel
les états d’esprit de l’enfant sont perçus par ce dernier comme n’ayant aucune implication sur
le monde extérieur. L’enfant doit donc être en mesure d’intégrer ces deux modes de
fonctionnement pour développer ce que P. Fonagy nomme la capacité de mentalisation, ou le
mode réflexif, au sein duquel les pensées et les ressentis peuvent être vécus en tant que
représentations. Par cette capacité de mentalisation, l’enfant peut faire l’expérience d’un lien
entre sa propre réalité interne et ce qu’il se passe au sein de son environnement, sans toutefois
que ces deux réalités ne soient ni équivalentes ni totalement dissociées. P. Fonagy explique
que ces deux modes de fonctionnement s’intègrent peu à peu au sein des relations mère-enfant
dans ce que Winnicott (1971) appelle « l’espace transitionnel ». « La capacité de
mentalisation renvoie à la capacité de penser les états d’esprit comme étant séparés des
actions mais pouvant potentiellement en être à l’origine (Fonagy et al., 2003. » Selon P.
34
Fonagy (1991, 1999), la capacité de mentalisation constituerait une tâche développementale
fortement facilitée par un attachement sécure et non pas seulement liée à « l’acquisition de la
position intentionnelle », telle que Dennett l’avait décrite (1987) (d’après Fonagy et al., 2003).
En replaçant le développement de cette capacité au sein de relations d’attachement
suffisamment sécures, P. Fonagy se trouve par conséquent en opposition avec le point de vue
développemental et cognitiviste « de la théorie de l’esprit » (Baron-Cohen, Tager-Flusberg et
Cohen, 1993, 2000 d’après Fonagy et al., 2003). Pour ces derniers, tous les jeunes enfants
sont capables d’attribuer des états mentaux intentionnels aux autres (tels que des buts, des
émotions, des désirs ou des croyances) comme étant à l’origine de leurs actions, quelles que
soient les relations d’attachement dans lesquelles ils se développent. Ainsi, P. Fonagy donne
un rôle central au partage émotionnel au sein des relations d’attachement parents-enfants dans
le développement de cette capacité de mentalisation.
Fonagy et al. (1991) ont nommé fonction réflexive cette capacité de mise en place d’une
stratégie interprétative ; elle constitue la capacité d’interpréter ses propres comportements et
ceux des autres comme étant sous-tendus par des états mentaux. Elle est liée au
développement de « la fonction interprétative interpersonnelle (Fonagy et al., 1991) ».
P. Fonagy, se basant sur les travaux de Schore (2001a, 2001b) a également souligné le
rôle de la sécurité d’attachement dans la capacité de mentalisation d’un point de vue
neurobiologique. Les structures cérébrales impliquées dans le processus de mentalisation chez
l’enfant se développeraient idéalement au sein de relations d’attachement sécures ; celles-ci
seraient directement impliquées dans la maturation des systèmes de régulation du stress situés
dans l’hémisphère droit (Schore, 2001a ,2001b). Ces systèmes sont impliqués dans la capacité
de régulation des émotions au sein des relations interpersonnelles. Par conséquent, des
relations d’attachement de mauvaise qualité pourraient mettre à mal le développement des
structures corticales nécessaires à la régulation affective, structures qui par ailleurs sont
essentielles à l’activité de mentalisation (Fonagy et al., 2003 ; Schore, 2001).
(2)
Echec de la mise en place de la capacité de mentalisation chez
les sujets borderline
Le trouble de personnalité borderline pourrait trouver ses origines dans des déviations au
cours du développement de l’agentivité, c’est-à-dire, au moment de la phase intentionnelle
(Fonagy et al., 2003). Par exemple, les comportements violents présents chez certains sujets
borderline pourraient s’expliquer par leur défaut de capacité de mentalisation. Ces auteurs
35
font l’hypothèse que ce défaut serait lié à des déficits d’ordre biologique ou à des expériences
relationnelles négatives. « L’impact des relations négatives précoces sur les relations
d’attachement serait susceptible d’amener le sujet à interrompre délibérément le processus
de mentalisation dans le but d’éviter de se confronter au traumatisme que représenterait le
fait d’imaginer l’intention malveillante des autres (Fonagy et al., 2003, p. 421). » Ils insistent
ici sur l’aspect défensif de cette incapacité à mentaliser, liée à la réémergence du mode de
fonctionnement téléologique. Pour P. Fonagy et al. (2003), le trouble de personnalité
borderline peut s’appréhender en tant que perturbation, voire absence de la capacité de
régulation du stress, du contrôle intentionnel et de la mentalisation, qui s’acquièrent dans le
contexte des relations d’attachement. Cela laisserait les sujets présentant un trouble de
personnalité borderline particulièrement vulnérables face à un événement traumatique. Les
sujets borderline auraient été soumis à l’impact d’un environnement insécure voire
désorganisé.
Conjointement à cette absence de mentalisation, la persistance du mode de « faire
semblant » serait liée au phénomène de dissociation (terme anglophone qui recouvre celui de
clivage). Le mode de fonctionnement en « faire semblant », pour lequel le fantasme est coupé
de la réalité du monde environnant, est étendu de telle sorte que rien n’a d’implication
(Fonagy et Target, 2000). Les sujets borderline seraient dans une recherche compulsive de
sens qui apparaîtrait alors comme une réaction face au sentiment de vide chronique que ce
mode de fonctionnement génère. La capacité de fonction réflexive se trouverait détournée
vers un mode de fonctionnement en « faire semblant » dans lequel les événements
psychologiques, de même que les relations, sont idéalisées mais vidées de leur épaisseur
émotionnelle (Fonagy et al., 2003).
Lorsque qu’ils ont été victimes de négligences ou de maltraitances physiques et/ou aussi
psychologiques, les sujets présentant un trouble de personnalité borderline font preuve d’un
défaut de capacité à se représenter les états mentaux (reconnaître que leurs propres actions et
celles des autres sont guidées par des pensées, des désirs…etc.). Ce manque de fonction
réflexive serait lié, chez leur caregiver, au défaut de capacité à penser ses propres pensées et
celles du bébé. Ce dernier serait laissé dans l’impossibilité d’intégrer les deux modes de
fonctionnement primitifs de perception du monde interne (Fonagy et al., 2003). « L’échec de
la capacité de mentalisation, d’un point de vue psychique, serait comparable à une déficience
auto-immune laissant l’individu extrêmement vulnérable à des environnements relationnels
maltraitants. (Fonagy et al., 2003) » Dans cette appréhension, en dernier ressort, le recours à
36
la violence, en tant que symptôme potentiel de ce trouble de personnalité, pourrait être
appréhendé comme une forme d’auto-défense face aux humiliations dont ils ont été victimes
et qui auraient littéralement la capacité de détruire le Soi.
Les sujets borderline n’auraient pas bénéficié d’un miroir maternel adéquat, comme nous
l’avons vu, puisqu’il aurait été entravé par des difficultés émotionnelles et/ou des éléments
psychopathologiques maternels. Ayant ces difficultés, les mères se seraient trouvées
débordées par les expressions d’affects négatifs de leur bébé, à qui ses propres émotions
seraient alors renvoyées de façon trop réaliste, de sorte qu’il pourrait risquer de les attribuer à
la mère. Non seulement le bébé attribuerait cette émotion à sa mère (et pourrait alors penser
en être l’auteur) mais en plus, il ne pourrait faire l’expérience de se sentir l’agent de cette
émotion. Par conséquent, « la représentation secondaire de cet état émotionnel primaire du
bébé ne peut être établie et est responsable d’un déficit au niveau de la perception et du
contrôle des affects (Fonagy et al., 2003) ». Pour les auteurs, ce défaut de régulation
émotionnelle, lié à la déficience du miroir maternel, expliquerait, d’un point de vue clinique,
le recours au mécanisme de défense de l’identification projective chez les sujets borderline.
Le recours aux actes violents de certains de ces sujets pourrait également s’expliquer par leur
hypersensibilité aux réactions émotionnelles d’autrui et par leur mode de fonctionnement
psychique caractérisé, d’une part, par la pauvreté de la régulation des affects et d’autre part,
par l’utilisation du mode d’équation symbolique (Segal, 1964). Ils seraient en effet focalisés
sur la réalité physique plutôt que psychique. Cette persistance du mode d’équivalence
psychique serait à l’origine du recours à l’agir dans leurs relations interpersonnelles ou contre
leur propre corps : il rendrait compte d’un besoin de faire l’expérience de soi au travers de
l’action, face à leur difficulté à établir un sens de soi interne, en tant qu’entité psychologique.
De même, si le miroir de la mère n’est pas contingent avec le vécu du bébé, ce dernier
pourrait avoir tendance à développer une structure en « faux-self » dans laquelle les
représentations des états internes ne correspondraient à rien de réel (Fonagy et al, 2003).
Le manque d’un sens stable d’un soi agentif représentationnel semble donc vraiment
central dans le trouble de personnalité borderline. La capacité de représentation symbolique
de ses propres états mentaux est un pré-requis du sens de l’identité de soi (Fonagy et al.,
2003). L’absence ou la faiblesse d’un soi agentif représentationnel laisse le sujet sans capacité
de mentalisation avec une compréhension inadéquate de sa propre subjectivité et des relations
interpersonnelles. Ainsi, certains affects restent-ils sans possibilité d’être nommés, sources de
confusion, et par conséquent difficiles à réguler. Enfin, la capacité de contrôle attentionnel
37
permettant au sujet de modérer son impulsivité est également mise à défaut chez les sujets
borderline.
Par ailleurs, pour Fonagy et Target (1997), l’attachement insécure et plus
particulièrement l’attachement désorganisé chez l’enfant seraient liés aux faibles capacités de
fonction réflexive parentales. L’attachement désorganisé serait un indicateur d’une
organisation du soi inadéquate. Certaines parties de ce soi seraient perçues comme un
« étranger » (alien) ou comme n’appartenant pas réellement au soi (Fonagy et al., 2003). Ces
auteurs en concluent que l’impact de l’attachement désorganisé sur le soi agentif pourrait être
l’élément le plus crucial pour comprendre le trouble de personnalité borderline.
Au sein des interactions précoces, l’impossibilité pour le bébé de rencontrer un autre
capable de réponses contingentes en lien avec ses propres états internes, serait à l’origine d’un
dysfonctionnement des processus intersubjectifs entrainant l’échec de la mise place d’un soi
agentif représentationnel. Cette distorsion des processus intersubjectifs liés aux reflets non
contingents de l’objet laisse le bébé dans une quête de sens. Ce manque de fonction réflexive
maternelle lui fait vivre une expérience d’étrangeté dans le soi (Fonagy et al., 2003; Fonagy et
Target, 2000). Winnicott (1967) soulignait déjà qu’un miroir non adapté pouvait conduire le
bébé à intérioriser (introjecter) les représentations de l’état du parent plutôt que sa propre
expérience. Chez l’enfant négligé, voire maltraité, les affects et les états mentaux ne renvoient
pas à une expérience interne mais plutôt à ceux de l’autre, de sorte que le soi agentif
représentationnel ne se forme pas de façon adaptée (Fonagy et al., 2003). Winnicott (1967)
disait que le bébé, au lieu de se trouver dans l’esprit de la mère, y trouvait la mère. Ce soi
étranger est toutefois ressenti comme faisant partie du soi, et vient par conséquent mettre à
mal sa propre cohérence et son identité qui ne peut être restaurée que par d’intenses
projections. D’un point de vue clinique, ces projections ne sont pas motivées par la culpabilité
mais par le besoin de rétablir une continuité de l’expérience de soi (la continuité d’être de
Winnicott). En revanche, lorsque tout va bien, les représentations de soi sont intégrées au sein
d’un soi cohérent grâce à la capacité de mentalisation. C’est ce self agentif représentationnel
qui crée l’illusion d’une cohérence au sein des représentations que nous avons de nousmêmes, bien qu’il existe toujours nécessairement une expérience d’un soi étranger plus ou
moins importante.
Les études anglophones sur l’attachement désorganisé chez l’enfant mettent en lumière
une évolution vers des comportements contrôlants à l’égard de la figure d’attachement
(Lyons-Ruth, 2005 ; O’connor et al., 2011) qui constitueraient une réorganisation défensive
38
de leurs comportements d’attachement. Les processus normaux d’attribution de l’agentivité
par le soi autobiographique et agentif représentationnel permettent, d’un point de vue
préconscient, une cohérence du sens de soi et apportent une signification psychologique aux
actions du sujet (Fonagy et al., 2003). Le recours aux comportements contrôlants aurait pour
but de restaurer une certaine cohérence de soi, face au manque de capacité de mentalisation.
Cela permettrait aux aspects étrangers du soi d’être projetés sur la figure d’attachement. Ces
identifications projectives auraient une valeur défensive pour le soi et serviraient à protéger de
l’expérience d’incongruence ou d’incohérence, source d’angoisse (Fonagy et al., 2003,
reprenant les écrits de Kernberg, 1989). Face à l’incapacité du sujet à contenir un soi mal
structuré, la figure d’attachement est utilisée pour évacuer les représentations internes
insoutenables du soi. Le caregiver, répondant par des attitudes punitives ou de colère, est dans
l’incapacité de rétablir chez l’enfant des capacités de mentalisation parce que celui-ci a perdu
le contact avec son monde interne (Fonagy et al., 2003). Cette prédisposition à l’utilisation
des identifications projectives symptomatiques de perturbations psychologiques sévères
s’observe notamment chez les sujets borderline.
(3)
L’échec des capacités de mentalisation : une vulnérabilité face
aux événements traumatiques
De façon générale, le traumatisme entraîne une perte temporaire des capacités de
mentalisation. Les effets désorganisateurs du trauma sur l’attention et la régulation du stress
sont désormais bien connus et décrits. Toutefois, les capacités de mentalisation sont
normalement peu à peu restaurées par le biais des relations interpersonnelles. Pour Fonagy et
al. (2003), le système d’attachement serait justement activé par le trauma dans le but de
recréer cette proximité mentale avec autrui dont dépend le recouvrement des capacités de
fonction réflexive. Ces capacités permettent une certaine mise à distance de l’événement pour
en atténuer les effets douloureux. La perte de ces dernières peut être liée à différents modes de
fonctionnement (Fonagy et al., 2003):
- une faible organisation des états du soi qui conduit à l’effondrement du sentiment
d’identité,
- la réémergence de modes primitifs de représentations de l’expérience (le soi agentif) tels
que le raisonnement téléologique, le mode du faire semblant (dissociation), et l’équivalence
psychique,
39
- la réémergence des discontinuités dans l’expérience du soi (self) avec la disparition des
processus narratifs de mentalisation qui sous-tendent normalement l’illusion de la cohérence
et de la continuité du soi.
Des arguments neurobiologiques montrent comment le trauma peut compromettre le
développement des structures cérébrales qui sous-tendent les processus de mentalisation.
Schore (2001) a montré que des relations d’attachement sécures étaient nécessaires au
développement normal du cortex préfrontal pour permettre la régulation émotionnelle. Par
conséquent, la maltraitance précoce liée au développement de l’attachement désorganisé chez
l’enfant (Hesse et Main, 2000) pourrait mettre à mal le développement des structures
corticales qui sont les clés du processus de mentalisation (Fonagy et al., 2003). Les flashbacks
post-traumatiques seraient en lien avec des altérations du fonctionnement cérébral
correspondant également à un processus de mentalisation défaillant (Fonagy et al., 2003). Des
auteurs ont montré le lien entre un facteur de stress extrême et la perturbation de la régulation
de l’éveil, ce qui irait dans le sens des perturbations liées au trauma. Des antécédents
traumatiques précoces pourraient avoir lésé de façon permanente l’équilibre dynamique dans
la régulation de l’éveil, altérant le seuil au-delà duquel il se produit normalement un relai des
structures préfrontales par les structures corticales impliquées dans les comportements
automatiques (Fonagy et al., 2003, d’après Mayes, 2000). Aussi, les sujets ayant vécu de
telles expériences pourraient-ils faire preuve d’un fonctionnement préfrontal défaillant face à
des facteurs de stress, mettant à mal la flexibilité des représentations mentales et les capacités
de gestion du stress. Ces données rejoignent les résultats des études en neuro-imagerie sur les
personnes présentant un syndrome de stress post-traumatique. Pour Fonagy et al. (2003), il
existe donc une synergie entre les mécanismes de défense psychologiques, le développement
neurobiologique et le changement radical dans l’activité cérébrale caractéristique des états
post-traumatiques, de telle sorte que le processus de mentalisation est compromis. Après un
tel évènement traumatique, l’individu fonctionne sur le mode de l’équivalence psychique,
dans l’incapacité de former des représentations alternatives de la situation (c’est-à-dire un
fonctionnement en représentations primaires plutôt que secondaires) sans capacité de métareprésentations, ou sur le mode du faire semblant, avec un état dissociatif (Fonagy et al.,
2003).
Les traumas liés aux liens d’attachement ou aux négligences d’ordre psychologique font
souvent partie de l’histoire des patients présentant un trouble de personnalité borderline
(Cohen et al., 2001 ; Sansone et al., 2002 cité par Fonagy et al., 2003). Toutefois, comme
40
nous l’avons vu l’antécédent de trauma lié aux expériences relationnelles ne serait ni
nécessaire ni suffisant. L’incapacité à dépasser cet événement traumatique ou la persistance
du trauma seraient liées au fait d’avoir vécu cet événement sans capacité de mentalisation.
Sans cette dernière, l’expérience traumatique serait donc ressentie tel un équivalent de la
destruction du soi (Self) ; c’est la cohérence de la représentation du soi qui se trouverait ici
menacée (Fonagy et al., 2003). Par conséquent, chez les borderline, le trauma constituerait un
effondrement complet, qui entraînerait la perte de la conscience du lien entre la réalité interne
et la réalité externe (Fonagy et Target, 2000). A ce moment-là, des modes primitifs
d’appréhension de la réalité psychique referaient surface. Le fonctionnement en « équivalence
psychique » conduirait ainsi les individus traumatisés à avoir peur de leurs propres pensées.
Ces derniers pourraient également présenter un mode de fonctionnement en « faire semblant »
avec l’émergence de la dissociation ou encore alterner entre ces deux modes d’appréhension
de la réalité interne (Fonagy et al., 2003). Dans le mode téléologique de fonctionnement, le
sujet ne peut faire de lien entre les différentes intentions de soi et d’autrui. Ils sont dans
l’incapacité d’appréhender les conséquences de leurs actions, ce qui expliquerait leurs conflits
interpersonnels et leur impulsivité. De plus, le vécu d’humiliation et le sentiment de honte se
rattachant aux expériences traumatiques pourraient être tellement intenses que le fait même de
penser pourrait devenir insoutenable (Fonagy et al., 2003). Par ailleurs, chez les sujets
borderline, le trauma pourrait intensifier le sentiment d’incohérence du soi (self). Pour lutter
contre cette incohérence du soi, le sujet serait contraint d’avoir recours à la projection des
parties étrangères du soi sur autrui. L’extérieur deviendrait alors terrifiant en raison de la
projection des parties persécutrices. Ceci expliquerait les actes auto et hétéro-agressifs de
certains de ces patients. Ils constitueraient une tentative extrême pour retrouver une capacité
de mentalisation rudimentaire dans une attitude désespérée pour protéger un soi fragile contre
les attaques de la honte (Fonagy et al., 2003).
Les travaux de P. Fonagy nous conduisent à ceux d’autres auteurs qui ont émis
l’hypothèse selon laquelle le trouble de personnalité borderline serait un trouble de
l’attachement.
2. Le trouble de personnalité borderline : un trouble
de l’attachement ?
De nombreuses études ont montré la forte prévalence du type d’attachement insécure
chez les adultes présentant un TPB (90%) (Agrawal et al., 2004). Les résultats de ces études
41
montrent que les patients borderline obtiennent à l’AAI5 des types de représentations
d’attachement caractérisés de « Préoccupé » (60-100%) ou de « Non résolu » (50-88%)
(Gunderson & Lyons-Ruth, 2008). Le type d’attachement « Préoccupé » chez l’adulte est lié à
des préoccupations en lien avec ses représentations d’attachement qui peuvent être empreintes
soit de colère soit de passivité au sein des récits à l’AAI. Les sujets borderline présentent,
dans cette catégorie, des états d’esprit confus, effrayés et le plus souvent débordés par leurs
affects (Patrick et al., 1994). Ils donnent une image négative de soi accompagnée d’images
positives des autres. Le type « Non résolu » ou « effrayé » est lié à des erreurs dans le
raisonnement au cours du récit de l’AAI ou dans la structure même de la narration lorsque les
sujets rendent compte de pertes ou d’expériences traumatiques du passé. Leur récit est émaillé
d’images négatives de soi qui s’accompagnent d’attentes négatives vis-à-vis des autres. Le
type d’attachement « Non résolu » chez les sujets présentant un TPB est fortement lié aux
antécédents de trauma dont ils n’auraient pas fait le deuil.
Plus récemment, Lyons-Ruth et al. (2005) ont identifié, au sein de leurs récits
d’attachement, une prévalence d’états d’esprits « hostile et/ou impuissant » qui semblent
caractéristiques du TPB (Lyons-Ruth et al., 2007). Leurs résultats suggèrent que des
représentations de figures d’attachement hostiles, douteuses ou encore baissant les bras face à
leur rôle parental, seraient en accord avec les symptômes du TPB ainsi qu’avec les
descriptions psychopathologiques de Hobson et al. (1998). D’autres auteurs ont rapproché les
caractéristiques de l’attachement ambivalent ou préoccupé de la symptomatologie du trouble
de personnalité borderline, notamment celle de l’intolérance et de l’incapacité à être seul
(Gunderson, 1996). S’il ne fait aucun doute que les individus présentant un trouble de
personnalité borderline ont un type d’attachement insécure (voire désorganisé), Fonagy et al.
(2003) insistent sur le fait qu’il ne suffit pas de se baser sur les descriptions de l’attachement
insécure dans la prime enfance ou encore à l’âge adulte pour décrire de façon adéquate et
clinique le trouble de personnalité borderline. Par conséquent, pour appréhender le lien entre
l’environnement d’attachement précoce et la manifestation ultérieure des symptômes du
trouble de personnalité borderline, il faut tenir compte de la façon dont le sujet a fait
l’expérience de cet environnement, celle-ci étant tributaire de facteurs développementaux.
Depuis plusieurs années, de nombreux auteurs ont mis en lumière les relations existant
entre les troubles précoces de l’attachement et le développement ultérieur d’un TPB (Agrawal
5
George, C., Kaplan, N., & Main, M. (1996). Adult Attachment Interview. Unpublished protocol. Department of
Psychology, University of California, Berkeley.
42
et al., 2004 ; Lyons-Ruth, 2005). J. Holmes (2003) s’est intéressé aux relations d’attachement
désorganisé qu’il a mis en lien avec des troubles de la capacité d’un partage intersubjectif de
sens et des troubles de l’identité chez les patients borderline. L’attachement désorganisé a été
décrit pour la première fois par Main et Solomon (1986). Ce type d’attachement traduit chez
l’enfant un dilemme insoluble entre approche et évitement face à sa figure d’attachement.
Cette dernière serait perçue comme une menace pour l’enfant parce qu’elle aurait elle-même
un attachement désorganisé lié à des événements traumatiques non métabolisés de sa propre
enfance. Elle serait alors parfois effrayante pour l’enfant ou parfois effrayée face aux besoins
d’attachement de ce dernier. L’enfant ne pourrait donc pas être rassuré par sa figure
d’attachement, celle-ci ne lui permettant pas de réguler ses émotions négatives. Plus
récemment, Lyons-Ruth (2005) a suggéré que l’absence de régulation émotionnelle par la
figure d’attachement pouvait aussi être un facteur de développement d’un attachement
désorganisé chez l’enfant.
On peut donc modéliser les symptômes borderline comme étant des problématiques liées
à l’attachement, à savoir des difficultés autour de l’axe du besoin d’exploration (s’éloigner
des autres) et du besoin de proximité d’avec les autres (dépendance, relations anaclitiques et
angoisse de l’abandon réel ou fantasmatique). Il existe chez ces patients, un dilemme
semblable à celui de l’enfant désorganisé qui a besoin de se rapprocher de sa figure
d’attachement lorsqu’il se sent en détresse, mais qui ne le peut pas tant cette dernière
constitue aussi la source de sa détresse. P. Fonagy (2003) et J. Holmes (2004) conçoivent
d’ailleurs le trouble de personnalité borderline comme un trouble de l’attachement de type
désorganisé. Holmes a exploré les liens entre l’attachement désorganisé et le diagnostic de
trouble de personnalité borderline sous l’angle de ce dilemme entre approche et évitement.
Ces patients manifestent ce paradoxe au sein de leurs relations interpersonnelles perturbées,
de même qu’au sein des relations de transfert avec leurs thérapeutes. Au sein des débats
actuels dans le champ de l’attachement, la relation entre des patterns d’attachement insécures
ou désorganisés chez le jeune enfant, puis chez l’adulte, et le développement de la
psychopathologie est source d’attention. Ces patterns d’attachement de type insécure
qu’Ainsworth et al. (1978) avaient décrits ne sont pas en eux-mêmes pathologiques mais
peuvent constituer des facteurs de vulnérabilité qui, face à l’adversité ou à des vulnérabilités
d’ordre génétique, peuvent mener à la psychopathologie (Holmes, 2004). En revanche, en ce
qui concerne l’attachement désorganisé et la psychopathologie, les liens sont plus frappants.
L’attachement évitant ou ambivalent-résistant peuvent être perçus comme des mécanismes
43
d’adaptation face à un caregiver inadéquat. Au contraire, l’attachement désorganisé, lui, ne
permet pas à l’enfant de s’y adapter et constitue donc potentiellement une réponse
pathologique face au caregiver.
J. Holmes (2003, 2004) a rapproché les données concernant l’attachement désorganisé et
les difficultés cliniques présentées par les patients aux troubles de personnalité borderline
dans un but clinique. Il a utilisé la théorie de l’attachement afin de comprendre des états
d’esprit particulièrement difficiles et caractéristiques du trouble de personnalité borderline. J.
Holmes (2004) a ainsi effectué une revue de la littérature concernant l’attachement
désorganisé mettant en lumière ses liens avec la psychopathologie adulte et particulièrement
avec le trouble de personnalité borderline. Dans cette perspective, il propose de percevoir
chez le patient présentant un trouble de personnalité borderline l’enfant à l’attachement
désorganisé qu’il a été (qu’il a pu être) et qui a mis en place toutes sortes de stratégies
désorganisées pour tenter de maintenir une relative sécurité ou stabilité interne. Cela mettrait
en lumière certains comportements ou symptômes faisant partie du diagnostic tels que les
comportements auto-dangereux ou conduites à risque comme les troubles du comportement
alimentaire, ou l’utilisation de drogues donnant l’illusion (aussi d’un point de vue
physiologique) de faire l’expérience temporaire d’un sentiment de sécurité. J. Holmes (2003)
nomme le recours à ces comportements «des phénomènes de base de sécurité
pathologiques ». Travailler d’un point de vue thérapeutique avec ces patients amènerait à
confronter à nouveau ces derniers à des dilemmes insolubles à l’image de celui auquel
l’enfant désorganisé s’est trouvé confronté lors d’une Situation Etrange face à son caregiver.
Pour Holmes (2003), les troubles de la capacité d’un partage intersubjectif de sens chez
les patients borderline trouveraient ainsi leurs origines dans la mise en place précoce d’un
attachement désorganisé, délétère pour l’acquisition d’une conscience de soi. Il suggère alors
que leurs sentiments sont agis, déniés plutôt que partagés et compris. La symptomatologie du
TPB affectant les liens à autrui (impulsivité, perturbations des relations interpersonnelles) ne
serait alors qu’une manifestation secondaire de ce trouble du partage intersubjectif et de la
conscience de soi. Cela expliquerait également « comment la construction d’une identité
narrative (Ricœur, 1990) peut être précocement perturbée chez les borderline, qui peinent à
assembler dans un récit cohérent les éléments de leur histoire et vivent celle-ci (et la
racontent) comme une succession d’événements disparates (Bovet, 2005) »
44
3. Vers un modèle épigénétique de la genèse du
trouble de personnalité borderline
Gunderson et Lyons-Ruth (2008) ont formulé une théorie basée sur l’existence d’un
phénotype d’hypersensibilité aux relations interpersonnelles pour les personnes présentant un
TPB. Cette théorie s’inscrit au sein d’un modèle développemental d’interaction entre la
génétique et l’environnement, c’est-à-dire d’un modèle épigénétique. Pour ces auteurs, de
nombreuses études montrent que les adultes présentant un TPB seraient, à l’origine,
génétiquement hypersensibles aux interactions interpersonnelles. Cette hypersensibilité
entrerait en interaction avec des expériences de soins précoces puis, plus tard, avec d’autres
facteurs de risque donnant lieu à des stratégies d’attachement tout d’abord désorganisées puis
contrôlantes, selon la littérature anglophone de la psychologie du développement et de la
théorie de l’attachement. Ces stratégies interpersonnelles constitueraient le socle à partir
duquel ces sujets deviendraient à risque de développer des relations interpersonnelles
perturbées, caractéristiques de la pathologie borderline. En dehors de la qualité de
l’attachement parental, celle du tempérament de l’enfant contribuerait également à la
perturbation précoce de l’attachement et à l’hypersensibilité interpersonnelle. Selon
Gunderson & Lyons-Ruth (2008), le tempérament constitue la part interactive de l’enfant dont
les comportements et les réactions affectent et sollicitent les parents d’une façon particulière.
Pour ces auteurs, la détresse de l’enfant lors des séparations serait une caractéristique du
tempérament de l’enfant. Des prédispositions à l’état de détresse lors des séparations (ou
encore, les angoisses de séparations) font partie d’un tempérament qui pourrait être lié à des
patterns d’attachement ambivalent ou désorganisé, pouvant être perçus comme des
équivalents des problématiques d’attachement des adultes présentant un TPB. Parmi les
enfants insécures, les plus irritables et enclins à la détresse présentent le plus souvent un
attachement de type ambivalent (Vaughn et al., 1989, cités par Gunderson et Lyons-Ruth,
2008). Ces derniers, lors de la Situation Etrange, montrent des comportements paradoxaux ou
ambivalents, de collage, de colère, de résistance au contact et se montrent incapables de se
calmer en présence du parent (Ainsworth et al., 1978). Les enfants à l’attachement ambivalent
présentent une hyperactivation de leurs stratégies d’attachement avec de fortes réactions de
colère ou de détresse dans le but de maintenir l’engagement du caregiver (Cassidy & Berlin,
1994). Par ailleurs, des études ont montré que des enfants classés insécures ambivalents
pouvaient aussi présenter des comportements désorganisés ou désorientés (van IJzendoorn et
al., 1999). Les enfants à l’attachement désorganisé présentent aussi une détresse exagérée et
45
des comportements de type ambivalent-résistant. Selon Gunderson & Lyons-Ruth (2008), ce
groupe d’enfants présentant des types d’attachement désorganisé et/ou ambivalent à la
Situation Etrange présenterait un risque accru de développer ultérieurement un TPB autant
que d’autres troubles chez l’adulte. Ils soulignent toutefois que les études n’observent pas de
lien direct entre les états de détresse lors des séparations et le développement d’un
attachement désorganisé. Les auteurs suggèrent qu’un jeune enfant qui, de par son
tempérament, exprimerait facilement de la détresse lors des séparations, pourrait être plus
vulnérable face à des conditions de soins et d’attachement non-optimales. Il serait susceptible
de développer un attachement de type ambivalent et/ou désorganisé qui constituerait alors un
facteur de risque pour le TPB (Gunderson & Lyons-Ruth, 2008). L’attachement désorganisé
mérite une plus grande attention puisqu’il est lié au type d’attachement « Non résolu » chez la
mère que l’on retrouve chez les sujets présentant un TPB. Ce lien interroge les mécanismes de
transmission intergénérationnelle de la qualité de l’attachement de la mère à l’enfant,
mécanismes que nous abordons dans notre chapitre IV.
Ce modèle développemental et complexe du TPB tient compte des relations non linéaires
entre les comportements parentaux et ceux de l’enfant ayant pour effet de modérer ou au
contraire de potentialiser le développement de ce trouble. Si une grande sensibilité au stress
interpersonnel peut contribuer, de façon plus ou moins importante, au développement du
TPB, des états extrêmes de détresse chez l’enfant pourraient alors générer des comportements
effrayés chez une mère vulnérable (c’est-à-dire déprimée, anxieuse, malade ou traumatisée).
Cette dernière pourrait, en retour, s’en trouver moins disponible pour l’enfant. Gunderson et
Lyons-Ruth (2008) soutiennent l’hypothèse selon laquelle des caractéristiques innées
psychobiologiques ou de tempérament chez le bébé rentrent en interactions avec des
prédispositions relationnelles défavorables chez les parents, augmentant les difficultés
interactives pouvant aboutir au développement du TPB à l’âge adulte. A l’heure actuelle, très
peu d’études ont évalué les liens entre des caractéristiques de l’environnement prenant soin du
bébé et les caractéristiques génétiques ou du tempérament de ce dernier, dans le but de
comprendre le développement de ce trouble. Les auteurs suggèrent qu’un type particulier de
tempérament de l’enfant le rendant, au sein des relations interpersonnelles, hypersensible et
réactif au stress, pourrait plus facilement générer chez le parent des comportements de retrait
liés à un sentiment d’impuissance ou de crainte. De telles réactions pourraient ensuite avoir
des effets significatifs sur un enfant déjà vulnérable. Ils émettent enfin une seconde hypothèse
selon laquelle les parents de cet enfant qui développerait plus tard un TPB présenteraient
46
souvent des prédispositions propres à répondre de façon défavorable face à ses besoins
d’attachement. Ces prédispositions seraient particulièrement susceptibles d’entretenir toute
une escalade de séries d’interactions négatives.
L’état de la littérature concernant les recherches cliniques actuelles montrent que les
stratégies précoces d’attachement désorganisé ainsi que leur évolution vers des patterns
contrôlants représentent l’un des sentiers développementaux susceptibles de contribuer au
développement d’un TPB. Toutefois, l’attachement désorganisé chez le jeune enfant n’est pas
le seul axe envisagé ; il s’agit plutôt de considérer les relations parent-enfant désorganisées
comme pouvant potentiellement constituer un facteur relationnel précoce défavorable,
interagissant avec d’autres prédispositions de tempérament du côté du parent et de celui de
l’enfant, favorisant la probabilité que ce dernier développe un TPB. Pour Gunderson et
Lyons-Ruth (2008), l’instabilité affective et l’impulsivité sont des éléments visibles de
facteurs génétiques significatifs dans la psychopathologie interpersonnelle borderline. Ces
éléments seraient responsables d’une escalade de processus transactionnels interactifs entre
l’enfant et l’environnement qui prend soin de lui. Ces hypothèses concernant des facteurs
génétiques spécifiques liés à l’expression de ce que les auteurs nomment une
« hypersensibilité interpersonnelle » nécessitent selon eux, d’être appréhendées dans le champ
des avancées de la génétique pour être plus amplement validées. Toutefois, l’hypothèse plus
générale selon laquelle des facteurs génétiques contribuent à l’expression à la fois d’une
réactivité au stress et d’une sensibilité interpersonnelle prend toute sa place lorsque l’on
appréhende le développement du trouble de personnalité borderline comme étant lié à une
interaction de plusieurs facteurs. Gunderson et Lyons-Ruth (2008) insistent sur le caractère
nécessairement spéculatif de ces hypothèses compte tenu du
manque d’études
développementales et longitudinales sur les enfants de patients présentant un TPB et compte
tenu de l’émergence toute récente du champ de la psychiatrie génétique moléculaire. Par
conséquent, il se pourrait que de nouvelles études viennent partiellement altérer leurs
hypothèses. Cependant, on peut dire que des points de convergence émergent clairement entre
les travaux de la psychologie du développement ancrés dans l’étude des relations
d’attachement et ceux des études centrées sur les caractéristiques des relations
interpersonnelles des patients présentant un TPB. Il apparaît important que leurs résultats
soient confrontés afin de faire naître de nouvelles hypothèses de recherches mais également
des pistes de prises en charge pour ces familles.
47
48
III.
Le devenir mère
A. La grossesse et la maternité : une crise
maturative
1. Le désir d’enfant au cours du développement
Dès son plus jeune âge, à travers le désir d’enfant, la femme commence à se construire
une image d’elle en tant que mère. C’est le tout début du « devenir mère » psychique qui se
poursuit par la maternalité que Racamier et al. (1961, p. 532) définissent comme « l’ensemble
des processus psychoaffectifs qui se développent et s’intègrent chez la femme, lors de la
maternité ». La grossesse et la maternité représentent une étape majeure du développement de
la vie d’une femme (Deutsch, 1969). Pour Deutsch, la grossesse serait alors l’aboutissement
de son destin biologique. Apter et Le Nestour (2011) rappellent que G. Bibring (Bibring et al.,
1961) fut l’une des premières psychanalystes à proposer de percevoir la maternité comme un
processus évolutif de la personnalité d’une femme, ou encore comme une crise maturative.
La grossesse et la maternité constituent donc des étapes développementales de la vie qui
ne sont pas sans lien avec la petite enfance et l’adolescence. Le désir de maternité, ou « désir
d’être mère », est l’expression d’un désir, voire d’une pulsion universelle, qui prend naissance
dès le plus jeune âge chez la fille comme chez le garçon. Chez cette dernière, ce désir de
maternité se traduit à travers les jeux de poupées où elle joue aux « jeux du papa et de la
maman ». Les fantasmes qui en découlent en ce qui concerne la maternité dépendent du
niveau de développement et de la sexualité infantile. « Constater la généralité de ce désir de
maternité n’est pas décrire un instinct maternel, mais souligner l’extrême importance des
fantasmes de désir de maternité. (Lebovici et Stoleru, 1983)» Le désir de maternité diffère
alors du désir d’enfant, même s’il en est indissociable par définition. M. Bydlowski (2000)
précise cependant qu’avant le premier enfant, le désir de maternité peut se confondre avec le
désir d’enfant. Selon M. Bydlowski (1997), dans la lignée des théories freudiennes, « le désir
d’enfant peut être le lieu de passage d’un désir absolu car l’enfant imaginé, l’enfant à venir
est, pour la femme, l’objet par excellence. Ce qui est désiré est moins un enfant concret que la
réalisation des plus vivaces des souhaits infantiles. » En effet, le désir d’enfant d’un point de
vue psychanalytique est d’une part l’expression d’un désir d’enfance emprunt de nostalgie qui
existerait en chaque être humain ; il prend racine dans la pulsion de vie, comme l’explique C.
49
Revault d’Allones (1976) et renvoie à un désir d’immortalité et à la chaîne des générations.
D’autre part, toujours d’un point de vue psychanalytique, le désir d’enfant naît d’un
mouvement identificatoire à la mère, ou encore aux personnes importantes auxquelles chaque
individu s’est identifié durant son enfance. Très tôt, l’enfant souhaite ressembler à ses parents
en devenant lui-même parent. Ainsi ce désir s’inscrit-il dans une recherche de satisfaction de
« l’Idéal du moi », instance préconsciente formée dans ce même mouvement d’identification
aux parents. Cependant et c’est ce que nous avons vu, le désir d’enfant n’en reste pas moins
une notion ambiguë que C. Revault d’Allones (1991) préfère remplacer par celle de « conflit
ambivalentiel» puisqu’il s’exprime à plusieurs niveaux, conscient, préconscient et inconscient
et qu’il est sous l’égide de l’ambivalence. Le désir authentique et en partie inconscient
d’enfant vient donc s’infiltrer dans les projets conscients des couples modernes. Nous le
verrons plus loin, des significations inconscientes du désir d’enfant vont réapparaître à travers
l’enfant à venir. S. Missonnier (2003) rappelle que la maternité, en tant que « temple moderne
de la fécondité », se trouve au cœur même du clivage et du conflit ambivalentiel primaire
entre pulsions de vie et pulsions de mort.
Ainsi, si tout projet et besoin d’enfant se retrouvent dans les paroles de chaque couple, le
désir d’enfant quant à lui ne s’entend que lorsqu’il est en voie de réalisation. En effet, « A ces
vœux conscients se combinent les représentations inconscientes et, pour certaines,
transgénérationnelles de chacun des parents, tout spécialement de la mère, physiquement
engagée dans le processus. (Revault d’Allones, 1991)» « Le désir d’enfant serait la
traduction naturelle du désir sexuel dans sa fonction collective d’assurer la reproduction de
l’espèce et dans sa fonction individuelle de transmission de l’histoire personnelle et familiale.
(Bydlowski, 1997)»
Enfin, le désir d’enfant est aussi en lien avec le désir de l’autre, que l’individu cherche à
le reconnaître, à s’y opposer ou encore à s’y identifier. Et lorsque l’on parle de cet autre, il
faut entendre le conjoint ou encore la mère, à laquelle s’est identifiée la femme. Le désir
d’enfant, dans sa complexité, renvoie donc, d’une part, à la réalité psychique de chaque
femme et, d’autre part, à un ensemble de désirs liés aux différentes étapes du développement
de l’enfant. C’est en comprenant la genèse de ce désir que nous pouvons distinguer les
notions « d’enfant fantasmatique », « d’enfant imaginaire », « d’enfant imaginé » et enfin «
d’enfant réel ». Selon M. Soulé (1985), la petite fille a tout d’abord un désir de destruction à
l’égard du ventre de sa mère qui devient ensuite un désir de vol, c’est-à-dire qu’elle désire ce
ventre pour elle. Ce même désir renaît avec le désir de grossesse lorsqu’elle est en âge de
50
procréer. Nous verrons cependant que pour que le désir d’enfant puisse naître chez la femme,
celle-ci doit avoir intégré une image maternelle positive. En effet, c’est l’une des conditions
pour que la femme devienne à son tour mère à l’image de la sienne. Dans son premier lien
affectif, l’enfant est totalement dépendant de sa mère. Or c’est une mère « suffisamment
bonne » selon l’expression de Winnicott qui permettra à l’enfant d’acquérir une bonne estime
de soi par la valorisation et les soins qu’elle lui accorde. Pouvoir désirer un enfant nécessite
donc d’avoir soi-même été désiré par sa mère. Désirer un enfant, c’est désirer être mère à son
tour. En mettant au monde un enfant, la femme devient sa propre mère, elle devient la Mère.
Au moment de la phase œdipienne, la petite fille, en proie à l’angoisse de castration qui signe
l’entrée dans cette phase, connaît un autre désir, celui tout d’abord d’obtenir de son père le
phallus, désir qui se transformera en un désir d’obtenir un enfant de lui. M. Soulé (1985)
explique que l’enfant imaginaire est celui qui naît du désir œdipien, celui qui, par conséquent,
ne peut être dit et qui reste caché durant toute la grossesse car il appartient à un interdit, celui
de l’inceste. Prenant corps dans les fantasmes de la mère, idéalisé par cette dernière, il lui est
attribué un caractère de toute puissance. Cet idéal renvoie en miroir à un idéal du moi de la
mère, celui de la « Mère Idéale ». Cette idéalisation de l’objet interne joue un rôle dans
l’ambivalence ressentie à l’égard du fœtus, ambivalence en lien avec des fantasmes de
destruction vécus envers l’enfant en devenir. « L’enfant imaginaire » (Lebovici, 1994) est
celui du préconscient, fruit « du désir de grossesse » qui se pense aujourd’hui souvent
« programmé ». « Le mandat transgénérationnel » (Lebovici, 1994) pèsera notamment sur le
choix du prénom et rend compte de la dimension de filiation qui traverse les générations.
L’enfant imaginaire est aussi investi de libido narcissique, c’est l’enfant dont avait déjà rêvé
la mère de la femme enceinte, l’enfant que cette dernière n’a pas été, l’enfant dont elle rêve
aussi à son tour. Par un mécanisme de clivage, il n’a que les propriétés du bon objet, les
aspects négatifs sont niés. L’enfant imaginaire est aussi appelé enfant fantasmatique, c’est-àdire celui issu des fantasmes provenant des conflits libidinaux et des aménagements
narcissiques. « Il témoigne de l’organisation œdipienne des fantasmes de la mère et du deuil
de ses objets œdipiens. Mais l’enfant est aussi l’objet fonctionnel de sa mère, tenant lieu
d’objet incestueux, en même temps qu’il lui permet de représenter sa propre mère, et de
devenir le porte-parole de son surmoi. (Soulé, 1985)» « L’enfant fantasmatique »,
inconscient, est celui qui naît des conflits infantiles et des désirs de maternité incestueux
(Lebovici, 1994a). Cet enfant est « l’objet d’une dette » qui est réactualisée par le biais de la
transparence psychique. Selon M. Bydlowski, l’enfant imaginaire est l’enfant que toute
femme a un jour désiré, celui qui existe dans les rêveries de la mère avant toute réalisation. Il
51
est l’enfant dont la représentation ne pourra jamais se superposer avec celle des enfants réels
faisant de la femme une mère ; l’enfant imaginaire est celui qui comblerait le désir d’enfant
totalement, dans toutes ses caractéristiques. « Imaginé, l’enfant est supposé tout accomplir,
tout réparer, tout combler : deuils, solitudes, destin, sentiment de perte. Il est le lieu de
passage d’un désir absolu. L’enfant imaginé est l’objet par excellence. Il s’agit moins d’un
bébé concret que de la réalisation du plus vivace des souhaits infantiles. (Bydlowski, 2000) »
L’enfant imaginaire se construit dès la prime enfance de la petite fille et évolue dans l’esprit
de cette dernière en fonction de ses représentations sur la fécondation, liées aux différents
stades qu’elle traverse au cours de son développement, jusqu’à l’adolescence. Des difficultés
en lien avec chaque phase pourront se rejouer lors de la grossesse. Les vomissements
gravidiques ont pu ainsi être interprétés comme étant le signe d’une difficulté liée à la phase
orale du développement psycho-sexuel.
La grossesse va provoquer de grands bouleversements psychiques chez la mère en
devenir en ce qu’elle entraîne une réactualisation du passé la renvoyant à sa propre enfance et
à ses désirs d’alors, mais surtout à sa propre mère. Force est de constater que le destin de la
maternité dépend avant tout du problème central de l’identification à la mère. La qualité du
lien originaire à la mère des débuts de la vie est un élément indispensable à la filiation
féminine : « c’est dans la faille ouverte par l’ambivalence de l’amour et de la haine envers la
mère, dans l’identification conflictuelle avec elle qui en résulte, que se joue l’accession à la
maternité, le destin de la fille. (Revault d’Allones, 1976). » Durant la grossesse, parallèlement
aux modifications corporelles, « la mère en devenir » va suivre un double processus
d’identification, à son bébé qu’elle porte, au bébé qu’elle a été, à cette mère qu’elle devient et
à celle qu’elle a eue, la sienne. « Lorsque le désir de maternité correspond à une maturation,
ce double mouvement entraîne une élaboration psychique importante à laquelle la femme et
les intervenants vont avoir accès bien plus facilement qu’à aucun autre moment de la vie.
(Apter et Le Nestour, 2011 »
2. Le lien à la mère d’origine
a)
L’importance d’avoir eu une « mère suffisamment
bonne »
La grossesse et la maternité renvoient la femme à l’image de sa propre mère : « en
enfantant, une femme rencontre sa propre mère, elle la devient et la prolonge. (Bydlowsky,
52
1997) » Pour pouvoir enfanter, la femme doit donc être capable de se représenter comme étant
faite de la même façon que celle qui lui a donné la vie. Elle doit pouvoir assumer le fait d’être
sortie du ventre de sa mère, un ventre qu’elle porte en elle, à l’identique. Pour cela, il est
nécessaire que toutes les étapes du lien à la mère aient été franchies. Il faut tout d’abord, que
la petite fille ait pu intérioriser une représentation de sa mère « suffisamment bonne » pour
pouvoir avoir en elle la permanence de cet amour d’autrefois et qu’elle puisse s’identifier à
elle. Ensuite, cette représentation devra encore être suffisamment forte pour que celle-ci ne
soit pas totalement perdue, afin que l’amour maternel des débuts de la vie et la valorisation du
sexe féminin par la mère puissent surmonter les tempêtes du conflit œdipien et de
l’adolescence et laisser mûrir en elle le désir de maternité. « La mère suffisamment bonne » du
début de la vie est celle qui aura su faire percevoir à sa fille, au travers des soins précoces, son
désir d’être mère d’une fille. Cette valorisation féminine précoce consolidera le narcissisme
de la petite fille et lui assurera la joie d’être de son sexe, une joie à l’origine de son désir
ultérieur d’enfant. De plus, une jeune femme soutenue pendant sa première enfance par une
mère suffisamment tendre et valorisante acquerra une plus grande estime d’elle-même. La
mémoire de cet amour ancien, la rencontre maternelle et sa permanence à l’intérieur de soi
vont être source d’un sentiment de gratitude qui constitue une véritable dette de vie.
b)
Une « dette de vie transgénérationnelle »
G. Delaisi de Perseval (2004) explique combien les patientes qui vivent une situation
d’infertilité expriment souvent, d’une manière ou d’une autre, leur sentiment de devoir
procréer pour s’acquitter d’une dette transgénérationnelle. En effet, telle est bien l’une des
souffrances majeures des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant : « plus encore qu’une
blessure narcissique personnelle, ils souffrent de ne pas pouvoir s’acquitter de cette dette. Au
point que l’expression « devoir d’enfant » semble plus juste que celle trop contingente, de
« désir d’enfant. » En effet, recevoir la vie, c’est également recevoir une dette de vie
inconsciente qui se transmet de génération en génération, une dette qui exige qu’un jour,
l’individu ait le devoir de transmettre la vie pour l’honorer. Ainsi en remboursant cette dette
de vie, chacun reconnaît et accepte sa propre finitude et accepte à son tour de transmettre la
vie. Pour la femme, la question que pose la fécondité est donc aussi liée à celle de l’ombre de
la mère. La dette engendrée par cette ombre viendrait prendre corps dans l’enfant à naître. Par
son premier enfant, la femme règle ainsi sa dette à l’égard de sa mère qui, elle-même, l’a
réglée à sa propre mère. L’enfant est le dépositaire de cette dette dans laquelle est contenue
53
toute l’ambivalence mère-fille : « enfanter, c’est reconnaître sa propre mère à l’intérieur de
soi. (Bydlowski, 1997).» Tout d’abord, pour que la femme puisse être capable de mettre au
monde l’enfant qui viendra honorer la dette de vie, elle devra pouvoir s’identifier à une
représentation de cette dernière suffisamment vulnérable. En effet, être capable d’une telle
identification, c’est pouvoir se représenter sa mère tendre d’autrefois, devenue faible et
vulnérable de par son âge, une mère qui a besoin que sa fille enfante à son tour. Or cette
capacité nécessite que la jeune femme, devenant mère, abandonne la représentation qu’elle a
eue de sa mère durant son adolescence, c’est-à-dire celle d’une mère rivale voire toute
puissante. C’est en raison de cette représentation que durant cette période le désir d’enfant
paraît inexistant selon M. Bydlowski (1997). Ainsi, garder en soi cette représentation de la
mère tendre d’autrefois, celle des tout premiers moments de la vie, est-ce pour la jeune femme
accepter de rompre avec les représentations maternelles de son adolescence et accepter que sa
propre mère devienne « un mythe narcissisant » pour elle, un mythe sur lequel elle pourra
s’appuyer pour devenir mère à son tour (Bydlowski, 2000). La qualité des relations entre une
femme et sa propre mère est par conséquent prédominante dans le devenir mère ; le lien qui
s’établit avec son nouveau-né en est tributaire.
3. La maturation du fonctionnement psychique
maternel pendant la grossesse
a)
L’état de « transparence psychique »
Dans la lignée des travaux de H. Deutsch (1949), T. Benedek (1959), G. Bibring et al.
(1961), P.C. Racamier (1961, 1979), M. Bydlowski (1991, 1998) a décrit la notion de
« transparence psychique » pour décrire le fonctionnement psychique particulier de la femme
enceinte. Il se caractérise par « une grande perméabilité aux représentations inconscientes et
une certaine levée du refoulement coutumier ». Dans ce mode de fonctionnement transitoire,
le préconscient est moins sélectif, ce qui permet à des fragments d’émerger grâce à une
moindre censure du refoulement. La femme enceinte peut alors avoir plus facilement accès à
sa propre névrose infantile, de même que des conflits plus archaïques, préœdipiens, affleurent
à la conscience. Missonnier (2003, p. 45) dans la même lignée emploie le terme de
« fonctionnement psychique maternel placentaire », mettant en évidence « sa finalité
fonctionnelle de gestation psychique de la contenance et de l’interaction avec l’enfant à venir
au prix d’une renégociation du narcissisme primaire maternel dont le fœtus est au départ, une
incarnation. » En effet, pendant toute la grossesse, le psychisme de la mère en devenir se
54
trouve dans « dans un état de transparence psychique où des fragments de l’inconscient
viennent facilement à la conscience. (Bydlowski, 1997).» Grâce à ses travaux sur le
psychisme des femmes enceintes au moment de l’échographie, S. Missonnier montre en effet
que cette effusion identificatoire normale (ou pathologique) n’est pas une néoformation
néonatale. Il montre comment l’échographie vient tout particulièrement mettre en lumière, en
prénatal, une « matérialisation d’investissements narcissiques et pulsionnels parentaux,
jusqu’ici cantonnés dans leur espace intra-psychique (Missonnier, 2003a). » La réalité de
l’échographie et de tout ce qu’elle fait vivre à la mère induit ou révèle l’émergence de ce
« flux d’identifications projectives psycho(patho)logiques ». C’est bien cette réalité prénatale
qui prépare, dès lors, l’accueil de l’enfant en devenir au sein du psychisme parental en
maturation.
Dans cet état psychique particulier, l’enfant est le dépositaire d’un flux d’identifications
projectives parentales. Pendant cette période, la mère voit son état psychique modifié,
bouleversé, c’est cet état qui va lui permettre de prendre soin de son enfant en préparant la
mise en place de la « préoccupation maternelle primaire » (Winnicott, 1987). Cet état
marque donc aussi une évolution dans l’élaboration du processus d’investissement de son
enfant et dans la maturation du fonctionnement psychique maternel. B. Cramer et F. PalacioEspasa (1993) définissent l’identification projective parentale en post-natal comme « Un
fantasme inconscient où le sujet se place, ou place des aspects de soi-même, dans un objet
[ici, l’enfant] avec un but de recherche de relation ou de communication ou de défense. » Or
S. Missonnier (2003a) dans la lignée de M. Bydlowski, explique que si ces auteurs montrent
que ces identifications projectives s’inscrivent dans le cadre d’un fonctionnement psychique
parental en post-partum, en parlant de « néoformation originale », cet état serait déjà présent
durant toute la grossesse, à la fois cause et conséquence de cet état de transparence psychique.
Le phénomène de « transparence psychique » lors de la grossesse constitue un réel état
de vulnérabilité psychique pour les mères ; il est responsable de l’ébranlement de leur
équilibre psychique durant cette période. En effet, si ce phénomène est normal lors de la
grossesse et qu’il permet en outre l’instauration de la « préoccupation maternelle primaire,
cet état qui se développe graduellement pour atteindre un degré de sensibilité accru pendant
la grossesse et spécialement à sa fin (Winnicott, 1958) », il s’inscrit cependant au sein
« d’une crise maturative […] qui se traverse en mobilisant de l’énergie psychique, en
réveillant des conflits latents mais elle est aussi recherche et engagement dans de nouvelles
virtualités. (Bydlowski, 1997) » Cette crise va permettre la formation d’une identité nouvelle
55
pour la mère et marque l’élaboration du processus d’investissement pour son enfant en
devenir. Dès le début de la grossesse, cet état de vulnérabilité psychique conduit la femme
enceinte à un état relationnel particulier au sein duquel elle manifeste un appel à l’aide latent,
ambivalent et quasi permanent (Bydlowski, 1997). Il s’agit d’une période que nombre
d’auteurs qualifient de crise ; le refoulement chez la mère en devenir est moins important
voire même « en crise et n’assure plus sa fonction protectrice (Bydloski, 1997) ». Des
fantasmes anciens peuvent réapparaître et le passé lui, peut revenir sous la forme de
sentiments douloureux ou d’une tristesse profonde immotivée venant réactiver des émotions
de son enfance. Cette diminution du refoulement fait alors resurgir certains moments forts de
son enfance ou encore des angoisses liées aux tout premiers temps de la vie.
Enfin, durant cette période, loin de rendre compte de représentations et de fantasmes
concernant l’enfant qu’elle porte, la femme enceinte a un discours nostalgique, spontané, sur
l’enfant qu’elle a été autrefois. Ainsi parvient-elle à maintenir secret l’enfant imaginaire.
b)
Le silence sur les représentations de l’enfant
imaginaire : une traduction de son érotisation par la
mère
Ce flux régressif de souvenirs et de représentations vient témoigner de cette transparence
psychique. Cette manifestation qui conduit la femme enceinte à livrer ses fantasmes anciens
avec une aisance singulière à cette période et à l’inverse, à taire les représentations de l’enfant
qu’elle va mettre au monde réside en un double phénomène : « d’une part, l’abaissement des
résistances habituelles face au refoulé inconscient ; d’autre part, l’hyper investissement dont
le nouvel objet psychique - l’enfant - est l’enjeu. (Bydlowski, 1997) ». En réalité, ce silence
concernant l’enfant en devenir vient traduire chez la mère son érotisation. La rêverie
maternelle concernant l’enfant érotisé est placée sous silence et « cette passion se suffit à ellemême car son objet n’est pas extérieur à soi. (Bydlowski, 2000) ». Dans ce même
mouvement, la charge libidinale autrefois rattachée à des souvenirs du passé concernant
essentiellement la sexualité enfantine perd de son poids et la grossesse, elle, devient
hautement érotisée. « Le nouvel investissement ainsi permis est narcissique, il vise un objet
appartenant à la personne propre. Il envahit progressivement le psychisme de la future mère
avec une intensité telle qu’aucune réalité, pas même celle de l’image échographique de
l’enfant, ne viendra la limiter jusqu’au jour de la naissance. (Bydlowski, 2000) » La
grossesse est donc pour la femme une rencontre avec soi-même, qui témoigne de la capacité à
56
érotiser une partie interne de soi. Cette capacité n’est présente que si la future mère possède
un équilibre narcissique de bonne qualité. Au contraire, si son narcissisme est peu solide, la
grossesse viendra ébranler un équilibre précaire et sera la cause d’intenses préoccupations.
Ces préoccupations peuvent être responsables de troubles somatiques ou encore d’anxiété
concernant l’avenir personnel ou celui de l’enfant en lien avec des questionnements quant à
ses capacités à être mère. M. Bydlowski explique que cette anxiété peut par exemple se
traduire par une hypervigilance vis-à-vis du bébé et survient tout particulièrement lorsque la
confiance de la jeune mère en elle-même a été fragilisée par un traumatisme antérieur comme
par exemple une fausse couche. Normalement, cette érotisation de l’enfant qu’elle porte
s’estompe progressivement à la naissance de ce dernier pour laisser place à la re-sexualisation
de la vie conjugale et sociale. Cependant, cela ne se fait pas systématiquement et lorsque
l’érotisation persiste après la naissance, elle peut contribuer à une rupture conjugale.
La grossesse est aussi ce moment de la vie où « l’objet interne » de la mère prend une
figuration ; il se matérialise par son ventre arrondi par l’enfant qu’elle porte en elle, le rendant
concret. Cet « objet interne », lorsqu’il est de bonne qualité, représente l’image intériorisée de
la mère secourable et sécurisante, celle qui a su grâce à ses soins, à son « holding » donner à
son enfant « une continuité d’être » au monde sans lesquels il peut éprouver des « angoisses
d’une intensité inimaginable » encore nommées « agonies primitives ». Or durant cette
période, « la transparence psychique » peut raviver des angoisses primitives en particulier
chez les femmes enceintes dont l’équilibre narcissique est précaire, comme par exemple,
lorsqu’elles présentent un trouble de personnalité borderline. Ainsi le bébé que la jeune mère
a été dans le passé a-t-il pu ou non se constituer en « bon objet interne », foyer d’un sentiment
de confiance en une continuité rassurante. Lorsque cette image intérieure est peu fiable voire
même menaçante, l’enfant à venir, représentant de cette dernière, risque alors d’être
douloureusement appréhendé par la mère au narcissisme fragile. La grossesse est vécue dans
« la crainte d’un effondrement psychique » (Winnicott, 1989) et peut alors être interrompue
volontairement, tant les angoisses sont importantes. Dans d’autres cas, elle sera maintenue
mais vécue dans l’angoisse et peut être responsable de symptômes psychosomatiques. Les
représentations ou les fantasmes qui viennent à s’exprimer lors d’une telle grossesse peuvent
aussi se concrétiser avec l’arrivée de l’enfant, entraînant une importante remontée de ces
angoisses. Celles-ci ont pu faire l’objet d’un refoulement massif durant la grossesse. Dès les
premières semaines suivant la naissance, c’est dans les interactions avec son bébé, au travers
57
des gestes de soins quotidiens, que la mère va rejouer les conflits et angoisses de sa toute
première relation avec sa mère.
4. Psychopathologie maternelle en période
périnatale
La maternité peut être l’occasion de décompensations psychiques et de troubles du
comportement de gravités diverses allant du « blues postnatal » à la psychose aigue. Les
dépressions postnatales ont notamment mobilisé l’intérêt des psychiatres et psychologues en
raison de l’impact négatif qu’elles ont sur le développement du bébé, puis de l’enfant. Nous
développons les conséquences de la dépression maternelle en post-partum sur l’enfant dans
une des parties de notre chapitre IV.
a)
Le blues du post-partum
Bien qu’il s’agisse d’une manifestation thymique, le blues du post-partum ne constitue
pas un trouble psychiatrique. Il semble que le blues du post-partum soit très fréquent (de 50 à
70% des cas selon les études et selon la nature des critères diagnostiques utilisés, Dayan et
Baleyte, 2008) chez les accouchées. Notre travail de psychologue en maternité nous confirme
en effet cette prévalence en post-partum immédiat. Les femmes tout récemment devenues
mères sont ébranlées par un vécu subjectif douloureux, une souffrance psychique qui
s’enracine dans le réaménagement identitaire propre à ce moment. Toutefois, les descriptions
de cette affection sont parfois floues, comme le souligne Rochette-Guglielmi (2009) dans son
travail sur les traces en post-partum immédiat et ce qu’elle nomme « le blues des quarante
jours ». Il semble difficile de trouver une description claire à la fois phénoménologique et
symptomatique de cette période si particulière qui puisse éclairer les mécanismes
intrapsychiques à l’œuvre dans les processus de désorganisation et de réorganisation sousjacents à la rencontre inaugurale avec ce nouvel être. Pourtant, ce moment douloureux est
décrit comme étant d’assez bon pronostic par plusieurs auteurs (Guédeney, 1993 ; Sutter,
1998 ; Rosenblum, 2004). Ce blues serait favorable au développement de la préoccupation
maternelle primaire pour aider la mère à répondre de façon adéquate aux besoins du bébé.
Finalement, le blues a d’abord été appréhendé comme étant le révélateur de difficultés dans le
tissage des premiers liens. Aujourd’hui, il tend, à l’inverse, à être perçu comme une
« régression nécessaire, une brèche dans l’organisation et le fonctionnement défensif
habituel », bénéfique pour la mère face à la naissance du bébé (Rochette-Guglielmi (2009).
58
« La tâche psychique des nouveaux parents est aussi considérable que lors d’un processus de
deuil, mais dans une situation inverse en miroir : dans le deuil, le sujet doit abandonner des
investissements alors qu’à la naissance d’un enfant, il doit en produire (Rochette-Guglielmi,
(2009) citant Cramer et Palacio-Espasa, 1993).
b)
La dépression du post-partum
La dépression post-natale (DPN) englobe la plupart des symptômes dépressifs du blues
du post-partum mais de manière plus sévère et prolongée. Les dépressions maternelles du
post-partum (D.P.P.) sont l’ensemble des épisodes dépressifs, selon les critères des
classifications internationales diagnostiques, qui surviennent chez les femmes ayant accouché,
avant la quatrième semaine (DSM-IV) ou la sixième semaine (ICD-10) après la naissance.
Toutefois, les recherches cliniques actuelles tendent à allonger la définition temporelle des
dépressions du post-partum jusqu’à la fin de la première année de l’enfant ; les dépressions
restent du post-partum ou postnatales durant l’année qui suit l’accouchement mais atteignent
leur fréquence maximale quelques semaines après la naissance (Cox, Murray & Chapman,
1993). Par ailleurs, 25% de femmes manifestant ce trouble deux mois après la naissance le
présentaient encore quatre mois plus tard selon une étude récente (Missonnier, 2003, citant
Zeanah, 1995).
« La dépression du post-partum désigne l’ensemble du malaise psychique modéré mais
chronique qui accable certaines accouchées (Bydlowski, 1997). » Elle s’accompagne d’une
tristesse importante, de la perte du goût de vivre, d’un désintérêt et d’une anxiété. Dans
d’autres cas, elle peut correspondre à un réel état pathologique. Il peut en effet s’agir d’un état
mélancolique s’installant dans les mois qui suivent l’accouchement. La thématique de cet état
est centrée sur l’enfant et peut être en lien avec la conviction d’être une mère incapable ou
indigne ou encore que l’enfant va mourir. L’inadéquation maternelle dans la relation à
l’enfant s’accompagne d’un sentiment d’inefficacité éprouvé par ces mères. D’un point de vue
clinique, la dépression du post-partum est une pathologie atypique ; elle est ainsi décrite par
Sutter et Bourgeois (1996, in Missonnier, 2003, p.97) : « les symptômes sont généralement
d’intensité modérée et les idéations suicidaires rares. L’humeur est labile, plus altérée en
soirée. Il existe un découragement, un sentiment d’incapacité et des inquiétudes centrées
presque exclusivement sur les soins à donner au nourrisson, en dehors bien sûr de tout
contexte pathologique réel. A côté de la tristesse, qui n’est pas majeure, des troubles de la
concentration et du sommeil et de tout le cortège symptomatique habituel d’une dépression,
59
ce sont des symptômes telles la fatigue, l‘irritabilité, l’anxiété, des plaintes somatiques
inhabituelles (céphalées, douleurs abdominales…) qui dominent le tableau. » Cette
dépression postnatale dure des mois sans amélioration spontanée et si elle n’est pas soignée,
elle transforme la première année de vie avec l’enfant en une épreuve douloureuse. Elle peut
avoir des conséquences à plus ou moins long terme, non seulement pour les femmes ellesmêmes, mais aussi pour leur enfant, et représente un problème de santé publique important
(Guédeney et al., 2000).
La plupart des études rapportent des prévalences élevées allant de 10 à 20% de
dépression post-natale, selon les données épidémiologiques (Kumar et coll., 1984 ; O’Hara et
coll., 1990) et 13% en moyenne dans la méta-analyse de O’Hara et Swain (1996). Des études
plus récentes selon Dayan et Baleyte (2008) observent des prévalences différentes selon la
gravité de la dépression et allant de 2 à 10%. D’autres études récentes retrouvent les mêmes
taux, entre 10 à 15 % et montrent que le risque est significativement plus élevé au sein des
populations dites à risques élevés, notamment, en raison de difficultés socio-économiques
(Harvey et Pun, 2007 ; Reck et al., 2008). Enfin, une étude réalisée en France et utilisant
l’échelle de l’EPDS (Echelle de dépression post-natale d’Edimbourg) a montré une
prévalence de 11%, elle représente la première estimation spécifique de la prévalence de la
dépression post-partum dans notre pays (Glangeaud-Freudenthal, 1999). Si ces taux
correspondent à peu près à la proportion de dépression observée dans une population de
femmes n’ayant pas d’enfant de moins d’un an, le risque pour une parturiente de traverser un
épisode dépressif est trois fois plus élevé qu’à n’importe quel autre moment de sa vie (Cox et
Holden, 1994).
La prise en charge adéquate de la dépression post-partum se heurte à des difficultés de
diagnostic. En effet, ces troubles peuvent parfois passer inaperçus et être, par conséquent,
sous-diagnostiqués. A peine 3% de ces états dépressifs seraient reconnus comme tels et traités
selon Guédeney (1993). Les difficultés à poser un diagnostic peuvent être dues à la fréquence
de certains symptômes, non pathologiques, liés à la grossesse ou aux suites de
l’accouchement. La banalisation de ces symptômes dans les maternités contribue notamment
à sous-diagnostiquer cette pathologie. Cette banalisation est liée à deux phénomènes
particulièrement robustes. D’une part, l’idéalisation de la maternité, aussi bien du côté de la
famille que des professionnels, conduit à une certaine méconnaissance de cette pathologie ;
cette idéalisation diminue les chances que la pathologie soit diagnostiquée. D’autre part, les
mères elles-mêmes n’osent pas s’avouer leurs troubles ; elles se cachent derrière la fatigue et
60
la nécessité des soins à donner au bébé pour ne pas consulter un spécialiste ; elles se sentent
souvent coupables vis-à-vis de l’entourage ou de l’enfant de ne pas ressentir ce bonheur tant
attendu, surtout lorsque la grossesse était fortement désirée. Enfin, les remaniements
hormonaux amplifient chez la femme cette sensation d’incompréhension face à ce trouble
psychologique, surtout lors de la première naissance. Cette idéalisation est en lien avec un
« mouvement de résistance de la mère elle-même et de son entourage à accueillir la
simultanéité très culpabilisante de la maternité et de la dépression ». (Missonnier, 2003,
p.97) » Par ailleurs, cette résistance s’explique d’autant mieux que les professionnels de la
maternité ne sont pas encore, à l’heure actuelle, assez formés pour le dépistage de cette
dépression. Dans notre pratique de psychologue en maternité, nous avons pu, lors des
consultations pour une 2ème grossesse, écouter des mères témoigner de leur « important blues
du post-partum » lors de la naissance de leur premier enfant. Elles peuvent dire bien après
qu’il leur a fallu du temps pour pouvoir s’attacher à leur enfant, qu’elles pleuraient seules, se
sentant coupables et qu’elles n’ont que rarement consulté. La deuxième grossesse est un
moment qui s’accompagne de l’anxiété de revivre cet état si douloureux dont le souvenir est
particulièrement réactivé. Lors de la première grossesse, elles avaient mis leurs troubles sur le
compte de la fatigue. Enfin, la difficulté à consulter est renforcée, à la sortie de la maternité,
par l’absence soudaine d’interlocuteur médical, tant que l'enfant n'est pas malade. Cette
absence contraste avec les mois de prises en charge multiples en prénatal.
De plus, les bébés de mères déprimées en post-partum ont plus de risques de survenue de
troubles psychologiques, du comportement et de l’attachement que les bébés de mères non
déprimées et cela à court (petite enfance) comme à long terme (adolescence), comme le
montrent désormais plusieurs études longitudinales (Murray, 1992 ; Field, 1995 ; Murray et
Cooper, 1996 ; 1997, Halligan et al., 2007 ; Feldman, 2007 ; Tronick et Reck, 2009 ; Murray,
2009, Murray et al., 2010a, Murray et al., 2010b).
La naissance d’un enfant, véritable bouleversement psychique est considérée comme un
événement de vie pouvant être stressant en lui-même et par conséquent fragilisant, pour les
femmes qui vont ou viennent d’accoucher (Terry et al., 1996). Par ailleurs, de nombreux
facteurs contribuent à faire de la naissance un événement de vie difficile : l’accouchement et
son inscription somatique (délivrance, variations hormonales brusques) ébranlent les femmes
sur un plan somato-psychique (Guédeney et al., 2000). La découverte du bébé totalement
dépendant des soins qui lui sont nécessaires pour assurer son bien-être place la mère (et son
entourage) dans une situation à la fois de perte de contrôle et de contrainte subie. Enfin, dans
61
nos sociétés actuelles, Guédeney et al., (1995, 2000) soulignent que l’isolement maternel
consécutif au congé de maternité entraîne une situation de déprivation relationnelle pour la
mère, qui peut être extrêmement stressante (Terry et al., 1996).
Face à cette expérience si particulière, on distingue plusieurs facteurs de risques pour la
dépression post-natale. Au cours de la grossesse, l’attente « idéalisée » du bébé ou bien des
difficultés à accepter le fait d’être enceinte vont complexifier l’accueil du bébé (Lussier et al.,
1994 ; Sutter et Bourgeois, 1996 ; Guédeney et al., 2000). Des troubles psychosomatiques
durant la grossesse et particulièrement la multiplication des plaintes somatiques sont corrélés
de façon positive au risque d’une dépression, de même qu’un blues du post-partum sévère.
(Apter et al., sous presse). La pauvreté des relations ou leur caractère conflictuel, des
difficultés conjugales ou familiales, particulièrement avec la mère de la femme enceinte, voire
des séparations précoces durant l’enfance, peuvent faire le lit de cette dépression. Enfin, la
survenue d’événements négatifs pendant la grossesse ou après la naissance (tels que des
décès, une maladie, par exemple) représentent d’autres facteurs de risque. Plus ces facteurs
seront cumulés, plus le risque sera accentué (Guédeney et al., 2000). Les caractéristiques
comportementales et tempéramentales du bébé peuvent aussi compliquer la relation lorsqu’il
s’agit d’un bébé dit « difficile » (Cooper & Murray, 1998 ; Hubyn-Gayte, 2004).
Nous allons maintenant nous intéresser au vécu de la grossesse chez les mères présentant
un trouble de personnalité borderline. Comment ces mères au narcissisme déjà fragilisé
traversent-elles les remaniements identitaires de cette crise maturative ? Sont-elles plus à
risque d’épisodes dépressifs périnatals et quelles sont les particularités de ces derniers ?
B. La maternité des mères
borderline/état-limite : l’entrave aux
remaniements identitaires de la grossesse
La « rêverie maternelle » (Bion, 1979) de l’enfant imaginé au cours de la grossesse
permet l’anticipation de l’enfant, comme nous l’avons vu, grâce à la modification du
fonctionnement psychique maternel. Elle permet à la mère d’avoir une représentation
anticipatrice de ce dernier (Missonnier, 2003). La période prénatale représente donc une
« mise à l’épreuve des fondations identificatoires du processus de devenir mère et, à ce titre,
c’est un lieu privilégié de résurgences des traumatismes passés » (Missonnier, 2003, p.46).
62
Cela nous semble particulièrement vrai en ce qui concerne les mères borderline pour qui cette
crise narcissique va être particulièrement difficile à traverser tant leur histoire est émaillée de
traumatismes et de souffrance. Les difficultés d’identifications vont fragiliser la mère en
devenir : « la maturité cicatricielle de ces éventuelles blessures sera notamment reflétée par
le degré de tolérance maternelle aux mutations somato-psychiques inhérentes à la maternité,
aux interactions réelles, fantasmatiques fœto-maternelles […] (Missonnier, 2003, p.46)».
Pour les mères borderline, « la grossesse vient réactiver des angoisses « automatiques »
(Freud, 1926, 1932) paralysant l’anticipation, la transparence psychique muselle le
processus de maturation de la contenance parentale et rendra difficile la préservation de la
continuité de l’expérience d’être périnatale du bébé […], (Missonnier, 2003, p.46)».
Toutefois, d’un point de vue thérapeutique, cette réactualisation des conflits identificatoires
maternels lors de la maternité lui confère son caractère de crise identitaire puisqu’elle agit
comme événement de fragilisation de cet « édifice », particulièrement lorsque des
traumatismes ont eu lieu mais elle garde également son autre aspect : la maternité peut en
effet s’inscrire comme un moment potentiel de créativité structurante par rapport aux
réaménagements psychiques identificatoires qu’elle laisse entrevoir. Ce double aspect
constitue le socle des thérapies mère et parents-bébé (Cramer et Palacio-Espasa, 1993).
L’enfant à venir, chez les mères borderline, les confronte, de par les changements dans la
dynamique générationnelle, à « une succession de représentations qui interrogent la filiation
et en condensent la créativité structurante [mais surtout] la conflictualité latente et la
vulnérabilité identificatoire (Missonnier, 2003, p.46)».
1. Vécu de la grossesse chez les femmes borderline :
la problématique des identifications
Nous nous appuyons dans ce chapitre essentiellement sur les écrits issus d’une longue
pratique clinique et thérapeutique de plus de 20 ans au centre thérapeutique de l’Aubier, avec
des mères au fonctionnement limite. Ils ont permis d’apporter un éclairage précieux aux
problématiques inhérentes à la grossesse chez ces femmes troublées par leur pathologie et leur
passé douloureux. De même, les mécanismes impliqués dans les interactions avec le bébé ont
été décrits au travers d’une double approche psychopathologique et de recherche au sein de
l’Aubier, à la fois centre thérapeutique et de recherche.
La grossesse confronte la mère en devenir aux représentations de soi et de ses parents.
Dans les deux cas, les femmes borderline sont en difficulté. Alors qu’il s’agit habituellement
63
d’une période propice aux mobilisations psychiques, la grossesse confronte ces futures mères
borderline et les professionnels du soin psychique périnatal aux particularités de leur
fonctionnement psychique. Dans ce type de fonctionnement, le travail de deuil nécessaire
pour accéder à la parentalité à l’égard des images internes des parents et de soi est
« totalement figé, comme en panne (Le Nestour, 2004) ». Le remaniement identitaire
préparant l’arrivée du bébé est massivement entravé puisque les représentations d’imagos
parentales maternelles qui affleurent pendant la grossesse « restent fixées au passé ou sont
inaccessibles » (Le Nestour, 2004). L’enfant, héritier de ces représentations, incarne alors de
façon concrète la mémoire de ses parents et tout particulièrement de sa mère, physiquement
engagée dans ce processus. Mais si la maternité s’inscrit dans un acte de transmission
volontaire, ne serait-ce que celle de la vie, elle peut aussi s’inscrire comme un acte posant la
volonté de rompre la transmission de certaines représentations. En effet, toute mère pressent
que son enfant est le porteur de parts inconscientes d’elle-même dont elle ne souhaite pas
toujours la révélation. Elle pressent que les qualités de son tout jeune enfant lui sont
intimement liées et qu’il révèlera une partie de cet inconnu en elle, qu’elle ne pourra que
difficilement nier. L’enfant est une inévitable « mémoire de soi » (Bydlowski, 2000). Chez la
mère, cette crainte de la révélation de soi par la réalité de l’enfant est venue pour partie
prendre la place qu’occupait autrefois la peur de mourir en couche, peur estompée par les
progrès médicaux concernant la douleur lors des accouchements (Bydlowski, 2000). Pour les
mères borderline « en devenir », « pressentant l’aspect inavouable de leur propre dépendance
infantile et leurs pulsions prédatrices, l’enfant à venir en sera le reflet autant espéré que
redouté. Leur idéal du Moi les écrasera de nouveau dans la honte et l’humiliation d’être
asservie à un objet si dérisoire. (Le Nestour, 2005) » La mère en devenir, au cours de sa
grossesse, est confrontée psychiquement et à son insu, de par l’état de transparence
psychique :
- aux images internes des parents qu’elle a eus : parents distants, inaffectifs voire
franchement rejetants, violents et haineux, souvent maltraitants ou fragiles et abîmés
- à sa propre image d’elle-même, souvenirs douloureux enfouis de l’enfant qu’elle a été et
qui présentent deux polarités :
- soit elle s’est senti victime de parents inadaptés, décevants ou maltraitants voire même
martyrisée, ce qui préserve paradoxalement une relative estime d’elle-même,
64
- soit elle s’est ressentie comme une enfant particulièrement difficile, voire indigne ou
nocive, ce qui la rend dans ce processus du « devenir mère » incapable de s’apprécier utile,
satisfaisante et non destructrice dans sa potentialité maternelle (Manzano et al., 1999 ; Le
Nestour, 2003). En effet, ces futures mères peuvent se percevoir comme des enfants humiliés
et indignes qui n’ont pas su se faire aimer (Palacio-Espasa, 2000).
Habituellement, si la grossesse s’inscrit comme une possibilité de changement, une
possibilité de rompre avec les histoires douloureuses du passé grâce à aux réaménagements
identitaires propres à la maternité, chez les femmes borderline, les modalités du
fonctionnement psychique tendent à placer ce processus du « devenir mère » sous le signe de
« la répétition de l’identique (Le Nestour, 2005)». Il semble qu’à chaque grossesse se rejoue
de manière compulsive, douloureuse bien qu’inconsciente, les événements terribles de leur
propre histoire infantile, faite de discontinuités relationnelles et familiales (de l’éclatement de
la famille, deuils, abandons ou placements) et de maltraitances diverses. La maternité vient
réactualiser ces difficultés avec le seul espoir que ce soit de façon plus créatrice, grâce à un
appui thérapeutique. Les modalités défensives pathologiques des femmes borderline de même
que la particularité des angoisses sous-jacentes (abandon, dévoration…), renforcées et
potentialisées à ce moment là, viennent modifier dans le sens d’une hypertrophie les
différentes étapes de la gestation. Elles traversent alors des moments plus bruyants et des
angoisses plus massives. Leurs bouleversements leur font traverser de véritables menaces
somatiques et des vécus difficilement supportables qu’elles peuvent tenter d’occulter
psychiquement par le recours à l’idéalisation et au déni (Le Nestour, 2005). Les récits des
prises en charge au cours de la grossesse de ces femmes au fonctionnement limite (Le
Nestour, 2005 ; Le Nestour et al., 2007), aussi bien que notre clinique en maternité, rendent
compte de leurs cauchemars particulièrement terrifiants, à des termes de la grossesse
inhabituels, c’est-à-dire avant le dernier trimestre. Elles racontent des cauchemars douloureux
voire mortifères où elles peuvent se voir tuant leur enfant ou encore regardant d’autres le tuer.
Ces cauchemars réactivent des vécus d’angoisse que l’on pourrait qualifier d’
« automatiques » qui peuvent durer plusieurs heures, voire plusieurs jours.
Les difficultés relationnelles, au premier plan de leur pathologie, fragilisent également le
déroulement de la grossesse, de manière active ou insidieuse. Les mouvements paradoxaux de
collage et de rejet sous-tendus par la peur des abandons réels ou fantasmatique entrent
particulièrement en résonnance avec les angoisses primitives potentialisées par la grossesse
« sans qu’aucune plasticité corporelle et psychique ne vienne les atténuer ensuite » (Le
65
Nestour, 2005) ». Ainsi la grossesse, imposant aux femmes un processus de changement,
renforce-t-elle l’inquiétude maternelle. Elle constitue plus une menace qu’elle ne représente
une possibilité d’un avenir meilleur grâce à l’arrivée du bébé. Par ailleurs, au changement, la
répétition (de l’abandon ou de la perte) reste préférée, paradoxalement rassurante parce que
familière (Le Nestour, 2005). Pour lutter contre ces angoisses massives et les terreurs
suscitées par les représentations parentales qui refont surface, les mécanismes de défenses
habituels sont renforcés, amputant la vie psychique maternelle. A ce moment, le déni devient
celui de leur propre vécu affectif, tel qu’il leur a été violemment imposé dans leur enfance par
le fait de ne pas prendre en compte leurs affects et leurs perceptions (Apter-Danon et Le
Nestour-Crivillé, 2004). Se pose alors la question : comment réinvestir des imagos parentales
si décevantes ? Les mères sont en proie à la haine de leurs propres parents mais également à la
haine contre soi-même par le biais des identifications aliénantes à ces imagos parentales du
passé et de leur soi infantile (Le Nestour et al., 2007).
Chez les mères borderline, les mécanismes de défenses et la fixation au passé empêchent
le réinvestissement des imagos parentales. Toutefois, face à l’aspect narcissique de la
pathologie, leur désinvestissement est tout aussi impossible car trop menaçant pour le Moi de
ces patientes. Ne pouvant faire face à la haine de leurs propres parents, par crainte de
destruction, elles sont confrontées à l’impossible deuil de parents imaginaires plus
bienveillants (Le Nestour et al., 2007). Cette haine ressentie par la femme enceinte trouve son
moyen d’expression dans le mépris aussi bien de sa propre vie psychique que de celle des
autres. Dès le début de la grossesse, cette haine la conduit dans des mouvements douloureux
où se rejouent toutes les angoisses du présent mais aussi du passé, de toute sa propre histoire
infantile dont l’état de transparence psychique de la grossesse accentue la présence
douloureuse et angoissante. Les représentations du passé, celles des parents mais aussi celle
de son soi infantile, auxquelles elle s’identifie sont particulièrement aliénantes et lui rendent
impossible ce travail identitaire et développemental que représente la grossesse. L’estime de
soi est violemment attaquée de même que l’investissement libidinal d’autrui (Le Nestour et
al., 2007). Cette fixation des identifications au passé se fait au travers de deux types
d’identifications décrites par Palacio-Espasa et Knauer (1998) dans un modèle post-kleinien et
reprises par Le Nestour et al. (2007) :
- l’identification mélancolique : la mère est identifiée à des imagos parentales idéalisées
qui exercent une réelle tyrannie. Elles ne lui permettent aucune défaillance alors même que
l’estime de soi est au plus bas. Cette image idéalisée est responsable d’un mouvement de
66
répression de l’agressivité et de la haine à l’égard de ces représentations. L’angoisse de la
destruction de l’objet ou de l’investissement objectal d’un nouvel objet que le fœtus vient déjà
matérialiser entraîne des moments de sidération psychique (qui rappellent les états posttraumatiques). L’investissement libidinal est douloureusement mis en échec. Le discours de la
mère est en proie à des blancs et est marqué par l’attaque de la pensée.
- l’identification à l’agresseur : la mère garde à « l’intérieur de soi l’image d’un parent
sadique et destructeur qu’elle peut faire triompher au travers de ses investissements
douloureux d’autrui en miroir de soi-même. L’autodestruction est évitée par l’érotisation de la
souffrance et l’anéantissement de soi par l’exercice d’un sadomasochisme impérieux. (Le
Nestour et al., 2007) »
2. De la nécessité d’un abord thérapeutique
différent durant la grossesse
La grossesse, loin de relancer l’espoir d’un changement lié à la future naissance du bébé
chez ces femmes, renvoie à l’angoisse de la répétition, comme nous l’avons vu plus haut. Elle
condense l’idée d’être la même mère qu’elles ont pu avoir et celle d’un enfant terrible qui
viendrait les accaparer. Ce type de problématique parentale qui renvoie le plus souvent à un
conflit de parentalité de type narcissique contre-indique les psychothérapies brèves puisque
les parents tendent à ne pas reconnaître les conflits du passé comme des deuils (Apter-Danon
et Le Nestour-crivillé, 2004 ; Le Nestour et al., 2007 ; Muratori et Palacio-Espasa, 2011). La
nécessité de l’adaptation du cadre psychothérapeutique avec la mise en place d’autres
stratégies et d’autres « leviers thérapeutiques » décrits par Le Nestour et Danon (2004) et Le
Nestour et al. (2007) est liée aux difficultés propres au fonctionnement psychique de ces
femmes qui entravent leur parentalité. Les prises en charge confrontent les thérapeutes à
l’impossibilité de l’élaboration des conflits d’investissement des imagos de leur passé de
même qu’à l’impossibilité des remaniements identificatoires internes à leurs propres parents.
Ces identifications resurgissent et vont venir se projeter sur la relation au bébé à venir. Leurs
difficultés sont marquées par :
- le chaos de la chronologie temporelle au sein duquel la confusion règne entre le passé et
le présent. L’accès au passé se fait par le biais de la narration confuse de faits dont la
signification reste le plus souvent énigmatique pour les patientes. Cette narration peut aussi
être interdite tant leur passé est angoissant. Face à ce refus, le thérapeute est mis dans
l’impossibilité d’établir, de soutenir des liaisons entre le passé et le présent, nécessaires
67
pourtant pour que le pont puisse se faire entre le développement psychoaffectif de ces mères
en devenir et leur reviviscence durant la grossesse (Le Nestour, 2005). Cette impossibilité
serait liée à l’augmentation de l’angoisse suscitée par l’émergence de ces liens entre passé et
présent. La reviviscence de leurs relations antérieures chaotiques et douloureuses serait
impossible tant elle les confronterait au retour d’angoisses archaïques ingérables (Le Nestour
et al., 2007). Toute narration qui commence à pouvoir s’organiser réactive un vécu d’angoisse
et confronte les patientes à « des effractions traumatiques et au vide (Apter, sous presse) ».
Face à cette souffrance, il leur est alors impossible de continuer à organiser leur récit, « la
crainte des patientes étant toujours qu’aucune possibilité de consolation ne soit possible
(Apter, sous presse).»
- l’impossibilité ou le refus d’évoquer des imagos parentales bien définies. Ainsi le
dialogue interne avec leur mère, propre à l’état de grossesse, est-il inexistant ou totalement
énigmatique pour ces femmes. Encore une fois, si des liaisons se font, elles sont
concomitantes de l’augmentation de l’angoisse. Ces liaisons confrontent le thérapeute à la
poursuite d’un récit qui n’a de valeur que celle de constituer « une décharge évacuatrice,
libératrice mais peu élaboratrice » (Le Nestour, 2005).
Il s’agit alors de ne pas favoriser d’emblée, comme dans le cas des prises en charge
d’autres conflits de la parentalité plus névrotique, l’émergence de ces vécus douloureux
antérieurs qui entravent l’investissement de la grossesse et de la relation de l’enfant à venir. Il
semble que « la relation chaotique avec leur passé les amènerait à une reconstruction
aliénante de leurs propres liens, à des imagos parentales extrêmement destructrices (Le
Nestour, 2005) ». De même que le déni des affects régnait dans ces relations du passé, le déni
des affects à l’égard du bébé en devenir et de ce qu’il peut ressentir in utéro s’impose. En
paraphrasant Kernberg, Le Nestour et al. (2007) et Le Nestour (2005) ont pu dire : « le déni
peut se manifester par une absence complète d’intérêt, d’angoisse ou de réaction affective par
rapport à un besoin, à un danger ou à un conflit immédiat grave, urgent qui existe dans
l’investissement du [fœtus/puis du bébé] de sorte que le [parent] parle calmement de la
situation tout en déniant les implications affectives de cette situation tant vis-à-vis de luimême que du [fœtus/bébé]. »
L’objectif, au sein de la thérapie, est de renforcer l’attention empathique à l’enfant
qu’elles ont été, face au peu de place qui est faite au bébé dans le discours de ces mères en
devenir et face à leur difficulté à anticiper en fin de grossesse leur enfant. Le renforcement de
cette empathie, autour de l’enfant qu’elles ont été, est nécessaire car les récits de leurs
68
histoires infantiles mettent en exergue un appauvrissement tant au niveau de leurs besoins
propres que de leurs affects. A cet appauvrissement viendra faire écho celui de leur perception
des besoins et des affects du bébé voire, à l’extrême, le déni des affects de ce dernier (Le
Nestour, 2006). Parallèlement à cette difficulté de reconnaissance de leurs besoins et affects,
le fœtus est interprété de façon extrêmement imprévisible. Le fœtus est tour à tour bébé
idéal/adoré et bébé persécuteur/redouté. D’emblée, l’intérêt que peut porter le thérapeute à
l’égard du bébé en devenir génère chez ces futures mères des mouvements de rivalité
extrêmement forts à l’endroit du thérapeute. Cette rivalité pourrait signer des tentatives
d’occulter le fœtus qui ne leur renverrait que mésestime, honte et humiliation (Apter, 2004 ;
Le Nestour, 2005). En effet, le déni majeur de leur propre dépendance infantile serait à
l’origine d’une rivalité inconsciente et intense avec le fœtus, qui serait la marque de
l’anticipation de la rivalité à venir dans la relation au thérapeute à la naissance du bébé. Par
ailleurs, les relations affectives de ces mères sont marquées par de multiples ruptures. Les
relations de couple ne permettent que rarement de constituer un appui lors de la grossesse de
même que face à l’arrivée du bébé. Ce dernier réactivera souvent tout un jeu de rivalités, par
rapport à autrui, au fur et à mesure que la grossesse avance, tandis que l’intérêt se déplace de
la femme enceinte à celui du bébé qui arrive. Ces mères n’auraient pas pu bénéficier, dans
leur relation primaire avec leur mère et au cours de leur développement infantile, d’une
contenance psychique et émotionnelle nécessaire à leur construction psychique. Elles
n’auraient pu faire l’expérience d’une fonction maternelle suffisamment pare-excitante, leur
permettant une intrication « suffisamment bonne » de leurs pulsions. Ce défaut de contenance
se rejouerait alors dans les relations à autrui et particulièrement dans la relation au thérapeute
qui doit donc offrir, à l’image de la mère « suffisamment bonne » de Winnicott, un cadre
contenant comme « handling » et une attention empathique comme « holding » afin que la
mère en devenir puisse se laisser « porter psychiquement par le thérapeute » (Le Nestour,
2005). Ce rôle de contenant, de « transformateur du vécu intrapsychique chaotique de ces
femmes », n’a pas pour but de permettre une expérience émotionnelle correctrice mais bien de
permettre à la future mère de pouvoir s’identifier aux fonctions du thérapeute (Le Nestour,
2005). L’expérience doit être, pour ces patientes, de pouvoir appréhender le thérapeute non
pas pour satisfaire leurs besoins qui ne l’ont pas été auparavant mais bien comme une aide
pour comprendre les mécanismes qui font perdurer leurs propres douleurs et le recours à leurs
défenses rigides.
69
La mise en place de ce cadre de consultation doit permettre à la mère de s’identifier
progressivement à la fonction maternelle suffisamment bonne, thérapeutique et contenante
pour la créer en elle-même et pour elle-même. Cependant, dans ce lent et difficile processus,
face aux modalités de fonctionnement des patientes, cette fonction est toujours enviée et
suscite des mouvements de haine. « Prendre le thérapeute en soi, induit des mouvements
agressifs massifs. Cette capacité thérapeutique contenante et enveloppante est toujours
attaquée. (Apter, 2004)» Ces attaques auraient pour but « d’expérimenter :
- « la solidité du thérapeute et lutter de manière projective contre les angoisses
d’effraction
- l’élasticité qui évite de rompre pour lutter contre les angoisses d’intrusion
- des limites rassurantes et différenciées pour contrecarrer la peur d’engloutissement et
d’anéantissement, la peur du vidage et de l’hémorragie sans fin.»
Les qualités du thérapeute et la relation qui s’établit permettent au ressenti du vide et aux
moments dépressifs de s’atténuer. Apter (2004) postule que ce vide, au moment de la
grossesse, permettrait d’occulter la rage destructrice contre le corps maternel de la future
mère. Le thérapeute, au sein d’un transfert qui n’est plus vidage ou évacuation, facilite
l’assouplissement de ce mouvement défensif majeur chez la mère en devenir. Le contretransfert peut alors s’opérer de façon plus créatrice : la patiente peut se rassurer dans sa
capacité à faire croître ce fœtus en elle. La représentation maternelle d’un bébé parasite cesse
d’exister. Il nous semble que les qualités du thérapeute et du cadre décrites par Apter (2004)
et Le Nestour (2005) se rapprochent de la description du concept de « médium malléable » de
Milner (1977) que R. Roussillon (1991) a pu donner. Pour lui, ce concept possède des
similarités avec celui « d’utilisation de l’objet » développé par Winnicott (1974, 1989). R.
Roussillon en établit la définition et les propriétés suivantes :
- il est « indestructible ». C’est-à-dire que l’objet doit pouvoir être atteint et détruit
(changer de forme) et survivre à cela. Grâce à cette propriété, la malléabilité sera découverte
et « deviendra utilisable pour représenter la fonction représentative (Roussillon, 1991, p.
136)».
- L’objet doit pouvoir en même temps être d’une « extrême sensibilité »:
« paradoxalement, s’il ne saurait être altéré dans sa nature fondamentale par de grandes
quantités d’énergie, il témoignera en même temps d’une extrême sensibilité à toute variation
quantitative. »
70
- Il présente une « indéfinie transformation » : « il doit être indéfiniment transformable
tout en restant lui-même : c’est là son autre paradoxe. »
- Enfin, il est « inconditionnellement disponible »
- et il possède une « animation propre. »
Ainsi, le thérapeute, se faisant « objet malléable » pour les patientes, relance-t-il en elles
une capacité de représentation nécessaire pour que s’élabore un nouveau processus
d’identification durant la grossesse. Nous rejoignons ici l’idée de R. Roussillon (1991, p. 137138) selon laquelle le médium malléable possède une « fonction dans l’activité
représentative » : « objet externe, […] il est l’objet transitionnel du processus de
représentation. » « L’activité représentative […] pour être appropriable comme telle par [la
patiente], a besoin de pouvoir se donner des représentants concrets, perceptibles, d’ellemême. […] L’activité représentative de [la patiente] s’étaie au-dehors sur le cadre
[thérapeutique] dont la fonction est de [lui] permettre d’éviter d’être débordée par un trop
d’excitations alors désorganisatrices. Ainsi, se fixe une limite entre ce que le moi peut
intégrer de notions pulsionnelles, pour se sentir vivant et créatif, et ce qu’il doit réprimer
pour ne pas se désorganiser. Cette fonction de pare-excitations externe, de filtrage, est
doublée […] d’un étayage « transitionnel », animique, sur l’une des figures du médium
malléable […] qui sera intériorisé ensuite sous la forme d’une représentation-chose de la
représentation […] et organisera l’activité représentative du moi inconscient. »
R. Roussillon rapproche l’absence d’objet malléable dans la construction psychique
précoce du patient avec la clinique du traumatisme. Ce rapprochement nous conduit à faire ce
parallèle entre les qualités du médium malléable et les qualités du thérapeute telles qu’elles
sont décrites par Apter (2004) et Le Nestour (2005). Avec les patientes borderline-étatlimites, durant la grossesse, il est question de les aider à se représenter là où il y avait du vide.
Roussillon donne ainsi des exemples d’analyses de patients limites présentant ce qu’il nomme
des « formes cliniques d’un traumatisme de la malléabilité ». Il explique que dans ces
situations, l’élaboration psychanalytique ramène à la surface transférentielle une rage
destructrice et une souffrance psychique d’une grande intensité. L’expérience dans le transfert
de l’indestructibilité de l’analyste et de son environnement-cadre permet que l’activité
représentative du patient puisse être relancée sur des bases nouvelles. De même, au cours de
la grossesse, l’état de transparence psychique et les élaborations du thérapeute-analyste font
que les patientes limites éprouvent à nouveau cette rage destructrice qui peut s’exercer contre
71
la personne du thérapeute. Si ce dernier revêt les qualités du médium malléable, il permet
alors aux patientes de relancer leur activité représentative auparavant carencée, là où les
imagos restaient figées au passé et l’activité identificatoire entravée. Par conséquent, chez ces
patientes on peut faire l’hypothèse de la « faillite d’une ou des propriétés du médium
malléable (Roussillon, 1991) » avec les conséquences que l’on connaît sur la fonction
représentative troublée chez les sujets limites. « L’objet de la pulsion d’emprise – objet à la
fois préconçu dans les soins maternels vécus dans une illusion de création primaire, et se
découvrant secondairement au moment de la séparation sujet/objet – est le médium
malléable. […] Il doit avoir pu « survivre » à la nécessité de la pulsion d’emprise, il sera
alors découvert comme objet externe et pourra ainsi coexister avec le sujet. […] la violence
fondamentale prendra la forme d’une affirmation de soi. (Roussillon, 1991, p. 145)»
A. Le Nestour (2005) met en lumière ces difficultés de représentations chez les patientes
borderline au travers d’un cas clinique dans lequel elle fait référence au concept de
transparence psychique de M. Bydlowski tout en le nuançant et en y apportant un nouvel
éclairage dans le cadre des pathologies limites. Pour A. Le Nestour (2005), l’émergence des
fantasmes des mères état-limites durant la grossesse serait liée à deux types de déformation de
la transparence psychique, à laquelle elle préfère le terme de « translucidité ». Il semble que
dans le cadre des pathologies limites au narcissisme fragile, cette « limite transparente » ou
frontière peut être « opacifiée, blindée par des verrouillages/clivages alternant avec des
irruptions fantasmatiques crues, comme si la limite était poreuse ». Ce ne serait plus des
barrières plus souples où le refoulement ne jouerait plus autant son rôle, tel que l’a décrit M.
Bydlowski mais dans ce cas, « l’opacité et la surbrillance paralyseraient la compréhension et
l’autoréflexion (Le Nestour, 2005)». Dans cet état particulier surgissent l’angoisse et la
menace d’un effondrement dépressif (Winnicott, 1989). Il s’agit alors pour le thérapeute
d’apporter des formes et des contenus acceptables par le biais de propositions hypothétiques
susceptibles d’être réintégrées par la patiente. Le thérapeute par ses interventions permet de
clarifier et de relier des aspects clivés et contradictoires chez ces patientes. Au cours de la
grossesse, il s’agit alors de tisser un contenant suffisamment enveloppant pour la mère et le
bébé, lui permettant de réintégrer sa propre conflictualité portée par ce contenant. Dans ce
contenant, le bébé peut advenir différencié et investi avec ambivalence et non plus au travers
des identifications projectives pathologiques, du clivage, déni et idéalisation maternels. La
nouvelle élaboration de la conflictualité maternelle et l’investissement plus tempéré du bébé à
venir autorisent ainsi la dépressivité maternelle (Apter, 2004). Cette dernière est rendue
72
possible par l’accès à ces nouvelles représentations. La haine envers la mère des patientes
état-limite émerge souvent dans le discours de celles-ci, les confrontant à une « dette de vie
impossible ». Cette haine conjugue clivages et idéalisations rendant difficile la différenciation.
Elle confronte à la répétition angoissante par des identifications de type « mauvaise
mère/mauvaise fille ». Il s’agit alors de rendre possible l’identification de la mère à sa propre
mère, enfin perçue comme vulnérable et fragile, au sein de ce contenant suffisamment bon.
Sans cette identification, le risque pour le bébé est celui d’être « éjecté dans des conflits
violemment extériorisés, dans une passion incendiaire (Le Nestour et al., 2007). » Ces auteurs
mettent l’accent sur l’importance que puissent être ré-évoquées les souffrances infantiles des
patientes, pour permettre le deuil des insuffisances narcissiques et libidinales des parents de la
mère grâce à l’acquisition d’une compréhension empathique transgénérationnelle. Celle-ci est
cruciale afin que la mère puisse développer une identification parentale suffisamment souple,
permettant la compréhension de ce que l’enfant pourra lui-même éprouver. Ce mouvement
identificatoire décharge le bébé des identifications pathologiques trop contraignantes,
l’idéalisant et l’obligeant à survivre par la perfection.
Ainsi semble-t-il que la particularité du suivi des grossesses des patientes état-limite
soit leur grande difficulté, voire leur impossibilité, à gérer des affects négatifs. Il s’agit pour
ces mères en devenir de ne plus se sentir honteuses et incapables au sujet de leurs propres
capacités d’amour maternel grâce à ce travail psychothérapeutique. S’il s’agit pour elles d’une
expérience particulièrement douloureuse, elle permet d’appréhender une culpabilité
acceptable, loin de l’idéal de la perfection (mère idéale/bébé idéal). Il s’agit de prendre en
compte, au cours de la grossesse, les difficultés voire les incapacités de ces mères à accéder à
la « dépressivité » normale de la fin de la grossesse et du périnatal immédiat. Le Nestour
(2005) perçoit en effet ce processus comme fondamental pour augmenter la potentialité
maternelle à s’identifier au futur bébé différent d’elle et « pouvoir gérer dans une excitation
atténuée les rapprochements et les distanciations. »
Compte tenu du recours privilégié à des mécanismes de défense pathologique, les
dépressions périnatales chez les mères borderline présentent-elles des particularités précises ?
3. Dépressions périnatales et trouble de
personnalité borderline
Le bébé nécessitant des soins intensifs introduit une relation très forte de dépendance
dont la mère au fonctionnement limite ne peut se soustraire grâce aux stratégies habituelles de
73
fuite ou d’évitement. Les soins et les rapprochés physiques, émotionnels et relationnels avec
le bébé font que la nécessaire ambivalence maternelle confronte la mère borderline au cœur
même de sa problématique relationnelle (Apter et Le Nestour, 2008).
Les écrits concernant la dépression ou les épisodes dépressifs chez les sujets présentant
un trouble de personnalité borderline peuvent se regrouper en deux catégories : ceux
d’inspiration psychanalytiques et ceux de la littérature psychiatrique davantage guidés par le
DSM IV.
a)
Les épisodes dépressifs et le trouble de
personnalité borderline dans la littérature psychiatrique
Les articles de la littérature anglo-saxonne mettent en évidence une fréquence importante
des épisodes dépressifs chez les personnalités borderline (De la Fuente et al., 2002 ; Kool et
al., 2000 ; Riso et al., 2000 ; Rothschild et Zimmerman, 2002). Certains auteurs, au travers de
différentes revues de la littérature, ont également tenté de différencier les troubles borderline
du spectre des troubles bipolaires avec une variation très rapide des cycles de l’humeur
(Benazzi et Akiskal, 2003 ; Rossi et al., 2001). Certains de ces auteurs insistent également sur
la nécessité de rechercher la probabilité d’une comorbidité avec une maladie du spectre
bipolaire : la symptomatologie borderline pourrait alors faire partie du spectre bipolaire
(Benazzi et Akiskal, 2003) ou encore d’une pathologie de l’axe I du DSM IV (Zanarini et al.,
1998). Les auteurs insistent ainsi, d’une part, sur l’importance de pouvoir décrire de la façon
la plus exhaustive possible l’étendue des troubles des patients et, d’autre part, sur les
implications en termes de traitement. L’extrême sensibilité des personnalités borderline aux
événements et leur difficulté à gérer et à réguler leurs émotions les rendent particulièrement
vulnérables à la survenue d’épisodes dépressifs (Zanarini et al., 1998a ; Koenigsberg et al.,
2002). Toutefois, la particularité de la dépression chez les sujets présentant un TPB ainsi que
la question de la dimensionnalité de celle-ci et de ses caractéristiques spécifiques n’est que
très récemment abordée dans la littérature empirique de l’evidence-based medicine (Silk,
2010 ; Apter et Le Nestour, 2008 ; Danon et al, 2003 ; Apter-Danon et al., 2005 ; NewtonHowes et al., 2006). Les auteurs anglophones insistent sur le fait que la dépression chez les
sujets borderline met plutôt en lumière des sentiments de colère, de honte mais surtout de vide
intérieur. Moins fréquents sont les sentiments de tristesse ou de culpabilité plus souvent
perçus dans le cadre des dépressions sans trouble de personnalité borderline. De plus, les
74
épisodes dépressifs associés à ce trouble sont souvent déclenchés par des ruptures au sein des
relations interpersonnelles par ailleurs souvent chaotiques (Gunderson et al., 2004).
De plus, si les troubles maternels dépressifs ont fait l’objet d’une abondante littérature et
de nombreuses études, leur association avec des troubles de personnalité, notamment
borderline, n’a été que très peu recherchée jusqu’à présent. Cependant, une récente étude à
montré que les pathologies maternelles borderline sont souvent associées à des troubles
dépressifs, notamment au cours du péripartum (Apter et al., sous presse). Une revue de la
littérature (Genet, Golse et Apter, sous presse) montre que la fréquence d’épisode(s)
dépressif(s) majeur(s) au sein des échantillons de mères présentant un TPB est telle que
certains auteurs s’interrogent sur la probabilité pour que des mères catégorisées avec TPB et
des mères présentant un TPB avec des épisodes dépressifs majeurs puissent ne constituer
qu’un seul et même groupe (White et al., 2011).
b)
La littérature psychanalytique sur la particularité
des épisodes dépressifs dans le cadre du trouble de
personnalité borderline
Ce sont les écrits d’inspiration psychanalytique, en référence aux états-limites ou encore
aux troubles du narcissisme ou narcissico-identitaires, qui ont apporté des éléments
importants dans la compréhension des aspects plus qualitatifs et distincts du fonctionnement
dépressif de ces patients (Apter et Le Nestour, 2008). Ces données ont été développées grâce
à l’exploration intrapsychique de ces patients.
Le vide caractéristique de leur dépression se déploie fréquemment, particulièrement
lorsque les liens d’attachement fragiles et chaotiques de ces patients sont mis à mal dans leurs
relations interpersonnelles. Chez les sujets limites, les relations d’objet sont instables et
précaires, difficiles à établir, et rendent compte de leur difficulté à reconnaître le manque de
l’objet. Or toute situation réactivant l’absence ou la perte d’êtres chers confronte à
l’acceptation et à l’élaboration de la problématique qui sous-tend ces situations, de même qu’à
son traitement psychique. Cela soulève alors la question de la permanence et de la stabilité
des représentations d’objet à l’intérieur de la psyché qui sont justement vacillantes chez les
sujets limites. Chez ces derniers, « il arrive que le manque d’objet entraîne sa disparition
dans l’espace psychique parce qu’aucun sens ne peut être donné à l’absence, parce que celleci ne peut donner lieu à aucune construction fantasmatique permettant d’associer à la
douleur de la perte, une représentation qui en permet l’élaboration. (Chabert et al., 1999) »
75
Face à ce vide dépressif, ils manifestent un besoin constant et paradoxal de relation de type
anaclitique, où l’on retrouve à la fois le sentiment d’être indignes de l’intérêt des autres et en
même temps incapables de surmonter cette détresse sans l’autre. Par ailleurs, ce rapproché
extrême fait redouter l’angoisse de l’abandon perçu comme inéluctable et vient réactiver la
souffrance liée à l’absence. Les fonctionnements limites montrent ainsi, dans la particularité
de leurs mouvements dépressifs, leur manque de capacités d’élaboration de la position
dépressive au sens kleinien. Au sein de ces fonctionnements, les aspects bons et mauvais de
l’objet restent clivés, rendant difficile sa totalisation et accentuant l’écart entre l’objet
fantasmatique interne et l’objet externe. L’accès à l’ambivalence ne peut se faire et fait
persister une bonne et une mauvaise mère. « Le rapprochement entre l’amour et la haine est
précaire et dangereux, ce qui entraîne le maintien de l’écart entre le bon et le mauvais, et
entre l’interne et l’externe. (Chabert et al., 1999) » Les capacités de liaison pulsionnelle
(agressives et libidinales) étant trop précaires, elles exposent le sujet aux difficultés de
contenance de l’excitation pulsionnelle qui traduisent leur discontinuité psychique. Des
mécanismes de défense se mettent alors en place de façon hétérogène, marqués par
l’isolement et les ruptures dans les différents registres utilisés par le sujet. Dans ce contexte, le
moi est particulièrement faible et a donc peu de capacité de gestion de l’angoisse. Dans les
fonctionnements limites, les mouvements pulsionnels sont peu liés. Leurs débordements sont
faits d’affects négatifs et agressifs massifs qui caractérisent leurs épisodes dépressifs. Ces
mouvements pulsionnels touchent donc les particularités des relations qu’ils établissent avec
autrui, marquées par un attachement extrême et la dépendance. La dépendance aux objets
externes, surinvestis de la sorte, vise à pallier les défaillances des objets internes
insuffisamment fiables et solides. Ces objets internes seraient constamment mis en danger car
visés par des attaques destructrices en réaction au caractère extrêmement excitant des objets
externes, alors menaçants pour le sentiment de continuité narcissique (Chabert et al., 1999).
L’hypersensibilité du sujet état-limite aux réactions d’autrui se traduit en partie par des
manifestations de haine à son égard. A partir de là, on perçoit comment peut se mettre en
place un cercle vicieux où les attaques agressives et destructrices fragilisent les objets. Elles
accentuent leur caractère insécure et leur manque de soutien sur le plan narcissique et de
l’étayage. Les relations entre le sujet limite et ses objets seront inéluctablement marquées par
la frustration et l’insatisfaction, faisant naître à nouveau la haine à chaque difficulté. Du fait
de la porosité des limites, entre le sujet et l’autre, le dedans et le dehors, celui-ci est soumis à
la discontinuité de son fonctionnement psychique. La fonction de pare-excitation est
76
insuffisante et lâche par moments, ce qui génère des angoisses soit paranoïdes soit dépressives
entraînant un recours au surinvestissement de la fonction d’étayage de l’objet.
Chabert et al. (1999) font un lien entre la particularité des épisodes dépressifs au sein des
fonctionnements limite et des éléments du modèle de la mélancolie établi par Freud (1915)
dans Deuil et Mélancolie. Ils insistent sur le fait que la description symptomatique de la
mélancolie annonce celle du masochisme moral de 1924. Or il est intéressant de constater que
les épisodes dépressifs chez les sujets limites présentent certains des éléments de la
mélancolie sans en présenter les symptômes psychiatriques.
Les moments dépressifs sont fréquemment activés par les perturbations au sein des
relations interpersonnelles de type narcissique. L’éloignement d’autrui dans la réalité réactive
de façon douloureuse le ressenti de perte ou d’abandon tout en soulageant la rage qui lui est
associée. « La relation est ainsi attaquée à la mesure du besoin dont elle est l’objet (Apter et
Le Nestour, 2008)». La dépendance à l’autre est à la fois à tout prix recherchée mais
impossible car terriblement redoutée. La dimension mélancolique apparaît dans les attaques
narcissiques car les sujets se vivent comme « mauvais » et comme méritant d’être
abandonnés, « lâchés dans un vide dépressif ». La négativité disqualifie l’ensemble du sujet,
et le discours est d’allure mélancolique sans dimension délirante. « L’abaissement du
sentiment de soi se manifeste en auto-reproches et en auto-injures (Freud, 1915 p.264 in
Chabert et al., 1999». Ayant vécu de multiples lâchages, chaque relation sera teintée par ce
passé angoissant au travers des projections d’un nouvel abandon à venir intensifiant par làmême leur manque d’estime d’eux-mêmes. Ainsi le vide proche de l’effondrement peut-il
prendre des allures mélancoliques. L’humeur est douloureuse, l’absence d’intérêt pour le
monde extérieur tire vers l’apragmatisme, on perçoit l’inhibition et la perte de la capacité
d’aimer : « le fonctionnement psychique travaille contre le moi » (Chabert et al., 1999).
L’anhédonie et l’apragmatisme deviennent les symptômes majeurs de leurs moments
dépressifs. Par conséquent, « leur frénésie émotionnelle, momentanément gelée » laisse place
à l’inhibition. Ils sont comme figés par l’immobilité dépressive et comportementale (Danon et
al., 2002 ; Apter et Le Nestour, 2008). Si ces moments dépressifs, activés par les perturbations
au sein des relations interpersonnelles, sont empreints du discours d’allure mélancolique des
sujets limites, c’est que leur choix d’objet s’est fondé sur une base narcissique. La perte de
l’objet se transforme en perte du moi car le faible investissement de l’objet est ainsi ramené
dans le moi. Il y a identification du moi avec l’objet abandonné. Les difficultés apparaissant
dans la relation à l’objet (nécessairement décevant, insatisfaisant) sont vécues comme une
77
intense déception de la part d’un objet d’amour particulièrement investi. La régression est
alors inéluctable et « l’identification narcissique avec l’objet devient le substitut de
l’investissement d’amour » (Freud, 1915 in Chabert et al., 1999). Ce mécanisme
d’identification, dans les pathologies narcissiques, permet l’abandon de l’objet alors même
que l’amour pour ce dernier est aussi paradoxalement maintenu. La haine envers l’autre
s’exerce contre le sujet lui-même (devenu son substitut) et apparaissent alors rabaissement et
injures contre soi. Parallèlement, le sujet retire de cette souffrance qu’il s’inflige un bénéfice
secondaire dans une satisfaction sadique paradoxale qui serait le masochisme moral. Ce
dernier prend la forme d’une vengeance sur les objets originaires, le mal-être du sujet lui
permet de tourmenter son entourage.
Dans le contexte périnatal, les particularités du noyau dépressif des fonctionnements
limites sont susceptibles de se rejouer dans la relation des mères borderline avec leur bébé.
Leur fragilité narcissique rend précaire cette relation et met le bébé à risque d’être pris dans la
force des mouvements pulsionnels entre amour et haine qui traduisent chez la mère les
difficultés d’accès à l’ambivalence. Face à la porosité des limites maternelles, le bébé se
trouve pris au sein de mouvements de projections et réactive le sentiment d’intrusion chez la
mère, compte tenu de sa dépendance.
78
IV. Les interactions mère-bébé : entre
recherche et clinique
A.
L’étude des interactions mère-bébé
L’être humain est par définition un être de relations. Ainsi, « son développement tient-il
autant au physiologique propre qu’à celui qui se construit et s’exprime dans le cadre des
interactions avec l’entourage auquel il appartient. (Apter, 2011) » L’étude des interactions du
bébé avec son environnement nous renseigne ainsi sur son développement psychique.
L’observation du bébé au cours des interactions a peu à peu intéressé les psychanalystes,
notamment en France avec ceux qui ont rejoint le courant interactionniste, qui s’est développé
dans les années 1980. L’objet de ce courant est l’étude des interactions mère-bébé
(majoritairement, même si les interactions triadiques sont désormais étudiées (CorbozWarnery et al., 1993 ; Fivaz-Depeursinge et al., 2005) dans leurs dimensions
comportementale, affective et fantasmatique. Bowlby, avec ses travaux sur l’attachement
(1969, 1973, 1980) a d’ailleurs été un pionnier dans ce domaine. Leur champ d’observation va
des échanges corporels et comportementaux à celui des échanges intersubjectifs inconscients.
Si l’observation des interactions a tout d’abord été l’objet de recherches dans des
procédures standardisées, elle a pris également une place importante au sein des consultations
psychothérapeutiques mères ou parents-bébés (Lebovici et Stoléru, 1983). Dans les deux cas,
de nombreuses grilles d’observations ont été établies.
1. Les différentes interactions
Si l’on se réfère à la théorie des systèmes : le système parent-enfants est un tout, et son
équilibre répond au concept « d’homéostasie » tel qu’il est défini en médecine : « le maintien
à des valeurs normales des différentes constantes physiologiques (ici les capacités
relationnelles) de l’individu (ici du système) » (Sutter et al., 2004). Une interaction constitue
une réaction réciproque de deux phénomènes qui évoluent dans un même système. Ainsi, la
mère et le bébé s’influencent-ils mutuellement dans un processus continu de développement
et de changement au sein d’un environnement qui possède également une influence sur
chacun des partenaires. Ce processus qui lie l’enfant à ses parents et à toute autre personne qui
s’occupe de lui est porté par les interactions entre chacun des partenaires et en particulier
79
entre la mère et l’enfant. Les processus interactifs qui se mettent en place entre un bébé et ses
parents sont aujourd’hui bien connus et ont été décrit par Lebovici (1983) : « Les interactions
sont l’ensemble des phénomènes dynamiques qui se déroulent dans le temps entre le
nourrisson et sa mère.» On décrit classiquement 3 grands types d’interactions :
- les interactions comportementales : elles sont observées selon plusieurs aspects et
possèdent :
- des caractéristiques liées à la fréquence des échanges,
- plusieurs modes, gestuels, tactiles, vocaux ou visuels,
- plusieurs modalités de réponses (qui sont dîtes intramodales si le partenaire répond
sur le même mode ou transmodale lorsqu’il s’agit d’un autre mode)
- différents déroulements ; elles peuvent être harmonieuses ou non (selon les critères
d’adéquation, de mutualité et de réciprocité des échanges).
Ainsi, elles se déroulent sous la forme de cycles qui correspondent aux capacités
d’attention du bébé. En raison de l’immaturité de celui-ci et de la dissymétrie entre l’adulte et
le bébé, les parents doivent être en mesure de s’adapter au rythme de ce dernier pour que les
interactions se déroulent au mieux. On peut les évaluer au travers des critères de synchronie,
de mutualité et de contingence que nous allons développer ci-dessous. Les interactions
doivent respecter le niveau de stimulation que le bébé peut supporter, celui-ci constitue une
variable d’un bébé à l’autre (Brazelton, 1983). Apter (2004) a insisté sur l’importance de
porter attention à d’autres modalités de repérage des signes du bébé, en dehors du regard, du
toucher et des vocalises le plus souvent étudiés, dans le but de mieux appréhender
l’établissement des patterns interactifs mère-bébé. Par exemple, l’ajustement tonico-postural,
plus difficile à repérer « tient certainement une place importante dans la préparation à
l’incitation à l’interaction ».
Tous ces éléments que nous décrivons avec précision, plus loin dans notre exposé,
représentent des indicateurs de la qualité et de la cohérence des échanges entre la mère et le
bébé et par conséquent de leur communication.
- les interactions affectives. Elles concernent « l’influence réciproque de la vie
émotionnelle du bébé et de celle de sa mère » (Lebovici, 1983). Les affects et les émotions
s’échangent entre les deux partenaires au travers des paroles, des expressions et des
comportements où la mère met en mots son vécu et celui de son enfant. Chaque partenaire
80
communique des affects, perçoit ceux de l’autre et cherche à en provoquer chez ce dernier. Le
concept décrit par Stern (1989) « d’accordage affectif » qui permet à la mère de reproduire les
composantes et la qualité des états affectifs du bébé donne à ce dernier le sentiment d’être
compris et porté dans ses émotions. On peut dire que les interactions permettent la
transmission des affects.
- les interactions fantasmatiques. Elles constituent « l’influence réciproque du
déroulement de la vie psychique de la mère et de celle du bébé dans leurs aspects
imaginaires, conscients et inconscients. (Lebovici, 1983)» Elles permettent d’appréhender la
façon dont chaque partenaire exprime des fantasmes et répond, aussi bien que modifie, ceux
de l’autre. Les fantasmes sous-jacents vont ainsi organiser les interactions comportementales.
Enfin, ces dernières vont participer au processus de transmission psychique inconsciente
(Lebovici, 1988 ; Ciccone, 1999), notamment par le biais des identifications projectives dont
nous parlerons dans le cadre des « scénarios de la parentalité » (Manzano et al., 1999). Cette
observation des interactions fantasmatiques suppose un travail d’interprétation pour le
clinicien ou le chercheur, car il touche au message inconscient qui est véhiculé.
La description de ces trois niveaux d’interaction donne une représentation complexifiée,
qui a pour but de se rapprocher de la réalité des liens intersubjectifs qui existent entre les deux
partenaires. Les interactionnistes mêlent des modèles d’observation des interactions avec les
théories psychanalytiques, celles des données issues de la psychologie expérimentale et
développementale mais également celles des pratiques psychanalytiques. Ainsi, les
interactions du côté de la mère renvoient-elles aux bébés des différentes étapes
développementales : bébé imaginaire et fantasmatique. Lorsque le bébé réel est rencontré par
la mère, il se crée alors un écart entre le bébé imaginaire et le bébé réel. C’est dans cet écart
que se créent les projections parentales qui se rejouent dans les interactions.
On peut observer des perturbations au sein des interactions soit lorsque les parents
présentent des difficultés comme des troubles psychiques soit lorsque le bébé est lui-même en
difficulté pour communiquer, par exemple dans les troubles autistiques. Les interactions
peuvent être perturbées d’un point de vue quantitatif (par excès ou manque de synchronicité
ou par alternance des deux). Elles peuvent aussi être perturbées d’un point de vue qualitatif, et
dans une perspective longitudinale, être soit rigides et ne pas s’adapter au cours du temps, soit
oscillantes voire totalement incohérentes. Quoi qu’il en soit, le psychisme des deux
partenaires, aussi bien que l’environnement dans lequel ils évoluent, déterminent leurs
modalités de fonctionnement.
81
2. La théorie des systèmes dyadiques et le modèle
de la régulation émotionnelle
L’observation des interactions mère-bébé permet d’appréhender les processus
intersubjectifs qui se développent entre ces deux partenaires. « Les interactions mères-bébé
s’inscrivent dans le monde intersubjectif, au carrefour de l’intrapsychique et de
l’interrelationnel » (Apter, 2004 ; Beebe et al., 1994, 1997). L’étude des interactions depuis
plus de trois décennies dans le cadre de la recherche en psychologie du développement, a mis
en place le modèle de la régulation mutuelle. La dyade mère-bébé est un système où les
interactions plus ou moins harmonieuses et « contingentes » laissent place aux erreurs
d’interprétations et aux réparations. L’étude des interactions a intéressé les psychologues du
développement face au constat de l’impossibilité d’appréhender le développement du bébé
puis du jeune enfant en dehors de son environnement. Bruner (1983) avait déjà insisté sur la
nécessité d’étudier l’apprentissage cognitif du jeune enfant au sein de son environnement
propre en notant que les interactions nous éclairaient sur le développement du langage chez le
jeune enfant. De son côté, le bébé est, on le sait désormais, prêt dès la naissance à interagir
dans un partage intersubjectif grâce à son système sensori-moteur sophistiqué et aux
modulations de son registre émotionnel en développement (Trevarthen, 1980). Par ailleurs, il
est capable de mécanismes de régulation propre, certes partiels, mais néanmoins fonctionnels
et objectivables (Brazelton, 1983). Cette immaturité implique une régulation d’ordre dyadique
de la part de son entourage et notamment de son caregiver, le plus souvent la mère. Dans ce
système, on comprend comment certains dysfonctionnements interactifs peuvent entraver
l’accès à l’intersubjectivité, qu’il s’agisse de dysfonctionnements du côté du bébé dans ses
difficultés propres (comme l’autisme) ou du côté maternel dans le cas de psychopathologies
comme la dépression (Murray, 1992, 1996) ou encore les troubles borderline, objets de notre
recherche.
a)
Le modèle de la régulation mutuelle
Le modèle de la régulation mutuelle est un modèle théorique des interactions mère-bébé
au sein duquel la dyade est appréhendée comme un système en perpétuel mouvement. Les
interactions dans ce système y sont perçues comme des tentatives de la mère et du bébé
d’ajustement l’un à l’autre, dans une spirale interactive dynamique (Cohn & Tronick, 1988).
Dans ce modèle, « la mère et le bébé interagissent de manière bidirectionnelle, tout en
exerçant une autorégulation de leurs gestes et émotions, dans une régulation conjointe de
82
l’interaction. (Apter, 2011 ; Gianino & Tronick, 1988 ; Tronick & Cohn, 1988». La
synchronie, la mutualité et la contingence sont les qualités qui caractérisent les interactions.
La synchronie caractérise le temps de l’interaction. Il s’agit du processus par lequel la
mère et le bébé ajustent mutuellement leurs états affectifs au même instant (Cohn & Tronick,
1988). Feldman et al. (1999) ont décrit la synchronie des affects dans les interactions mèrebébé comme étant un préambule nécessaire à l’émergence des capacités de contrôle et de
régulation propres du bébé. La synchronie dépend donc selon ces auteurs de trois
caractéristiques principales qui ont été décrites par Apter (2004) :
- la force de la synchronie qui renvoie à la durée de l’échange coordonné dans le temps
- l’initiateur de l’échange. Très précocement, avant 9 mois, en raison de la dissymétrie
des appareils psychiques entre le bébé et la mère, c’est généralement cette dernière qui initie
la qualité affective de l’interaction. Toutefois, plus le bébé grandit, plus il devient capable
d’initier l’interaction avec les personnes qui l’entourent.
- la durée du décalage entre les séquences interactives au moment des modifications de la
part d’un des deux partenaires.
Chaque partenaire a donc un impact, à sa façon, sur la synchronie des interactions de telle
sorte que les micro-rythmes qui fondent la caractéristique temporelle globale de ces
premières, de par cette double influence, seront propres à chaque dyade. Toutefois, une
interaction peut être synchrone sans être forcément « accordée » ou contingente. D’un point
de vue qualitatif, pour que l’interaction possède ces qualités, il faut qu’elle soit mutuelle.
La mutualité implique que l’interaction soit composée de comportements et d’échanges
affectifs identiques ou proches de la part des deux partenaires. Par conséquent, il faut que ces
derniers soient dans le même mouvement et la même intention (Apter, 2004). La mère et le
bébé interagissent dans un système de régulation mutuelle (Tronick & Cohn, 1988). La corégulation s’entend comme un processus où les deux partenaires co-construisent, maintiennent
et organisent ensemble un moment d’échanges (Apter, 2004, d’après Fogel, 1993). On parle
de mutualité en tant que caractéristique commune au sein de la dyade, et non pas de
réciprocité étant donné que les deux partenaires ne sont pas dans une position symétrique
équivalente en raison de l’immaturité psychique du bébé.
Les études sur les particularités des interactions entre la mère et le bébé, en ce qui
concerne cette dissymétrie des deux partenaires ont, par exemple, montré que la probabilité
pour qu’un bébé de moins de 6 mois manifeste des expressions émotionnelles positives avant
83
sa mère était divisée par 10 par rapport à la situation inverse où la mère initie une interaction
teintée d’émotions positives (Cohn & Tronick, 1987). Apter (2004) s’est interrogée sur ces
résultats en soulignant l’impression clinique selon laquelle les prises en charge mère-bébé,
lorsque la mère présente des troubles psychopathologiques, mettent en évidence l’influence
réciproque de la tonalité affective aussi bien de la mère vers le bébé que du bébé vers la mère.
Par ailleurs, ces résultats ne semblent pas être en accord avec les études sur le tempérament du
bébé qui donneraient plus d’importance aux capacités initiatrices de ce dernier dans
l’échange. Or, à partir de 9 mois, le bébé devient, le plus souvent, l’initiateur de l’interaction.
La notion de contingence, introduite dans la littérature anglophone, renvoie à un
comportement considéré comme répondant d’une manière appropriée aux signaux qui l’ont
déclenché. Le comportement maternel est dit non contingent quand il n’est pas réglé sur les
signaux du bébé, anti-contingent lorsqu’il donne une réponse contraire à ce que le bébé
recherche, contingent lorsque les interactions sont mutuelles et accordées. La non-contingence
souligne une absence de continuité et des ruptures dans le déroulement interactif, autant dans
le temps (asynchronie) que par les modalités au travers desquelles elles s’expriment (Apter,
2004). L’harmonie dans le déroulement des interactions (ou leur dysharmonie) dépend donc
de l’adéquation, de la mutualité, voire de la réciprocité des échanges mais également de leur
contingence. Dans un moment de contingence, « les deux partenaires ajustent, dans un temps
immédiatement consécutif et dans une même tonalité leurs comportements et gestes (y
compris vocaux et émotionnels) (Apter, 2011). » Il s’agit de comprendre que ces trois qualités
vont souvent de pair, mais « le décalage temporel doit être dissocié de l’absence de mutualité
tout comme la synchronie sera distinguée de la mutualité harmonieuse. (Apter, 2004)»
Toutefois, « leurs disjonctions, à la fois sur le plan quantitatif et qualitatif, déterminent les
notions de distorsions interactives à l’origine de différentes formes de « psychopathologie des
interactions (Apter, 2011) »
Tronick et son équipe ont développé le modèle de la régulation mutuelle ou MRM
(Mutual Regulation Model) (Gianino & Tronick, 1988 ; Tronick et Weinberg, 1997). Le
MRM décrit les interactions mère-bébé comme étant régulées de façon conjointe et tendant
vers un état de réciprocité au travers d’un processus de feedback qui s’opère premièrement au
niveau affectif. Les signaux affectifs du bébé reflètent la façon dont il vit l’interaction et
représentent un message avec une forte valeur de communication pour la mère. Cependant, la
réciprocité n’est pas toujours réussie. En effet, les interactions imparfaites et les erreurs dans
la communication sont beaucoup plus fréquentes au sein des interactions mère-bébé (Tronick
84
& Gianino, 1986). Lorsque le bébé interagit avec une mère sensible aux signaux qu’il peut lui
adresser, le bébé a la capacité de « réparer » ces ratés en montrant des signes affectifs à valeur
de message pour la mère qui peut ensuite ajuster son comportement de façon adéquate et
contingente aux signes de l’enfant. Des « réparations » réussies donneront au bébé le sens de
son efficacité (ou encore, un début de sens de son agentivité) parce qu’il aura la sensation
d’être à l’origine de ce changement dans le cours de l’interaction. Ces mécanismes de
réparation permettent aux deux partenaires de développer des capacités de régulation propre
(c’est-à-dire d’auto-régulation) (Gianino & Tronick, 1988).
Le MRM avait tout d’abord été envisagé par ces auteurs comme un modèle linéaire au
sein duquel, plus la régulation serait mutuelle, synchrone et contingente et plus la relation de
la dyade serait de bonne qualité. Cependant, les études réalisées en micro-analyses des
interactions mère-bébé, lorsque tout va bien chez les deux partenaires, ont mis en évidence
que les taux de synchronie n’étaient jamais supérieurs à 30% (Cohn & Tronick, 1988 ;
Tronick & Cohn 1989). Autrement dit, la plupart du temps, les partenaires ne se rencontrent
pas de façon idéale l’un pour l’autre et se ratent! Les rencontres dans ce sens interactif
nécessitent tout un travail psychique de la mère qui s’ajuste, de même que le bébé fait lui
aussi tout un travail pour rentrer en contact avec sa mère. Face à ce pourcentage observé chez
les populations tout-venant, on comprend comment, dans le cadre des interactions, lorsque la
mère présente une psychopathologie ou encore lorsque le bébé présente des difficultés pour
communiquer, le trop ou le pas assez de synchronie s’inscrivent comme des témoins des
dysfonctionnements interactifs. Le MRM rend donc compte « d’une courbe gaussienne des
interactions où l’absence de mutualité peut certes être pathologique, mais où l’excès
d’ajustement très étroit, sans qu’une possibilité de changement puisse survenir, l’est
également (Apter, 2011). » Les situations pathologiques seront de part et d’autre, celles de
pauvreté interactive ou celles d’hyper-ajustement dans des moments de vigilance extrême.
Elles renvoient soit à des désorganisations chaotiques et peu prévisibles soit à des interactions
trop contrôlantes, répétitives et intrusives (Apter, 2011). Ces observations montrent la
capacité du bébé à s’adapter à l’environnement et sa compétence à transformer la mère dans
les interactions. Cependant, tous les bébés ne sont évidemment pas compétents de la même
manière et l’on pourrait dire, tous les parents ne sont pas aussi aisés à réanimer
psychiquement. Par conséquent, la régulation mutuelle implique que la mère et le bébé
modifient leurs comportements pour se réajuster d’un point de vue affectif l’un à l’autre au
cours de mécanismes de réparation de ces ratés. La façon dont chaque partenaire va chercher
85
à s’accorder et à se réajuster sera différente en fonction de chaque dyade et de son style
interactif, influencé par de nombreuses données. Toutefois, le succès de ces réparations
réussies apporte des affects positifs aux deux partenaires.
Le MRM est évalué à partir du codage des comportements (gestes) et des affects visibles
(manifestations émotionnelles), des expressions du visage et des vocalisations (prosodie,
contenu sémantique). La régulation se fait par des échanges de regard et des mécanismes
d’évitement, par le biais des protestations et enfin par les comportements d’auto-réconfort (ou
auto-apaisement). Lorsque tout va bien, les partenaires ont la possibilité de réagir aux
manifestations de plaisir et de détresse par des attitudes où la synchronie et l’accordage sont
visibles.
Très précocement, le bébé et la mère par son rôle de miroir (Winnicott, 1967, 1971) et ses
capacités de fonction réflexive (Fonagy et Target, 1997) s’engagent dans un dialogue, une
protoconversation, source de coopération et d’échange. Dans ce que Trevarthen (1979, 1980)
nomme l’intersubjectivité primaire, présente dès les débuts de la vie, le bébé a la capacité
d’induire chez l’autre une recherche de communication. L’adulte, et particulièrement la mère,
face au bébé va ainsi exagérer sa voix (par le « mamanais » ou « motherese ») et accentuer ses
mimiques émotionnelles. « Pour Trevarthen (2003), cet ensemble de modalités de
communications représente une adaptation mutuelle des comportements et des émotions des
deux partenaires, facteur essentiel de régulation des modes d’apprentissage et du système
cognitif de l’enfant (Apter, 2004). » En
effet, Trevarthen a montré que des
« protoconversations » étaient observables entre la 6e et la 8e semaine de vie mettant en
évidence les attentes sociales du bébé qui réagit quand les adultes n’y répondent pas, dans ce
que l’on nomme des « violations de ses attentes sociales ». Il est sensible aux défauts de
synchronisation de l’interaction comme l’ont montré Murray et Trevarthen (1985) au cours
d’un dispositif d’interactions désynchronisées.
b)
Le paradigme du Still-Face
Le protocole de recherche paradigmatique du « Still-Face » a été développé par Tronick
et son équipe (1978) dans le but d’observer le bébé lors d’une situation inattendue et
stressante, lorsque la mère affiche tout d’un coup un visage impassible en face-à-face, après
deux minutes d’interactions. Le protocole consiste en une séquence de trois épisodes de deux
minutes. La mère a pour consigne de jouer avec le bébé « comme ils le feraient à la maison »,
puis vient le moment où la mère doit se figer pendant deux minutes. Enfin, dans le troisième
86
temps, lors des « retrouvailles », la mère doit interagir à nouveau avec ce dernier. Cette
procédure montre combien le bébé est un partenaire actif au sein des interactions. Le Still
Face a été largement utilisé dans des protocoles de recherche avec des mères « tout venant »
ou présentant des dépressions post-natales. Ce paradigme a montré à quel point le bébé est
sensible aux configurations affectives maternelles (Tronick et al., 1978). Ces études ont mis
en évidence que les bébés avaient besoin d’un certain délai lors des « retrouvailles » afin de
retrouver la qualité d’échange interactif du premier temps (Weinberg et Tronick, 1996).
Cette procédure vient mettre en évidence le besoin qu’ont la mère et l’enfant d’être
accordés d’un point de vue émotionnel. Dans cette configuration, les tentatives du bébé pour
montrer des affects négatifs adressés à la mère (telle une demande de régulation) seront donc
mises en échec tout au long du temps du SF. Chez le bébé, l’échec dans les tentatives de
régulation interactive à ce moment-là peut conduire à son auto-régulation et au déploiement
de stratégies de gestion propres tels que l’évitement du regard ou encore des comportements
d’auto-apaisement (comme par exemple le fait de mettre la main à la bouche). En effet, cette
situation est stressante pour le bébé et a pour effet de le désorganiser, (plus ou moins), face à
la confrontation à une situation totalement inattendue.
De nombreuses études ont été réalisées à l’aide du SF et une revue de la littérature
récente a recensé un total de 85 études utilisant cette procédure (Mesman et al., 2009). Elles
ont mis en lumière les réactions marquées du bébé à ce moment précis du SF, c’est-à-dire les
changements dans ses comportements et dans l’expression de ses émotions. Toutes ces études
ont permis de repérer certains éléments des interactions comportementales et affectives
stables chez le bébé. D’une façon générale, les bébés montrent plus de détournements du
regard, sourient moins et montrent plus d’affects négatifs au cours du SF comparativement
aux périodes d’interactions normales en face à face (Gusella et al., 1988 ; Toda & Fogel,
1993 ; Mesman et al., 2009). Par ailleurs, plus le temps du SF avance et plus les bébés
montrent des mouvements désordonnés et une chute posturale et tonique.
Dans leur premier rapport sur les effets du SF, Tronick et al. (1978) ont émis l’hypothèse
selon laquelle le SF constituait une « violation des règles de la communication en face à
face » entre le bébé et la mère puisque cette dernière, à ce moment-là, lui envoie des signaux
contradictoires. Le regard dirigé vers le bébé signifie la disponibilité pour interagir tandis que
la non-responsivité maternelle aux tentatives d’engagement du bébé donne le message
inverse. Dans leur revue de la littérature, Mesman et al. (2009, p. 125), face à l’ensemble des
résultats des études cherchant à clarifier les éléments qui seraient responsables de l’effet du
87
SF sur l’enfant, concluent que la conjonction inattendue du regard de la mère et de sa nonresponsivité jouerait un rôle important dans la « désorganisation » des comportements et des
émotions des bébés. Ces derniers, en effet, ne réagissent pas négativement aux ruptures
soudaines de l’interaction lorsque celles-ci s’expliquent logiquement. Une de ces raisons, par
exemple, est celle d’une mère qui se détourne du bébé pour parler subitement à quelqu’un
d’autre. Face à la contradiction inhérente au SF, le bébé réagit avec confusion et tente d’abord
de ré-établir une mutualité, mais finit par se désorganiser et par se retirer de cet « échange »
en évitant activement le regard de la mère et en regardant ailleurs. Il semble bien que le bébé
soit déjà dans une expectative au sein des interactions et soit capable de détecter de courtes
violations temporaires de ses attentes.
Toutefois, tous les bébés ne montrent pas non plus exactement les mêmes modalités de
réactions au moment du SF. Si à 3 mois, les bébés détournent leur regard face au visage
impassible de leur mère, ils protesteront d’autant moins qu’ils s’en seront moins détournés
(Mayes & Carter, 1990). Par ailleurs, il semble que les réactions du bébé face à cette perte de
cohérence dans l’échange maternel, qui est source de confusion pour le bébé quant à
l’intention de la mère (Murray & Trevarthen, 1985), soient influencées par le contexte
préalable : c’est-à-dire la qualité des échanges précédant le temps du SF en lui-même. Selon
la revue des différentes études de Mesman et al. (2009, p. 126), le moment de la rupture au
sein de l’interaction jouerait un rôle dans le sens où le SF serait plus perturbant pour le bébé
lorsqu’il survient juste quand ce dernier se trouve prêt pour interagir. Par ailleurs, les bébés
dont les mères expriment plus d’affects positifs lors du temps d’interaction manifestent en
regardant plus leur mère pendant l’épisode du retrait. Au contraire, plus les enfants expriment
des affects négatifs durant le premier temps de la procédure, plus le temps du SF en lui-même
sera marqué également par des affects négatifs (Carter et al., 1990).
c)
Les émotions partagées : l’expansion dyadique de
la conscience
Tronick et Weinberg (1994) font l’hypothèse que les configurations émotionnelles du
bébé sont des unités fondamentales à partir desquelles le bébé comprend et interprète les
messages qu’il reçoit de l’environnement au sein des interactions (Apter, 2004). Les
configurations émotionnelles sont des éléments qui nous renseignent sur la cohérence précoce
du fonctionnement du bébé, un signe de son sens de Soi et de son intégration somatopsychique, comportementale et émotionnelle (Apter, 2004).
88
Depuis leur théorisation du MRM, Tronick et ses collaborateurs ont avancé leur modèle
d’une « Expansion dyadique de la conscience » qui représenterait une élaboration du MRM
(Tronick et al., 1998 ; Tronick, 2005). Dans ce modèle, un « état de conscience » est décrit
comme la connaissance du sujet à propos du monde qui l’entoure et de ses relations au
monde, une connaissance qui serait en perpétuel développement. Cet état serait
biopsychologique puisqu’il rassemble des données complexes concernant le corps, le cerveau,
les comportements et l’expérience (Mesman et al., 2009 d’après Tronick, 2005). La qualité et
la complexité de cet état de conscience dépendent du développement du sujet car il est
déterminé par les possibilités et capacités du sujet à chaque moment de sa croissance.
L’expansion dyadique de la conscience (ou la création d’un état dyadique de la
conscience) se crée lorsque des interactions mutuellement régulées peuvent se dérouler. On
parle de régulation mutuelle aboutie. En d’autres termes, elle se caractérise par la possibilité
de partager des états émotionnels. Il s’agirait d’une propriété émergente des micro-échanges
mutuels d’informations affectives. Dans ce contexte, le sens et l’état de conscience du
partenaire qui interagit avec le bébé peuvent être assimilés par celui-ci dans son propre état de
conscience, lui permettant de gagner en cohérence et en complexité dans sa compréhension du
monde. Dans le modèle de Tronick, ce processus de gain s’effectue au travers des échanges
affectifs au sein des interactions, qui informent le bébé sur son Soi, celui de l’autre ainsi que
sur les relations qu’il entretient avec cet autre. Par conséquent, il est nécessaire que la mère et
le bébé perçoivent des éléments de la conscience de l’autre même si le système est
fondamentalement dissymétrique.
Cohn et Elmore (1988) ont même montré que des bébés de 3 mois réagissaient à un SF de
seulement 5 secondes par des détournements du regard et des expressions émotionnelles plus
neutres et moins positives. Cette désorganisation minime explique qu’au cours de ce moment
précis, un état dyadique de la conscience est impossible pour le bébé en raison de la nonresponsivité maternelle. Elle empêche un échange affectif porteur de sens. Dans cette
configuration, « le bébé est forcé de se reposer sur son propre état de conscience, qui peut
perdre de sa cohérence puisque la mère lui renvoie quelque chose de contradictoire et donc
d’impossible à assimiler » (Mesman et al., 2009 d’après Tronick, 2005).
De par son développement émotionnel encore balbutiant, le bébé a besoin de l’adulte
pour réguler son éveil émotionnel afin d’augmenter ses propres capacités de régulation.
Cependant, le bébé est actif dans l’interaction et possède la capacité d’adresser des signaux à
l’adulte dans le but d’en obtenir une réponse adéquate. Lors du Still-Face, il est mis en échec,
89
et laissé seul pour réguler ses propres émotions, ce qui se traduit par l’augmentation des
affects négatifs et des détournements du regard, puisque le bébé ne possède encore qu’un
éventail réduit de capacités propres de régulation. On perçoit bien combien le bébé, pour
garder un état d’homéostasie émotionnelle de même que pour garder une continuité dans le
développement de « son état de conscience », doit ajuster ses propres états émotionnels tout
en s’inscrivant dans la co-régulation de la dyade avec sa mère (Apter, 2004). L’étymologie du
mot émotion indique qu’elle est essentiellement intersubjective et s’inscrit dans un
mouvement « lancé » vers l’autre, qui fait sortir de soi-même. Cela rejoint les écrits de
Roussillon (2010) sur la valeur « messagère » de l’affect, adressé à l’autre mais cherchant un
« retour à l’envoyeur », dans le plaisir vital des premiers partages d’affects.
d)
Régulation émotionnelle et attachement
« La question de la régulation émotionnelle se trouve ainsi au carrefour du tempérament
et du comportemental par le biais des expressions émotionnelles, de l’intersubjectivité, de
l’attachement et des manifestations psychopathologiques (Apter, 2004, 2011, d’après Cole et
al., 1994) ». Tout particulièrement, la question de la régulation des émotions négatives
(pleurs, protestations, peur, angoisse et honte ou alarme, détresse, colère) est au cœur de la
théorie de l’attachement (Guédeney, 2011 d’après Kobak, 1999).
La régulation des émotions positives et négatives possède des mécanismes communs sur
le plan neuropsychologique (Apter, 2004, d’après Heller, 1993). Deux modèles existent en ce
qui concerne la régulation des émotions au sein des échanges intersubjectifs.
Du côté des émotions positives, le bébé, passant d’un moment de désorganisation à un
moment d’échange émotionnel positif, vivrait des moments de régulation des émotions, par le
travail de la régulation maternelle. Cela lui donnerait un sentiment d’élation et d’expansion
dyadique de la conscience, comme nous l’avons vu dans le modèle de Tronick (1998). Dans
cet état de conscience, le bébé aurait de plus en plus un sentiment de maîtrise de ses intentions
et de ses buts.
Du côté des émotions négatives, le bébé a également besoin de ce dispositif
interpersonnel de régulation grâce à ses caregivers. « Le caregiving est un système
motivationnel, récemment étudié par la théorie de l’attachement (Bowlby, 1988 ; George et
Solomon, 1999) […] qui constitue une des dimensions des soins parentaux, c’est-à-dire la
réponse aux besoins d’attachement de son bébé et à ses besoins d’exploration. (Guédeney,
90
2011) »La régulation interpersonnelle est donc une des fonctions du système du caregiving.
On perçoit ici toute l’importance de la sensibilité maternelle aux besoins d’attachement du
bébé (Ainsworth et al., 1978) qui lui permet de répondre de façon adaptée (selon les
caractéristiques de l’interaction) aux signaux du bébé pour le consoler. Comme nous l’avons
vu auparavant, très récemment, les concepts de mentalisation et de fonction réflexive
parentale développés par Fonagy (Fonagy et Target, 2005) sont venus éclairer la notion de
sensibilité maternelle. Il s’agit en effet pour la mère d’être en mesure de refléter, contenir et
interpréter puis réguler les émotions négatives du bébé. Cette capacité ne peut se développer
que si la mère appréhende son enfant comme possédant des états d’esprit qui lui sont propres,
c’est-à-dire qu’elle lui prête des intentions et des états mentaux qui sont différents des siens
(Guédeney, 2011, d’après Meins et al., 2002).
Cette capacité de mentalisation à la source de la régulation émotionnelle du bébé, doit
pouvoir également être mise en œuvre lorsque la mère subit un état de stress, ce qui peut être
particulièrement difficile notamment pour les mères présentant un trouble de personnalité
borderline (Lyons-Ruth et al., 2005). Par ailleurs, la qualité de la fonction réflexive
maternelle, comme nous le verrons plus loin, pourrait être un maillon expliquant la
transmission intergénérationnelle ou non de l’attachement désorganisé de la mère à l’enfant,
lorsque celle-ci a vécu des événements traumatiques (Fonagy et Target, 2005).
On perçoit combien « cette fonction réflexive est nécessaire pour que l’accordage très
particulier du parent aux émotions négatives du bébé donne à celui-ci le sentiment d’être
vraiment reconnu dans tous les registres émotionnels qu’il peut exprimer (Guédeney, 2011, p.
135). » C’est cette capacité qui permet à la mère d’être le « miroir » des émotions du bébé
(Winnicott, 1971). Par ce « mirroring » (Fonagy et al., 2002), la mère, face aux signaux de
détresse ou d’alarme de son bébé, répond sur le même registre émotionnel infraverbal que
celui de l’enfant (par sa mimique et sa prosodie) mais en accentuant et en ralentissant son
expression, ce qui permet à l’enfant de se sentir « validé » dans l’expression de son émotion
négative et compris, sans être submergé par celle de la mère, qui la déforme (et donc ne la vit
pas). Il va de soi que cette réponse est fonction de la qualité de l’évaluation maternelle des
signaux du bébé et de l’interprétation qu’elle en fait, grâce à sa fonction réflexive (Guédeney,
2011).
Désormais, au sein de la théorie de l’attachement, on parle « du système d’interaction
attachement caregiving comme d’un dispositif interpersonnel de régulation du stress
(Guédenney, (2011, p. 136), d’après Gunnar, 2003) » C’est cette régulation interpersonnelle
91
qui permet au bébé de réguler ses émotions négatives ou ce que d’autres nomment : « l’éveil
de la peur » (fearful arousal) (Lyons-Ruth, 2005). Cette régulation lui permet de ne pas se
désorganiser. Ainsi, la régulation des émotions négatives est d’abord un phénomène
interpersonnel et ne devient que secondairement intrapsychique, liée aussi aux compétences
propres du sujet (Guédeney, d’après Sroufe et Waters, 1977). « Si la régulation des émotions
négatives chez l’adulte semble donc une capacité individuelle, elle repose cependant sur cette
base de construction interpersonnelle : elle n’est pas uniquement la propriété de l’individu
mais est en partie liée aux réactions des personnes importantes pour le sujet au début de sa
vie : elle reste donc en partie contextuelle (Guédeney, 2011). »
3. Les interactions mère-bébé dans le cadre de la
psychopathologie maternelle : le cas de la dépression
maternelle post-natale
L’intérêt pour les interactions mère-bébé, notamment dans le cadre d’une réflexion
pourtant sur le développement psychique du bébé, ouvre des questionnements autour des
conséquences sur le bébé des dysfonctionnements interactifs qui peuvent se situer du côté de
la carence, de l’intrusion ou de l’alternance des deux phénomènes. En tant que système
dyadique, les interactions mère-bébé doivent être appréhendées de façon synchronique mais
également diachronique surtout lorsque l’on étudie la particularité des interactions maternelles
dans le cadre d’un trouble psychopathologique.
En ce qui concerne les dysfonctionnements interactifs précoces liés à la psychopathologie
maternelle, la plus grande partie des études anglophones s’est centrée sur l’étude des
retentissements de la dépression maternelle post-natale sur les interactions comportementales
et affectives du bébé. Nous présentons, de ces études, quelques résultats intéressants dans le
cadre de notre recherche, étant donné que les épisodes dépressifs sont fréquemment associés
chez les sujets présentant un trouble de personnalité borderline (White et al., 2011). Par
ailleurs, les études portant sur les interactions mère-bébé dans le cadre de la dépression
maternelle post-natale ouvrent désormais sur la question de la présence éventuelle de ces
troubles de façon sous-jacente à la dépression (Apter et al., sous presse).
Field (1994) a centré ses études sur les effets de la dépression maternelle en tant
qu’exemple probant de l’indisponibilité émotionnelle de la mère pour le bébé. Il a expliqué
l’effet du SF sur le bébé de la manière suivante : la mère représente un modulateur important
de la régulation émotionnelle du bébé et lorsque tout va bien, elle offre au bébé une
92
stimulation optimale et des interactions synchrones. Lorsqu’elle est psychiquement
indisponible, cette synchronie se perd pour le bébé qui peut alors présenter une dysrégulation
émotionnelle. Ce phénomène entraîne des changements au niveau des comportements, des
émotions, et des états physiologiques du bébé. Le bébé a en effet fondamentalement besoin de
cette régulation interpersonnelle pour son homéostasie et peut montrer des signes de
désorganisation émotionnelle et comportementale lorsque la mère est physiquement ou
psychiquement absente. La synchronie constitue en effet une des bases de l’expérience de corégulation maternelle pour le bébé à l’origine de l’émergence des capacités d’autorégulation
du bébé (Gianino et Tronick, 1988). Dans le cas de la dépression maternelle du post-partum,
le bébé doit faire face à un manque chronique de régulation interpersonnelle, qui pourrait
expliquer les effets à long terme de la dépression maternelle sur les capacités de régulation
émotionnelle de l’enfant (Field, 1995). Une revue récente de la littérature conclue, en effet,
que le manque de synchronie retrouvée au sein des dyades où la mère est déprimée se
retrouve
aux
niveaux
des
différentes
modalités
d’interactions
émotionnelles
et
comportementales et explique les difficultés de l’enfant dans l’acquisition de ses propres
capacités d’autorégulation des émotions notamment la joie et la frustration (Feldman, 2007).
Le Still Face se présente d’ailleurs comme une procédure recréant ce mécanisme d’absence
et/ou de régulation non optimale pouvant mener à la désorganisation émotionnelle du bébé.
En observant les protoconversations entre des mères déprimées et leur bébé, on peut percevoir
que ce ne sont pas tant les « ratés » inévitables et inhérents à toute interaction, comme nous
l’avons vu, qui seraient délétères mais bien l’indisponibilité psychique maternelle qui rend
impossible la « réparation » de ces défaillances temporaires. Elles sont alors en difficulté pour
valider les ressentis du bébé. Or ce dernier est sensible aux capacités maternelles d’imitation,
comme ont pu le monter Nadel et Butterworth (1999). Cependant les mères déprimées sont en
difficultés pour imiter leur bébé, ce qui signe pour Nadel et al. (1999) et Nadel et Potier
(2002) un défaut d’empathie maternelle, une défaillance de la constitution du double, reflet de
soi.
a)
Still-Face et dépression maternelle
Mesman et al. (2009), d’après une revue des différentes études au SF réalisées avec des
mères déprimées, concluent que l’ensemble des résultats montre des divergences, mais que
certains de ces bébés pourraient être à risque de développer des comportements interactifs
atypiques. Par ailleurs, le statut socio-économique n’est pas toujours équivalent dans
93
l’ensemble des études et peut constituer une variable significative pour la compréhension des
résultats.
Field et al. (2007) ont observé que les bébés de mères déprimées à 4 mois exprimaient
moins de détresse au cours du SF en lui-même comparativement à une population contrôle.
De plus, ils montraient moins de comportements interactifs au cours des retrouvailles (T2).
Ces données pourraient être en faveur d’un signe « d’habituation » de ces bébés face au style
interactif maternel lié à la dépression. Face à l’émoussement émotionnel maternel, le retrait
interactif du SF offrirait un contraste moindre. Toutefois, deux autres études (Mesman et al.,
2009) ont montré que les bébés de mères déprimées réagissaient de façon plus négative durant
toute la procédure. Dans l’étude de Weinberg et al. (2006), tous les bébés présentaient des
réactions classiques au SF mais les bébés garçons de mères très déprimées montraient moins
d’affects négatifs au moment des retrouvailles comparativement au T1 (comme les bébés
filles du groupe de mères présentant moins de symptômes). Dans l’étude de Moore et al.
(2001), la dépression était significativement reliée aux comportements de détournement du
regard au cours du SF. Toutefois, ils ne retrouvaient pas de corrélation significative entre les
symptômes dépressifs maternels et les affects du bébé.
Selon Weinberg et Tronick (1997), les difficultés interactives entre les mères déprimées
et leurs bébés seraient liées à des défaillances du système de régulation mutuelle, causées par
les troubles de l’humeur maternels. Les mères déprimées présentent une palette d’affects et de
comportements moins étendue que celle des mères contrôles ; les échanges émotionnels sont
moins diversifiés. Leurs capacités d’adaptation sont moins grandes. En effet, la plupart des
études établissent un lien significatif entre la dépression et les comportements maternels au
cours de la procédure du SF (Mesman et al., 2009). Ainsi, les mères déprimées se comportentelles différemment à l’égard de leur bébé, mais cette différence ne se retrouve pas de manière
évidente dans les comportements des bébés. En outre, Rosenblum (1995) a mis en évidence
deux styles interactifs différents en fonction du type de dépression maternelle : d’un côté un
retrait des interactions, une hypostimulation et un émoussement affectif, de l’autre, un
comportement contrôlant, intrusif, et hostile. Chaque style induit déjà à 3 mois un
comportement différent chez les bébés. Les bébés des mères déprimées intrusives montrent de
l’intérêt à des expressions émotionnelles de surprise et de tristesse chez un étranger tandis que
ceux des mères déprimées émoussées ne réagissent pas. A nouveau, par un effet
d’habituation, les bébés de mères émoussées auraient déjà « acquis » un comportement
émoussé et en retrait par rapport aux autres (Apter, 2004 d’après Diego et al., 2002). Enfin,
94
les bébés de mères déprimées seraient plus irritables en période néo-natale que les contrôles.
A 2 mois ces mères sont plus contrôlantes et leurs bébés plus opposants (Hubin-Gayte, 2003).
Le style interactif que le bébé peut développer avec une mère déprimée peut s’organiser
précocement. Par ailleurs, le bébé a tendance à reproduire le style interactif qu’il connaît et est
capable d’induire ce même style chez d’autres personnes avec qui il entre en interaction. Les
bébés de mères déprimées peuvent interagir d’un point de vue émotionnel de façon plus
ralentie, et exprimer des émotions plus neutres ou négatives. Dès l’âge de 3 mois, Field et al.
(1988) ont montré que les bébés pouvaient interagir sur un mode relationnel dépressif avec
leur mère ou d’autres personnes, ce qui serait en faveur d’une intégration précoce des patterns
interactifs.
On peut penser que des représentations maternelles positives à propos du bébé peuvent
avoir un impact positif sur les effets de la dépression maternelle au niveau des interactions.
Rosenblum et al. (2002) ont observé que plus les mères déprimées présentaient des
représentations du bébé de qualité (« équilibrées »), plus elles présentaient des émotions
positives au T2.
B. Les mères borderline et leur bébé : les
discontinuités interactives pathologiques
1. Les scénarios narcissiques de la parentalité
La naissance d’un enfant vient modifier la position des parents dans la lignée des
générations. Dans cette lignée, le concept psychologique de parentalité se réfère alors à
« l’ensemble des représentations, des affects et des comportements du sujet (père ou mère) en
relation avec son ou ses enfants, que ceux-ci soient nés, en cours de gestation ou non encore
conçus. (Stoléru et Morales-Huet, 1989) ». La parentalité « n’est pas une instance de la
personnalité, mais plutôt un secteur de fonctionnement de celle-ci ; elle est à rapprocher du
concept de relation d’objet, dont elle constitue un sous-ensemble particulier et essentiel : à
savoir la relation d’objet à l’enfant, que celui-ci soit imaginaire ou réel. (Stoléru, 1998) »
L’empathie maternelle en postnatal dépendra du degré de maturation objectale du
fonctionnement psychique de la mère. Elle s’origine dans l’état « de transparence psychique »
de la grossesse pour constituer le « socle narcissique inaugural » pour l’enfant (Missonnier,
2003). Pour Missonnier et al. (2004), l’hypothèse d’une « relation d’objet virtuel » maternelle
95
rend compte, entre autres, de cet entre-deux d’investissement pendant la grossesse entre
narcissique et objectal d’un « objet non-objet », « mi-moi, mi-autre ». La recherche clinique
actuelle a montré que les scénarios comportementaux, affectifs et fantasmatiques maternels
imaginés pendant la grossesse organisent, en partie, les interrelations ultérieures avec le bébé
en postnatal (Stoléru et al., 1985 ; Ammaniti, 1991). Ces scénarios fantasmatiques de la
grossesse rassemblent les rêveries maternelles autour de « l’enfant imaginaire »,
« fantasmatique » et « mythique » dont nous avons parlés précédemment.
Manzano, Palacio-Espasa et Zilkha (1999) sont partis de la description de Freud (1914)
du concept de narcissisme pour développer leur approche sur les scénarios narcissiques de la
parentalité. Freud avait en effet décrit dans son ouvrage « Pour introduire le narcissisme »
une autre forme de relation possible qu’il avait appelée « narcissique ». Dans ce type de
relation, le sujet s’aime lui-même dans l’autre et choisit ses objets amoureux sur son propre
modèle, du moins sur une certaine représentation qu’il a de lui-même. Pour paraphraser
Freud : il aime ainsi dans l’autre « ce qu’il est, ce qu’il a été ; ce qu’il voudrait être lui-même,
la personne qui a été son propre soi. » C’est dans le cadre de la pathologie adulte que ce type
de relation avait été décrit. Deux modes de relations s’offrent donc au sujet qui peut établir
des relations objectales ou narcissiques, l’une comme l’autre pouvant donc être prédominante.
Du côté des parents, Freud en vient à décrire « le choix d’objet narcissique » dans la relation
établie avec le bébé. Il constate chez les parents « une compulsion à attribuer à l’enfant toutes
les perfections (His majesty the baby) et à cacher et oublier tous ses défauts », « à renouveler
à son sujet la revendication de privilèges depuis longtemps abandonnés pour eux-mêmes et,
par conséquent, ils se voient dans l’enfant comme ils s’imaginaient être jadis. (Manzano et
Palacio Espasa (2005), citant Freud) » Pour Freud, l’amour des parents pour leurs enfants
serait très fortement imprégné de leur narcissisme renaissant, de leur amour pour eux-mêmes.
Freud a ensuite redéfini cette notion en termes d’idéal du moi (qui renvoie à ce que les parents
voudraient être) qui serait projeté sur le bébé. Celui-ci est alors amené à s’identifier à cet idéal
du moi qui, grâce aux mécanismes d’introjection, devient son propre idéal du moi. Dans une
perspective intergénérationnelle, il parlait alors de transmission de cet idéal du moi, de
génération en génération. Grâce à leur pratique clinique des consultations thérapeutiques
parents-bébé, Manzano et al. (1999) ont constaté que des modes de relation narcissique se
scénarisaient parfois au sein des relations parents-bébé. Une telle situation se retrouve dans le
cas des deuils non résolus, « un scénario inconscient » se rejoue entre la mère endeuillée et
son bébé. Partant de ces théories et éléments cliniques, Manzano et al. (1999) ont formulé le
96
concept de « scénarios narcissiques de la parentalité ». Ces derniers, selon Manzano et al.
(1999), se présentent sous différentes formes et sont constitués par quatre éléments essentiels
que nous retrouverons dans les descriptions des parentalités limites :
- une projection des parents sur l’enfant
- une identification complémentaire du parent qui représente une contre-identification
- un but spécifique
- une dynamique relationnelle agie
Les identifications projectives des parents sur l’enfant font partie du processus
d’humanisation de ce dernier. Elles peuvent être normales comme pathologiques. En tant que
représentations de soi (self) du parent projetées sur l’enfant, elles sont investies de libido
narcissique et peuvent être projetées soit directement (une représentation de l’enfant idéal que
le parent aurait voulu être) ou bien au travers de l’image interne d’un objet (comme par
exemple celle du père décédé). Toutefois, dans ce dernier cas, l’image interne du parent est
porteuse d’une représentation du self du parent qui avait été auparavant projetée sur l’objet
par le biais d’une identification. Ainsi, « même si la projection sur l’enfant correspond à une
image objectale, elle comporte nécessairement une représentation de soi et, par conséquent,
elle est de nature narcissique (Manzano et al., 1999). » Ces représentations peuvent être
vécues comme carencées ou abandonnées, idéalisées, endommagées, très abimées et/ou
persécutrices. En paraphrasant Freud (1914), Manzano et Palacio Espasa (2005) ont pu dire :
1/ « L’ombre de soi des parents est tombée sur l’enfant » lorsque les identifications
projectives véhiculent des images infantiles du soi des parents
2/ « L’ombre de l’objet des parents est tombée sur l’enfant » lorsque les identifications
projectives parentales comportent des images d’un objet interne significatif du passé des
parents.
L’identification complémentaire des parents, en tant que contre-identification s’effectue
également grâce à une autre représentation interne des parents, ce qui explique que dans ces
scénarios, la relation a toujours lieu entre deux aspects du soi.
Le scénario a pour but spécifique la réalisation d’une satisfaction d’ordre narcissique pour
le parent. D’autres buts peuvent apparaître en parallèle au sein des consultations, de nature
défensive comme un déni de la perte. Ils peuvent aussi permettre des satisfactions libidinales
objectales comme celle de pulsions œdipiennes refoulées.
97
L’interaction agie entre parents et enfants, dans la réalité de leurs échanges est donc la
mise en scène de ces projections et identifications au sein d’un scénario. Cela explique la
création des symptômes aux « satisfactions substitutives déguisées » (Manzano et al. (1999).
Les auteurs distinguent deux modalités dynamiques différentes dans ces interactions. Dans un
cas, les parents « fixent » une scène pour la rendre immuable dans l’ici et maintenant des
relations parents-enfants. Dans l’autre, ils « refont » une scène du passé dans le but de la
rendre plus acceptable. Il s’agit ici pour les parents de reconstruire rétroactivement leur propre
histoire personnelle.
C’est ici que cette théorisation devient particulièrement intéressante lorsque l’on travaille
avec des mères au narcissisme fragile pour lesquels les scénarios narcissiques de leur propre
histoire émaillée de traumatismes et d’histoires douloureuses se rejouent fantasmatiquement
avec l’enfant qui risque d’être investi de façon majoritairement narcissique. De par leur
narcissisme fragile, les interactions des mères borderline au fonctionnement limite avec leur
bébé vont se teinter de toute cette fantasmatique par le biais de leurs comportements.
En effet, les fantasmes et rôles imaginaires inconscients à l’origine des représentations de
soi des parents vont être déterminants dans les comportements et les modes de
communication émotionnelle qu’ils vont adopter avec leurs enfants. Ces comportements
traduisent littéralement les projections et identifications sur l’enfant de même qu’ils en
expliquent leurs répercussions directes sur ce dernier. Ces éléments sont repérables dans les
consultations thérapeutiques au travers des comportements des parents, dans leur discours
etc.… de même qu’ils peuvent être appréhendés par le biais des symptômes chez l’enfant. On
sait depuis longtemps, par exemple, que les troubles fonctionnels chez le bébé ou le jeune
enfant, comme les troubles du sommeil, peuvent être en lien avec des projections maternelles
sur le bébé d’une personne décédée. L’angoisse que celui-ci décède durant la nuit amène alors
la mère à vérifier qu’il est toujours vivant en le réveillant. D’autres enfants vont réagir aux
comportements maternels intrusifs par des vomissements ou des régurgitations. Dans ces
systèmes entretenus par les projections maternelles, la mère renforce chez l’enfant certains
comportements ou formes d’expression qui prennent part peu à peu aux modes de
communication spécifique entre les deux partenaires ou entre les parents et l’enfant.
Toutefois, la psychopathologie maternelle ou parentale ne s’exprimera pas de la même
façon pour chaque enfant et tous les enfants ne réagiront pas de la même manière aux
pressions fantasmatiques qui seront projetées sur lui. « L’enfant réagit […] en fonction de ses
propres motivations, notamment son besoin d’attachement et de « holding » suscité par ses
98
propres pulsions et défenses ; il va s’identifier, totalement ou partiellement, à la
représentation projetée sur lui mais il peut aussi reprojeter et rejeter le rôle que les parents
lui
attribuent,
ce
qui
peut
affecter
son
développement
et
faire
surgir
des
symptômes. (Manzano et al., 1999, p. 8)» Pour Manzano et al. (1999), leur théorisation autour
des scénarios narcissiques de la parentalité trouve ses bases dans la notion de narcissisme
secondaire tel qu’il est décrit dans la théorie de M. Klein (1975) et O. Kernberg (1984, 1989).
Ici, une représentation objectale de l’autre appartient au self par le biais des fantasmes
d’identification introjective et projective qui peuvent atténuer les limites entre soi et l’objet.
Dans les scénarios narcissiques de la parentalité, il peut coexister chez les parents une relation
narcissique à l’enfant (qui est le représentant d’eux-mêmes) et une relation objectale lorsqu’il
est aimé en tant qu’être différencié.
Dans les cas « pathologiques » retrouvés dans les consultations pour des problèmes
précoces de développement, la relation narcissique avec l’enfant serait prédominante. Les
scénarios narcissiques de la parentalité sont pathologiques en ce qu’ils interfèrent dans le
développement normal des relations parents-enfant. Ils entrent en conflit avec la réalité de
l’enfant en développement lorsque celui-ci ne correspond pas à la projection de ses parents
(Manzano et al., 1999). Dans ces configurations, il existe plusieurs issues à la dynamique
interactive qui se crée :
- un équilibre peut être possible si l’enfant s’accommode de la pression projective en
jouant le rôle qui lui est assigné sans présenter de troubles apparents de l’adaptation. Ces
situations sont complexes car sans cette visibilité des troubles de l’adaptation de l’enfant, les
parents vont être moins en demande d’aide, contrairement aux cas où l’on peut identifier des
troubles de la relation ou du développement. Toutefois, nous pouvons supposer, à l’instar de
Manzano et al. (1999), que ces enfants présenteront plus tard des difficultés psychologiques.
Il nous semble que la notion d’un développement en « Faux-Self » (Winnicott, 1963) pourrait
rendre compte, en partie, de cette hyperadaptation à l’environnement parental. Le « fauxSelf » expliquerait l’absence de troubles (apparents) au moment du développement précoce.
Dans ce cas-là, les troubles seraient susceptibles d’apparaître de façon plus tardive.
- A l’inverse, les situations qui vont entraîner des consultations dans les centres de prises
en charge parents-bébé sont celles pour lesquelles cet équilibre entre les forces projectives
parentales et celles liées aux besoins développementaux propres de l’enfant est mis en échec.
Manzano et al. (1999) schématisent cet échec de deux façons différentes :
99
- en grandissant, l’enfant est dans l’impossibilité de jouer le rôle qui lui a été assigné par
le biais des projections parentales et manifeste son besoin d’être reconnu et entendu en tant
que personne. Ce besoin chez l’enfant entraîne des changements dans ses comportements et,
par conséquent, une décompensation de la part des parents.
- l’accommodation de l’enfant aux projections de ses parents lui pose des problèmes pour
son développement et son adaptation au monde extérieur
- ou encore la situation de conflit peut se présenter comme une combinaison de ces deux
issues.
2. Clinique des dysfonctionnements interactifs des
mères borderline avec leur bébé : des discontinuités
interactives pathologiques
Les liens qui s’établissent entre le bébé et la mère s’organisent au sein des discontinuités
interactives qui vont donc conditionner la mise en place de la vie psychique de l’enfant. La
notion de discontinuité semble aider particulièrement à la compréhension de la naissance de la
vie psychique (processus de subjectivation du bébé) mais est également particulièrement
difficile à décrire dans sa double polarité entre normale et pathologique. Il existe d’un côté
une discontinuité de bon aloi et de l’autre le chaos incapacitant le bébé à pouvoir anticiper,
puisque comme le rappelle souvent Golse (1999), le bébé ne peut travailler que sur de petites
quantités d’énergie. Cette double polarité nous renvoie donc à la difficulté de placer notre
curseur quelque part dans ce qui pourrait être une continuité maternelle suffisamment
discontinue et donc bonne et de l’autre une discontinuité insuffisamment continue et donc
chaotique pour le bébé.
Ainsi, dans l’étude du développement de la vie psychique du bébé, l’activité de
symbolisation aurait au fond pour mission de réparer la discontinuité par rapport aux objets
externes par la continuité du lien avec les objets internes, ce que D. Houzel nomme la
« réparation symbolique » (Golse, 1999). Selon lui, l’activité représentative s’intégrerait dans
le processus de différenciation entre l’objet et le sujet. B. Golse rappelle que ce mouvement
nécessite un travail conjoint entre, du côté du bébé, un travail de créativité symbolique (dont
l’objet transitionnel de Winnicott peut rendre compte) et du côté de la mère, des
caractéristiques particulières (de l’objet lui-même) quant à sa propre séparabilité, bien
illustrées par le concept « d’objet malléable » de Milner. C’est ce travail conjoint entre la
100
séparabilité de la mère et la créativité symbolique du bébé qui permet « l’instauration d’un
gradient de différenciation ente l’objet et le sujet grâce à la mise en place de l’objet interne »
Golse (2001, p. 148). « Finalement, pour les psychodynamiciens, la naissance de la vie
psychique correspond essentiellement à la mise en place des processus de symbolisation,
c’est-à-dire, à l’instauration des capacités de représentation du monde, de soi et des relations
entre soi et le monde (Golse, 2001). »
Par conséquent, « les discontinuités organisées nourrissent et constituent la trame de la
vie psychique (Le Nestour et al., 2007 p. 130). Afin d’évaluer l’état de la construction
psychique précoce, il s’agit alors de pouvoir apprécier et comprendre les caractéristiques de
ces discontinuités. Freud (1911) écrit que l’objet naît dans l’absence ou dans la haine insistant
sur le fait que la constitution des images internes a pour fonction essentielle de lutter contre
l’absence et maîtriser les angoisses de perte. Le temps de latence avant la satisfaction des
besoins est donc à l’origine des capacités de représentations avec ce que Freud (1911) nomme
la satisfaction hallucinatoire du désir. Grâce à cette capacité créative symbolique du bébé,
celui-ci est capable de supporter cette discontinuité externe de l’objet et d’en faire une
continuité interne qui « intègre une temporalité créative ». Dans l’attente, centrale dans la
discontinuité, cette satisfaction hallucinatoire du désir ne peut se faire que si les capacités
propres du bébé ne sont pas débordées par la détresse ou l’excès d’excitation car sinon, elle
met en péril l’installation de la continuité de la vie psychique (le sentiment de la continuité
d’être de Winnicott, 1958). On perçoit bien ici, combien il est important que le bébé puisse
être appréhendé dans sa réalité propre, c’est-à-dire au plus près de ses capacités propres en
développement, certes déjà présentes mais nécessairement dépendantes de l’autre pour se
réguler. En effet, si le délai d’attente vient dépasser les capacités liées au développement du
bébé, celui-ci ne peut pas l’investir par sa capacité symbolique créative. Le risque pour le
bébé est d’être alors submergé par sa propre excitation. Au centre des discontinuités, se situe
l’indisponibilité maternelle. D’un autre côté, cette absence de satisfaction peut se transformer
en excès surexcitant pour le bébé lorsque l’indisponibilité laisse place à une certaine
promiscuité intrusive. Dans ce dernier cas, l’excès apparent de satisfaction peut aussi être
surexcitant pour le bébé. Une discontinuité de bon aloi se situe donc au sein d’une juste
distance (qui suit le gradient développemental du bébé), cette dernière agit comme un
mécanisme de régulation pour le bébé.
101
On peut se demander comment s’organisent les discontinuités interactives entre les
mères présentant un trouble de personnalité borderline et leur bébé. Quel type de lien
instaurent-elles avec leur bébé ? Qu’en est-il de leur capacité propre de séparabilité avec
leur bébé ? Comment leur propre discontinuité psychique est-elle agie au sein des
discontinuités interactives dans le cadre de « scénarios narcissiques de la parentalité » ?
Les personnalités états-limites ou borderline sont particulièrement en difficulté pour
instaurer cette juste distance avec le bébé tant elles sont soumises à des mécanismes de
défense primitifs dans la relation qui s’inscrivent dans le cadre des discontinuités interactives
pathologiques. Les excitations par défaut ou par excès rendent difficiles l’établissement du
Moi du bébé et menacent la constitution d’un narcissisme solide et l’instauration d’un objet
interne suffisamment bon nécessaires à la continuité psychique. Dans l’instauration de sa vie
psychique, le bébé doit pouvoir se trouver : « pas trop longtemps sans objet/pas trop
longtemps englouti par l’objet » ; l’envahissement par l’excitation se produisant tant dans le
« pas assez que dans le trop (Le Nestour et Héroux 2005)» Les mères borderline, de par leur
indisponibilité
psychique
pour
le
bébé,
leurs
mécanismes
d’évitement
ou
leur
incompréhension des besoins propres du bébé exposent ce dernier, dès la naissance, à des
négligences graves de ses besoins, à des distorsions relationnelles et à des violences
psychologiques retentissant sur son développement précoce. La naissance d’un bébé pour ces
dernières, véritable déséquilibre narcissico-identitaire les confronte aux formes les plus
primitives de leur pulsionnalité et vient menacer de désorganisation leur économie psychique
précaire. Leurs défenses pathologiques s’en trouvent renforcées face à la crainte persécutrice
d’envahissement et/ou de confusion d’avec le bébé. Les pathologies limites maternelles dans
le post-partum immédiat confrontent aux avatars de la mise en place de « la préoccupation
maternelle primaire » de Winnicott. Ici, ce travail de deuil est particulier au sens où le travail
psychique de la jeune mère consiste non pas à abandonner des investissements mais bien à en
produire avec le nouveau-né (Cramer et Palacio-Espasa, 1993). Ce travail psychique la
confronte à un bouleversement de toute son économie libidinale et de celui des liens
intersubjectifs (si difficiles pour les sujets limites) avec l’investissement du bébé. Ce
mouvement se fait en parallèle de la qualité des bouleversements en lien avec les objets
internes maternels. « Les mutations psychiques du post-partum demandent d’intégrer « le
descellement narcissique » qu’implique la rencontre avec cet autre qu’est le bébé (RochetteGuglielmi, 2009). Ces mères doivent faire face à la reviviscence, face au bébé, des traces de
leurs vécus primitifs, de leurs expériences précoces au travers des soins qui les engagent si
102
profondément. Elles ont elles-mêmes vécu des expériences précoces marquées par la
discontinuité, l’imprévisibilité voire l’incohérence des soins, étant bébé. Par conséquent, les
gestes de maternage, auxquels elles ne peuvent se soustraire, dans une temporalité imposée
par le bébé, les renvoient à leurs modalités du lien premier à leurs propres objets « régulateur
de soi ». Ces gestes expriment alors ce qui peine à se symboliser dans le lien au bébé
(Rochette-Guglielmi, 2009). Chez ces mères, « l’ombre de l’objet grand-maternel – activé
par le deuil impossible de ce qui n’est pas advenu et n’a pas en son temps satisfait les
« besoins du Moi » (Winnicott)-, l’ombre de l’objet tombe sur le berceau et ceci avec une
intensité redoutable tant le processus de subjectivation du bébé […] et ceux subséquents de
maternalisation de la nouvelle mère, ne vient pas « corriger » et démentir ce retour
indésirable d’une présence-absence de traces (Rochette-Guglielmi, 2009). »
Le Nestour et al., 2007 définissent le type de fonctionnement de parents présentant des
troubles de personnalité de type borderline ou état-limite ainsi : « le chaos apparent qu’ils
imposent au bébé est fait de l’alternance dysrythmique d’excitations anarchiques comme si de
violents incendies étaient momentanément contenus par des accès intempestifs de gel. » Leur
investissement du bébé se fait à l’image de leur propre discontinuité psychique, sous le mode
de la discontinuité interactive alternant entre intrusion et abandon. Face aux parentalités
limites se pose la question de la transmission transgénérationnelle du traumatisme puisque ces
parents ont eux-mêmes vécu des relations primaires émaillées de macro- et/ou microtraumatismes répétitifs qui ont affecté leurs processus psychiques précoces. Au sein de ces
parentalités limites, le bébé est soumis à des états complexes proches de ceux qu’ils n’ont pu
gérer eux-mêmes enfants (Le Nestour et al., 2007). En effet, ici, les difficultés dans la relation
mère-bébé tiennent à cet investissement libidinal particulier du bébé, frappé par la répétition
des scénarios infantiles en attente de symbolisation (Rochette-Guglielmi, 2009). Ceux-ci font
écho aux « scénarios narcissiques de la parentalité ». Les souffrances narcissiques identitaires
pour reprendre le terme de R. Roussillon, en tant que configuration où l’individuation, la
différence moi/non-moi sont mal assurées, sont à l’origine de ces projections mutilantes sur le
bébé. Chez ces mères, le processus de parentalité, mêlant des logiques narcissiques et
œdipiennes est menacé de répétition de leur histoire infantile et de l’histoire de leurs liens à
leurs propres parents. La transmission psychique, par le biais des identifications, ouvre au
déploiement des fantasmes de transmission qui peuvent la sous-tendre. Cette répétition est
porteuse de toutes leurs souffrances et de leurs manques infantiles.
103
Le discours de ces mères est particulièrement empreint d’évocations douloureuses de leur
passé où l’on retrouve de nombreuses expériences de discontinuités relationnelles avec de
multiples ruptures de liens familiaux voire des antécédents de maltraitance physiques ou
psychiques jusqu’aux violences sexuelles. Les étayages narcissiques grand-parentaux sont
impossibles ou défaillants. Le bébé convoque les blancs de subjectivation maternelle mais la
qualité de circulation des affects, indispensable à la croissance psychique du bébé et à la santé
psychique de la mère, ne peut, dans ce cas, être soutenue par la mère, seule, face à ses
terribles objets internes et particulièrement ses imagos maternelles. Leurs expériences
traumatiques du passé et perte d’objet non élaborée, bloquent chez ces parents toute capacité
représentative et d’élaboration de leur parentalité alors même qu’ils en communiquent toute
l’intensité et la qualité déstructurante (Aidane et al., 2009). Face à l’angoisse réactivée, il
s’agit alors pour eux de choisir la répétition seule familière et paradoxalement rassurante. Ce
débordement maternel par ce trop plein d’affects restés à l’état de trace mnésique sans
représentation réelle les entrave dans leur maternité. Cette mémoire sans souvenir conduit ces
mères à un surinvestissement de leurs perceptions, du thérapeute en particulier, plutôt qu’à un
état de rêverie nécessaire pour le bébé (Aidane et al.,2009). Cela semble être leur seul moyen
de maintenir la vie face à la compulsion à répéter les douleurs du passé. L’actualisation du
passé à l’œuvre de par la transparence psychique est agie de façon répétée dans un espace
temps non différencié dans la relation au bébé (ainsi que dans le transfert et le contre-transfert
des thérapeutes) (Aidane et al., 2009).
L’arrivée du bébé confronte nécessairement le parent aux images internes douloureuses
des parents qu’ils ont eus, qu’ils soient distants, inaffectifs, fragiles et abîmés ou franchement
rejetants, violents et haineux. Dans leur processus de parentalité, il leur est difficile de
s’appuyer sur des souvenirs positifs de leur enfance. Ces parents peuvent avoir conservé une
possible estime d’eux-mêmes lorsqu’ils considèrent avoir été maltraités mais peuvent aussi se
représenter comme ayant été des enfants difficiles ou indignes (Le Nestour et al., 2007). Ces
représentations rendent difficile l’établissement des sentiments d’être un parent utile,
satisfaisant et surtout non destructeur (Manzano et al., 1999 ; Le Nestour, 2003). Les
personnalités états-limites sont en difficulté (en panne) face au travail de deuil des imagos
parentales idéalisées ainsi que de celles de l’enfant parfait qu’ils auraient voulu être ; c’est
pourtant ce travail de deuil qui est nécessaire dans le processus de parentalité vis-à-vis des
imagos internes des parents. Ce travail de deuil semble figé. La crise identitaire imposée par
la maternité et l’arrivée du bébé, avec tous les remaniements identitaires qu’elle impose, est
104
entravée par l’impossibilité de se confronter à la haine de ses propres parents. Face à cette
impossibilité, le deuil de parents imaginaires idéalisés ou du moins plus bienveillants est
impossible et par conséquent le réinvestissement d’imagos parentales décevantes dans leur
déni de la vie psychique de l’enfant qu’ils ont été, l’est aussi. Ainsi les représentations
d’imagos parentales terrifiantes figées du passé restent-elles inaccessibles et pourtant toujours
autant douloureuses (Le Nestour, 2004). Les mécanismes de défense primaires qu’ils ont mis
en place pour lutter contre la terreur qu’elles suscitent amputent alors la vie psychique
maternelle pourtant soumise à « la transparence psychique » de la grossesse. Ce
fonctionnement psychique fait de dénis, d’idéalisations et de clivages renvoie alors à la
violence du déni de sa propre vie psychique et notamment affective imposé par ses propres
parents précocement (Apter-Danon et Le Nestour, 2004). Les mères présentant ce trouble de
personnalité, à l’image de leurs propres parents, fonctionnent alors également dans le déni de
leur propre vie affective. S’il leur est impossible de se confronter à la haine du parent par
l’attaque des imagos parentales, l’attaque se fait contre soi-même. Les fantômes du passé
(Fraiberg et al., 1975) sont alors pour Le Nestour et al. (2007) les représentations
identificatoires aliénantes aux parents mais également les représentations de leur soi infantile
empreints de la haine de l’objet et de soi-même. Ayant été déniés dans leurs mouvements
affectifs propres, pris dans ces identifications aliénantes, ils se perçoivent comme des enfants
humiliés et indignes qui n’ont pu se faire aimer et dont la vie affective ne peut avoir pour euxmêmes de valeur propre (Le Nestour et al., 2007 citant Palacio-Espasa, 2000).
Pris dans ces mouvements identificatoires aliénants, l’estime de soi est attaquée et avec
elle, l’investissement libidinal d’autrui. L’identification mélancolique et l’identification à
l’agresseur, déjà à l’œuvre pendant la grossesse, se rejouent en présence du bébé dans un
scénario narcissique de la parentalité (Palacio-Espasa et Knauer, 1998). Pour survivre
psychiquement, ces parents sont pris dans des mouvements sadomasochistes et d’autosadisme mortifère afin de faire triompher un masochisme grandiose (Le Nestour et al., 2007).
Ce n’est qu’au prix de ces mécanismes défensifs qu’ils peuvent lutter contre des terreurs
extrêmes. Ils imposent alors à nouveau à leur bébé le même type d’investissement en niant sa
vie psychique et ses affects en particulier (Le Nestour et al., 2007).
La clinique des prises en charge de ces mères avec leur bébé met en lumière le
retentissement des troubles de personnalité borderline sur la parentalité au regard des critères
du DSM IV.
105
Les retentissements des troubles de la personnalité borderline sur la parentalité ont été
particulièrement bien décrits par Le Nestour et al. (2007) et Apter (sous presse). Au travers de
leurs descriptions, ils se sont basés sur les critères du DSM IV, en rappelant que ce diagnostic
peut aussi faire courir le risque d’une approche nécessairement restreinte des éléments
cliniques qui font la spécificité des retentissements du trouble borderline sur la parentalité.
Toutefois, la définition du TPB dans le DSM IV, comme nous l’avons vu précédemment,
rassemble les concepts psychiatriques et psychanalytiques. Elle permet, de plus, d’approcher
un consensus entre critères de recherche et critères cliniques.
Si l’on prend les critères du DSM IV, on peut percevoir l’impact que chacun de ces
critères peut avoir sur le bébé. En tant que trouble de la personnalité, il est responsable de
répercussions dans au moins deux des domaines suivants :
1. la cognition, c’est-à-dire la perception et la vision de soi-même, d’autrui et des
événements
2. l'affectivité, les émotions (c'est-à-dire la diversité, l'intensité, la labilité et l'adéquation
de la réponse émotionnelle)
3. le fonctionnement et les relations interpersonnelles
4. le contrôle des impulsions
Or, tous ces domaines sont particulièrement mobilisés dans la relation mère-bébé puisque
la parentalité s’appuie sur tous ces champs pour exercer ses fonctions. Le bébé va tous les
mettre à l’épreuve.
Les mères présentant un TPB sont mues par des « efforts effrénés pour éviter l’abandon
réel ou imaginaire » qui s’expriment tant dans la gestion de leurs émotions que dans leurs
attitudes et comportements au sein des relations. Le bébé, par la relation de dépendance qu’il
impose nécessairement à la mère réactive plus que jamais la crainte de l’abandon que les
mères ont souvent vécu par le passé. La réalité du bébé et de ses rythmes propres, changeants
et caractérisés par ses moments de disponibilité liés à son éveil qui alternent avec de longues
périodes de sommeil sont alors difficiles à percevoir comme faisant partie du rythme propre
du bébé. Ce dernier est alors à risque de devenir persécuteur pour sa mère, tant il lui est
difficile de l’appréhender dans sa réalité propre. Si le bébé est investi au travers des éléments
projectifs maternels, l’abandon de la mère par le bébé se réaliserait alors fantasmatiquement
pour cette dernière s’il dort à un moment inattendu (Le Nestour et al., 2007). La capacité
maternelle à être seule en présence du bébé est particulièrement en péril. Le risque de se sentir
106
seule en présence de son bébé est d’autant plus grand que celui-ci sera identifié à une figure
parentale « abandonnante » et « rejetante » à la fois. Il peut être tour à tour pris dans des
mécanismes de collage (d’adhésivité ou de fusion) puis de rejet. De même, qu’il peut être
totalement gratifiant, figure de l’idéalisation maternelle, il risque de devenir rapidement très
décevant, persécuteur, figure de la dévalorisation, le bébé est ainsi tenu puis abandonné dans
une particulière discontinuité, reflet des mouvements projectifs maternels. Dans cette
description se comprend le « mode de relations interpersonnelles intenses et instables » des
sujets présentant un TPB. Le bébé alterne entre « position extrême d’idéalisation et
dévalorisation dans la fantasmatique maternelle. » Par ailleurs, les relations de couple, quand
elles existent, sont marquées par des ruptures fréquentes et de nombreux changements. Elles
ne sont que rarement étayantes pour la mère et ne permettent pas l’accueil d’un bébé « sans
potentialisation des rivalités et des persécutions (Apter, sous presse) ».
Face aux critères diagnostics, ces relations instables et discontinues seraient liées à « une
perturbation de l’identité : une instabilité marquée et persistante de l’image et de la notion de
soi ». « Les comportements sont régis par des perceptions immédiates plutôt que par un
modèle intériorisé, persistant et continu de soi et des autres (Apter, sous presse)». Comme
nous l’avons décrit précédemment, la crise identitaire de la maternité, avec les remaniements
identitaires qu’elle impose, offre à ces mères une nouvelle représentation de soi en tant que
mère qui les confronte à leurs imagos parentales douloureuses, abîmées et endommagées (Le
Nestour et al., 2007). Cette nouvelle représentation de soi, crée par la naissance du bébé, les
renvoie à la difficulté d’avoir une représentation d’un soi (self) cohérent. « L’impulsivité
(dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet) » peut alors se
percevoir, chez ces mères à la personnalité troublée, comme une approche défensive dans
« des mouvements de fuite psychique de l’angoisse » réactivée par les réaménagements des
imagos identitaires (Le Nestour et al., 2007). Les processus identificatoires à ses propres
parents si angoissants et les émotions complexes suscitées par le bébé sont combattus par le
recours à « l’agir pour tenter d’évacuer les manifestations/excitations non intégrables
psychiquement (Le Nestour et al., 2007). » A cette impulsivité est lié un risque de
maltraitance ou de négligences physiques ou émotionnelles pour leurs enfants et/ou pour
elles-mêmes à travers leur enfant (Le Nestour et al., 2007).
Enfin, le bébé puisqu’il peut potentialiser des mouvements émotionnels intenses en tant
que partenaire de relations peut être soumis au rejet lié à des comportements auto-dangereux
chez la mère : « la répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou
107
d’automutilation ». Ils traduisent une crise chez la patiente qui a pour conséquence le rejet du
bébé.
Ces patientes sont débordées par les émotions (les leurs et celles de leurs proches). Leurs
mécanismes de défense limitent leurs capacités d’empathie et elles manquent de fonction
réflexive (Fonagy et al., 1995 ; 2003). Elles sont prises dans leur propre dysrégulation
affective, leur impulsivité et leurs « colères inappropriées ainsi que leur difficulté à les
contrôler », d’autant plus qu’il leur est impossibilité de se soustraire à cette relation
émotionnellement éprouvante. Ce débordement émotionnel va entraver les capacités
maternelles à aider le bébé à réguler ses émotions.
Les mères borderline sont en difficulté dans leurs processus d’identification au bébé ce
qui va rendre particulièrement complexes les relations mère-bébé. Ces difficultés
d’identifications seraient en lien, comme nous l’avons vu avec la particularité de leur
fonctionnement psychique. Les mères présentant un TPB sont soumises à un bouleversement
émotionnel lié à leur incapacité à être en empathie au sein d’une relation « non pas tant du fait
d’une méconnaissance « cognitive » à reconnaître les états émotionnels de l’autre, que du fait
des sentiments envahissants qui la submergent lorsqu’elle est amenée à s’identifier aux
émotions d’un autre (Le Nestour et al., 2007, Apter, sous presse, Fonagy et al., 1995). »
L’incapacité maternelle à faire face à sa propre sensibilité exacerbée (en face des mouvements
émotionnels du bébé et de ses demandes émotionnellement éprouvantes), laisserait place à des
« colères intenses et inappropriées difficilement contrôlables » ou à des manifestations de
rejet ou encore à l’autodénigrement et au vide. Par ailleurs, le bébé s’il est stimulé de manière
inadaptée peut en retour activer des réactions émotionnelles négatives et augmenter les
sentiments de colère maternels. Il pourrait se créer une sorte de cercle vicieux, rapidement
difficilement surmontable pour la mère. Ces problèmes d’identification au bébé sont renforcés
par leur propre « instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur ». Ces
patientes sont aussi en difficulté pour intégrer les expériences affectives auxquelles elles sont
confrontées, qu’il s’agisse de leur propre ressenti ou de l’impact de leur comportement dans
les relations interpersonnelles (Apter, sous presse). Or le bébé réagit fortement aux variations
émotionnelles de son environnement et s’y adapte, en fonction de ses capacités propres.
Enfin, la naissance du bébé renvoie au vide utérin qui peut aussi potentiellement renvoyer à la
mère son « sentiment chronique de vide », particulièrement caractéristique de leurs moments
d’effondrement dépressifs. L’investissement de l’enfant peut donc se faire en miroir d’un
sentiment de vide : bébé tour à tour totalement comblant (qui remplit le vide maternel) puis
108
totalement décevant qui amplifie ce vide. Ayant été confrontées à de multiples abandons réels
et fantasmatiques, le moment même de l’interaction contient potentiellement en lui-même le
risque et l’attente anticipée par la mère de la répétition (Apter, sous presse). Au travers d’une
identification partielle à l’enfant qu’elle a été, la mère interprète les comportements de son
bébé à partir de l’image qu’elle a pu intérioriser d’elle-même, en partie renvoyée par ses
propres parents. Face au caractère négatif des représentations maternelles de soi en tant
qu’enfant « qui ne méritait pas qu’on prenne soin d’elle », le risque que cette image soit
projetée sur le bébé est important.
Enfin, la venue d’un enfant entraîne des bouleversements pouvant réactiver « la survenue
transitoire d’une idéation persécutrice (renforcée par la difficulté de prévoir les réactions du
bébé) et/ou des symptômes dissociatifs sévères ». Les fluctuations au sein des relations
interpersonnelles pouvant potentialiser des décompensations, le bébé pourra être inclus dans
le discours interprétatif des mères.
Face à leurs difficultés, les mères présentant un TPB peinent à refléter au bébé les
émotions qu’il ressent de façon contingente. Elles sont incapables d’interpréter avec justesse
et d’anticiper ses besoins. Le bébé met alors en place de véritables capacités d’adaptation, de
régulation et de négociations mais construit également des défenses rigides face à des états
émotionnels chaotiques, le plus souvent imprévisibles auxquels il est soumis (Le Nestour et
al., 2007).
La clinique des prises en charge mère-bébé lorsque la mère présente un trouble de
personnalité borderline confronte les thérapeutes à des bébés qui sont le plus souvent agités,
« hyperactifs » selon les dires de leurs mères, surtout lorsqu’elles ne présentent pas de
troubles de l’humeur majeurs (Apter, 2004). Ils suscitent chez celles-ci des moments
d’irritation, qu’ils semblent accentuer par de l’hyperexcitation. Il semble que, selon leurs
parents, ces enfants aient besoin de plus de stimulations pour se calmer.
Comment la capacité du jeune enfant à donner sens à ses émotions et à se représenter un
monde cohérent peut-elle s’organiser dans ce cadre là ? Apter (sous presse) a émis
l’hypothèse selon laquelle « ce serait peut-être de cette façon que les [mères] borderline ont
dû [elles-mêmes] faire face à des difficultés de régulation émotionnelle dans leur première
enfance ». Aussi, le risque de répétition des problématiques de régulation émotionnelle est-il
majeur. Enrayer ce risque, en permettant que d’autres configurations de régulation
émotionnelle se mettent en place entre la mère et l’enfant, par le biais d’une aide apportée à la
109
mère pour mieux appréhender son bébé, devient un des objectifs des prises en charge
thérapeutiques.
3. Les interactions des mères borderline avec leur
bébé : une revue de la littérature
Au sein des études sur les interactions mère-bébé, lorsque celle-ci présente une
psychopathologie, l’intérêt majeur porté à la dépression maternelle s’est aujourd’hui déplacé
sur les répercussions des troubles de personnalité maternels sur les interactions avec leur
bébé. Il est intéressant de voir que Rutter et Quinton, en 1984, avaient prédit que les mères
avec des troubles de personnalité auraient plus de difficultés dans leur rôle de mère que celles
présentant des pathologies de l’axe 1 du DSM IV, tels les troubles dépressifs. Cependant, les
effets à long terme d’une pathologie maternelle de type borderline sur leurs enfants n’ont
encore été que très peu étudiés. Très peu d’études ont notamment été réalisées avec des
dyades où la mère présente un TPB (Genet, Golse et Apter ; sous presse).
L’observation des interactions des mères borderline avec leur bébé permet de rendre
compte de la mise en place d’« une intersubjectivité troublée » (Apter, 2011). Ces différentes
études mettent en évidence des dysfonctionnements interactifs que même une clinique fine
peine à objectiver, tant il est difficile de les caractériser et tant ces dysfonctionnements
interactifs semblent paradoxaux, voire imperceptibles. Dans le cadre de ces interactions, la
psychopathologie maternelle entrave l’organisation interactive et rend difficile le
développement de l’intersubjectivité au travers d’un système bidirectionnel complexe
(Weinberg et Tronick, 1997). La dyade se voit perturbée dans ses tentatives d’engagement, de
régulation et de réparation (Le Nestour et al., 2007).
Apter (2011) résume les données actuelles sur les relations mère borderline-bébé en deux
points. Premièrement, elles sont imprégnées de :
1) Carences interactives et affectives perceptibles au sein desquelles les bébés sont tenus
moins confortablement. Les mères sourient et vocalisent moins, et leurs vocalisations
sont plus négatives à l’égard du bébé comparativement à des mères sans trouble de
personnalité (Gratier et Apter-Danon, 2008).
Cela rejoint l’étude de Kiel et al. (2011) qui a montré que les mères borderline
montraient moins d’affects positifs à l’égard de leur enfant comparativement à une
110
population témoin. On perçoit ici le manque de sensibilité maternelle dans son aspect
« en creux ».
Une revue de la littérature (Genet et al., sous presse) expose que, dans le cadre du trouble
de personnalité borderline, plusieurs études font état du manque de sensibilité maternelle à
l’égard du bébé et aussi particulièrement de comportements intrusifs (Crandell et al., 2003 ;
Apter-Danon et Candilis-Huisman, 2005 ; Newman et al., 2007 ; Hobson et al., 2005 ; 2009 ;
Kiel et al., 2011). L’intrusion pourrait alterner avec des comportements de retrait, par ailleurs
souvent décrits dans littérature (Le Nestour et al., 2007). Toutefois, il semble que ce manque
de sensibilité maternelle à l’égard du bébé soit particulièrement plus perceptible ou accentué
face à la détresse de l’enfant. En effet, les mères borderline feraient preuve de plus de
comportements insensibles lorsqu’elles seraient confrontées à la détresse de leurs enfants
(Kiel et al. 2011; Hobson et al., 2009). Ce manque de sensibilité à l’égard de l’enfant et ces
comportements intrusifs font par ailleurs écho à l’inconsistance maternelle alternant avec le
surinvestissement maternel de l’enfant décrite dans l’étude de Bezirganian et al. (1993), qui
concernait des enfants plus âgés.
Apter (2011) résume alors le deuxième point des relations des mères borderline avec
leurs bébés en disant qu’elles sont imprégnées de :
2) Stimulations excessives et d’intrusions. Elles sont manifestes dans les comportements
de bercement ou de balancement des enfants de manière compulsive avec par ailleurs
des mouvements brusques de rapprochés et de retraits dans les interactions en face à
face. Les bébés sont sollicités en permanence sans tenir compte de leurs
comportements. Les gestes maternels le plus souvent hyperstimulants peuvent
transformer des « chatouilles » (voire des caresses) en intrusion désagréable.
Les écrits sur les prises en charge thérapeutiques de ces dyades montrent à quel point les
mères borderline semblent ne pas avoir conscience de leurs mouvements paradoxaux à l’égard
de leur bébé. Les cliniciens se heurtent alors à la difficulté de sensibiliser ces mères à leurs
deux tendances apparemment antinomiques. « La conjonction du « moins » quantitatif [avec
la négligence et la carence] et du « plus » qualitatif [avec l’intrusion] fait souvent basculer
les impressions d’un côté ou de l’autre (Apter, 2011) ».
Les interactions mettent alors en exergue trop de stimulations avec pourtant trop peu
d’émotions, et surtout trop peu d’affects positifs (Apter, 2011 ; Kiel, 2011), c’est-à-dire, des
difficultés d’ajustement entre leurs comportements et leurs émotions. De plus, ce manque
111
d’ajustement aux émotions négatives du bébé, lorsqu’il est en détresse, semble augmenter les
difficultés maternelles et être responsable de réponses comportementales inadéquates (Kiel,
2011).
On observe une dysrégulation émotionnelle et affective au sein des interactions mèrebébé (Crandell et al., 2003 ; Apter-Danon et Candilis-Huisman, 2005). Les mères semblent en
difficulté pour aider l’enfant à réguler ses affects et ses émotions liés à la détresse qu’il peut
ressentir après des épisodes de séparation brève lors d’une évaluation à la Situation Etrange
(Kiel et al., 2011). Plus les mères avec un TPB seraient confrontées à la détresse de l’enfant
(en terme de durée), plus elles seraient en difficulté sur le plan de la régulation émotionnelle,
et pour elle-même, et pour l’enfant, et plus elles manqueraient de sensibilité à l’égard de ce
dernier (Kiel et al., 2011). Elles ne seraient plus en mesure d’effectuer un « accordage
affectif » (Stern, 1985) adéquat vis-à-vis des comportements et vécus de l’enfant (Newman et
al., 2007).
Les mères avec un TPB montrent moins de comportements d’imitation à l’égard de leur
bébé (White et al., 2011). Cette difficulté serait en lien avec le manque de capacité de fonction
réflexive et de mentalisation décrites par Fonagy et Target (1997) et rejoindrait d’autres
résultats de White et al. (2011), selon lesquels les mères présentant un TPB décrivent leurs
enfants, à 3 mois, comme exprimant plus d’affects de peur, et comme étant plus difficiles à
calmer. Plusieurs hypothèses s’ouvrent ici : soit elles auraient du mal à apprécier le
tempérament de l’enfant en raison de leur difficultés d’empathie avec le ressenti de ce dernier,
soit la qualité du tempérament de l’enfant serait liée (en partie) aux conséquences du trouble
de personnalité maternel, dès la grossesse. En revanche, les capacités maternelles d’imitation
de l’enfant étaient préservées pour le groupe des mères présentant une comorbidité du TPB
avec un épisode dépressif majeur (White et al., 2011). Une des hypothèses cliniques serait que
la dépressivité maternelle, dans la période périnatale, permettrait aux mères d’avoir de
meilleures identifications au bébé. Ainsi, un réaménagement des imagos maternels pourrait-il
se mettre en place et faciliter des identifications plus positives pour le bébé. Ces imagos
maternelles, souvent de mauvaise qualité, en raison des nombreuses difficultés relationnelles
dans le passé infantile des sujets présentant un TPB seraient soumises aux mécanismes de
défense pathologiques à l’œuvre dans ce trouble (déni, clivage et idéalisation). Le bébé se
trouverait lui même pris dans un entrelacs d'identifications projectives pathologiques inscrites
au sein de ces mêmes mécanismes de défense. Le réaménagement des imagos maternelles
améliorerait les capacités d’imitation en permettant une meilleure appréhension des
112
mouvements affectifs du bébé, par l’amélioration des capacités de fonction réflexive, par
ailleurs perturbées, chez les sujets avec un TPB (Fonagy, 2004).
Selon l’étude de Newman et al. (2007) qui avait observé les interactions de mères
présentant un TPB avec leurs bébés âgés de 3 à 36 mois, il semble que pour certaines de ces
mères, il puisse exister un lien fort entre un sentiment de détresse maternelle et les
comportements insensibles à l’égard du bébé. Les mères de leur étude se sentaient
particulièrement stressées et moins compétentes dans leur rôle de mère. Ce sentiment
d’insatisfaction, de stress, voire de détresse pourrait constituer une porte d’entrée vers une
prise en charge psychothérapeutique mère-bébé, même s’il s’agit de les aider bien au-delà
d’une simple guidance compte tenu des répercussions du trouble de personnalité dans leurs
relations avec leur bébé. La perception maternelle d’un haut niveau de stress dans le rôle de
parent constitue un facteur défavorable pour la relation mère-bébé ainsi que pour la capacité à
être parent. Newman et al. (2007) soulignent que de hauts niveaux de stress liés à la fonction
parentale sont associés à un style négatif d’autorité parentale. Ce style éducatif, par ailleurs, a
été associé à des comportements perturbés ou d’opposition chez l’enfant plus âgé (Abidin,
1990). Ainsi, ce style parental particulier des mères borderline entraînerait des effets
défavorables sur le développement et la régulation comportementale de l’enfant.
Toutefois, si les mères présentant un TPB montraient plus de comportements de type
intrusif à l’égard de l’enfant (Crandell et al., 2003 ; Apter et Candilis-Huisman, 2005 ;
Hobson et al., 2005, 2009), il n’existait pas de lien de corrélation entre l’insensibilité intrusive
maternelle et la capacité de l’enfant à s’engager dans une interaction avec une étrangère à 12
mois. Newman et al. (2007) avaient cependant soulevé l’hypothèse selon laquelle les enfants
de mères borderline pourraient être à risque de développer des patterns évitants au sein des
relations interpersonnelles puisqu’ils avaient tendance, au cours des interactions avec leur
mère, à faire preuve de plus de comportements de retrait relationnel.
L’étude de Crandell et al. (2003), qui utilisait le Still-Face, a montré qu’à 2 mois les
bébés de mères borderline interagissaient de la même façon que les bébés contrôles avant
l’épisode du Still-Face à proprement parlé, bien que leurs mères aient été décrites comme plus
insensibles et intrusives, moins contingentes et moins empathiques à leur égard. En revanche,
à 3 mois, dans l’étude d’Apter-Danon et Candilis-Huisman (2005), les bébés de mères
borderline, eux, se présentaient déjà différemment, avec plus de manifestations de
dysrégulation du système nerveux autonome (SNA). Les études ont observé que les bébés à 3
mois étaient désorganisés par un stress mineur et qu’ils montraient une dysrégulation
113
émotionnelle après l’épisode du SF en lui-même. Ainsi très précocement, dès l’âge de 3 mois,
les bébés de mères présentant un trouble de personnalité borderline présentent comme le
résume Apter (2004 ; sous presse) :
1) Des difficultés corporelles dans la relation et dans l’autorégulation se caractérisant par
une augmentation des tentatives d’évitement du regard de leur mère et par un plus
grand nombre de conduites de mises à distance : des mouvements de recul du corps
entier.
2) Des manifestations émotionnelles minimes en creux ou « en veilleuse » qui se
traduisent par une diminution des sourires, par une augmentation des expressions
émotionnelles négatives, passives uniquement, tels des geignements, chouinements, ou
protestations faiblement vocalisés sans augmentation des pleurs et des cris, et par une
augmentation de l’émoussement et des attitudes de tristesse et d’impassibilité.
Apter (2004 ; sous presse) conclut qu’aussi précocement qu’à 3 mois, ces bébés semblent
« atténuer leurs expressions affectives pour se maintenir dans une gamme moyenne négative.
Les difficultés d’autorégulation laissent penser que l’expression d’émotions plus fortes serait
trop difficile à contenir sans que l’on puisse toutefois exclure que ces bébés présentent des
difficultés à exprimer toute la gamme des émotions. » Etant donné les difficultés que ces
mères présentent pour aider l’enfant à se réguler dans l’expression de ses affects négatifs
(notamment lors de moment de détresse) (Kiel, 2011), on peut faire l’hypothèse que dès trois
mois, les bébés auraient déjà pu moduler cette expression de façon adaptative aux réponses
inadéquates de leurs mères.
Par ailleurs, chez ces bébés, les désajustements tonico-posturaux sont également visibles
au cours des interactions et donne l’impression d’un mal-être (Apter et Candilis-Huisman,
2005).
Les interactions des mères borderline avec leurs bébés sont moins harmonieuses et moins
accordées (Apter et Candilis-Huisman, 2005 ; Apter, 2004, sous presse) et elles présentent
également plus de discontinuités. Ces aspects renvoient au manque de contingence au sein de
ces interactions qui a, par ailleurs été mise en évidence au niveau vocal. L’analyse des
interactions vocales montraient en effet une absence d’adaptation des mères aux vocalisations
du bébé. Les mères faisaient preuve de rythmes extrêmement fixés que les vocalisations du
bébé ne modifiaient pas. Enfin, le contenu des vocalisations était plus répétitif et beaucoup
114
moins varié que celui des mères contrôles (Gratier & Apter-Danon, 2008 ; Delavenne et al.,
2008).
L’absence de co-régulation est manifeste du point de vue des configurations
émotionnelles, de la synchronie et de la mutualité (Apter, sous presse). Cela rejoint les études
portant sur les interactions des mères borderline avec des bébés plus âgés de 12 mois (Kiel,
2011). De plus, ces interactions ne présentent pas les caractéristiques habituelles de « protoaccordage » que l’on peut constater dans des populations tout-venant (Apter, 2011).
« Les interactions sont à la fois plus discontinues vis-à-vis du bébé, mais aussi beaucoup
plus figées du point de vue de la mère (Apter, sous presse)». D’un point de vue émotionnel et
comportemental, c’est l’absence de changement au cours d’un temps donné qui est le plus
marquant pour ces dyades comparativement à des dyades contrôles (Apter, sous presse). « Les
mères borderline continuent de solliciter et de fixer leur bébé, y compris lorsque ceux-ci sont
désorganisés, comme si elles ne pouvaient pas tenir compte des manifestations du bébé pour
modifier leur propre conduite (Apter, sous presse). » A cette problématique s’ajoute celle
d’aider l’enfant à s’auto-apaiser lorsqu’il montre des émotions négatives dans des moments de
détresse à 12 mois (Kiel et al., 2011). La détresse de leur enfant les rendrait encore moins
contingentes et plus insensibles, comme si elle venait accroître leurs propres difficultés de
régulation des émotions. Apter (sous presse) pose la question d’une impossibilité maternelle à
gérer leurs propres émotions si elles se laissaient envahir par la tonalité affective négative
exprimée par le bébé. « Tout se passe comme si elles persistaient à quêter une réponse à leur
propre demande infantile d’accordage (Apter, sous presse). »
Les interactions nous permettent d’approcher le processus d’intersubjectivation entre la
mère et le bébé. Nous revenons maintenant sur ce processus et sur les origines de la
conscience de soi chez le bébé.
C. Processus d’intersubjectivation et de
subjectivation du bébé : aux origines de la
conscience de soi
La perception et l’intersubjectivité sont les deux pôles de l’émergence de la vie
psychique. Comme le souligne souvent B. Golse (1999), le bébé se construit, se subjectivise,
entre ce qui vient de la perception du dehors et du dedans, dans un double mouvement entre le
corps du bébé et la rencontre avec l’autre. Il parle d’un « double ancrage corporel et interactif
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des processus précoces de symbolisation », c’est-à-dire des processus de pensée. Toutefois,
rendre compte des processus qui se jouent entre ces deux pôles de façon exhaustive relèverait
d’un exploit et dépasserait de loin l’objectif de nos recherches. Loin de ce tout exhaustif qui
nécessiterait de décrire tout le versant des sensations ou des perceptions du bébé, nous
cherchons à proposer un exposé des éléments théoriques qui éclaireront, en particulier,
« l’ancrage
interactif »
des
processus
de
pensée
et
donc
de
subjectivation
et
d’intersubjectivation. Par cet ancrage interactif, nous cherchons à exposer la place de l’autre
(ici, le plus souvent la mère, mais aussi l’environnement) au sein de ces processus, pour le
bébé. Tout ce qui se trouve dans le psychisme « émergeant » du bébé a d’abord été
perceptions et sensorialité comme l’a laissé entendre Freud (1923, 1925). La perception
transforme le réel et est à l’origine des représentations dont la nature et le destin seront
tributaires de la manière dont les pulsions ou les affects investiront et s’empareront des
éléments sensoriels et perceptifs (Ciccone, 2011). Pour B. Golse (1999, p. 129) « le détour
par l’autre est nécessaire à l’enfant pour donner progressivement forme et sens à ses
sensations ainsi destinées à devenir perceptions. » Cette dimension interrelationnelle et
intersubjective de l’émergence de la vie psychique a été développée par de nombreux auteurs.
Cependant, Winnicott, nous paraît être un auteur incontournable : sa célèbre phrase « un bébé
seul, ça n’existe pas » s’entend également du point de vue de l’instauration même de
l’appareil psychique du bébé. Bion (1962a, 1962b) lui aussi, dans sa théorisation a
particulièrement insisté sur la nécessité de la fonction alpha de la mère pour le bébé, en tant
qu’elle lui prête son « appareil à penser les pensées ». Elle lui apporte son soi pensant et ses
états émotionnels qui soutiennent les processus d’intégration du soi du bébé afin qu’il puisse
intérioriser cette fonction pour lui-même (Bion, 1962a, 1962b).
De nombreux travaux de recherche démontrent aujourd’hui que le bébé est d’emblée, dès
la naissance, dans une forme d’intersubjectivité que Trevarthen (1979) nomme
« intersubjectivité primaire ». Trevarthen et d’autres ont démontré la précocité de ces
expériences de partage intersubjectif, le bébé ayant d’emblée, dès les premiers mois de vie,
une sensibilité aux sentiments, aux intérêts et aux intentions des personnes de son entourage.
Par
exemple,
un
indice
d’intersubjectivité
chez
le
bébé
se
situe
dans
les
« protoconversations » entre lui et ses partenaires, dès les premiers mois de vie (Stern, 1985).
Puis, dès 6 mois, il serait capable de « contrôle intersubjectif » : le bébé agit et observe pour
voir l’effet que produit son action. Il est alors capable d’une « évaluation émotionnelle et
partageable de la réalité » en développant une « conscience commune » (Trevarthen, 1979,
116
1989 ; Trevarthen et Aitken, 2003, 1996 in Ciccone, 2011). Un autre indice d’intersubjectivité
est constitué par le « référencement social » chez l’enfant. Par ce processus, il va se référer au
regard et à l’expression du visage de son partenaire, ainsi qu’à l’affect qu’il communique à ce
moment-là pour se réguler et ajuster ensuite ses comportements, notamment dans une
situation inconnue ou inquiétante pour lui.
Si la perception et la sensorialité représentent l’un des fondements de la réalité psychique,
l’autre fondement est représenté par l’intersubjectivité : les compétences du bébé ne peuvent
se développer que si l’environnement est suffisamment facilitant et que l’objet (la mère) fait
tout un travail psychique. C’est dans cette intersubjectivité que se fonde la subjectivité du
bébé. Autrement dit, le fondement de la vie psychique, le processus de subjectivation,
s’élabore grâce au travail du corps du bébé (du sensoriel, du perceptif, et du pulsionnel) et au
travail de l’autre grâce à sa propre vie psychique. Ce travail de subjectivation suppose donc la
possibilité d’un partage émotionnel et affectif au sein des aires intersubjectives d’expérience.
Cette notion d’intersubjectivité revêt un double sens, elle est à la fois ce qui sépare, ce qui
crée un écart, et ce qui est commun, et articule deux ou plusieurs subjectivités.
« L’intersubjectivité est à la fois ce qui fait tenir ensemble et ce qui conflictualise les états
psychiques des sujets en lien (Ciccone, 2011, p.84) ». Au tout début de la vie, dans un état de
non intégration psyché-soma, sans la contenance de la mère et avant l’intériorisation
progressive de cette fonction contenante pour lui-même, le bébé peut vivre des « agonies
primitives » (Winnicott). Le bébé, aidé par son environnement et tout particulièrement par
« la préoccupation maternelle primaire » (Winnicott, 1956), peut développer ses compétences
précoces cognitives et relationnelles (son appétence relationnelle précoce) immédiate, dans un
style qui lui est propre (Brazelton, 1983, 1989). De part un tempérament organisationnel, le
bébé est déjà, très précocement capable d’une régulation de son homéostasie, végétative,
fonctionnelle et corporelle (Missonnier, 2003). Ce tempérament est mis en évidence par le
biais de l’échelle NBAS (Neonatale Behavior Scale) développée par Brazelton avec des
nouveau-nés.
Notre utilisation de cet outil en maternité avec des nouveau-nés nous a montré combien il
se révèle d’une grande ingéniosité pour permettre aux mères (particulièrement celles en
difficulté), de les sensibiliser aux capacités de leur bébé, en leur montrant son style propre, ses
forces et ses fragilités (Candilis-Huisman, 2011). La découverte de ses potentialités permet
d’appréhender le bébé comme un être compétent mais qui a besoin de l’aide d’autrui pour se
réguler. Une mère découvrira par exemple combien son bébé peut être sensible au bruit et
117
avoir du mal à protéger son sommeil, elle pourra l’aider en faisant en sorte qu’il ne soit pas au
milieu de trop de bruit. Cette échelle peut aussi mettre en lumière la fragilité de ses capacités
de régulation et l’extrême labilité de ses états de vigilance. La description des 6 états de
vigilance du bébé par Brazelton permet de mettre en lumière, pour certains bébés irritables, le
passage sans transition, d’un état alerte, de disponibilité pour la relation à l’autre, à celui de
désorganisation avec agitation. Le bébé peut ainsi, dans une interprétation très personnelle,
réguler les afflux sensoriels proprio- et extéroceptifs en développant de subtiles transpositions
intersensorielles à partir d’une « perception amodale6 » (Missonnier, 2003 d’après Stern,
1985). Stern (1985) défend l’existence d’un soi émergent qui permet au bébé d’avoir
conscience des processus d’organisation de soi dès la naissance. « Sous cet angle, le bébé ne
connaît donc pas d’indistinction initiale soi/autrui. Dans ce cadre, la complexité des
échanges met bien en exergue l’efficience du nourrisson à s’inscrire progressivement dans la
réciprocité de l’intersubjectivité (Stern (1989), cité par Missonnier, 2003, p. 51). »
La capacité de créer et de maintenir un sentiment intérieur de sécurité émotionnelle vient
du sentiment d’être capable de surmonter ou de dépasser les épreuves en faisant appel à ses
propres mécanismes de régulation ou bien, en faisant appel à d’autres sujets dans une
régulation interactive et donc interrelationnelle. Ce sentiment d’exister en sécurité renvoie au
sentiment continu d’exister et donc à la formation du Self au sens de Winnicott (1958). Ce
sentiment nécessite une sécurité interne qui donne au bébé une confiance en ses propres
ressources, mais également en son environnement, si celui-ci a été suffisamment disponible et
efficient dans ses réponses. La motivation du bébé à agir est entretenue par la capacité
d’anticipation, celle-ci recouvrant l’idée que l’environnement (la mère) apportera une réponse
adaptée, contingente, au moment où le bébé en aura besoin. Cela nécessite, chez lui, qu’il
puisse être dans une intersubjectivité en développement liée à ses propres capacités et du côté
de la mère, qu’elle soit « suffisamment bonne ».
1. Le rôle de l’objet et de l’environnement facilitant
dans le processus de subjectivation du bébé
La mère grâce à sa « préoccupation maternelle primaire » et les autres personnes qui
prennent soin du bébé vont jouer un rôle crucial pour permettre au bébé de maintenir ce
sentiment continu d’exister et par conséquent, son homéostasie. La mère aide le bébé à ne pas
6
118
Ce qui est perçu par un canal sensoriel est disponible pour un autre canal.
être débordé par des afflux internes et externes dépassant ses capacités propres de pareexcitation et de métabolisation. C’est toute l’empathie maternelle qui lui permettra, dans une
rencontre progressive avec son bébé de décoder, traduire et enfin de valoriser les signaux de
son bébé. Ce lent processus fera naître « l’accordage affectif » développé par Stern (1985),
« préforme de la symbolisation et du langage » (Missonnier, 2003). L’accordage affectif rend
compte d’une compréhension très fine par l’adulte (la mère) de l’expérience subjective du
bébé. Par ce processus, la mère, en interaction avec le bébé, est capable de traduire l’état
affectif de ce dernier, qu’elle perçoit par le biais de ses comportements ou expressions, en en
reproduisant la forme, l’intensité et le rythme. La mère donne ainsi au bébé le sentiment que
la vie affective et subjective peut se partager.
Ainsi, l’importance de la qualité des interactions mère-bébé (aussi bien sur le plan
qualitatif que quantitatif) est mise au premier plan dans l’instauration du sentiment de la
continuité d’être du bébé. Au sein de ces interactions, dans l’interrelationnel, « c’est
certainement ce que Winnicott (1988) nomme « la continuité d’être » qui s’impose comme la
conceptualisation
la
plus
générique
de
l’enjeu
primordial
de
l’accordage
environnement/parents/nouveau-né. De cette continuité biopsychique des soins donnés synonyme de transfert « d’être » et de partage « d’être avec » (Stern, 1985) bien tempérés dépendra la transmission de la contenance psychique (Anzieu, 1993 ; Bion, 1979)
(Missonnier, 2003, p. 51) ». Autrement dit, « tout processus de subjectivation implique la
paradoxalité d’avoir des origines non seulement extérieures à soi, mais aussi partagées avec
des objets du monde extérieur (Konicheckis, 2008, p.19) ». Pour Winnicott (1971),
l’expérience personnelle d’exister se fait à partir de la rencontre entre l’objet subjectivement
ressenti et sa perception objective au travers de l’illusion primaire temporaire d’une
indifférenciation entre le dehors et le dedans. L’expérience sensorielle partagée entre l’enfant
et son environnement comporte le noyau autour duquel se façonne la représentation. Le bébé
éprouve d’abord ce que l’objet lui fait ressentir. Cet objet laisse une empreinte en lui, qui
devient une sorte de genèse des futures représentations. La subjectivation consiste alors pour
le bébé à s’approprier cette expérience déposée en lui.
Il lui faut d’abord faire l’expérience d’éprouver un sentiment de prolongement avec le
corps de l’autre. C’est cette continuité qui assied à l’origine, sa propre existence. Cette
expérience primaire amène à penser la question de la séparation d’avec l’objet (la mère). Il
nous semble, toutefois, que cette question se pose tout d’abord sous l’angle de la qualité des
discontinuités interactives, centrales dans le processus de représentation chez le bébé et par
119
conséquent dans le processus de subjectivation. « On se sépare comme on s’est rencontré »,
dit-on souvent. Les éloignements d’avec cet autre (la mère) peuvent être ressentis de multiples
façons par le bébé. Ils posent donc, en tant que préalable à la séparation, la question de la
séparabilité de l’objet. La façon dont le bébé peut vivre ces éloignements est tributaire de la
qualité des discontinuités, elle-même liée à la capacité de l’objet de se séparer. C’est tout le
concept d’objet malléable ou médium malléable développé par Milner (1977, 1990) et repris
par Golse (1999) et Roussillon (1991) dont nous avons traité auparavant. Ces éloignements
dans les discontinuités peuvent être, ressentis par l’enfant, comme des déchirures si l’objet ne
possède pas justement les caractéristiques du medium malléable. La subjectivation
consisterait à rendre subjective l’étrangeté de cette expérience d’éloignement entre le corps du
bébé et celui de la mère. La séparation suppose l’existence d’objets et de sujets psychiques
clairement définis, tandis que c’est par le biais des expériences d’éloignement, dans les
discontinuités interactives, que ces derniers commencent à se former dans le psychisme
(Konichekis, 2008).
Dans son travail sur le traitement psychanalytique des sujets présentant des
problématiques de souffrances narcissiques et identitaires, R. Roussillon (2011) explique que
dans le but d’appréhender leurs troubles de l’intersubjectivité, il s’agit de repenser la
symbolisation de l’objet non pas seulement en son absence mais aussi en sa présence. Le
processus de subjectivation qui renvoie à l’activité représentative s’intègre dans le processus
de différenciation entre l’objet et le sujet. Ce mouvement, comme le rappellent B. Golse
(1999) et R. Roussillon (1991), nécessite à la fois un travail d’invention symbolique de la part
du bébé dans l’espace transitionnel (Winnicott, 1951) et des caractéristiques de l’objet luimême (la mère) quant à sa propre séparabilité. Ces dernières sont illustrées par le concept
d’objet malléable de Milner (1977). Cette coopération, ce travail conjoint permet
« l’instauration progressive d’un gradient de différenciation entre l’objet et le sujet grâce à la
mise en place de l’objet interne (Golse, 1999, p.148) ». B. Golse (1999) explique la différence
entre l’activité de représentation et l’activité de symbolisation en ce que cette dernière permet
de réparer la discontinuité par rapport aux objets externes grâce à la continuité du lien avec les
objets internes. C’est ce que Houzel, rappelle-t-il, nomme la « réparation symbolique ».
B. Golse (1999, p.149) conclut que pour « les psychodynamiciens, la naissance de la vie
psychique correspond essentiellement à la mise en place des processus de symbolisation,
c’est-à-dire à l’instauration de capacités de représentations, de représentations du monde, de
soi et des représentations entre soi et le monde ». La façon dont le sujet se subjectivise pose
120
la question de la manière dont l’objet subjective le sujet, ce que R. Roussillon (2010) nomme
la « fonction symbolisante de l’objet.» Il n’est pas seulement question d’un soutien de l’objet
aux besoins corporels du bébé mais surtout des caractéristiques de l’objet nécessaires pour
permettre l’activité de symbolisation du bébé. « Les caractéristiques du rapport primaire à
l’objet tendent à se transférer dans le rapport du sujet à l’activité de symbolisation et à la
« reconnaissance symbolique » qu’il pourrait en attendre (Roussillon, 2010, p. 129). Par
conséquent, de toute l’histoire du lien primaire qui s’instaure entre l’objet et le sujet vont
dépendre les capacités de symbolisation ultérieures de ce dernier. Ces capacités seront
cruciales pour le développement de son Moi. Les difficultés de symbolisation du sujet
pourront s’appréhender au travers des avatars de cette rencontre primaire.
La clinique avec les sujets présentant des pathologies narcissiques et identitaires
confronte à plusieurs modes de fonctionnement psychique liés à des rapports différents à la
symbolisation et à l’activité représentative. Ces patients font preuve d’une atteinte de leur
« appareil de symbolisation » dont l’origine s’expliquerait par la qualité des premiers liens
entre l’objet et le sujet (Roussillon, 2010).
B. Golse (1999) et R. Roussillon (1991) ont repris le concept « d’objet malléable »
développé par Milner (1977) pour rendre compte des caractéristiques qu’une mère
« suffisamment bonne » doit posséder, dans son accordage primaire, pour rendre possible
l’organisation de l’illusion primaire de l’objet « trouvé-crée » pour l’enfant. Cette illusion
primaire est nécessaire à sa future capacité de symbolisation et est permise par les
caractéristiques qualitatives de la relation d’accordage primaire maternelle, en tant qu’elles
préforment les futures propriétés de l’appareil de symbolisation. Cet objet malléable doit avoir
les caractéristiques suivantes : un degré de « dureté » et de malléabilité, d’indestructibilité, de
« saisissabilité », de « transformabilité », et enfin la sensibilité, la disponibilité, la
réversibilité, la fidélité et la constance. Ces qualités, au travers des expériences suffisamment
répétées où l’enfant peut les éprouver, vont être transférées sur l’appareil de symbolisation du
bébé. Ce dernier va pouvoir les utiliser dans son propre processus de mise en représentation
de l’expérience vécue. « L’expérience de leur rencontre et de leur appropriation
représentative formera un niveau d’expérience spécifique de la subjectivité à l’origine de la
saisie et de la définition interne de l’expérience subjective de l’activité de symbolisation
(Roussillon, 2010, p.144) ». Lorsque ces expériences ont été difficiles, l’activité symbolisante
possédera l’empreinte des particularités douloureuses de cette histoire primaire que l’on
pourra percevoir dans les modalités singulières du rapport à la symbolisation chez un sujet. R.
121
Roussillon (2010) insiste en effet, sur le fait que les particularités de l’expérience primaire de
la rencontre avec les objets peuvent renvoyer, à un « vécu de destruction des capacités de
symbolisation ». Ce vécu doit interroger le clinicien sur la présence éventuelle d’un
traumatisme primaire et sur celle d’un vécu de destruction de l’objet ou du lien à l’objet.
« L’indisponibilité des mots ou de la matière pour symboliser ouvre la question de la
disponibilité de l’objet et la stéréotypie rigide des formulations ou du style pose le problème
de la sensibilité de l’objet [et de ses] zones d’insensibilité. (Roussillon, 2010, p. 145) » Les
premières expériences interactives intersubjectives entre le bébé et la mère, influencent les
capacités de représentations de l’enfant et donc ses capacités narratives.
Néanmoins, comme le souligne R. Roussillon (2010), on ne peut pas établir d’équation
aussi directe entre ce qui est perceptible, c’est-à-dire « le symptôme » qui affecte le rapport à
l’appareil de symbolisation d’un patient, et l’histoire des conditions de sa rencontre avec
l’objet. Si l’on doit tenir compte de « la complexité des réorganisations d’après-coup »,
l’hypothèse de R. Roussillon apporte toutefois un éclairage pour tenter de comprendre ce qui
semble resté englué dans la compulsion de répétition primaire chez les patients aux
souffrances narcissiques et identitaires. Cette hypothèse, en outre, met l’accent sur
l’importance de la relation de l’objet au sujet et de la fonction que cet objet a pris dans
l’économie psychique de ce dernier. (Roussillon, 2010).
2. Les capacités de séparation comme témoins des
modalités de naissance à la vie psychique.
La question de la séparation nous intéresse doublement. D’une part, parce qu’elle est
particulièrement difficile chez les sujets borderline et d’autre part, parce qu’elle représente
une notion pivot. Ce pivot articule, comme le rappelle R. Roussillon, le travail de
l’élaboration de la perte, de la triangulation et donc de la conflictualité œdipienne. En amont
de ce travail d’élaboration, les conditions précoces de l’histoire de la création du lien vont être
particulièrement déterminantes. Nous nous intéressons ici particulièrement à cet amont qui
renvoie à l’histoire de la rencontre du bébé avec l’objet et du lien qui se crée. C’est aussi toute
la question de la différenciation entre soi et l’objet.
La psychanalyse comme la théorie de l’attachement accordent une grande importance aux
processus de séparation entre la mère et l’enfant. B. Golse (1999) souligne que l’on a souvent
reproché au modèle de l’attachement de Bowlby de court-circuiter le système des
représentations psychiques. Cela peut paraître injuste si l’on tient compte non pas seulement
122
des comportements d’attachement mais aussi des représentations mentales que s’en fait le
bébé. Ces représentations joueront comme introjects plus ou moins stables au cours de son
développement ultérieur (B. Golse, 1999). La notion de représentation est profondément
polysémique, selon que l’on se situe dans le champ de la psychologie expérimentale
(cognitiviste), de l’attachement ou celui de la psychanalyse. Toutefois, la naissance des
représentations et le processus d’intersubjectivation et de subjectivation étant à l’origine de la
capacité à se séparer du sujet, le lien avec l’attachement nous paraît indéniable.
On ne peut retenir qu’un seul axe, lorsque l’on parle de séparation. Celui qui nous
intéresse ici, est celui des interactions précoces. Ces moments vont façonner la manière dont
le sujet va pouvoir créer ses premières représentations. La clinique des mères présentant un
trouble de personnalité borderline nous renvoie à la clinique précoce, de l’archaïque, celle de
leurs premiers liens, souvent faits de discontinuités particulièrement douloureuses, rendant
difficile l’établissement des premiers liens avec leur bébé. Les expériences de séparations sont
liées aux particularités de la nature de l’étayage de la symbolisation sur l’objet et des objets
œdipiens. La manière dont le sujet va traverser ces expériences, la manière dont il pourra les
élaborer, ne sera donc pas indépendante de la réaction de l’objet dont il se sépare et renverra à
la question de « la survivance » de l’objet à cette séparation (Roussillon, 2011). De la façon
dont l’objet va réagir à la séparation dépendront les capacités de symbolisation du sujet.
L’objet, la mère, peut en effet réagir de façon pathologique aux tentatives de séparation de
l’enfant (pas toujours seulement de façon fantasmatique pour lui, mais parfois aussi dans la
réalité) ; la mère peut, par exemple, réagir de façon mélancolique ou par une décompensation.
R. Roussillon insiste sur l’importance de la capacité d’anticipation de la réaction de l’objet,
l’absence d’anticipation constituant une difficulté pour se séparer. Si cela peut rappeler le
modèle Kleinien de l’accès à l’ambivalence, lors de la position dépressive, par l’accès à la
représentation d’objet total, il semble toutefois que les travaux de R. Roussillon se situent endeçà de cette « période du développement du sujet » (Golse, 2010).
La manière dont s’est organisée la rencontre avec l’objet doit être appréhendée selon
deux axes : celle de la symbolisation du bébé en l’absence de la mère qui a longtemps été
soulignée par la psychanalyse (avec l’hallucination de l’objet en tant que fonction défensive,
par rapport au manque de l’objet) mais aussi celle de la symbolisation en présence de l’objet.
R. Roussillon (2011) parle d’une « métapsychologie de la présence », permettant de penser
comment l’objet est absent dans sa présence (par exemple, dans les théorisations sur la mère
déprimée) mais aussi, de penser comment l’objet est présent dans sa présence (par exemple, la
123
présence intrusive des mères borderline). Le modèle de Bion (1962a, 1962b) de la rêverie
maternelle, de la fonction contenante de la mère sous-entendait déjà l’importance de la qualité
de sa présence. C’est bien dans le mode de présence des objets (de la mère, du père) lié à leurs
qualités de séparabilité que le bébé doit chercher les matériaux de son activité représentative.
Comment les mères borderline sont-elles présentes avec leur bébé, dans leurs
modalités de fonctionnement psychique, alors qu’elles sont menacées par l’effondrement
et les angoisses d’abandon ? Comment se séparent-elles de leur bébé ?
Reprenant les travaux de Winnicott (1951) sur l’espace transitionnel et sur l’utilisation de
l’objet, R. Roussillon (2011), rappelle que l’idée de « l’objet trouvé-crée » rejoint une
intuition que Freud (1938, dans Construction en analyse) avait eue : l’hallucination chez le
bébé viendrait combler le manque de la perception. Puis Freud avait ensuite entrevu qu’il
pouvait y avoir une coïncidence entre la perception et l’hallucination faisant écho à la
description de l’objet « trouvé-crée » de Winnicott. Dans sa qualité de présence, la mère peut
se laisser trouver, au bon moment, et être ainsi simultanément perçue au dehors et créée
(hallucinée) au-dedans, par le bébé. Pour R. Roussillon, une partie des neurosciences
modélise aujourd’hui quelque chose de ce concept. Cette expérience est d’une grande
importance dans le devenir de la pensée. « Si l’objet est présent et que sa réponse est
« accordée » au processus hallucinatoire, elle sera à l’origine du « trouvé-crée » et de la
transformation de l’hallucination en illusion (Roussillon, 2011)». Si cette aire d’illusion a été
suffisamment bien instaurée pour donner au bébé l’illusion primaire d’auto-création de la
satisfaction, la « préoccupation maternelle primaire », d’abord bien adaptée au bébé, peut
s’assouplir. Cette expérience ayant été suffisamment répétée, la mère peut rompre cette aire
d’illusion à un moment où l’enfant peut le vivre (Roussillon, 2010). Toutefois, cette menace
sur l’illusion primaire est à l’origine d’un élan de destructivité chez l’enfant déclenché par
l’assouplissement de l’accordage maternel. Il est nécessaire que cette aire d’illusion puisse
avoir existé de façon suffisamment longue dans le lien primaire à l’objet. Elle se développe
dans le partage intersubjectif, ce que R. Roussillon (2011) nomme le « jeu intersubjectif »,
aux origines du développement des capacités de symbolisation du sujet.
Cette présence maternelle se pense donc pour le sujet, comme une superposition entre la
perception de l’objet et l’investissement de la représentation de ce dernier (Roussillon, 2011).
R. Roussillon explique alors que l’expérience de la séparation renvoie à la capacité du
« décollement » entre la perception de l’objet et sa représentation, dans un processus de
différenciation entre les deux. La séparation peut être tolérée par le sujet, lorsque ce
124
décollement a eu lieu de manière suffisamment bonne pour lui. Pour R. Roussillon, chez les
patients aux souffrances narcissiques et identitaires, ce décollement aurait partiellement
échoué, et aurait été trop menaçant pour le sujet. Il s’agirait d’une menace d’arrachement
partiel. La représentation de l’objet pourrait avoir emporté avec elle une partie de l’objet. Cela
expliquerait les grandes difficultés de séparation de ces patients. A propos de l’échec de ce
décollement, les théories de plusieurs auteurs convergent comme le souligne R. Roussillon
citant par exemple Anzieu et Macdougall. Il parle alors de la figure d’un corps pour deux,
d’une psyché pour deux, d’une peau pour deux, ou encore d’une formation qu’il appelle
« siamoise ». Quelque chose ne se serait pas décollée du côté du sujet et du côté de l’objet. Le
sujet pourrait avoir emporté avec lui « une forme de l’ombre de l’objet ». Celle-ci serait
tombée sur une partie du sujet, de son corps, de sa pensée, par exemple, donnant ces
« formations siamoises » entre le sujet et l’objet.
Le développement des capacités de représentations chez le sujet renvoie alors également
à la problématique de la survivance de l’objet à l’agressivité originaire de l’enfant, survivance
qui étaye l’accès de l’enfant à l’autonomie du moi, à la « capacité d’être seul en présence de
l’autre » (Winnicott, 1958).
Dans les cas où un « corps pour deux se constitue », il existerait une préforme interne de
représentation de l’objet chez le sujet, mais celle-ci dépendrait fortement de la présence de
l’objet. Il s’agit là d’une des problématiques liées aux difficultés de la survivance de l’objet.
Si l’objet survit mal à cette séparation, dans l’esprit du sujet, cela constituerait une forme de
représailles (de rétorsion) équivalente à une forme de non survivance de l’objet à la
séparation. Le silence de l’objet en constitue une autre forme, pour le sujet. « Lorsque l’objet
ne survit pas à l’agressivité primaire, celle-ci bascule dans la violence des défenses qui vole
au sujet, avec son potentiel de croissance, le travail psychique de différenciation entre
fantasme-réalité, sujet-objet (Agostini, 2005) ». Chez le sujet, la soumission, dans ce que
Winnicott nomma le « faux self » (1960) et l’agressivité destructrice antisociale seraient des
formes de l’incapacité d’être seul qui représenteraient des réponses adaptatives à des soins
environnementaux inadéquats. Au contraire, si l’objet survit bien à la séparation, une
représentation de celui-ci pourra s’en décoller pour le sujet.
D’un point de vue clinique, si certains sujets sont en échec dans le décollement de l’objet
et de sa représentation, selon R. Roussillon, c’est parce que les conditions premières
nécessaires pour que ce décollement puisse avoir lieu auraient été problématiques. Le vécu de
l’expérience de « la capacité d’être seul en présence de l’autre » représente une étape
125
fondamentale dans le développement des capacités de représentation et de séparation chez
l’enfant.
a)
De l’importance de l’expérience de la capacité
d’être seul en présence de l’autre dans le processus de
subjectivation
« L’expérience de la capacité d’être seul en présence de l’autre » (Winnicott, 1958)
représente un intermédiaire, dans l’expérience de la séparation, entre la solitude et la
rencontre. Pour R. Roussillon, le vécu de cette expérience là rend compte de la manière dont
un sujet peut décoller l’objet de sa représentation. Si Winnicott a décrit les débuts de cette
expérience fondamentale, selon R. Roussillon il existerait toute une histoire de la solitude du
sujet en présence de l’autre qui s’inscrirait dans la répétition de cette expérience. La
problématique de la séparation ne s’élabore donc pas une fois pour toutes mais bien tout au
long de la vie : « chaque boucle de la spirale de notre évolution de la vie, nous confronte à un
moment ou à un autre à cette nécessité là. (Roussillon, 2011) » Si les séparations sont
marquées par l’intensité des investissements pulsionnels du sujet pour l’autre, elles seraient
essentiellement tributaires de l’histoire de la rencontre primaire entre le sujet et l’objet, de la
qualité de leur lien, façonnée par la capacité de séparabilité de ce dernier.
Dans le courant de la deuxième année de vie, l’expérience de la capacité d’être seul en
présence de l’autre s’élabore lorsque l’enfant joue seul en présence de sa mère qui est occupée
à faire autre chose. A ce moment-là, il est question pour l’enfant de s’appuyer sur la mise en
place de ses auto-érotismes. R. Roussillon (2011) décrit deux auto-érotismes en parallèle.
D’un côté, la mère est dans un rapport à sa maternité et à sa féminité et de l’autre, l’enfant
joue « à mère », c'est-à-dire être à soi-même sa propre mère, se donner à soi-même quelque
chose que sa mère lui a donné. Ce jeu pour l’enfant s’inscrirait dans un processus
d’appropriation subjective, mobilisant ses auto-érotismes. Ceux-ci alimentent l’activité de
symbolisation chez l’enfant. Ce travail d’appropriation subjective permet au bébé de passer de
la symbolisation primaire effectuée par la mère, à sa propre capacité de symbolisation. Cette
idée rejoint la théorie de Freud selon laquelle la constitution du narcissisme secondaire est liée
à l’objet. Les qualités de ce dernier influencent donc le lien primaire qu’il crée avec le sujet,
lien primaire qui se rejoue dans la manière dont l’enfant peut le mettre en scène dans ses autoérotismes. Dans la lignée des travaux de Klein, R. Roussillon ajoute que toutes les fois où le
sujet s’approprie quelque chose de l’objet, il rencontre « le fantasme d’ante-posséder
126
l’objet ». Ce que le sujet se donne à lui-même, même si l’objet le lui a donné, il le vit comme
le fantasme de le reprendre à l’objet. Face à ce fantasme, la réaction de l’objet peut alors
perturber la mise en place de ces auto-érotismes chez le sujet. La réaction de l’objet, face à ce
processus d’appropriation subjective, est ici fondamentale car elle peut potentiellement
constituer une menace pour ce dernier, par rapport à ses capacités de représentation et de
séparation. La mise en place des auto-érotismes, lui permet, en effet, de faire un pas du côté
de la séparation, du côté de la différenciation, et en cela, il s’éloigne de sa mère, ce qui la
confronte à une épreuve plus ou moins douloureuse à laquelle elle va réagir. Toutefois, pour
que l’enfant puisse faire l’expérience de la capacité d’être seul en présence de la mère, celle-ci
doit accepter que l’enfant puisse faire un va-et-vient entre ces moments « d’auto-érotismes »,
où il s’approprie quelque chose de l’histoire de leur rencontre, et d’autres moments, où il a
besoin de vérifier auprès d’elle, comment celle-ci y réagit. Il s’agit pour l’enfant de faire des
allers-retours entre l’appropriation d’une représentation interne de l’objet et l’objet tel qu’il le
perçoit à ce moment-là en élaborant la différence qui les sépare. C’est dans ce mouvement
que se joue la capacité du décollement de la représentation de l’objet par rapport à l’objet qui
sera tributaire de la réaction de l’objet (Roussillon, 2010).
- Si la mère est trop absorbée, le risque fantasmatique pour l’enfant est d’avoir le
sentiment qu’au moment où il se l’approprie, il est en train de la perdre. Cette configuration
peut se rapprocher de celle d’un enfant dont la mère est déprimée.
- Si au contraire, elle est plutôt intrusive et ne laisse pas l’enfant faire seul, elle lui
signifierait en quelque sorte, qu’il n’a pas le droit de s’approprier quelque chose qu’elle lui a
donné et que cela continue de lui appartenir. Elle serait en difficulté face au processus de
séparation-individuation de l’enfant.
Dans ces deux exemples abordés par R. Roussillon (2011), la mère, par ses réactions,
menace le processus d’appropriation subjective de l’enfant. Il nous semble que les mères
présentant un trouble de personnalité borderline, prises dans les difficultés de leur
fonctionnement psychique, pourraient alterner entre ces deux positions à l’égard de leur
enfant. L’intrusion ou le retrait ainsi que la rétorsion sont des réponses qui montrent que la
mère ne survit pas lorsque l’enfant fait cette expérience de la capacité d’être seul en sa
présence. On perçoit combien, au sein du partage intersubjectif, la capacité de symbolisation
de l’enfant ne doit pas être trop menacée par les réponses maternelles, parce que le risque
pour l’enfant serait alors d’avoir à choisir entre la relation à l’objet ou la symbolisation. La
mère « suffisamment bonne » doit se montrer atteinte par le désir de l’enfant tout en y
127
« survivant ». Cette survivance annihile la crainte ou le fantasme de l’enfant à l’égard des
réactions de l’objet et permet que s’opère un processus de séparation/différenciation et que
s’établisse une différence entre la réalité matérielle et la réalité psychique en jeu dans le
processus d’appropriation. Il s’agit de la « fonction déflechissante » de l’objet (Roussillon,
2010). Si la mère survit suffisamment bien, qu’elle se laisse utiliser au sens de Winnicott, il
s’opère ce que Roussillon (2011) nomme « une petite flexion dépressive chez la mère » car
elle perçoit les premiers désirs de séparation de son enfant. Lorsque tout va bien, cette
réaction se conflictualise chez la mère avec le plaisir qu’elle peut avoir à percevoir son enfant
qui grandit en s’appropriant quelque chose de son environnement. En plus de ne pas avoir été
absente, en retrait ou intrusive ou encore, d’avoir fait usage de représailles, la mère doit
pouvoir se montrer « créative et vivante » ; « Le lien peut survivre à l’attaque ; mieux, il se
révèle dans, et par l’attaque, comme liaison de la destructivité qui y était engagée.
(Roussillon, 2010)» Cela rejoint l’image « phare » que donne souvent B. Golse de l’enfant qui
s’éloigne de la mère en courant et qui, tout à coup, s’arrête brusquement pour la regarder en
arrière et voir ce qu’il peut lire dans ses yeux (cela peut d’ailleurs représenter une conduite de
référencement social). Est-ce que la mère lui renvoie un sentiment de sécurité et
d’acceptation : « tu peux t’éloigner de moi » ou bien, quelque chose d’autre qui équivaut à un
refus ou à la peur qu’il s’éloigne d’elle ?
R. Roussillon conceptualise la capacité d’être seul, de se séparer, comme étant
dépendante de l’expérience antérieure de la capacité d’être seul en présence de l’autre. Cette
expérience peut échouer, comme nous l’avons vu, en raison de réponses maternelles
inadéquates mais aussi en raison de difficultés chez l’enfant, lorsqu’il ne peut tolérer de
laisser sa mère seule, en sa présence. Ces difficultés renvoient à la problématique antérieure
du sujet, aux modalités de présence de la mère dans sa rencontre avec l’enfant, et au lien
primaire qui les uni. Au sein des rencontres premières, il existe une triple problématique pour
le bébé :
- il doit se relier, avec toute la problématique de la création du lien à l’objet
- il doit se différencier de l’objet
- mais il doit aussi pouvoir se rassembler, c’est-à-dire rassembler ses différents états
subjectifs.
R. Roussillon (2011) précise que ce qui est important dans le processus
d’intersubjectivation, c’est que l’autre soit conçu et non pas seulement perçu (avec le
128
présupposé que le bébé est d’emblée capable de percevoir un autre à l’extérieur de soi).
L’enjeu étant de pouvoir concevoir l’autre comme un autre sujet, séparé et différencié, mais
aussi de se percevoir soi-même comme sujet. Le bébé est donc confronté à ce processus où il
découvre progressivement qu’il est sujet et qu’il existe un autre sujet, dans le même
mouvement.
La clinique des sujets aux souffrances narcissiques et identitaires met justement en
évidence leurs difficultés à se sentir « sujets de ce qui se passe ». Leurs troubles ne
s’expliquent pas seulement par leurs mécanismes projectifs mais aussi par une constitution
fragile de leur « être-sujet » rendant difficile l’appropriation de leurs propres processus. De
même, penser que l’autre est un sujet ne va pas de soi : ce qui est difficile pour le sujet c’est
que l’objet est un « autre-sujet ». Le processus d’intersubjectivation doit permettre au sujet
d’être en mesure de percevoir l’altérité de l’objet qui a un désir qui lui est propre (une pulsion
propre) et pas seulement le fait qu’il soit autre. Ce sont deux difficultés différentes dans les
troubles identitaires : reconnaître que l’autre est sujet séparé et différencié et se sentir sujet de
ce qui se passe.
Les enfants qui sont en difficulté pour laisser leur mère seule en leur présence seraient
ceux pour lesquels l’histoire de leurs liens originaires traduirait un échec dans la fonction de
symbolisation. Une des hypothèses soulevées par R. Roussillon serait, comme nous l’avons
vu, que l’objet n’aurait pas eu les caractéristiques de l’objet malléable permettant, entre
autres, la mise en place d’une aire d’illusion primaire, elle-même nécessaire au
développement des futures capacités de symbolisation du sujet. Dans les cas où ce lien
primaire aurait été perturbé, l’enfant serait en difficulté pour entamer le processus de
séparation.
Par conséquent, il s’agit de comprendre comment, au sein des continuités et des
discontinuités interactives qui renvoient parfois à la difficulté d’établir les premiers liens
psychiques, a pu s’établir pour l’enfant, le sentiment de la continuité d’exister de Winnicott.
b)
Subjectivation et constitution du sentiment de
continuité d’exister : la formation du Self
A. Konicheckis rapproche le processus de subjectivation de ce que Winnicott (1960)
appelle le vrai self et par conséquent du processus de personnalisation (Winnicott, 1962) qui
le rend possible. Pour Winnicott la personnalisation représente l’établissement des liens entre
le soma et la psyché. « Le sentiment d’être réel et de faire des expériences en prise avec ses
129
propres sentiments, en lien avec le corps propre et la réalité extérieure, ainsi qu’avec le
passé, le présent et le projet d’avenir, caractéristiques de la sensation de continuité propre à
la subjectivation d’après Cahn, rappellent la notion de vrai self dont parle Winnicott
(1960).(Konicheckis, 2008, p. 13-14) » Pour Winnicott (1960), le vrai self est l’unité
psychosomatique qui s’établit au cours d’un processus de maturation qui donne au sujet le
sentiment continu d’être et d’exister et représente la partie la plus authentique du sujet. A
l’origine, le vrai self ressent les exigences pulsionnelles comme faisant partie de lui et non pas
de l’environnement. Cette expérience du self est très liée à celle du corps, dès les débuts de la
vie sensori-motrice. D’ailleurs, dans la différenciation ente le self et le Moi, A. Konicheckis
(2008) rappelle que dans la définition de Winnicott (1971a), le self est plus engagé dans la
vie, tandis que le Moi, plus détaché, tire parti d’une approche plutôt intellectuelle. Cependant
le vrai self n’est pas inné, mais il peut advenir, aidé par l’environnement suffisamment bon.
Derrière le faux-self, selon A. Konicheckis (2008) il y aurait la menace de cesser d’exister
plutôt que le vrai self caché. Ainsi donc, le faux-self serait un self insuffisamment développé,
incapable d’exister par lui-même.
Dans l’établissement du vrai self, l’enjeu est celui de pouvoir établir un sentiment continu
d’exister comme le rappelle Winnicott. Ce sentiment peut s’éprouver au travers des liens
précoces qui « permettent à l’enfant d’éprouver la continuité d’exister à travers les différentes
expériences successives dans le temps et fragmentées dans l’espace. Relevant d’un ordre
presque vital, le sentiment d’existence propre est apporté à l’enfant par ses états d’excitation
où la réalité biologique se différencie peu de la réalité psychique (Konicheckis, 2008, p. 25) »
Le vrai self ne peut se développer que si les événements de l’environnement extérieur
s’accordent de façon suffisamment bonne avec ses gestes spontanés (Winnicott, 1960). Sans
les détailler plus, trois processus présents dans la relation à l’environnement comportent en
eux des risques de devenir des sources d’altération dans la formation du vrai self : les
identifications précoces, les projections et l’autoreprésentation (Konicheckis, 2008). Comme
nous l’avons vu, ces processus renvoient tous à la qualité et aux modalités des liens
psychiques (narcissique ou objectale) dans la relation primaire qui s’est créée.
c)
Issues pathologiques du processus de
subjectivation
On fait souvent référence à la subjectivation au travers des issues pathologiques qui
guettent ce processus. La question des origines de la subjectivation se pose finalement lorsque
130
le self lui-même fait défaut, notamment, lorsqu’il est faussé et que l’expérience de soi échoue.
Ici nous ne reviendrons pas sur les expériences psychotiques qui peuvent être une des issues
d’un processus pathologique de la subjectivation mais sur les modalités psychopathologiques
où « les parties exclues de l’expérience personnelle, celles où les sentiments de persistance,
de continuité et d’intégrité de l’être psychique se trouvent menacées, ou sont organisés par
des formes de personnalité « comme si » ou « faux self » (Konicheckis, 2008, p.15) ». Ces
expériences renvoient à une existence marquée par l’insignifiance et le vide et empêchent le
sujet d’être en contact avec l’extérieur et avec des parties de son monde interne. Ces
modalités psychopathologiques se rencontrent particulièrement dans les troubles narcissiques
et identitaires. Ces sujets se retrouvent « exilés d’eux-mêmes, effacés, en perte du sens de
soi (Konicheckis, 2008) ». Cette perte du sens de soi renvoie à ce que nous pourrions appeler
un sentiment discontinu d’exister.
Winnicott (1956) souligne l’importance du rôle de l’environnement (en particulier de la
mère), par ses fonctions de « holding », de « handling » et « d’object presenting » dans la
naissance psychique du sujet et dans les dérapages de cette dernière. Winnicott accorde à la
réalité externe de l’objet un poids équivalent à celui de la réalité interne dans le devenir du
sujet. Le traumatisme narcissique à l’origine de la formation d’un faux-self survient donc au
point de heurt entre l’individu et son environnement. Par ailleurs, l’ampleur des conséquences
de ce traumatisme sur l’avenir psychique du sujet est liée au niveau de maturation de ce
dernier, au moment où se produit le traumatisme. Winnicott parle « d’empiétement » pour
définir ce traumatisme narcissique précoce. Il doit être appréhendé comme une inadéquation
de la réponse de l’objet primaire ou encore comme une défaillance de l’environnement vis-àvis du sujet immature pris dans une situation de dépendance. Puisque chez le tout-jeune
enfant, l’objet est investi majoritairement de façon narcissique, ses défaillances, en manque ou
en excès, sont nécessairement ressenties comme faisant partie de son propre self, « ce qui peut
provoquer des formes primaires de dépressions où l’enfant ne souffre pas pour l’objet mais
pour lui-même (Konicheckis, 2008, p.53) ». Les traumatismes précoces rassemblent toutes
ces expériences dommageables que le bébé éprouve en lui-même alors qu’elles ont lieu en
dehors de lui (Konicheckis, 2008, 2004). Le risque pour ce dernier étant de s’approprier et de
subjectiver abusivement les carences et intrusions d’objets de son environnement. A ce
moment-là, le bébé peut mettre en place des défenses coûteuses pour le développement de son
self comme l’évitement, le retrait du regard, l’investissement excessif de parties de son corps,
ou encore des réactions de « gel » des affects. Dans ces modalités là, le lien à l’objet risque
131
d’être délaissé au profit des expériences sensorielles qui portent la trace des liens précoces à
l’objet perçu par les sensations qu’il provoque (Konicheckis, 2008).
Cette description peut mettre en lumière certains processus en jeu au sein des
discontinuités interactives d’ordre pathologique. « Le bébé reçoit dans son corps l’empreinte,
la marque des interactions premières avec sa mère dont les investissements organisent la
découpe décisive et bien réelle de ses zones érogènes (Konicheckis, 2008, citant Penot, 2001).
En effet, la défaillance de l’environnement peut s’entendre sous la forme de l’excès, du défaut
ou de l’imprévisibilité qui se joue dans les interactions. Elle est souvent liée à la
psychopathologie maternelle ou parentale et est à l’origine d’une désillusion prématurée chez
le bébé. Celui-ci n’a pas la possibilité de contrer cet empiétement en modifiant
l’environnement étant donnée son immaturité psychique. Le bébé doit donc y réagir de façon
« autoplastique ». Dans cette configuration la tendance traumatique à la désorganisation peut
être inhibée par un « auto-clivage narcissique » défensif et mutilant. Il se crée alors une
nouvelle personnalité adaptée à l’environnement précaire extérieur, personnalité qui
correspond à « la somme de réactions innombrables à une succession de défauts
d’adaptation (Ferenczi, 1982 ; Winnicott, 1955-1956, cités par de Parseval, 2007)». Ce
clivage narcissique passif comporte deux faces en miroir : celle de l’hypermaturation
intellectuelle et celle de l’introjection mimétique de l’environnement traumatisant. Pour C. de
Parseval (2007), ces processus psychiques, à l’origine d’un clivage précoce d’origine
traumatique, renvoient à une seule et même organisation défensive (ou organisation
traumatique) que sont le « nourrisson savant » de Ferenczi (1923) et le « faux-self » de
Winnicott (1960). Cette organisation trouve son origine au sein des carences narcissiques liées
aux empiètements de l’objet primaire sur la psyché. Par cette comparaison entre ces deux
notions, C. de Parseval (2007) apporte un éclairage très riche sur certaines dérives de la
subjectivation par un processus de prématurité du Moi ou de l’hypermaturation.
- L’hypermaturation intellectuelle : un clivage corps/psyché : « Selon Ferenczi, lors
d’un choc traumatique, lorsque l’individu a renoncé à toute attente d’une aide extérieure et
pour échapper à la douleur, une partie anesthésiée, insensible de sa psyché se détache et
observe une partie souffrante et détruite du dehors, mesurant l’étendue des dommages. La vie
affective disparaît dans un inconscient corporel plus que représentatif, et l’intelligence, ainsi
libérée de l’affect, se dissocie du Moi pour accomplir une progression considérable (de
Parseval, 2007, p. 125). » Par cette description théorique, on peut comprendre comment des
enfants très jeunes peuvent présenter des facultés « hors norme » qui sont liées à une
132
suradaptation que Ferenczi qualifie de « progression traumatique pathologique » (1923). Il
s’agit donc d’une organisation défensive de l’enfant par une opération de clivage. Cependant,
elle possède un aspect traumatique car elle masque « la passivité infantile refoulée ainsi que
la fureur, à cause de l’interruption forcée de celle-ci (de Parseval, 2007, citant Ferenczi,
1982) ». C. De Parseval fait le parallèle avec la notion de Winnicott de « processus
intellectuel clivé » (1968) qui caractérise certaines organisations en faux-self. Dans le cas de
Winnicott, ce processus a lieu lorsque le bébé est soumis à l’imprévisibilité des réponses de
son environnement qui rompt trop prématurément l’aire de l’illusion. Face aux défaillances de
l’environnement, penser devient une fonction de contrainte et l’intellect a, pourrait-on dire,
une fonction défensive extrême à valeur de « holding » contre l’angoisse de nature
psychotique. Cependant cet intellect surdéveloppé masque cette déprivation. Le sujet est
toujours menacé d’un effondrement ultérieur car derrière cette intelligence peut se trouver la
menace de cesser d’exister (Winnicott, 1960). Cette forme particulière d’intelligence peut
avoir pour corollaire de créer une défense mégalomaniaque par le déni des sentiments
d’impuissance face au manque de réponse de l’environnement aux besoins du Moi. Dans ce
cas, le Moi Idéal possède une composante mégalomaniaque et est peu organisateur, car il se
forme à partir du déni de l’absence des figures primaires satisfaisantes qu’il tente de suppléer.
C. De Parseval (2007) souligne d’ailleurs que Winnicott (1967a) a pu comparer le faux-self à
la défense maniaque de Mélanie Klein. Par ailleurs pour contre-investir la menace
d’effondrement, le sujet peut surinvestir la réalité extérieure et mettre en place des défenses
d’allure obsessionnelle sous-tendues par des mécanismes plus archaïques de déni, de clivage
ou de répression des affects.
- L’introjection de l’agresseur ou la soumission à l’environnement : Ferenczi (1932) a
explicité le mécanisme de défense de l’identification à l’agresseur par lequel le sujet
traumatisé se soumet à la volonté de l’agresseur. Face au traumatisme, dans ce cas-là, l’enfant
établit une dissociation de ses sensations à valeur défensive. Pour Ferenczi, il s’agit ici à la
fois d’une identification et d’une introjection. C. De Parseval (2007) a établi un parallèle avec
la notion Winnicottienne de « soumission à l’environnement » (1952). Par sa métaphore de la
bulle, Winnicott (1960) explique que lorsque le self subit une pression inadaptée de
l’environnement, il doit se modifier par le biais d’identification ou d’introjection. On sait
désormais que ce mécanisme va de pair avec l’incapacité à ressentir la haine vis-à-vis de
l’agresseur et avec l’introjection du sentiment de culpabilité de l’adulte. L’enfant se sentirait
alors responsable de l’inadaptation de son environnement et reprendrait à son compte « la
133
destructivité inconsciente de la mère » qu’il chercherait à réparer en lieu et place de la sienne
au moment de la position dépressive. Ainsi ne pourrait-il pas avoir accès à cette position
dépressive. « Au lieu de réagir à une perte de façon organisée, le Moi immature et clivé aura
ainsi recours à l’angoisse d’effondrement et à la dépersonnalisation (De Parseval, 2007,
p.128) ». Par ailleurs, le sujet va se trouver dans un besoin de répétition de ces empiètements
(figure d’une future compulsion de répétition) pour se sentir exister et sera en difficulté pour
acquérir l’expérience de la capacité d’être seul en présence de l’autre.
Dans ces deux figures, le faux-self qui rejoint la notion du « nourrisson savant » se
caractérise par une inauthenticité de la relation aux autres. Ferenczi, Winnicott et Deutsch
(1942), à propos de la personnalité « comme si », posent l’hypothèse selon laquelle ces sujets
seraient dans l’incapacité d’établir des relations objectales autres que narcissiques. Enfin,
cette inauthenticité des relations décrites par Winnicott (1969) est articulée à sa conception
d’une distorsion dans le processus de « l’utilisation de l’objet ». Ainsi cette idée rejoint-elle
les développements de R. Roussillon puisque le sujet en faux-self aurait connu une distorsion
du processus d’utilisation de l’objet liée à une désillusion trop brutale de l’environnement.
134
V. La mère et le bébé : transmission de
l’attachement
A. Les comportements d’attachement de
l’enfant
1. Aux origines des comportements d’attachement
de l’enfant : les interactions précoces
La théorie de l’attachement a pris une place considérable au cours des deux dernières
décennies au sein de la recherche en psychologie dans tout ce qui concerne le développement
normal et psychopathologique de l’enfant : « L’attachement s’est avéré être, peut-être, le plus
important construit7 développemental jamais soumis à la recherche. » (Gauthier, 2011, citant
Sroufe et al., 2005).
La théorie de l’attachement a été élaborée par Bowlby, à partir des travaux sur l’éthologie
chez les animaux et des observations de Spitz sur les bébés. Elle s’est donc construite en
partant d’observations cliniques. Bowlby s’est tout d’abord intéressé aux conséquences des
séparations précoces sur l’enfant d’avec ses figures primaires d’attachement d’une part et
d’autre part à l’impact de la qualité de l’environnement de soin (caregiving) (social et
émotionnel) sur le développement de l’enfant. Dans une approche rétrospective, Bowlby
(1944) a mis en évidence le rôle que pouvaient avoir des événements potentiellement
traumatiques dans l’enfance sur le développement ultérieur de troubles du comportement chez
des adolescents. Il a montré que tous ces adolescents avaient pour élément commun dans leur
histoire personnelle d’avoir été séparés de leur mère au cours de leur première enfance. Dans
un deuxième temps, il a cherché à observer les comportements des bébés et des enfants autour
de l’âge de la marche, de façon prospective. Son travail d’observation avec Robertson auprès
d’enfants hospitalisés a conduit au film maintenant bien connu du petit John, qui montre
comment un enfant peut se désorganiser dans ses comportements lorsqu’il est brutalement
séparé de ses parents. Ce film permet d’observer avec acuité les changements rapides dans les
comportements d’attachement de l’enfant et l’impact de la séparation d’avec sa mère sur ces
7
La traduction de l’auteur « construit » renvoie à un terme utilisé par les chercheurs et désignant « un ensemble
d’observations déjà assez organisées pour construire des hypothèses méritant d’être poursuivies en recherche. »
135
derniers. Bowlby a alors décrit les comportements d’attachement de l’enfant au sein des
interactions avec l’environnement de soin (caregiving) et particulièrement sa figure
d’attachement primaire (caregiver), le plus souvent la mère. Il a montré que ces
comportements d’attachement pouvaient être observables dès les premiers mois de la vie du
bébé. Il a décrit les comportements visant à maintenir la proximité d’avec la figure
d’attachement tels que le fouissement, les cris, le fait de se cramponner. Ces comportements
évoluent en fonction des capacités en développement chez l’enfant. Ainsi ces différents
travaux l’ont-ils aidé à conceptualiser le rôle central de la mère dans le développement de
l’enfant. Pour Bowlby, le besoin d’attachement constitue un besoin primaire, distinct de la
libido et non secondaire à la relation de nourrissage, au même titre que les autres besoins
vitaux du bébé, nécessaires à son développement. Dès lors, il adoptait une position opposée à
celle des psychanalystes (bien que Bowlby ait trouvé les racines de sa théorie dans la
psychanalyse), notamment de Mélanie Klein qui défendait la primauté de la vie fantasmatique
sur la réalité interactive (Pierrehumbert, 2003). La théorie de l’attachement de Bowlby (1969,
1973, 1980) a ensuite été élaborée dans ses trois livres majeurs.
Pour Bowlby, (1969) « l’attachement ne sert pas une dépendance émotionnelle, mais une
indépendance de l’individu vis-à-vis de ses figures d’attachement. » (Barthélémy et al., 2004).
Le lien d’attachement se met en place dès les premiers mois de la vie (peut-être même avant
la naissance lors de la vie intra-utérine qui constitue ce que S. Missonnier et d’autres comme
M. Soulé nomment le premier chapitre de la vie) entre l’enfant et tout particulièrement la
mère, en tant que figure principale d’attachement. Parce qu’il constitue un besoin primaire,
l’attachement permet la survie du bébé, en assurant sa sécurité, ses soins, et des moyens de
régulation de ses états émotionnels et affectifs, notamment lors de l’activation de ses besoins
d’attachement lorsqu’il éprouve de la détresse. Ce besoin d’attachement est lié à la survie de
l’espèce, en tant que besoin primaire. Il est alors considéré comme une stratégie adaptative et
protectrice du bébé face à son environnement. Ce lien d’attachement vient mettre en tension
deux mouvements opposés chez l’enfant à savoir le besoin d’attachement et donc, de
proximité d’avec la mère, et le besoin d’exploration de son environnement social. Sans ce
sentiment de sécurité intériorisé de façon progressive grâce à la qualité des soins précoces
dispensés par la mère, le jeune enfant ne peut aller explorer le monde qui l’entoure. Tout se
déroule autour d’un gradient d’autonomie (Golse, 1999) entre dépendance totale à la
naissance et autonomie progressive. Par conséquent, la qualité d’attachement de l’enfant nous
renseigne sur ses capacités de socialisation. Par conséquent, le lien d’attachement, lorsqu’il
136
est suffisamment sécure, permet, par le biais des comportements d’attachement, de réguler les
effets suscités par les séparations d’avec les figures d’attachement. Ce lien permet peu à peu
au bébé de s’éloigner d’elles pour aller explorer le monde, grâce à l’intériorisation de ces
expériences répétées au cours desquelles il a pu éprouver la stabilité de ce lien.
Barthélémy et al., (2004) ont repris une observation de Yarrow de 1963 sur des bébés de
6 mois et rapportée par Bowlby. Ils rapportent que Yarrow avait remarqué que « la capacité
d’un enfant à faire face à la frustration et au stress était en corrélation assez étroite avec les
caractéristiques suivantes du comportement maternel :
1 la somme de contact physique donné à son enfant
2 dans quelle mesure la façon dont elle tient le bébé est adaptée à ses caractéristiques et à
ses rythmes à lui
4 dans quelle mesure elle le stimule et l’encourage soit à répondre socialement, soit à
exprimer ses besoins, ou à faire des progrès sur le plan du développement
5 dans quelle mesure ce qu’elle (on) lui donnait comme matériaux et expériences était
approprié aux capacités individuelles de l’enfant
6 la fréquence et l’intensité de l’expression des sentiments positifs qu’il a, à l’égard de la
mère, du père et des autres »
Il nous semble que cette description fait écho à celle de la mère « suffisamment bonne »
de Winnicott (1956). En effet, grâce à la présence d’une mère « suffisamment bonne », le
bébé peut intérioriser des expériences de qualité qui ont donné sens à ses ressentis. Petit à
petit, il va pouvoir se former des modèles de relations, qui lui permettront d’appréhender ses
relations comportementales et affectives avec ses figures d’attachement mais aussi toute
personne de son entourage. Ainsi, s’il se développe au sein d’un environnement suffisamment
sécure, il peut comprendre que ses attentes et ses besoins seront pris en compte, par
anticipation, grâce aux expériences suffisamment répétées. Il peut également comprendre
quelque chose des attentes des autres à son égard. Grâce à ses représentations d’interactions
précoces, il peut aussi avoir « ce sentiment de continuer d’être » dont parlait Winnicott (1958)
ainsi que le sentiment de sécurité intériorisé grâce aux réponses adéquates de son entourage.
Cette intériorisation progressive a été théorisée par Bowlby (1969) sous le terme de
« modèles internes opérants » (MIO). Ils constituent, pourrait-on dire, une sorte de
représentation des relations que le bébé a connues et expérimentées avec ses caregivers ou
137
figures d’attachement principales. Le bébé intériorise ainsi des modèles de relation tirés des
effets qu’il a produits sur ses proches, par le biais de ses signaux d’attachement. Ainsi ces
MIO sont faits des séquences interactives avec son environnement familial et ses proches. Ils
ont à la fois une dimension de sécurité pour le bébé ainsi qu’une dimension de guide dans ses
comportements. Ces modèles internes opérants (MIO) sont faits des modèles ou
représentations des figures d’attachement primaires, et de soi dans la relation avec celles-ci
(Pierrehumbert, 2003). Ces modèles sont opérants car ils servent de guide à l’enfant dans ses
comportements au sein des relations interpersonnelles ; ils influencent la façon dont l’enfant
perçoit l’environnement social qui l’entoure. On leur confère donc une dimension dynamique,
parce qu’ils ont un lien direct sur les comportements de l’enfant et également parce qu’ils
influencent la perception que ce dernier a de son environnement affectif (Miljkovitch, 2001).
Si les modèles internes opérants se construisent précocement au sein des interactions du bébé
avec ses donneurs de soin, ils ne peuvent être évalués qu’à partir d’un an environ, lorsqu’ils
commencent à se stabiliser dans un style d’attachement donné. La qualité de l’attachement de
l’enfant est liée à la qualité des interactions mère-bébé et de tout autre donneur de soins.
(Ainsworth et al., 1978). Par conséquent, les modèles internes opérants reflètent les
interactions d’une dyade (le plus souvent mère-bébé). Les Modèles Internes Opérants sont
issus de l’intériorisation des interactions par la mémoire procédurale de sorte que chaque
expérience vécue par le sujet est comparée aux modèles internes ; ainsi le sujet s’ajuste-t-il en
fonction de ces derniers dans ces comportements. Peu à peu, ces modèles internes opérants
vont acquérir un véritable statut de représentations puisqu’ils vont être mentalisés et devenir
accessible à la mémoire autobiographique.
Ce sont aussi les observations d’Ainsworth (professeur de psychologie à l’université de
Virginia), qui ont apporté une confirmation aux premiers écrits de Bowlby. Ses travaux en
Ouganda l’ont amenée à rendre compte d’un lien frappant entre sécurité et exploration chez
les enfants observés (Gauthier, 2011). En suivant les idées centrales de Bowlby, Ainsworth et
al. (1978) ont élaboré de façon plus détaillée le rôle de la sensibilité maternelle à l’égard des
signaux du bébé au cours de la première année de vie. Celle-ci favoriserait l’ouverture de
l’enfant à la communication émotionnelle et renforcerait son sentiment de sécurité dans des
moments de crainte. Ils ont détaillé les différents types de réponses maternelles aux signaux
du bébé. Selon Henninghausen et Lyons-Ruth (2005) les idées d’Ainsworth et al. (1978) sur
l’importance de la sensibilité maternelle, en tant que facteur favorisant la sécurité
d’attachement, étaient un peu différentes de la théorie de l’attachement de Bowlby, plus
138
centrée sur les séparations. Ils soulignent que le point de vue d’Ainsworth et al. a effectué un
changement radical au niveau de la théorie de l’attachement dans la façon d’appréhender les
mécanismes interactifs liés à la séparation et à la protection. Ces mécanismes s’articulent
autour du maintien, à chaque instant, de l’équilibre entre éveil de la peur et exploration de
l’environnement. Ce processus s’inscrit au sein d’une communication affective intersubjective
finement modulée entre la mère et le bébé (Henninghausen et Lyons-Ruth, 2005). Au fur et à
mesure, leurs interactions mènent à des modèles internes opérants complexes donnant à
l’enfant des représentations sur son mode d’approche et d’engagement avec les autres, de telle
sorte qu’il ne soit pas débordé par la peur. La sécurité de l’enfant dans l’exploration de
l’environnement a donc une influence sur la qualité des modèles internes opérants qui
résultent de ces expériences précoces. Elle aura ainsi une implication sur la façon dont
l’enfant va pouvoir s’engager dans des relations avec les autres. Il ne s’agit plus d’observer
seulement les réactions de l’enfant lorsqu’il est séparé de sa mère, mais aussi, à domicile, les
modalités des réponses maternelles face aux signaux du bébé en détresse, ayant besoin d’être
réconforté. Ainsworth et al. (1978) ont ainsi décrit les différents patterns comportementaux
qui différencient le style et les interactions de la mère et du bébé. Ainsworth a donc prolongé
et ouvert la théorie de Bowlby sur le « versant exploration » de la théorie de l’attachement
(Gauthier, 2011).
2. Les modalités d’évaluation des patterns
comportementaux d’attachement de l’enfant : « la
Situation Etrange »
Dans le but d’évaluer la qualité des comportements d’attachement de l’enfant, Ainsworth
a développé, en collaboration avec Bowlby, le paradigme de la « Situation Etrange »,
instrument de recherche standardisé et très utilisé à travers le monde, le plus souvent avec la
mère (Ainsworth et al., 1978). Ce paradigme structuré obéit à des critères scientifiques de
« répétabilité » et de « fiabilité », et permet d’observer comment l’enfant utilise une figure
d’attachement comme base de sécurité. Ce protocole peut aussi être utilisé avec d’autres
personnes proches du bébé et les résultats peuvent d’ailleurs différer en fonction de la
personne proche avec qui est réalisé le protocole. B. Pierrehumbert (2003) a ainsi montré qu’il
n’existe pas de concordance entre les classifications d’attachement de l’enfant obtenues avec
le père ou la mère d’un même enfant. Le protocole de la Situation Etrange reprend le point
central de la théorie qui articule la notion de base sécurisante à celle d’autonomie et permet
139
d’appréhender la qualité de la sécurité d’attachement chez un enfant en relation avec sa mère.
Les sept étapes de la Situation Etrange sont structurées pour observer comment un enfant,
entre 12 et 18 mois, réagit dans un environnement nouveau. Elles constituent une alternance
de séparations et de retrouvailles entre la mère et l’enfant, compliquées par la présence ou par
l’absence d’une étrangère, activant progressivement et de plus en plus intensément le système
d’attachement. La mère et l’étrangère, lors de l’explication des consignes avant la procédure,
ne doivent interagir avec l’enfant que s’il les sollicite et n’initier aucune interaction avec lui.
Les épisodes durent chacun 3 minutes et s’enchainent de la façon suivante :
1 la mère et l’enfant sont seuls dans une pièce avec des jouets (comme dans une salle
d’attente d’un médecin, par exemple)
2 l’étrangère entre et interagit d’abord avec la mère puis avec l’enfant
3 l’enfant se retrouve seul avec l’étrangère car la mère quitte la pièce (1ère séparation)
4 la mère revient et se retrouve à nouveau seule avec l’enfant, l’étrangère quitte la pièce
(1ères retrouvailles)
5 l’enfant se retrouve seul dans la pièce (2ème séparation)
6 l’étrangère rentre à nouveau et est seule avec l’enfant
7 la mère revient et l’étrangère s’en va, pour les laisser à nouveau seuls (2èmes
retrouvailles)
Grâce à ses travaux, Ainsworth a pu mettre en évidence les trois catégories principales
d’attachement chez l’enfant à partir d’une étude sur 23 dyades mère-enfant :
- l’attachement sécure (B) : l’enfant sécure proteste lors de la séparation d’avec la mère
mais est capable de l’accueillir à son retour avec soulagement. Il recherche activement sa
proximité ou la salue simplement avec enthousiasme. Ses comportements d’attachement ont
été activés mais la présence de la mère lui permet de reprendre l’exploration des jouets.
- l’attachement insécure évitant (A) : il semble peu perturbé et peu affecté par le départ
de la mère. Il donne l’impression d’une indépendance parce qu’il explore la pièce
apparemment sans avoir besoin d’être sécurisé par la mère. Il accepte facilement le contact
avec l’étrangère lorsque sa mère n’est pas là et il ignore ou évite souvent la mère à son retour.
- l’attachement insécure ambivalent résistant (C) : l’enfant est souvent anxieux et
agité lors de la séparation. Lors des retrouvailles, il cherche le réconfort auprès de sa mère de
140
manière ambivalente, s’accrochant à la mère, pour s’en défaire aussitôt dans un mouvement
de colère. Il résiste à la consolation et fait preuve de passivité dans l’expression de sa détresse.
Les proportions des trois catégories A, B, C observées auprès de populations
« normales » correspondent généralement à la répartition trouvée par Ainsworth
(Pierrehumbert, 2003). Les taux sont les suivants :
- 66% d’enfants à l’attachement sécure (B)
- 22 % un attachement insécure évitant (A)
- 12% un attachement insécure résistant ou ambivalent (C)
L’ordre des lettres de A à C traduit la progression du besoin de contact physique de
l’enfant avec la figure d’attachement, qui va de l’absence apparente de besoin à un besoin
excessif (Barthélémy et al., 2004, d’après Pierrehumbert, 2001). Toutefois, M. Rutter (2000)
remet en question la classification catégorielle des stratégies d’attachement puisque, selon lui,
les données de la clinique seraient plutôt en faveur d’un continuum entre les diverses formes
de la sécurité d’attachement. Les variations observées au cours de la Situation Etrange
seraient donc quantitatives et non qualitatives (Barthélémy et al., 2004).
Par la suite, d’autres études ont relevé qu’un certain nombre d’enfants (entre 10 et 20%)
(Pierrehumbert, 2003) ne pouvaient être classés dans ces 3 catégories lors de l’évaluation à la
Situation Etrange. Main et ses collègues (1985, 1986, 1990) ont ainsi élaboré une 4ème
catégorie : l’attachement désorganisé. Ces auteurs ont décrits chez ces enfants des
comportements particuliers : ils montraient des moments de désorientation, ils se figeaient
dans des attitudes évoquant l’appréhension ou la confusion lors des retrouvailles. Ils
pouvaient également être sidérés ou faire preuve d’une succession de comportements
désorganisés (par exemple, commencer à s’approcher de la mère puis s’arrêter en chemin).
Ces comportements s’associaient à l’une des trois autres catégories que l’on pouvait attribuer
à l’enfant secondairement. Enfin, ils semblaient plutôt alarmés par la mère elle-même.
Contrairement aux enfants des trois autres catégories, les stratégies d’attachement
désorganisées étaient mises en échec car la figure d’attachement de l’enfant ne pouvait pas
être utilisée comme base de sécurité.
Selon Main et ses collègues, environ 15 % des enfants issus de la classe dite moyenne
montrent des comportements d’attachement désorganisés. Par ailleurs, la plupart de ces
141
enfants peuvent être classés secondairement sécures. Selon Main et Hesse (1990), ces enfants
sont pris dans un dilemme entre approche et évitement face à leur figure d’attachement qui est
à la fois source de réconfort et d’alarme. Les comportements d’attachement désorganisés chez
l’enfant ont été fréquemment mis en lien avec l’existence d’abus, de maltraitance ou de
négligences de la part de la figure d’attachement. Environ 80 % des enfants victimes de ces
mauvais traitements appartiendraient à cette catégorie (Carlson et al., 1989). D. Cicchetti et al.
(1995) ont retrouvé un taux de 85% d’enfants à l’attachement désorganisé au sein
d’échantillons cliniques, notamment lorsque l’enfant a été victime de maltraitances
(Pierrehumbert et al., 2005). De nombreuses études ont évalué l’incidence des comportements
d’attachement désorganisés chez l’enfant au sein des populations pour lesquelles on retrouvait
des conflits parentaux ou des troubles psychopathologiques et/ou des conduites à risque
comme l’alcoolisme chez l’un des parents (Pierrehumbert, 2003). Ces troubles peuvent
augmenter l’incidence de l’attachement désorganisé chez l’enfant.
Toutefois, l’attachement désorganisé chez l’enfant n’est pas toujours le signe d’une
maltraitance ou d’une négligence de la part des parents. On ne peut pas faire l’équation entre
désorganisation de l’attachement et ces expériences particulièrement négatives puisqu’environ
15% des enfants dits « à bas risque » présentent aussi un attachement désorganisé selon une
méta-analyse (van IJzendoorn et al., 1999). Les mêmes auteurs ont retrouvé un taux de 24 %
d’attachement désorganisé chez les enfants au sein des populations à bas revenus, sans que
cette proportion plus élevée ne s’explique par des mauvais traitements. Par conséquent, des
comportements parentaux de soins moins extrêmes que les maltraitances peuvent également
être liés à ce type d’attachement (Lyons-Ruth, 2005). Lyons-Ruth (2005, d’après Kraemer),
dans ses travaux sur l’attachement désorganisé chez l’enfant, explique qu’en dehors de la
crainte du parent en soi, l’absence de régulation parentale de la peur chez l’enfant pourrait
être le mécanisme général qui serait lié à la désorganisation. Nous développons plus
largement ses travaux, notamment ceux sur le modèle de la diathèse relationnelle, dans la
continuité de ce chapitre.
Dans 73 à 90% des cas, la stabilité des catégories d’attachement à la Situation Etrange
des enfants a été démontrée dans les épreuves dites « test-retest » entre 12 et 18 mois
(Ainsworth et al., 1978). Leur plus ou moins grande corrélation avec des comportements
spécifiques liés à la sensibilité maternelle et observés à la maison a également été rapportée
(Ainsworth et al., 1978). Ces données semblent alors constituer des arguments suffisants pour
142
considérer que ce qui est observé est révélateur d’une manière d’être générale de l’enfant
(Miljkovitch, 2001).
B. La qualité de l’attachement se
transmet-elle de façon intergénérationnelle
des parents à l’enfant ?
1. L’importance de la transmission
intergénérationnelle de la qualité de l’attachement de
la mère à l’enfant
Cela fait maintenant bien longtemps que l’on sait que les attitudes, les comportements et
les affects des parents ont une profonde influence sur le développement de l’esprit de leur
enfant et sur la qualité de leurs modalités d’attachement. Une des pionnières, dans ce domaine
fût Selma Fraiberg (1975) qui avec son ouvrage « Des fantômes dans la chambre d’enfant » a
montré comment l’enfance traumatique et douloureuse d’une mère pouvait la mettre dans
l’incapacité à s’occuper de son bébé, face à l’obligation de se protéger de manière défensive
contre son propre vécu traumatique auquel faisaient écho les pleurs du bébé.
Les études les plus récentes montrent désormais que l’attachement désorganisé chez
l’enfant peut être en lien avec des antécédents d’histoires douloureuses chez le parent tels que
des deuils « non résolus » ou des traumatismes. Lyons-Ruth et Block (1996) ont mis en
évidence un lien clair entre un antécédent de traumatisme ou d’abus dans l’enfance de la mère
et les comportements d’attachement désorganisés de son enfant. Dans leur étude, ils ont
observé 50 % d’attachement désorganisé chez les enfants de mères ayant vécu des violences
physiques ou sexuelles contre 27% chez ceux dont les mères n’avaient pas vécu de telles
expériences. Par ailleurs, plusieurs études réalisées par Grossmann et Grossmann (1998) sur
un total de 250 cas ont montré que les enfants dont les mères avaient perdu une figure
d’attachement avant l’âge de 7 ans présentaient systématiquement un attachement désorganisé
évalué à la Situation Etrange. Toutefois, ces études ne tiennent pas compte de la façon dont
ces mères avaient pu élaborer leur deuil (Pierrehumbert, 2003).
L’hypothèse centrale de la théorie de Main sur la transmission de l’attachement réside
dans le fait que les représentations de relations d’attachement parentales constituent un facteur
prédictif de la qualité de l’attachement de l’enfant (Main et al., 1985). Les études utilisant
conjointement l’AAI (Adult Attachment Interview, George et al., 1996) - pour l’évaluation
143
des récits d’attachement de la mère - et la Situation Etrange pour l’enfant démontrent en effet,
dans une proportion importante, que les patterns d’attachement se transmettent de façon
intergénérationnelle au travers de la sensibilité maternelle.
Lorsque les mères présentent un traumatisme non élaboré, ou « non résolu » selon la
classification de l’AAI, la mère peut faire preuve de comportements « effrayés et/ou
effrayants » avec son enfant (Main et Hesse, 1990). La peur du bébé réveille potentiellement
en elles un effroi lié à leurs propres expériences passées qui les empêche de le rassurer. Dans
d’autres cas, ces mères peuvent se montrer menaçantes avec leur bébé. Ces attitudes
contribueraient au développement de l’attachement désorganisé chez l’enfant. Schuengel et
al., (1999) et van IJzendoorn (1999) ont confirmé la présence de tels comportements chez les
mères ayant subi un traumatisme lié à leur propre figure d’attachement et leur lien avec le
développement de l’attachement désorganisé de l’enfant. De façon générale, l’attachement
désorganisé chez l’enfant est fréquemment observé lorsque les parents présentent des
antécédents traumatiques non résolus liés à la perte ou à l’attachement ou encore dans des
familles aux facteurs de stress psycho-sociaux multiples (Van IJzendoorn et al., 1999).
Van IJzendoorn (1995) a montré dans une méta-analyse de treize études avec un total de
661 dyades que dans 75% des cas la mère et l’enfant présentaient le même type
d’attachement. Déjà, durant la grossesse, l’évaluation de la qualité de l’attachement maternel
permet de prédire dans 70% des cas les patterns d’attachement de l’enfant (van Ijzendoorn et
al., 1999).Un tel taux semble particulièrement évocateur et en faveur d’une forte transmission
intergénérationnelle. Cependant, selon les études, cette transmission semble plus
particulièrement importante lorsque la mère présente un attachement sécure, que dans le cas
où elle présente un attachement insécure.
En effet, lorsque les études prennent en compte les quatre catégories d’attachement
(sécure, insécure – évitant ou - ambivalent, et désorganisé), le taux d’équivalence dans la
transmission n’est plus que de 63%. Il semble que le taux d’équivalence le moins fort
concerne
l’attachement
insécure.
Ces
différences
suggèrent
que
la
transmission
intergénérationnelle de l’attachement est plus complexe, fort heureusement, que ne pouvaient
le présumer les premières études. Cette transmission entre la mère et l’enfant dépendrait de
plusieurs facteurs enchevêtrés (Shah et al., 2010).
Dans sa revue de la littérature, van IJzendoorn a montré que les études cherchaient à
comprendre comment la capacité maternelle à réguler et à organiser ses propres pensées,
144
souvenirs et émotions, à propos de ses relations d’attachement, était liée à sa capacité à
réguler les émotions du bébé et à répondre de façon sensible à ses besoins d’attachement. Cela
allait dans le sens de l’hypothèse de Main et al. (1985) selon laquelle des états d’esprit
maternels concernant ses propres relations d’attachement entraînaient des comportements
particuliers envers l’enfant. Plus les mères étaient en mesure d’élaborer un récit cohérent au
sujet de leurs propres représentations d’attachement, plus elles étaient en mesure de répondre
de façon adaptée aux besoins d’attachement de l’enfant. Toutefois, les mécanismes qui soustendent cette transmission intergénérationnelle, expliquant le lien entre la qualité de
l’attachement maternelle et celle du bébé, restaient peu clairs. Durant de nombreuses années,
les recherches dans le domaine de l’attachement ont considéré que les comportements
maternels constituaient la pierre angulaire de cette transmission. Dans cette appréhension, les
mères sécures seraient capables de répondre de façon sensible et adaptée aux besoins
d’attachement du bébé. Au contraire, les mères insécures seraient en difficulté pour aider le
bébé à se réguler dans ses besoins d’attachement. Mais van IJzendoorn (1995) avait conclu
que les études empiriques se basant sur les seules mesures de la sensibilité maternelle ayant
cherché de façon tangible à rendre compte de ces liens entre comportements maternels et
transmission de la qualité de l’attachement avaient échoué.
Face à ces constations, il restait à comprendre comment et par quels mécanismes les
représentations d’attachement maternelles influençaient la mise en place des patterns
d’attachement de l’enfant. Fonagy et al. (1995) ont alors suggéré que les capacités de
fonctions réflexives pouvaient expliquer ce que van IJzendoorn (1995) avait appelé le
« transmission gap » pour faire référence à la proportion des populations étudiées pour
laquelle on ne retrouvait pas de transmission intergénérationnelle de la qualité de
l’attachement de la mère à l’enfant.
2. « Le transmission gap » : l’importance des
capacités de fonction réflexive maternelles
A mesure que les recherches utilisaient la Situation Etrange et l’AAI et qu’ils mettaient
en relation les résultats de ces deux outils, dans le but de comprendre une éventuelle
transmission intergénérationnelle de la qualité de l’attachement, les chercheurs ont observé
différents types d’interactions perturbées liées à différents comportements, du côté des
parents, notamment de la mère. Ces comportements jouaient un rôle majeur dans le
développement de la qualité d’attachement chez l’enfant. De ces recherches, notamment sur
145
les étiologies du développement de l’attachement désorganisé chez l’enfant, sont nés
différents outils d’évaluation et de mesures des comportements parentaux :
- Un instrument, le « FR », qui évalue les comportements parentaux « effrayés ou
effrayants » pour l’enfant constitué de 6 échelles pour identifier les différents sous-types de
ces comportements (Main et Hesse, 1990). De nombreuses études utilisant cet instrument ont
validé l’hypothèse de Main et Hesse selon laquelle les comportements maternels « effrayés ou
effrayants » étaient reliés à l’attachement désorganisé chez le bébé ainsi qu’à l’état d’esprit
« non résolu » à l’AAI chez le parent (Lyons-Ruth et Jacobvitz, 1999).
- Un instrument permettant d’évaluer des formes perturbées de la communication
comportementale et affective entre parent et enfant : AMBIANCE (Atypical Maternal
Behavior Instrument for Assessment and Classification, Lyons-Ruth et al., 1999). Le lien
entre les modes de communication maternelle perturbée et l’attachement désorganisé chez
l’enfant a été démontré par de nombreuses études, dans plusieurs pays (12 études, 851
familles). Les parents qui montraient des comportements atypiques avaient des enfants qui
avaient 3,7 fois plus de chance de développer des comportements d’attachement désorganisés
(r=.34) (Lyons-Ruth et Jacobvitz, 2008).
- Un instrument qui évalue la capacité d’un parent à comprendre ses propres intentions,
ses motivations, ses émotions et celles des autres (de son enfant) qui renvoie à la capacité de
fonction réflexive et autoréflexive : le « Reflective Functioning Scoring System » (Fonagy et
al., 1991). Les résultats obtenus à l’aide de cette échelle sont fortement corrélés à la cohérence
des récits à l’AAI et peuvent, par ailleurs, prédire la sécurité d’attachement du bébé.
Fonagy et al. (2002, 1995) ont démontré que la capacité de fonction réflexive maternelle
permettant à la mère de penser le bébé comme étant animé par des pensées propres jouait un
rôle crucial dans la transmission intergénérationnelle de l’attachement. A l’AAI, la
compétence auto-réflexive chez l’adulte lui permet d’intégrer des événements passés dans ses
représentations et d’établir un récit cohérent de ses propres expériences d’attachement.
Main et ses collègues avaient tout d’abord souligné l’importance des compétences autoréflexives chez l’adulte. Or, pour Fonagy et al. (1995), il ne s’agissait plus de penser les
mécanismes de transmission intergénérationnelle uniquement en termes de processus cognitifs
et de système de représentations. Pour eux, les relations d’attachement évoluent autour de la
régulation des affects négatifs ; par conséquent, le processus inhérent au développement de la
sécurité d’attachement et à la transmission intergénérationnelle doit prendre en compte la
146
capacité à pouvoir penser et se représenter les émotions et les sentiments ainsi que leurs liens
avec les comportements pour soi-même mais aussi pour autrui. Pour Fonagy et al. (2002), ces
mécanismes entrent en jeu dans les processus intersubjectifs et donc, dans les relations
interpersonnelles et sont sous-tendus par la capacité de fonction réflexive. Grâce à cette
capacité, une mère est en mesure de comprendre ses propres comportements et ceux des
autres comme étant en lien avec des états mentaux. Fonagy et al. (1995) suggèrent donc que
cette capacité à attribuer des états mentaux est ce qui lui permet de penser l’expérience
affective et émotionnelle interne de son enfant, d’y attribuer du sens. Enfin, la fonction
réflexive lui permet d’appréhender les comportements de son bébé comme étant l’expression
d’états d’esprit, d’intentions, ou de sentiments.
Dans cette perspective, la fonction réflexive permet d’articuler chez la mère la capacité à
se représenter de façon cohérente ses propres représentations d’attachement, en ayant accès
aux émotions qui y sont rattachées, avec la capacité à être une base sécurisante pour l’enfant.
La capacité de fonction réflexive constituerait donc l’élément critique à l’origine du lien entre
la qualité de l’attachement de la mère et de celle de l’enfant. Elle sous-tend la qualité des
comportements maternels à l’égard de l’enfant, en particulier en ce qui concerne ses besoins
d’attachement, mais également ses besoins de partage intersubjectif et de régulation de ses
émotions et affects.
Slade et al. (2005) ont montré qu’il existait un lien important entre les capacités de
fonction réflexive maternelle et, d’une part, la qualité des représentations d’attachement chez
la mère mesurée pendant la grossesse, et d’autre part, la qualité des comportements
d’attachement de l’enfant. Ils ont utilisé une mesure de la capacité de fonction réflexive
dérivant de celle élaborée par Fonagy et al. (1998) adaptée au contexte de la relation parentenfant. Leur mesure donnait accès à la capacité maternelle de fonction réflexive vis-à-vis de
l’enfant. Ils ont observé une forte corrélation (.41) entre la sécurité d’attachement chez
l’enfant et cette mesure de la capacité de la fonction réflexive maternelle. Cette corrélation est
plus élevée que celle existant entre la sensibilité maternelle et la sécurité d’attachement chez
l’enfant (.32) retrouvée dans l’étude de van IJzendoorn (1995).
Etant donné l’importance des capacités de fonction réflexive maternelles pour le
développement d’un attachement sécure chez l’enfant, une mère à l’attachement insécure
mais faisant preuve de bonnes capacités réflexive pourrait avoir un enfant à l’attachement
sécure. Cela permet de comprendre le « transmission gap » ou « chaînon manquant » retrouvé
dans de nombreuses études.
147
3. Le modèle de la diathèse relationnelle de K.
Lyons-Ruth : transmission de l’attachement
désorganisé de la mère à l’enfant
a)
Lyons-Ruth (1999) : l’importance des antécédents
de traumatisme dans l’histoire maternelle dans la
genèse de la transmission intergénérationnelle de
l’attachement désorganisé
K. Lyons-Ruth fait partie des théoriciens psychanalytiques de l’attachement. Ses
recherches se situent à la fois dans le cadre conceptuel de la psychologie du développement,
de la théorie de l’attachement et de la psychanalyse. Son modèle d’inspiration
psychanalytique de l’attachement désorganisé, celui de la diathèse relationnelle, est le seul,
selon Fonagy (2004, p. 163), qui permette de rendre compte de la plupart des complexités
inhérentes aux données issues des travaux et recherches des attachementistes concernant
l’attachement désorganisé. « Bien que ce modèle ne soit pas encore tout à fait intégré aux
idées psychanalytiques, il s’agit là du paradigme de la théorie de l’attachement le plus
sophistiqué qui ait été proposé par un psychanalyste depuis John Bowlby ». « En médecine, la
diathèse est la disposition générale d’une personne à être atteinte, simultanément ou
successivement, par des affections présumées de même étiologie, mais avec des
manifestations différentes (prédisposition, terrain) »8.
Lyons-Ruth et al. (1999) sont partis des données théoriques et des résultats des études
empiriques sur l’attachement désorganisé pour élaborer leur modèle de la diathèse
relationnelle. Ce modèle cherchait à rendre compte à la fois des différents comportements
concernant l’attachement désorganisé et observés à plusieurs âges, suivant différents systèmes
de classification, ainsi que des complexités inhérentes voire des paradoxes soulevés par ces
données. A l’origine Main et Solomon (1990) ont décrit sous le terme de
désorganisés/désorientés, toute une série de comportements de frayeur, étranges et/ou
contradictoires qui peuvent être observés chez le jeune enfant au moment des épisodes de
séparations et de retrouvailles (comme dans le système de cotation de la Situation Etrange,
décrit plus haut). Elles percevaient ces comportements comme la mise à mal (la rupture) de
8
Définition du Petit Robert. In Fonagy, P. Théorie de l’attachement et Psychanalyse. (2008). Eres. Coll. La vie
de l’enfant. P 160.
148
l’organisation des stratégies comportementales visant le maintien de la proximité avec la
figure d’attachement au moment d’un épisode de stress.
Le modèle de la diathèse relationnelle éclaire les mécanismes de transmission
intergénérationnels de peurs ou traumatismes non résolus de l’enfance maternelle par le biais
de comportements effrayés ou effrayants au sein de la relation à l’enfant (Lyons-Ruth et al.,
1999). Dans ce modèle, la peur et sa régulation s’inscrivent dans un contexte relationnel.
L’attachement désorganisé chez l’enfant est lié à différents facteurs imbriqués :
- les caractéristiques et l’intensité de l’expérience qui génère la peur,
- des éléments de vulnérabilité génétique par rapport à la gestion du stress,
- la capacité de la figure d’attachement à réguler « l’éveil de la peur »,
- le niveau de sécurité d’arrière-plan que l’enfant a, au regard de la qualité de ses relations
d’attachement.
Ainsi l’enfant peut développer un attachement désorganisé, soit en raison de la gravité du
traumatisme qui déborde ses capacités d’intégration, soit parce que ses figures d’attachement
sont incapables de réguler son expérience négative. Deux paramètres doivent donc être pris en
compte : la gravité du traumatisme et la qualité des relations d’attachement de l’enfant. Par
conséquent, dans un cas l’enfant peut vivre un traumatisme dont la gravité sera responsable de
la désorganisation de son attachement, dans l’autre, même si les expériences vécues ne sont
pas en elles-mêmes traumatiques, l’attachement désorganisé peut se développer si le caregiver
n’est pas en mesure de réguler les expériences négatives de l’enfant. Dans ce dernier cas, les
parents présentent cette incapacité car ils sont l’objet de peurs non résolues de leur propre
histoire liée à des comportements effrayés ou effrayants avec l’enfant. Les parents seraient en
difficulté face à ces peurs pour aider l’enfant à réguler sa propre peur et d’autres émotions
négatives intenses car ils réduiraient leur attention aux signaux et besoins d’attachement de ce
dernier, au travers d’un mécanisme de défense. Cela aurait pour but inconscient de les
prémunir d’une nouvelle confrontation avec leur passé traumatique. On peut parler de
processus de ségrégation des informations au sein duquel l’adulte exclut de sa conscience des
informations ou des émotions qui risquent de raviver d’autres émotions insoutenables. Il
s’agit là d’une stratégie d’évitement telle que l’on peut la voir dans les états de stress posttraumatique. Il empêcherait un parent d’identifier les signes d’anxiété de son enfant lorsque
celui-ci active ses comportements d’attachement. L’adulte est par conséquent incapable de
répondre de façon adéquate aux besoins de l’enfant.
149
Enfin, Lyons-Ruth (2005) s’appuyant sur de nombreux travaux considère qu’il existe une
convergence entre les arguments développementaux, comportementaux, biologiques et
évolutionnistes suggérant d’élargir le modèle du système d’attachement comportemental pour
y inclure les particularités positives de la relation entre le caregiver et lé bébé qui serviraient à
réguler l’éveil de la peur chez ce dernier. Elle explique que le sentiment de sécurité chez le
bébé s’inscrit dans le cadre d’une régulation basée sur les mécanismes de communication
intersubjective entre le caregiver et ce dernier plutôt que par des activations intermittentes du
système d’attachement. Dans le cadre de ses travaux, elle a observé que l’absence de
régulation du caregiver conduit aussi à la désorganisation de l’attachement de l’enfant. Ainsi,
le mécanisme plus général qui conduirait à ce type d’attachement chez l’enfant serait le
manque voire l’absence de régulation effective du caregiver plutôt que la peur de ce dernier.
b)
L’attachement désorganisé chez l’enfant : son
évolution et ses risques
Entre 18 mois et 4 ans, les enfants acquièrent la capacité à se représenter les états d’esprit
de leurs parents et à y répondre grâce au développement de leurs capacités sociales, cognitives
mais aussi linguistiques. Par rapport aux comportements d’attachement, ces changements
augmentent les capacités des enfants à communiquer leur propre point de vue, à envisager
ceux de leurs figures d’attachement et à participer activement à la réalisation de buts
communs (Cassidy et al., 1992 ; Main & Cassidy, 1988 d’après O’Connor et al., 2011).
Beaucoup d’études anglo-saxonnes font état d’une réorganisation particulièrement majeure
des comportements d’attachement en stratégies dites contrôlantes chez l’enfant d’âge scolaire
à l’attachement désorganisé (Main & Cassidy, 1988 ; Wartner et al., 1994). Entre 18 mois et 6
ans, environ 2/3 des enfants qui présentaient un type d’attachement désorganisé, réussissent,
pourrait-on dire, à organiser leurs comportements d’attachement dans le but de maîtriser
l’interaction (la relation) avec leur figure d’attachement (Main, 1995; Wartner et al., 1994 ;
O’connor et al. 2011). L’autre tiers reste désorganisé dans leurs patterns d’attachement. Ces
enfants précédemment désorganisés dans leur attachement ont dû renoncer à se tourner vers
leur parent dans le but d’obtenir le réconfort dont ils avaient besoin. Ils mettent alors en place
des tentatives pour maintenir l’attention de ce dernier. L’« organisation » des patterns
d’attachement, pour certains de ces enfants, représente une stratégie adaptative et protectrice
lorsque leurs besoins de réconfort et de sécurité ne sont pas entendus. Cette stratégie a pour
but de rendre le parent aux comportements dysfonctionnels plus impliqué dans cette relation.
150
Selon Lyons-Ruth (2005) ce changement radical dans les stratégies d’attachement pourrait
s’expliquer par la transformation chez l’enfant de ses sentiments négatifs en colère à l’égard
du parent. Ces stratégies pourraient ensuite être perçues comme une forme de rejet par un
parent hypersensible.
Selon Gunderson et Lyons-Ruth (2008), ce changement radical dans les stratégies
d’attachement de l’enfant s’expliquerait par une discontinuité phénotypique au cours du
développement puisque les stratégies contrôlantes sont radicalement différentes des patterns
d’attachement
précoces
hésitant,
d’appréhension
ou
conflictuels
qui
caractérisent
l’attachement désorganisé de l’enfant plus jeune. Certains de ces enfants, jadis désorganisés,
peuvent plus tard exercer un certain contrôle sur l’attention du parent en prenant soin de lui,
en l’organisant, en le distrayant ou encore en veillant sur lui. Nous pourrions dire en exerçant
sur lui une sorte d’attention hyper-vigilante. Cette stratégie d’attachement est appelée
« contrôlante/soignante ». D’autres enfants retiennent l’attention et l’engagement du parent en
établissant un mode de relation colérique, hostile, coercitive voire humiliante avec lui ; il
s’agit alors d’une stratégie d’attachement « contrôlante/punitive » (Lyons-Ruth, 2005). Ces
stratégies de contrôle de l’attention des figures d’attachement traduiraient une confusion voire
une inversion des rôles parents-enfants (Solomon et George, 1999). D’un point de vue
clinique, cette inversion des rôles a été décrite sous le nom de « parentification » (Guédeney,
2011). Cette inversion des rôles est particulièrement délétère pour la construction de l’image
de soi. Dans de telles constellations, le modèle de soi en relation avec l’autre, en situation de
détresse est particulièrement « douloureux » (Guédeney, 2011 ; Macfie et al, 2005). Des
parents aux histoires personnelles difficiles et exposés à un contexte de stress intense sont
dans l’incapacité de répondre aux besoins de leur enfant ce qui peut donner à ce dernier le
sentiment qu’il est trop exigeant ou menaçant pour leur propre survie. Il s’établit alors un
cycle de renforcement négatif dans lequel la restriction des besoins de l’enfant est renforcée
positivement par les parents. L’enfant ne peut être accepté et reconnu qu’au prix d’une quasiamputation de certaines dimensions vitales de son Soi. Il gagne l’estime de l’autre au
détriment de ses propres besoins. Le risque, face à cette situation intenable sur le long terme,
est qu’un autre cercle vicieux se renforce puisque le comportement de l’enfant risque de
solliciter une rétorsion encore plus forte de la part du parent conduisant à une plus forte haine
de Soi. Avoir des besoins de réconfort, dans ce système, semblerait égoïste, honteux et
inacceptable pour l’enfant (Guédeney, 2011). Le plus tragique est que l’enfant parentifié ne
151
peut jamais complètement réconforter sa figure d’attachement d’où des sentiments
d’impuissance et d’incapacité face à cet échec.
L’attachement désorganisé chez l’enfant constitue un facteur d’extrême vulnérabilité en
particulier dans le domaine de l’estime de Soi et de la régulation émotionnelle (Sroufe et al.,
2005). Ce type d’attachement représente également une valeur prédictive pour le
développement ultérieur chez l’enfant de problèmes de comportements dits externalisés ou de
comportements dissociatifs (Van Ijzendoorn et al., 1999). Par ailleurs, des études ont montré
que la qualité de l’attachement de l’enfant à l’égard de ses figures d’attachement précoces
permettait de prédire la qualité de sa future adaptation sociale plus que celle à l’égard de toute
autre figure de soins pour l’enfant (Main et al., 1985; Suess et al., 1992).
Cependant, d’autres études ont montré que la possibilité de prédire le développement de
troubles psychopathologiques d’après un type d’attachement insécure ou désorganisé était
plus forte au sein des populations dites à haut risque. En effet, dans ces populations,
l’attachement désorganisé est prédictif de problèmes de comportements lorsqu’il est associé
avec au moins un autre facteur de risque (par exemple, un faible QI) (Fonagy et al., 2002a).
De façon plus générale, l’attachement désorganisé constituerait un facteur de risque pour le
développement de comportements inadaptés (Lyons-Ruth et al., 1997 ; Jacobovitz et Hazen,
1999).
En ce qui concerne le développement de troubles de personnalité borderline à l’âge
adulte, des études longitudinales ont tenté de mettre en évidence le lien entre l’attachement
désorganisé chez l’enfant et la présence ultérieure de ces troubles. Une étude prospective a
montré que la perturbation de la communication affective, particulièrement le retrait
émotionnel, chez des mères d’enfant âgés de 18 mois était prédictive de symptômes
borderline à l’entrée dans l’âge adulte (19 ans) (Lyons-Ruth, 2005). Dans leur échantillon ces
jeunes adultes présentaient des relations interpersonnelles particulièrement instables et des
comportements auto-dangereux caractéristiques de ce trouble de personnalité. Par ailleurs, les
résultats de la méta-analyse de Madigan et al. (2006), sur une population de 384 dyades
mères-bébé a montré que la perturbation de la communication affective maternelle était liée à
la fois à l’attachement désorganisé de l’enfant (r= .35) et au type d’attachement « Non
résolu » chez la mère (r=0.20). Enfin, cette perturbation de la communication émotionnelle
maternelle était toujours corrélée à la présence de symptômes borderline après avoir contrôlé
le sexe de l’enfant, les facteurs de risque socio-économique, les antécédents d’abus ou de
maltraitance ainsi que la présence de l’allèle courte du transporteur de la sérotonine (Lyons152
Ruth et al., 1999a). Aussi, semblerait-il que la perturbation de la communication affective
maternelle ait un plus fort pouvoir prédictif que l’attachement désorganisé en ce qui concerne
le développement des troubles de personnalité borderline, indépendamment des antécédents
d’abus ou de maltraitance. L’attachement désorganisé chez l’enfant âgé de 18 mois n’était pas
prédictif en lui-même des symptômes borderline chez le jeune adulte. Même au sein des
populations à bas revenu, où le taux d’attachement désorganisé chez l’enfant est plus élevé,
les enfants dont les mères manifestaient des configurations de communication affective non
perturbées avaient un taux bas d’attachement désorganisé. Les enfants de mères manifestant
des patterns de communication affective perturbée obtenaient, au contraire, un taux
d’attachement désorganisé jusqu’à 5 fois plus élevé (Madigan et al., 2006).
C. L’attachement des enfants de mères
borderline : état de la littérature
L’étude de Hobson et al. (2005) est la seule, en dehors de notre recherche, a avoir évalué
la qualité des comportements d’attachement des enfants de mères présentant un trouble de
personnalité borderline (TPB). Par le biais de la procédure de la Situation Etrange, ils ont
évalué les patterns d’attachement de ces enfants à 12 mois, au sein d’une population de 10
dyades mère borderline-bébé comparativement à ceux d’enfants de dyades contrôles pour
lesquelles la mère ne présentait aucune pathologie psychiatrique. L’une des forces de cette
étude est d’avoir évalué en parallèle les interactions au sein de ces dyades au cours de deux
autres situations. En plus de cette procédure expérimentale bien connue de la Situation
Etrange, les auteurs se sont penchés sur les interactions mère-bébé au cours d’une situation
expérimentale issue d’un moment de jeu imaginé par Winnicott («Winnicott’s Set Situation»).
Au cours de celui-ci, les enfants se retrouvaient sur les genoux de la mère, en face d’une
étrangère qui, ayant initialement adopté un visage impassible (« Still-Face »), devait ensuite
tenter d’engager l’enfant dans un jeu « de prendre et donner » avec une spatule. Cette équipe a
également utilisé une autre situation de jeu semi-structuré où les mères avaient pour consigne
d’apprendre à l’enfant à jouer avec de petites figurines et un train. Cette dernière cherchait à
évaluer les interactions mère-bébé et notamment la sensibilité et « l’intrusivité » maternelle
lors d’une tâche considérée comme « cognitive ».
Ils ont observé que 80% (n=8/10) des enfants de mères présentant un TPB avaient un
type d’attachement désorganisé, contre seulement 27% au sein de la population contrôle. Ce
pourcentage d’attachement désorganisé se rapproche fortement de celui retrouvé au sein de
153
populations d’enfants victimes de maltraitances et de carences (Carlson et al., 1989). De plus,
les deux seuls enfants de mères borderline qui paraissaient sécures à la SE appartenaient à la
catégorie B2 (qui correspond à un type d’attachement difficile à coter) tout en présentant
certains comportements atypiques pour cette catégorie et étant, par conséquent, au seuil de la
catégorie désorganisée. Ils avaient par ailleurs des scores très bas aux items évalués au cours
de la situation de mise en scène avec l’étrangère : ils étaient peu enclins à s’engager dans un
échange positif avec cette dernière, avaient un faible score d’organisation comportementale et
lui montraient peu de regards positifs. Leurs mères, elles, se trouvaient être parmi les mères
les plus insensibles de façon intrusive ; au jeu d’apprentissage, elles présentaient un mauvais
accordage affectif à l’enfant et étaient particulièrement intrusives. Au regard des
comportements atypiques qu’ils présentaient lors de la SE et du mode particulier de relation
avec l’étrangère qu’ils instauraient, ces deux enfants avaient des points en commun avec les
enfants à haut risque montrant « un évitement instable » identifiés par Lyons-Ruth et ses
collègues qu’ils avaient classés dans la catégorie d’attachement B2 (Lyons-Ruth et al., 1987;
Lyons-Ruth et al., 1991). Malgré leur classification sécure à la SE, ces enfants pouvaient, en
réalité, montrer des comportements atypiques soit du spectre de la désorganisation de
l’attachement soit de celui de l’évitement (insécurité). Ces comportements pouvaient
s’observer, par ailleurs, au sein d’autres situations d’interactions avec la mère ou encore avec
d’autres personnes que l’enfant ne connaissait pas.
Dans la lignée de ces résultats, Hobson et al. (2009) ont cherché à appréhender plus
clairement les comportements et particulièrement l’insensibilité de type intrusif, au sein du
mode de communication affective des mères présentant un TPB à l’égard de leur enfant. Au
cours de la Situation Etrange, ils ont utilisé la méthode d’évaluation et de classification des
modes perturbés et atypiques de la communication mère-bébé (AMBIANCE9 ; Lyons-Ruth et
al., 1999). Cette méthode, que nous avons évoquée, se centre sur les ruptures au sein de la
communication affective et émotionnelle, et sur les effets perturbateurs d’affects maternels
non intégrés de peur, d’hostilité ou d’anxiété. Ils ont utilisé cette méthode car les études
préalables avaient montré que de tels affects étaient fortement liés, d’une part aux états
d’esprits non résolus en lien avec un trauma ou une perte à l’AAI et d’autre part, à
l’attachement désorganisé chez l’enfant (Madigan et al., 2006). Par ailleurs, ils se sont basés
sur les travaux de Lyons-Ruth et al. (2005) qui avaient observé que la perturbation de la
9
(Atypical Maternal Behavior Instrument for Assessment and Classification. Lyons-Ruth, Bronfman et Parsons,
1999).
154
communication maternelle permettait d’expliquer la relation existant entre des représentations
d’états d’esprit « hostiles/impuissants » reflétant le type d’attachement maternel et
l’attachement désorganisé chez l’enfant. Ces états d’esprits seraient caractéristiques des sujets
présentant un TPB (Lyons-Ruth et al., 2007). Par ailleurs, Grienenberger et al. (2005) avaient
montré que sur une population de 45 mères et de leurs bébés âgés de 10 à 14 mois, un score
élevé obtenu à l’échelle AMBIANCE, était inversement corrélé aux scores concernant la
fonction réflexive maternelle. Hobson et al. (2009) ont coté les comportements des mères de
trois cohortes (avec troubles borderline, avec troubles dépressifs et sans pathologie) en
dénombrant les items suivants (résumés) au cours de la Situation Etrange :
- Les erreurs dans la communication affective, tels que des signaux contradictoires
adressés à l’enfant
- La confusion des rôles, consistant pour la mère à attirer l’attention de l’enfant sur
soi en fonction de son propre référentiel, sans tenir compte des signaux ou
demandes de celui-ci
- Les comportements effrayés ou désorientés
- Les comportements verbaux et physiques, négatifs et intrusifs à l’égard de
l’enfant
- Les comportements de retrait ou de mise à distance de l’enfant
D’après leurs résultats, la quasi-totalité des mères présentant un TPB faisaient preuve de
patterns de communication affective perturbés à l’égard de l’enfant, comparativement aux
mères déprimées et aux mères sans pathologie. Si deux mères présentant un TPB seulement
n’obtenaient pas un score suffisant pour être classées dans le groupe des patterns de
communication perturbés, les enfants de ces dernières présentaient pourtant un type
d’attachement désorganisé, ce qui, selon les auteurs, mettaient en lumière de possibles
difficultés relationnelles mère-bébé. Enfin, ce type de communication affective perturbée était
même spécifique aux mères présentant un TPB puisque ces dernières présentaient
significativement beaucoup plus de comportements de type effrayés ou désorientés. Ceux-là
étaient rares au sein des populations de mères déprimées ou sans pathologie.
Ces résultats ont mis en évidence les conséquences du trouble de personnalité borderline
d’un point de vue psychopathologique sur les relations interpersonnelles, et particulièrement
sur les relations mère-bébé, lorsque ce dernier se trouve dans une relation de détresse ou
d’activation de ses besoins d’attachement qui met la mère en difficulté. En plus de montrer
155
des modes de communication affective perturbée, les mères borderline montraient
significativement plus de comportements de peur ou de désorientation à l’égard de l’enfant,
face à ses demandes d’affection ou d’attention. De tels comportements sont fortement
associés à l’attachement désorganisé chez l’enfant (Hesse & Main, 2006 ; Abrams et al.,
2006).
156
VI. Représentations d’attachement et
narrativité chez l’enfant
A. De l’étude des comportements
d’attachement à celle des représentations
d’attachement
1. Les travaux décisifs de Mary Main dans
l’évaluation des représentations d’attachement
D’un point de vue historique, il y eu au sein de la théorie de l’attachement un virage
important effectué en 1985 par Main, Kaplan et Cassidy, qui a déplacé l’intérêt de l’étude des
comportements d’attachement du bébé vers celle des représentations d’attachement de
l’adulte ; ce virage a fait naître de précieux outils dont l’AAI (Adult Attachment Interview,
George et al., 1985). Cet outil permet l’évaluation des représentations d’attachement chez
l’adulte ainsi que celle de la qualité de son récit. L’analyse de cet entretien s’intéresse
davantage à la forme du discours qu’à son contenu, le but étant d’appréhender l’organisation
de la pensée du sujet par rapport aux questions d’attachement. Il a, de plus, initié le
développement des travaux sur les relations entre modalités d’attachement du bébé et qualité
des représentations d’attachement chez les parents (particulièrement la mère). A la suite des
travaux de Bowlby et Ainsworth, Main a assimilé la sécurité d’attachement à l’ouverture et à
la flexibilité des processus de pensée (Miljkovitch, 2001). Toutefois, c’est Bowlby qui, le
premier, a introduit des concepts de psychologie cognitive dans la modélisation du
fonctionnement psychique et affectif en repérant des incohérences dans le discours de certains
de ses patients. L’insécurité a donc été associée à une restriction sur le plan du traitement des
informations relatives à l’attachement.
Les travaux sur les représentations d’attachement ont permis de faire un lien entre affect
et cognition. La gestion des besoins et des frustrations liés à l’attachement donne lieu à un
traitement des informations particulier qui permet (ou non) à l’individu de faire face au
présent, à la lumière du passé (Miljkovitch, 2001). La psychanalyse explique comment le
sujet met en place des défenses psychiques pour se préserver des affects douloureux liés à
l’insatisfaction des besoins. Il en va de même en matière d’attachement.
157
Des études ont montré une continuité entre les comportements d’attachement chez
l’enfant à un an et les narratifs au cours de la moyenne enfance, mettant en évidence le lien
entre sécurité d’attachement, et ouverture et flexibilité des processus de pensée. Miljkovitch
(2001) rappelle cependant, qu’il peut exister aujourd’hui une confusion dans le concept de
« sécurité d’attachement ». Cette notion renvoyait au départ à des affects, tandis qu’elle peut
souvent être assimilée aujourd’hui à des capacités réflexives. Il s’agit toutefois d’aspects
différents qui ne doivent pas être confondus car ils ne se superposent pas totalement.
L’insécurité prédispose à la mise en place de défenses psychiques qui introduisent des
incohérences dans les récits sans qu’il existe un lien de causalité systématique et que
l’absence de tels mécanismes permette de conclure à une sécurité d’attachement (Miljkovitch,
2001). Les capacités représentationnelles aident le sujet dans la gestion de ses émotions
(prévenant ainsi la formation de troubles psychiques) et le libèrent de leur influence dans le
présent (notamment dans la manière dont les parents élèvent leurs enfants) ; en dépit de cela,
le sentiment d’insécurité éprouvé dans le passé persiste parfois, même s’il est devenu moins
envahissant (Miljkovitch, 2001).
Des personnes ayant vécu une enfance sécurisante peuvent aussi ne pas avoir développé
des capacités métacognitives très élaborées ; celles-ci peuvent se laisser guider par leur
« instinct » sans pour autant réfléchir à ce qu’elles vivent ou à ce que vit l’autre (Miljkovitch,
2001, p 133). Il existe une différence entre ce qui touche à l’affect et ce qui touche à la
réflexion, l’affect pouvant être un guide plus immédiat pour le sujet, la réflexion exerçant
potentiellement un contrôle sur les émotions et le comportement.
2. Narrativité et attachement chez l’enfant : l’étude
des représentations d’attachement par le test des
histoires à compléter
La notion de narrativité retient, à l’heure actuelle, toute l’attention, à la fois des
psychanalystes et des théoriciens de l’attachement par le lien qu’elle semble créer entre les
deux théories qui se sont pourtant longtemps affrontées. B. Golse (2005) a souligné le
caractère polysémique du concept de narrativité qui peut renvoyer à des dimensions
philosophique, historique, linguistique et psychanalytique. Au travers de ce travail, B. Golse a
montré combien le système des interactions précoces entre les adultes et le bébé pouvait, plus
que jamais, être considéré comme « un espace de récit » au sein duquel les capacités
narratives de l’enfant trouvent leurs origines. La qualité des interactions influencera ainsi la
158
qualité du récit de l’enfant. De fait, au sein de la théorie de l’attachement, l’hypothèse actuelle
est que la qualité de la narrativité s’enracine dans la qualité des liens d’attachement précoces.
C’est bien cette hypothèse qui fût à l’origine des travaux de Main et de ses collaborateurs qui
ont réintroduit la représentation mentale au sein de la théorie de l’attachement. Ce mouvement
a permis de réhabiliter la place de l’activité représentative au sein de cette théorie. Grâce à
l’attachement et dans la lignée de l’AAI, des outils d’évaluation des représentations
d’attachement chez l’enfant se sont ensuite développés.
L’évaluation des représentations d’attachement chez l’enfant a succédé à celle des
représentations chez l’adulte. Pour avoir accès aux représentations d’attachement chez
l’enfant, liées à ses Modèles Internes Opérants, différentes méthodes basées sur le récit de
l’enfant ont été mises au point. L’étude des narratifs d’enfants centrée sur la thématique de
l’attachement a repris les travaux sur l’AAI qui avaient montré que la sécurité d’attachement
et la cohérence du discours étaient corrélées. Ils ont pour but d’accéder au monde interne de
l’enfant et d’appréhender la construction de ses représentations d’attachement, partant du lien
existant entre attachement et traitement de l’information. La sécurité d’attachement d’un
individu lui permet d’intégrer des informations touchant à l’attachement et de se les
représenter, plus ou moins facilement, en fonction de ce que cela mobilise chez lui, sur un
plan affectif.
Un groupe de chercheurs : le « MacArthur Narrative Working Group » dirigé par
Bretherton et Oppenheim a élaboré une procédure standardisée d’histoires à compléter : le
MacArthur Story Stem Battery (batterie de complément d’histoires du MacArthur)
(Bretherton, Prentiss et Ridgeway, 1990). Une version plus courte et spécifiquement orientée
vers les thématiques d’attachement en a été à l’origine (Bretherton, Ridgeway et Cassidy,
1990). Il s’agit de l’ASCT (Attachment Story Completion Task). Initialement prévu pour des
enfants de 3 ans, il a aussi été utilisé avec des enfants plus âgés d’environ 7 ans voire plus. Ce
test de complément d’histoires place l’enfant dans une situation de récit associée à la nécessité
d’une mise en scène sous la forme d’un jeu symbolique avec des personnages où ce dernier
est confronté à des situations problématiques de plus en plus difficiles et censées activer son
système de représentations d’attachement. Le test est constitué de six débuts d’histoires
mettant en scène des personnages d’une famille et quelques objets de la vie quotidienne. Les
histoires provoquent chez l’enfant toute une variété de sentiments et d’émotions en lien avec
ses figures d’attachement (Pierrehumbert, 2003). Les thèmes abordés placent le personnage
159
enfant, du même sexe que celui de l’enfant évalué, et sur lequel ce dernier peut se projeter, en
situation de vulnérabilité et de demande d’aide auprès de ses figures d’attachement (parents,
frère ou sœur selon le sexe de l’enfant, grand-mère). Il s’agit d’observer la capacité de
l’enfant à s’inscrire dans cette situation, tout en gardant une distance symbolique et en ayant
recours à des processus métacognitifs. Le contenu de ses histoires reflèterait son modèle
d’attachement.
Les interactions que l’enfant connaît et a connues tout au long de son existence avec les
personnes de son entourage proche ont été intériorisées sous forme de représentations,
auxquelles on peut avoir accès dans les histoires qu’il construit avec l’examinateur. Puisque
les représentations que l’enfant donne de ses parents, et de soi en relation avec ces derniers,
sont issues de la qualité des échanges qu’il a pu connaître, les histoires qu’il raconte sont
directement influencées par la qualité de ces relations. La qualité des soins que l’enfant a
reçus est déterminante dans la construction de l’image qu’il se fait de lui-même et notamment
de l’estime de soi. (Guédeney, 2011). Cela transparaît dans les récits que les enfants
imaginent.
Par exemple, les récits des enfants ayant été négligés, maltraités ou abusés qui pensent ne
pas être dignes de l’amour de leurs proches, contiennent moins de représentations positives
d’eux-mêmes que les autres enfants. De même, l’augmentation des représentations négatives
de soi que l’on retrouve chez les enfants abusés est liée au sentiment, chez ces derniers, qu’ils
méritent d’être punis et maltraités (Toth et al., 1997). Les récits de ces mêmes enfants
véhiculent, par ailleurs, plus de représentations négatives de la mère (Toth et al., 1997). Chez
les enfants à l’attachement désorganisé-désorienté (dont certains ont pu être maltraités), les
études font état de déroulements catastrophiques au cours desquels les personnages sont
incontrôlables, impuissants, menacés ou abandonnés (Miljkovitch, 2001, p 126, citant George
et Solomon, 1998). Au contraire, les enfants qui ont une mère sensible et empathique
décrivent plus d’attitudes parentales positives (soutien parental et absence de pression
parentale) (Miljkovitch et al., 2004).
Il existe plusieurs systèmes de codage pour les tests des histoires à compléter chez
l’enfant. Le codage de Düsseldorf (Gloger-Tippelt et al., 2002) donne accès à des catégories
d’attachement pour chaque enfant en s’appuyant surtout sur le contenu des histoires.
160
Au contraire, le codage CCH (cartes pour le complément d’histoires, Miljkovitch et al.,
2003, 2008) que nous avons choisi d’utiliser dans le cadre de notre recherche, permet
d’obtenir des dimensions dans les quatre catégories d’attachement qui sont corrélées à des
prototypes d’attachement. Il donne par ailleurs accès à une description qualitative du discours
de l’enfant par le biais de ses échelles de narrativité. Ainsi, le contenu et la forme des narratifs
peuvent-ils être codés, ce qui rapproche le CCH de l’AAI. Ce système de cotation est plus
amplement détaillé dans notre méthodologie.
Tous les tests ont pour objectif d’avoir accès au fonctionnement intrapsychique de
l’enfant. Le CCH permet d’évaluer la cohérence du récit ou sa désorganisation ainsi que
l’évitement. La théorie de l’attachement sous-tend l’observation des capacités exécutives
internes de l’enfant qui seraient relativement stables dans le temps et de sa régulation
émotionnelle par le biais de l’évaluation de ses qualités narratives et de ses représentations
d’attachement sollicitées par le test. Celles-ci sont également influencées, en partie, par le
cadre particulier de la passation et donc par le contexte du moment.
On sait que tout ce qui réveille des affects intolérables voire trop douloureux est
susceptible d’être exclu de la conscience, au profit de versions déformées de l’expérience
(Miljkovitch et al., 2003). Ainsi, la détresse du bébé peut-elle réveiller les traumatismes
relationnels précoces ou événements douloureux chez la mère. Ce processus d’exclusion du
champ de la conscience peut être en lien avec une incapacité chez l’enfant à se représenter
voire même à focaliser son attention sur certains contenus ou thèmes. D’autres enfants
peuvent se représenter des choses déstabilisantes ou douloureuses mais leur évocation génère
chez eux une anxiété impossible à contenir bloquant l’élaboration de résolutions constructives
dans leurs narratifs. « L’objectif du CCH est donc d’inférer ces stratégies d’attachement
d’après la manière dont l’enfant intègre et traite les informations amenées par les débuts
d’histoires (évitement ou focalisation sur le problème) et d’après sa capacité à trouver des
solutions appropriées à un niveau symbolique (Miljkovitch et al., 2003) » En outre, au-delà de
l’évaluation des stratégies d’attachement, le CCH permet de mesurer des aspects plus
spécifiques du jeu de l’enfant (contenu des représentations, attitudes durant la passation...)
dont certains sont pertinents sur le plan psychopathologique.
Le CCH peut être utilisé dans différents domaines d’application, en particulier celui du
développement psycho-affectif de l’enfant. Il permet de s’intéresser à l’influence des
représentations d’attachement parentales sur celles développées par l’enfant. Les premiers
résultats des études portant sur la transmission intergénérationnelle de l’attachement de la
161
mère à l’enfant vont dans le sens des hypothèses de Bretherton et de ses collègues (1990,
1993) et de Main (Main et al., 1985) selon lesquelles les parents peuvent transmettre à leurs
enfants leurs propres processus défensifs qui déterminent l’accessibilité et l’organisation des
informations relatives à l’attachement (Miljkovitch et al., 2003). Cette capacité de l’enfant à
évoquer, puis à intégrer ses expériences personnelles se développerait également à l’occasion
des conversations avec les parents (Miljkovitch et al., 2003 d’après Bowlby, 1988 et
Bretherton, 1993 ; Oppenheim et Waters, 1995 ; Favez, 2000).
Enfin le CCH permet aussi d’examiner comment le traitement des informations relatives
à l’attachement reflète la régulation émotionnelle ou y contribue. Nous avons vu que la qualité
de la régulation des émotions, notamment négatives, s’enracinait à l’origine dans un processus
interpersonnel fortement lié à la qualité des interactions des figures d’attachement avec le
sujet. Cette régulation interpersonnelle ne devient que secondairement intrapsychique et
constitue alors une qualité propre à ce dernier. La qualité des compétences narratives serait
liée à la plus ou moins bonne intégration des expériences de l’attachement de l’enfant et des
émotions qui lui sont associées. Ainsi les narratifs renseignent-ils sur « la résilience » de
l’enfant, au travers de sa capacité à résoudre et à surmonter les épreuves.
B. Evolution de la qualité de l’attachement
au cours de la vie
1. L’enfance : des comportements aux
représentations d’attachement
Les méthodes permettant d’évaluer les comportements et les représentations
d’attachement chez l’enfant donnent toutes accès à la qualité de ses Modèles Internes
Opérants.
Avant le développement des tests des histoires à compléter et avant même l’introduction
de la Situation Etrange, Klagsbrun et Bowlby (1976, in Miljkovitch, 2009) avaient adapté un
test projectif pour les enfants de 4 à 7 ans : le test d’Anxiété de Séparation (Separation
Anxiety Test). Les enfants, face à des planches de dessins doivent décrire les sentiments
qu’ils projettent sur les personnages mis en scène dans des situations de séparation. Plusieurs
de méthodes de codage ont été développées pour ce test, dans le but de classer les enfants
suivant la qualité de leur attachement d’après les quatre grandes catégories. Dans leurs études,
les auteurs ont observé une corrélation entre la qualité des réponses des enfants à 6 ans, à ce
162
test, et celle de leur attachement à la mère évaluée à la Situation Etrange à un an. Les enfants
à l’attachement sécure à 1 an faisaient preuve de davantage de cohérence et d’élaboration
dans leurs récits. Ils exprimaient plus facilement des émotions aussi bien positives que
négatives et montraient plus de facilité à évoquer des souvenirs autobiographiques. En
revanche, les enfants classés insécures à un an montraient plus d’incohérence et d’évitement
face aux thèmes négatifs dans leur récit.
Main (1998, in Miljkovitch, 2001, p.127) avait également observé, grâce à un suivi
longitudinal, que les différences d’attachement à 1 an pouvaient se refléter dans la qualité des
récits des enfants 5 ans après. Miljkovitch et al. (2004) rapportent que des corrélations
significatives entre les évaluations de l’attachement de l’enfant à la Situation Etrange puis à
l’ASCT ont été retrouvées dans un grand nombre d’études (Bretherton et al., 1989 ;
Bretherton et al., 1990).
D’autres études ont également retrouvé un lien de corrélation entre la qualité de
l’attachement sécure, évaluée autour de l’âge de la marche, à la Situation Etrange (12 mois) et
la cohérence dans la résolution du récit dans le test des histoires à compléter entre 4 et 6 ans.
Scher-Censor et Oppenheim (2008) en utilisant le MacArthur Story Stem Battery avec des
enfants de 4 ans ½, ont, en effet, montré que la cohérence des narratifs et jusqu’à un certain
degré leur contenu étaient associés à la qualité de l’attachement mère-enfant évaluée entre 12
et 16 mois. Ces mêmes auteurs ont observé une association significative entre l’attachement
désorganisé dans la petite enfance et la présence de thèmes agressifs et destructeurs dans les
histoires d’attachement. Scher-Censor et Oppenheim (2008) concluent que leurs résultats sont
en accord avec ceux de Main et al. (1985) et de van IJzendoorn (1995) à propos des narratifs
d’attachement chez l’adulte ; la caractéristique la plus significative de la sécurité des adultes
mais aussi des enfants réside dans leur capacité à parler de façon cohérente de leurs
expériences. Gloger-Tippel et al., (2002 et 2008) dans leur étude utilisant l’ASCT chez des
enfants de 6 ans ½ et la Situation Etrange à 1 an ont retrouvé une continuité dans la
classification d’attachement (sécure et insécure) entre ces deux moments d’évaluation et par
conséquent entre comportements et représentations d’attachement chez l’enfant. Ils ont par
ailleurs retrouvé un lien significatif entre ces comportements et représentations d’attachement
à la mère au cours d’une Situation Etrange réalisée à l’âge de 5 ans et 2 mois. Toutefois, ces
mêmes auteurs rapportent que les distributions des classifications d’attachement à l’ASCT
sont différentes de celles décrites dans la littérature pour la Situation Etrange. Les études
peuvent toutefois diverger à ce sujet (Gloger-Tippel et al., 2008). L’étude de Miljkovitch et al.
163
(2004) a montré qu’il existait un lien entre la qualité des représentations d’attachement chez
l’enfant âgé de 3 ans et la qualité des récits maternels (sa cohérence) évaluée à l’AAI. La
qualité du discours maternel était associée à l’expression d’un narratif adéquat chez l’enfant.
Dans ce cas là, le narratif de l’enfant était cohérent, logique et l’enfant se montrait collaborant
et capable de maintenir une juste distance symbolique dans ses histoires tout en exprimant un
large éventail d’émotions. Comme le souligne Pierrehumbert (2003), cette observation va
dans le sens des études montrant l’importance de la transmission intergénérationnelle de la
qualité de l’attachement en utilisant la Situation Etrange. Une mère capable d’un discours
cohérent met en avant ses capacités à interpréter de façon adaptée ses propres états mentaux,
sans exclusion défensive ni débordement émotionnel. Cette compétence serait liée à des
capacités de fonction réflexive dont une mère pourrait alors également faire preuve avec son
enfant dans l’interprétation adéquate des états mentaux de ce dernier. Ce lien de corrélation
entre cohérence du discours maternel à l’AAI et cohérence du discours de l’enfant à l’ASCT a
également été retrouvé par l’étude de Gloger-Tippel et al. (2008).
Enfin, des études utilisant l’ASCT chez des enfants âgés de 5 ans ont montré que le
contenu positif des histoires de l’enfant était fortement corrélé à la sensibilité maternelle.
Leurs résultats ont souligné l’influence de la sensibilité maternelle pour organiser les
échanges émotionnels dans les interactions avec l’enfant et son lien avec la compétence
narrative de l’enfant (c’est-à-dire, sa capacité à organiser un narratif cohérent et à aborder
différentes émotions) (Pierrehumbert, 2003). Au contraire, Georges et Solomon (1996) et
Lyons-Ruth (2005) ont observé que les comportements contrôlants à l’égard des figures
d’attachement, décrits durant la moyenne enfance chez les enfant qui avaient un attachement
désorganisé vers 12 mois (Lyons-Ruth, 2005 ; O’Connor et al., 2011) étaient associés à des
soins parentaux empreints d’un sentiment d’hostilité ou d’impuissance voire même d’une
peur de l’enfant. Le modèle de relation chez ces enfants, lors d’un jeu de poupées se
rapprochant de l’ASCT, était caractérisé par des thèmes catastrophiques, des fantasmes
violents, de la détresse, ou encore une inhibition totale (Fonagy, 2004, d’après Solomon et al.,
1995).
Ces liens de corrélations retrouvés entre les comportements d’attachement chez le jeune
enfant et ses représentations d’attachement ultérieures ouvrent sur la question de la stabilité
des schémas d’attachement au cours de la vie. De nombreuses critiques ont été formulées
autour de ce qui pourrait apparaître comme un déterminisme précoce au sein de la théorie de
l’attachement. Il paraîtrait abusif de penser que la qualité des comportements d’attachement à
164
la mère évaluée chez un sujet, autour de l’âge de la marche, puisse être constante tout au long
de sa vie. Comment penser cette stabilité puisque de nombreuses études ont montré qu’il
pouvait exister différentes stratégies d’attachement chez le jeune enfant en fonction de ses
figures d’attachement ? Miljkovitch et al. (2004) ont, en effet observé que les associations
entre la qualité des narratifs de l’enfant et celle de son père allaient en sens inverse des
associations retrouvées entre narratifs de l’enfant et ceux de la mère. Selon leurs résultats, les
pères dont les récits étaient incohérents tendaient à avoir des enfants qui faisaient preuve de
collaboration avec l’examinatrice et qui présentaient des représentations parentales positives
(Pierrehumbert, 2003). Selon les auteurs, leurs données suggèrent qu’il existerait des
différences dans les processus intergénérationnels de transmission de la qualité de
l’attachement du père -ou de la mère- à l’enfant. Ils concluent que l’influence du père se
répercuterait davantage au niveau du contenu manifeste des représentations de l’enfant, c’està-dire, au niveau sémantique. La mère, elle, influencerait les représentations de l’enfant au
niveau de l’expérience subjective (Pierrehumbert, 2003). Dès lors, il est difficile
d’appréhender l’évolution entre des stratégies comportementales ou représentatives multiples
chez l’enfant et le développement d’un état d’esprit unique lié à l’attachement, à l’âge adulte.
2. Evolution et changement dans la qualité de
l’attachement de l’enfance à l’âge adulte
La question de la stabilité ou de la pluralité des Modèles Internes Opérants (MIO) est
importante car elle revient à se demander si on reproduit les mêmes schèmes interactifs tout
au long de sa vie ou si l’on peut établir de « nouveaux modes de relations » : dans quelle
mesure les relations que nous vivons dans le présent peuvent modifier nos MIO, et
notamment est-ce que les prises en charge psychothérapeutiques peuvent ou non réorganiser
ces MIO ?
La plupart des études longitudinales vont dans le sens d’une tendance générale à la
stabilité des modalités relationnelles de l’enfance à l’âge adulte. Toutefois, la durabilité des
modèles d’attachement dépendrait pour beaucoup des conditions environnementales ; des
changements pourraient avoir lieu suite à des événements de vie importants ou à des
modifications au sein de l’environnement familial (Miljkovitch, 2001). Les études de
Grossmann et al. (2005) ont montré une relative stabilité entre les comportements
d’attachement évalués à 1 an et les représentations d’attachement évaluées durant l’enfance et
à l’âge adulte. D’autres études ont constaté une grande continuité dans les groupes de
165
classification sécure (72%) et insécures (77%) entre les évaluations à 18 mois (à la Situation
Etrange) et à 20 ans à l’aide de l’AAI (Waters et al., 2000). La plupart des études évaluant les
modèles internes opérants chez l’enfant ou l’adulte vont aussi dans le sens d’une grande
stabilité au cours du temps entre deux mesures (Waters, 1978 ; Benoît & Parker, 1994 ; Van
IJzendoorn, 1995). Cependant, il semble que cette stabilité soit moins nette et moins
importante dans les autres classes et notamment au sein des populations dites à risque
(Weinfield et al., 2000 ; Fonagy, 2004 d’après Grossman et al., 1999). Il semble que cette
stabilité soit faible dans les échantillons d’enfants à haut risque où des changements majeurs
dans le fonctionnement familial sont courants (Fonagy, 2004, d’après Solomon et George,
1999). La stabilité de la catégorie désorganisée s’est montrée généralement plus élevée
(Lyons-Ruth et al., 1991) lors d’un test-retest.
De nombreuses études utilisant la Situation Etrange appuient l’hypothèse selon laquelle il
est difficile de penser que les différents MIO de l’enfant puissent se généraliser en un seul
schéma de fonctionnement à l’âge adulte. Celles-ci ont observé que l’enfant pouvait avoir
plusieurs MIO différents (Main et al., 1985 ; Grossman et al., 1981, 1985 in Miljkovitch,
2001).
En dehors de l’importance de la qualité de l’attachement précoce, d’autres facteurs liés
aux conditions environnementales et aux événements de vie vont influencer les Modèles
Internes Opérants d’un individu dans le sens d’une stabilité ou au contraire d’un changement.
La mise en place d’un attachement précoce sécure favoriserait plus de stabilité.
Nous pensons à l’instar d’autres auteurs (Miljkovitch, 2001, Holmes, 2004, Zigante,
2012) qu’un travail thérapeutique peut permettre la réorganisation des modalités
d’attachement précoces grâce à l’expérience d’un mode de relations avec un autre servant de
base sécurisante pour s’observer « soi-même comme un autre » (Ricoeur, cité par Golse,
2005). Si les expériences précoces sont importantes dans la construction de la qualité de
l’attachement, les enfants ayant vécu des expériences douloureuses comme le fait d’être
rejetés par un parent et d’imaginer ne pas mériter d’être aimé peuvent aussi développer des
modalités d’attachement sécures grâce à de bonnes capacités de métacognition. Le processus
thérapeutique aide par ailleurs le sujet à développer cette métacognition qui rend possible une
prise de distance par rapport à ses propres comportements et états mentaux et à ceux des
autres. Il permet de mettre du sens sur les événements douloureux et de comprendre, a
166
posteriori, certaines motivations chez des parents négligents et donc de se dégager de l’affect
douloureux. Ainsi le sujet peut-il assouplir ses stratégies défensives qui peuvent biaiser sa
perception et sa réflexion et ne plus reproduire certains comportements, notamment dans les
relations avec autrui (Miljkovitch, 2001). Cette métacognition permettrait au sujet de
réorganiser son discours et ses comportements de façon plus cohérente pour lui-même au
travers d’une relation thérapeutique sécurisante.
L’évolution d’un attachement insécure vers un attachement sécure a par exemple était
mise en lien avec la présence de bonnes capacités de fonction auto-réflexive chez le sujet
(Fonagy & Target, 1997 ; Levy et al., 2006). Par ailleurs, d’autres études ont observé que des
mères ayant subi des maltraitances ou des abus durant leur enfance avaient montré jusqu’à
40% de « résilience », ce qui va dans le sens d’une amélioration de la qualité de leur
attachement (Fonagy et al., 1995 ; Lyons-Ruth et Block, 1996).
A l’inverse, dans les études sur l’évolution de l’enfance à l’âge adulte, le changement
d’un attachement sécure chez l’enfant vers un attachement insécure à l’âge adulte a été relié à
des événements de vie difficiles comme la maltraitance ou la dépression maternelle (Teti et
al. 1995 ; Waters et al., 2000 ; Weinfield et al., 2000).
Bowlby (1958) pensait que l’enfant développait avec sa figure principale d’attachement
un style d’attachement sur lequel tous ses autres schémas allaient se calquer. Toutefois, un
enfant peut avoir vécu des relations extrêmement différentes au sein de son environnement
familial ; nous avons vu, par exemple, que l’enfant pouvait avoir des modèles de relation au
père et à la mère différents. Miljkovitch (2001) explique que les ressemblances au sein de ses
relations vont favoriser certaines tendances chez le sujet mais lui donner une plus grande
flexibilité dans ses rapports aux autres de par cette diversité.
Si un modèle interne, une fois mis en place, reste sans doute inscrit définitivement dans la
mémoire du sujet, il est possible que ce dernier puisse avoir autant de modèles que de types de
relations. Ainsi, chaque rencontre aurait-elle le pouvoir soit d’établir un autre MIO chez le
sujet, soit de les réorganiser. Cependant, chaque modèle d’attachement que l’individu
construit est aussi déterminé par le positionnement adopté par l’autre dans la relation. Enfin,
si l’on considère une évolution positive des modalités d’attachement, on peut considérer que
celle-ci ne peut s’effectuer que grâce à un contexte sécurisant pour l’individu comme peut
l’être une rencontre avec une personne représentant une base sécure. La réorganisation des
167
stratégies d’attachement ne peut être possible que si l’individu a pris conscience des
représentations liées à ses MIO (Miljkovitch, 2001).
Cette capacité de réorganisation des représentations d’attachement et par là-même, des
modes de relations à l’autre, semble donc particulièrement liée à la capacité métacognitive du
sujet à mettre du sens sur ses relations actuelles et passées, et à évoquer son « identité
narrative » (Zigante, 2012). Ainsi peut-on percevoir comme le souligne F. Zigante (2012 p.
132) « le lien tout à fait spécifique entre la capacité du sujet à se raconter, à évoquer son
« identité narrative », et la sécurité du sujet dans son attachement à autrui qui s’ancre dans
ses relations précoces. » Les difficultés dans les capacités métacognitives et de fonction
autoréflexive chez les sujets borderline réduisent leurs possibilités de mettre du sens sur leurs
expériences passées émaillées d’événements traumatiques. Dans un cadre thérapeutique
sécure particulier, la capacité à mettre des mots, la « mise en récit », notamment de ces
expériences traumatiques, permettrait au sujet de ne plus être soumis aux incohérences de son
discours et à la discordance des affects qui sont liés à ces événements. Ces derniers peuvent
alors ne plus être frappés « d’exclusion défensive » (Bowlby, 1980). La mise en récit évite que
ces traumatismes ne soient exclus du système de représentation et ne resurgissent sous la
forme de comportements (Lyons-Ruth et al., 1999, 2005, 2007) pour se transmettre à l’enfant.
En effet, comme nous l’avons vu, les recherches longitudinales sur la transmission de
l’attachement et le devenir de l’attachement chez l’enfant insistent sur l’importance de la
cohérence du discours maternel (à l’AAI) et sur sa concordance entre contenus et affects.
Nous voyons donc que la théorie de l’attachement donne une place centrale à la
narrativité, par le biais de l’étude des représentations d’attachement. L’évaluation des qualités
narratives d’un sujet donne accès à l’intériorisation de ses expériences précoces de plus ou
moins bonne qualité. Ses compétences narratives lui permettent de se dégager de la répétition
de ses expériences douloureuses ou traumatiques en les transformant, et d’éviter ainsi une
transmission intergénérationnelle. La narrativité permet d’entrevoir les possibilités de
changements ouvrant à bien d’autres perspectives que celles des premières études sur
l’attachement qui allaient dans le sens d’une continuité des schémas d’attachement au cours
de la vie et d’une transmission intergénérationnelle voire transgénérationnelle. Ces études
faisaient craindre « une théorie néo-darwinienne basée sur l’adaptation qui peut encore être
suspectée lorsque les études limitent l’évaluation du fonctionnement psychique à une
évaluation des comportements, en d’autres termes à l’adaptation sociale. (Zigante, 2012).
168
Nous avons vu qu’une seule étude avait observé la qualité des comportements
d’attachement chez des enfants de mères présentant un trouble de personnalité borderline
(Hobson et al., 2005). Elle avait mis en lumière un taux important d’attachement désorganisé
chez ces enfants. Qu’en est-il de la qualité des représentations d’attachement chez les enfants
de ces mères ?
C. Représentations d’attachement des
enfants de mères borderline : état de la
littérature
A notre connaissance, il n’existe qu’une seule étude portant sur les caractéristiques des
narratifs d’enfants de mère borderline. Il s’agit de celle de Macfie & Swann (2009). Ceux-ci
ont évalué la qualité des représentations d’attachement entre la mère et l’enfant, chez des
enfants de mères présentant un TPB, âgés de 4 à 7 ans, comparativement à celle d’enfants
d’une population contrôle. Ils ont également testé chez ces enfants les représentations
parentales (du donneur de soins ou caregiver), de soi et les représentations de relations entre
le donneur de soins et soi, ainsi que des aspects de la régulation émotionnelle de l’enfant. En
se plaçant du point de vue de la psychologie du développement, les auteurs sont partis de
l’idée que des précurseurs du trouble de personnalité borderline pourraient être en partie
appréhendés par le biais de représentations mentales négatives, développées précocement
depuis l’enfance (Carlson et al., 2004). Ces représentations mentales augmenteraient la
probabilité de développer, à l’âge adulte, un trouble de personnalité borderline. Macfie et
Swan ont utilisé 10 histoires à compléter : parmi ces histoires, 5 ont pour but d’activer le
système d’attachement de l’enfant, il s’agit de l’ASCT (Attachment Story Completion Task ;
Bretherton et al., 1990) et 5 autres histoires servent à évaluer le développement du sens moral
chez l’enfant, la MSSB (MacArthur Story-Stem Battery ; Bretherton et al., 1990). L’enfant
doit raconter la suite de ces débuts d’histoires mettant en scène les relations d’attachement, au
sein de situations interpersonnelles stressantes pour l’enfant et liées à l’exercice de la
discipline parentale, au confort parental ou encore aux disputes parentales. Les représentations
issues du récit de l’enfant reflètent tant les expériences actuelles de celui-ci au moment de
l’évaluation que ses modèles internes opérants d’attachement et ses capacités de régulation
émotionnelle. Une importance particulière est accordée à la cohérence des récits de l’enfant.
Sans parler de la qualité de l’attachement des enfants dont ils ont évalué les représentations
d’attachement, les auteurs ont cherché à mettre en évidence, au sein des narratifs, la présence
169
de représentations caractéristiques des modes de relations parents-enfants, notamment en ce
qui concerne l’attachement désorganisé chez l’enfant d’âge scolaire. Ils sont partis des
résultats de Hobson et al. (2005) faisant état du fort pourcentage d’attachement désorganisé
chez les enfants de mères présentant un TPB, et de l’idée selon laquelle l’inversion des rôles
au sein de la relation parent-enfant dans la littérature anglophone constitue une caractéristique
de ces relations parent-enfants (Macfie et al., 2008).
Selon leurs résultats, comparativement à ceux de la population contrôle, les narratifs
d’enfants de mère présentant un TPB contenaient significativement plus d’inversion des rôles
(par exemple, des récits où l’enfant donnait des ordres aux parents). Dans leur récit étaient
retrouvés la peur d’être abandonné par les parents ainsi que de nombreux éléments d’attentes
négatives vis-à-vis des relations mère-enfant et père-enfant. Il se dégageait de ces relations, au
cours du récit, un sentiment de danger et/ou d’imprévisibilité. Les enfants de mère présentant
un TPB racontaient des histoires au sein desquelles les représentations de l’enfant étaient plus
souvent « incongrues » (par exemple, l’enfant range sa chambre puis détruit tout ce qui s’y
trouve) ou « honteuses » (l’enfant dit être mauvais), mais pas plus « négatives »,
contrairement à leurs hypothèses initiales. De telles représentations de soi faisaient écho à
celles qui avaient été retrouvées dans les études utilisant les tests des histoires à compléter
auprès de populations d’enfants maltraités (Toth et al., 1997 ; Toth et al., 2000). Enfin, les
enfants de mères présentant un TPB faisaient preuve d’une mauvaise régulation émotionnelle.
Comparativement à la population témoin, ils étaient moins capables de faire la distinction
entre leurs fantasmes et la réalité, notamment en ce qui concerne les représentations qu’ils
avaient d’eux-mêmes. Ils étaient plus enclins à s’écarter de la question posée, sans apporter de
résolution à l’histoire proposée, et leurs récits allaient vers des thèmes à dominance
fantastique ou fantasmatique. Leur narration était moins cohérente et laissait apparaître des
intrusions de thèmes traumatiques au cours des histoires.
Macfie et Swan (2009) ont tenté de chercher d’éventuelles corrélations entre les
caractéristiques des narratifs des enfants et les traits du trouble de personnalité borderline de
leur mère, tels qu’ils sont décrits dans le DSM IV. Ils ont considéré les éventuels épisodes
dépressifs majeurs chez les mères comme une co-variable. Les caractéristiques des
représentations de l’enfant au sein des narratifs des enfants de mère présentant un TPB, et
celles de la régulation émotionnelle étaient significativement corrélées avec des traits du
trouble borderline maternel. Plus particulièrement, au sein des narratifs des enfants de mères
présentant un TPB, une variable décrivant une « relation donneur de soin-enfant de mauvaise
170
qualité » (construite par l’ensemble des traits négatifs se rapportant à cette relation, en
soustrayant les traits positifs) était liée à la présence des symptômes de perturbations de
l’identité et des conduites auto-dangereuses chez la mère. Une variable décrivant des
représentations de soi inadaptées chez l’enfant était aussi liée à des conduites autodangereuses chez ces mères. Enfin, une variable décrivant une mauvaise régulation
émotionnelle chez l’enfant était liée à la présence, chez les mères borderline, de plusieurs
traits appartenant à ce trouble de personnalité : la confusion de l’identité, les relations
interpersonnelles perturbées, des conduites auto-dangereuses, et, de façon marginale,
l’instabilité affective.
Par cette étude, Macfie & Swan souhaitaient apporter des éléments de réflexion quant au
risque, pour les enfants de mère présentant un TPB, de développer le même trouble de
personnalité. Ils sont partis de l’idée selon laquelle il existerait une continuité au sein des
représentations mentales liées aux Modèles Internes Opérants développés précocement qui
pourraient prendre des formes différentes en fonction de l’âge du sujet, au cours de son
développement, mais être cependant porteuses de la même signification (Carlson et al., 2004).
Ainsi, un enfant d’âge scolaire qui évoquerait la peur d’être abandonné au sein de ses narratifs
pourrait, plus tard, en tant que jeune adulte, éprouver cette peur au sein de ses relations aux
autres. De même, un enfant dont les représentations parentales traduiraient des attentes
négatives à leur égard serait susceptible de développer en lui de la colère et/ou de la défiance
envers les autres au sein de ses futures relations, qui pourraient devenir intenses, instables et
marquées par des éclats de colère inappropriés. Enfin, un jeune enfant qui présente peu de
capacité de régulation émotionnelle, pourrait faire preuve de cette même incapacité à
s’autoréguler, à l’âge adulte, dans des moments de détresse émotionnelle. Cette dernière
hypothèse rejoint la nôtre : le manque de régulation dyadique ou maternelle au sein des
interactions précoces, en lien avec le trouble de personnalité borderline maternel, mettrait
l’enfant en incapacité d’intérioriser cette fonction pour lui-même. Ces enfants seraient à
risque de développer les mêmes difficultés de régulation émotionnelle (un des symptômes du
TPB) déjà mises en évidence par le biais des narratifs. Ce manque de régulation émotionnelle
maternelle pour le bébé serait en lien avec un défaut de capacité de conscience réflexive que
l’on retrouve chez les sujets présentant un TPB (Fonagy & Target, 1997 ; Fonagy, 2004).
Enfin, ce défaut de capacité de régulation émotionnelle chez l’enfant, en lien avec le trouble
maternel et les interactions précoces, entrainerait chez l’enfant un sens de soi qui serait biaisé
puisqu’il passerait par une régulation plus somatique neuro-végétative, donc plus
171
« automatique ou inconsciente » (Apter, 2004). Toutefois, ce trouble de la régulation
émotionnelle dyadique se retrouverait au sein des interactions, pour l’ensemble des dyades
dont la mère est atteinte d’un TPB, mais n’aurait pas les mêmes conséquences chez tous les
enfants. Il pourrait peut-être se percevoir au travers du développement de différentes
stratégies comportementales d’attachement ou encore du développement d’une personnalité
en faux Self (Winnicott, 1958). Selon Macfie et Swan citant Bradley et Westen (2005), ce
défaut d’intériorisation des capacités de régulation émotionnelle pourrait être à l’origine du
développement à l’âge adulte de conduites addictives, dans un but auto-calmant. Les résultats
de Macfie & Swan ont également montré une corrélation entre les conduites auto-dangereuses
maternelles et une variable rassemblant des traits caractéristiques de capacités narratives
inadaptées chez l’enfant (des représentations de soi et des relations inappropriées, ainsi
qu’une mauvaise régulation émotionnelle.) Ce résultat est particulièrement intéressant car,
d’une part, comme le soulignent les auteurs, les conduites auto-dangereuses ont été mises en
lien avec le fait de n’avoir pu éprouver précocement dans l’enfance des relations fiables ou
gratifiantes. D’autre part, ces conduites ont été reliées à l’échec de l’instauration du sentiment
d’être digne de recevoir des soins ainsi qu’à un défaut de modulation ou de régulation des
émotions et de l’éveil de la peur. Ces échecs au cours d’étapes saillantes du développement du
sujet, notamment en termes de développement du sens de soi, de l’autorégulation et de
l’attachement, pourraient ensuite mener au développement de conduites compensatoires
inadaptées (Yates, 2004).
Macfie et Swan ont mis leurs résultats concernant les difficultés de régulation
émotionnelle chez les enfants de mères atteintes de TPB en parallèle avec d’autres données
reflétant la présence d’éléments de dissociation chez les enfants ayant été maltraités (Macfie
et al., 2001). Dans la littérature anglophone, le concept de « dissociation » est un trait du
trouble de personnalité borderline (APA10, 1996). Il se réfère à « des perturbations de
fonctions habituellement intégrées de la conscience, de la mémoire, de l’identité, ou de la
perception de l’environnement ». Cette « dissociation » a également été décrite comme
l’échec des processus informatifs lors d’un trauma, s’accompagnant d’une perturbation de la
régulation émotionnelle, en lien avec l’inondation du système nerveux sympathique par les
hormones du stress (Macfie et Swan, 2009, citant Bower et sivers, 1998). Dans la littérature,
la « dissociation » est aussi liée à l’attachement désorganisé durant l’enfance (Carlson, 1998 ;
10
American Psychiatric Association: "disruption of the usually integrated functions of consciousness, memory,
identity, or perception of the environment."
172
Ogawa et al., 1997). L’hypothèse, ici, serait que l’attachement désorganisé au cours de
l’enfance favoriserait des réactions de « dissociation » face aux événements traumatiques
pouvant survenir au cours du développement. Les effets cumulés de ces « expériences de
dissociation » mèneraient à des troubles complexes et chroniques à l’âge adulte. Les enfants
ayant présenté un attachement précoce désorganisé seraient donc plus vulnérables aux états de
stress post-traumatique (MacDonald et al., 2008). Or la plupart des enfants de mères avec des
troubles de personnalité borderline montrent, selon la littérature (Hobson et al. 2005), un
attachement désorganisé et sont, par conséquent, à risque de développer des symptômes
dissociatifs à l’âge adulte. Cette difficulté dans la régulation émotionnelle lors de moments de
stress pourrait également être impliquée dans la genèse du développement du TPB. Les
auteurs, à la lumière des résultats de Yates et al. (2008), ont alors insisté sur le fait que la
« dissociation » pourrait faire le lien entre des antécédents d’abus sexuels au cours de
l’enfance et des conduites auto-dangereuses à l’âge adulte.
D. Du concept de « pulsion
d’attachement » à la narrativité : un pont
entre psychanalyse et attachement.
Il existe, peut-être encore à l’heure actuelle un débat qui oppose les tenants de la
psychanalyse et ceux de l’attachement. Pourtant, J. Bowlby, à l’origine de la théorie de
l’attachement, a fait partie jusqu’à la fin de sa vie, en 1990, de La Société anglaise de
psychanalyse. Il considérait donc que sa théorie, bien qu’elle modifiait certains éléments du
corpus métapsychologique traditionnel de la psychanalyse, n’obligeait pas à une rupture
forcée avec cette dernière. Toutefois, ses travaux furent l’objet de critiques virulentes de
psychanalystes et Lebovici (1992) écrivit qu’ils impliquaient nécessairement une « révision
déchirante des hypothèses psychanalytiques proposées par Freud ». En France, c’est à
l’université de Nanterre que les réflexions ont débuté sur la théorie de l’attachement. C’est R.
Zazzo, en tant que professeur de psychologie de l’enfant qui consacrait un séminaire à la
notion de l’attachement et aux origines de l’affectivité. Il aboutit à la conclusion que la théorie
de l’attachement conduisait à refuser les concepts d’inconscient et de libido. Il organisa
ensuite en 1974 le célèbre « colloque imaginaire » afin de débattre de ces oppositions entre
psychanalyse et attachement.
173
Depuis maintenant plusieurs années, des auteurs tentent d’articuler ou de faire dialoguer
les théories psychanalytiques et de l’attachement, pourtant présentées à l’origine comme
inconciliables. B. Golse a en effet cherché à dépasser le clivage entre la théorie de
l’attachement et la métapsychologie psychanalytique, dans le but, non pas de concilier point
par point ces deux théories mais bien d’enrichir nos différentes modélisations théoricocliniques. Nos travaux de recherche nous amènent alors à tenter de percevoir leurs point de
rencontre et d’opposition pour appréhender « comment la théorie de l’attachement […] peut
être mise en résonance avec la théorie psychanalytique et comment de leur mise en
perspective peuvent surgir de nouvelles pistes de réflexion pour les psychanalystes. (Golse,
1999, p. 84) » A l’origine de cette entreprise, il s’est penché sur trois problématiques
différentes liées aux rapports entre attachement et sexualité, sur les liens entre attachement et
transmission transgénérationnelle, puis sur la place de la représentation mentale dans la
théorie de Bowlby. Différentes publications issues de ces réflexions (Golse, 2000, 2004,
2006, 2007) ont abouti au concept de « pulsion d’attachement » repris des travaux d’Anzieu
(1990). Ce concept de pulsion d’attachement nous paraît très porteur car il permet de «
conjoindre dans le même regard la théorie freudienne de l’étayage et la théorie bowlbienne de
l’attachement […] de maintenir le registre du sexuel dans le champ de l’attachement […]
d’envisager les effets de rencontre à la fois du côté du sujet et du côté de l’objet [enfin]
d’articuler nos différents modèles de la symbolisation de l’objet, en tenant compte à la fois de
tout le jeu de sa présence, de son absence et aussi de ses permanentes variations. (Golse,
2007) »
Il a été reproché à la théorie de l’attachement de rejeter la théorie freudienne de l’étayage,
en définissant l’attachement en tant que besoin primaire au même titre que les autres besoins
de l’autoconservation. Toutefois, B. Golse (1999) tend à atténuer cette controverse en partant
des propres postulats de Bowlby : « Les liens émotionnels significatifs entre les individus sont
des fonctions essentielles pour leur survie et ont donc une valeur primaire. » En tant que
besoin primaire, il peut également être pensé en tant que secondairement libidinalisé (Golse,
1999). Il rappelle que dans la théorie freudienne, « la relation vient se greffer secondairement
sur la satisfaction des grands besoins de l’organisme, c’est-à-dire finalement que la sexualité
s’étaye sur l’autoconservation, pourquoi ne pas envisager aussi cette dynamique à propos de
l’attachement lui-même qui apparaît comme un très bon candidat à la sexualisation (voire à
l’érotisation) secondaire de ses mécanismes intimes ? (Golse, 1999, p. 87) »
174
Ainsi, si l’attachement ne fait pas renoncer à la théorie de l’étayage et si l’on admet que
son point d’ancrage n’est pas nécessairement oral, dans son besoin primaire d’attachement,
« l’enfant – à l’occasion de mise en jeu de ses mécanismes d’attachement (cri, succion,
préhension, agrippement, orientation faciale…) – [découvrirait] de la même manière un
plaisir (ou des plaisirs) supplémentaire(s), lié(s) à la réaction et à la réponse du partenaire
interactif dans ses différentes modalités (Golse, 1999, p. 86) »
Une des différences fondamentales qui semblent opposer les deux théories se situe autour
de la naissance de l’objet et de la possibilité pour le bébé d’une représentation mentale de ce
dernier, au-delà de l’aspect polysémique du terme de représentation. A l’origine, pour la
psychanalyse, « l’objet naît dans l’absence » comme l’avait énoncé Freud, il s’agit donc d’une
métapsychologie de l’absence. Le bébé mettrait en place les phénomènes d’hallucination
primitive avec tout le jeu de ses auto-érotismes à valeur défensive contre l’angoisse de perte
de l’objet, en son absence. Cependant, dans cette conception même, Freud a rappelé que toute
représentation, de quelque nature qu’elle soit, suppose que l’objet ait été initialement présent,
ce qui impose ici la primauté de la rencontre avec l’objet. Par ailleurs, des auteurs
psychanalytiques comme Roussillon (2010) s’intéressent aujourd’hui particulièrement à la
symbolisation de l’objet en sa présence, et donc à l’impact de cette présence sur les processus
de représentation, comme nous l’avons vu auparavant. Au contraire, l’attachement se situerait
plus dans une métapsychologie de la présence. Finalement, l’absence et la présence de l’objet
ne peuvent être dissociées, pas de l’une, sans l’autre !
Cependant, les deux théories permettent une approche de la découverte de l’objet et donc
des premières représentations que le bébé s’en fait, par le biais des interactions. S’il semble à
première vue que la théorie de l’attachement donne une vision très cognitive de la
représentation de l’objet par le biais des Modèles Internes Opérants, B. Golse (1999, p.93)
montre, en réalité, que « la représentation des liens d’attachement dans la théorie de J.
Bowlby est une représentation mixte, cognitive et affective et parfaitement compatible avec les
travaux actuels de la psychanalyse du développement, notamment ceux de D. N. Stern sur les
« représentations d’interactions généralisées » qui postulent une sorte de travail
d’abstraction et de moyennage de la part de l’enfant à partir des scripts interactifs dans
lesquels il se trouve engagé. » Lebovici (1960) avait déjà en son temps avancé l’idée que «
l’objet pouvait être investi avant que d’être perçu », c’est-à-dire avant d’être, pour le bébé, un
objet différencié et séparé de lui. Cette idée, certainement très avant-gardiste, a été vérifiée
par les travaux des développementalistes insistant sur l’importance des rythmes et des
175
contours interactifs donnant au bébé une représentation des contenants avant celle des
contenus. Les travaux de Stern (1985, 2005) sur « l’accordage affectif » et les « enveloppes
pré ou proto-narratives » entre la mère et le bébé en rendent compte. On peut dire que dans ce
cadre-là, la dimension affective et émotionnelle dans le partage interactif entre la mère et le
bébé est centrale, tout autant qu’elle l’est dans les différents patterns d’attachement évalués
lors de la Situation Etrange. Aujourd’hui, des travaux comme ceux de Lyons-Ruth (1999,
2005) dans le domaine de la théorie de l’attachement le soulignent précisément dans
l’importance accordée à la qualité des modalités d’échange émotionnel et affectif de la mère
avec son bébé, qui influencent les patterns d’attachement de ce dernier.
Ce rapprochement entre les deux théories a amené B. Golse à s’interroger sur la question
de l’écart et des différences sur lesquels le bébé, au sein des interactions, exerce ses modalités
de représentation précoces. Cette appréhension permet de dépasser le conflit entre
métapsychologie de l’absence et de la présence et nous paraît éclairer nos recherches sur les
dysfonctionnements interactifs mère borderline-bébé qui renvoient justement à cette question
des discontinuités entre modalités de présence et d’absence. En effet, le bébé se demande
d’abord si sa mère est comme d’habitude ou non, bien avant de se demander si celle-ci est
présente ou absente. Reprenant les travaux de G. Haag (1985), B. Golse (2007) insiste sur le
travail du bébé sur de petites différences, entre « le pareil et le pas-pareil », pour rechercher
une sorte de dénominateur commun parmi les répétitions interactives qu’il vit et qui ne sont
nécessairement pas parfaitement identiques, en fonction, entre autres, de l’humeur maternelle
du moment. Cette capacité du bébé est possible dès lors qu’il y a « suffisamment de pareil et
un peu de pas pareil » dans les interactions pour pouvoir travailler sur ces différences. Dans la
psychanalyse, ces dernières peuvent être mises en lien avec la présence du père (ou du tiers)
dans l’esprit de la mère avec notamment le concept de « censure de l’amante » (Fain, 1971)
en tant que premier rapport à la tiercéité. En effet, nous rappelle B. Golse (2007), si la mère
est bien trop différente de d’habitude, l’écart est intolérable pour le bébé ; il cite l’exemple de
la dépression maternelle. Il nous semble que celui du trouble de personnalité borderline met
également en lumière la possibilité d’un écart « intolérable » pour le bébé. Dans ce cas, les
interactions sont dysfonctionnelles car elles traduisent la discontinuité psychique de ces mères
qui se rejoue dans leurs relations au bébé, lui faisant vivre « des grands-écarts » ou de trop
grandes discontinuités. Il semble alors, que l’on soit loin d’un écart suffisamment petit pour
qu’il puisse avoir valeur d’une « surprise » stimulante pour les processus de représentations
du bébé comme le suggère D. Marcelli (2000). De nombreux travaux d’inspiration
176
psychanalytique parlent donc de symbolisation en présence de la mère. Si ce travail
d’évaluation des différences par le bébé est considéré comme s’effectuant dans le 2ème
semestre de la vie, par le biais du style d’accordage affectif propre à chaque dyade, il peut
toutefois débuter bien plus précocement chez le bébé grâce à l’observation des réponses
maternelles à ses comportements d’attachement. Ainsi, le bébé se représente-il aussi une sorte
de moyenne des réponses maternelles d’attachement (plus ou moins sécurisantes) lors de
chaque rencontre. Cette moyenne est faite des différents écarts auxquels il doit faire face,
suivant les réponses maternelles, mais aussi de l’écart entre la réponse maternelle et les
représentations qu’il s’est construit d’elle. Ce travail du bébé serait à l’origine des Modèles
Internes Opérants qu’I. Bretherton (1990) a décrits. Ainsi, « les modèles internes opérants
[…] paraissent avoir un statut de représentation (proto-) symbolique en rapport, si ce n’est
avec l’absence, en tout cas avec l’écart, la discontinuité et la différence (Golse, 1999, p. 95)».
Par conséquent, il semble qu’il soit stérile de rester dans cet affrontement entre
attachement et psychanalyse, les points de polémiques ou les clivages entre présence et
absence serviraient finalement à penser de manière dialectique les processus de symbolisation
de l’objet selon qu’ils s’inscrivent en l’absence ou en la présence de ce dernier. Selon B.
Golse (2004, p. 8, 2007), le concept de « pulsion d’attachement » issu des travaux d’Anzieu,
développé à partir des deux corpus théoriques permet de dépasser le risque de clivage entre
ces deux modes de symbolisation et « de montrer en quoi la théorie de l’attachement peut
jouer comme pont conceptuel entre la théorie des pulsions et la théorie des relations d’objet.»
Tout d’abord, il s’agit de penser que la rencontre initiale avec l’objet maternel permet une
symbolisation primaire des liens d’attachement et de leurs éventuelles variations, mais aussi
des vécus subjectifs qui se rattachent à cette présence, notamment par le biais du système
d’attachement, comme nous l’avons vu, mettant au premier plan l’importance de la qualité du
lien entre l’objet et le sujet. Par ailleurs, les absences de l’objet, elles, permettent une
symbolisation secondaire à partir des traces mnésiques ou des inscriptions dans la mémoire.
Enfin, le retour de l’objet ouvre ensuite « une mise en perspective, une confrontation entre les
données issues des deux types de symbolisation (Golse, 2007, p. 25). » Ces deux processus
renvoient donc à deux étapes développementales différentes mais toutefois toujours articulées
dans la vie du sujet. Autrement dit, la symbolisation en présence de l’objet permet de penser
les premières figurations corporelles pré ou proto-symboliques avec notamment tout le travail
d’observation directe du bébé selon la méthode d’E. Bick que G. Haag a utilisé pour décrire
les « identifications intra-corporelles » ou encore les manœuvres de rassemblement (des pieds
177
et des mains ou de la main vers la bouche) sur la ligne médiane ainsi que les comportements
d’auto-attachement. Ces descriptions d’identifications intra-corporelles s’appuient sur l’idée
d’une différenciation fonctionnelle précoce entre les deux hémicorps du bébé au sein de
laquelle l’un « proto-représente » la mère et l’autre le bébé. Dans ce cas là, il s’agit d’une
représentation en régime d’équation symbolique » (Segal, 1957) « soit en identité de
perception plus qu’en identité de pensée des vécus subjectifs liés à la présence de l’autre et à
la mise en jeu des liens primitifs. (Golse, 2007, p. 25) » Au contraire, en l’absence de l’objet,
l’évolution de ces proto-représentations en représentations mentales de l’objet « nécessite
fondamentalement tout le travail psychique de l’objet lui-même en termes de transformation.
(Golse, 2007, p. 25) » Ce travail psychique de l’objet a été mis en lumière par de nombreux
auteurs dont nous avons déjà parlé, tels que Winnicott (1967) ou Bion (1962b). Il s’agit d’un
travail dans lequel la mère aide le bébé à passer de la figuration à la mentalisation, « soit à
faire accéder le représentant psychique inactif de la pulsion à un activé de représentation de
chose (Golse, 2007, p. 25)». Roussillon (1991) parle lui, de la « fonction représentative de
l’objet » qu’il met en lien avec les caractéristiques de l’objet malléable de Milner (1977). Le
bébé, de son côté, va devoir également faire ce travail de symbolisation du travail psychique
de l’objet qu’il doit progressivement intérioriser pour lui-même.
Dans cette dialectique autour de ces deux symbolisations, s’ouvre celle entre le registre
de l’interpersonnel et de l’intersubjectif et celui de l’intra-personnel et de l’intra-psychique
que le concept de pulsion d’attachement permet de dépasser (Golse, 2007). B. Golse (2004,
2007) reprend le concept de pulsion d’attachement en partant des travaux d’Anzieu. Ce
denier, dans son ouvrage « L’épiderme nomade et la peau psychique » de 1990, reprend les
cinq critères nécessaires à l’enfant pour s’attacher à la mère évoqués par Bowlby que sont
l’échange des sourires, la solidité du portage, la chaleur de l’étreinte, la douceur du toucher et
l’interaction des signaux sensoriels et moteurs lors de l’allaitement. Pour Bowlby, comme le
souligne Golse (2007, p. 18) « il s’agit d’un accomplissement pulsionnel non libidinalisé,
indépendant de l’investissement des zones érogènes […] et qui a conduit Bowlby à
l’hypothèse d’une pulsion spécifique d’attachement, intermédiaire entre la pulsion d’autoconservation et la pulsion sexuelle. » Anzieu ajoutait à ces cinq critères celui de la
concordance des rythmes qui fait écho aux travaux de Stern sur l’accordage affectif. Anzieu
développait une métapsychologie de « l’attachement au négatif » qui comme le souligne B.
Golse (2004, 2007) résulte de l’alliance de la pulsion d’attachement à la pulsion d’autodestruction plutôt qu’à celle d’auto-conservation. L’attachement serait alors le processus
178
dynamique qui relie la pulsion à l’objet. A partir de ces réflexions, B. Golse (2004, 2007)
souligne la difficulté inhérente au concept de pulsion d’attachement, face à l’impossibilité de
relier ce concept à celui d’une pulsion sexuelle partielle enracinée dans une zone érogène
spécifique. De plus, pour cet auteur, même si cette pulsion peut être secondairement
libidinalisée, persiste la question de la nature sexuelle de toutes les pulsions, tel que cela est
décrit dans la théorie de J. Laplanche (1986).
Comme nous l’avons vu, les « représentations d’action généralisée » de Stern ou les
Modèles Internes Opérants de Bowlby et de Bretherton vont se former à partir de tout un
travail du bébé autour de l’écart et des différences entre ses différentes perceptions de l’objet.
Les représentations qu’ils forment progressivement sont toujours le reflet de quelque chose
qui est du côté du bébé et de quelque chose qui se situe du côté de l’objet (la mère ou le
caregiver) mais aussi du type de lien qui les unit. « Il n’y a pas de représentations de soi qui
ne soient des représentations de soi en relation avec des objets et, réciproquement dit, pas de
représentations d’objets qui ne soient des représentations d’objets en relation avec soi.
(Golse, 2004) » Par conséquent, dans ces différentes représentations, il existe « quelque chose
qui tient compte à la fois de la source pulsionnelle (du côté du bébé) et de l’objet (le
caregiver), ce qui confère […] à l’attachement (et éventuellement à l’accordage affectif) un
statut plausible de candidat au rôle de pont entre ces deux théories, si souvent présentées
comme incompatibles, que sont la théorie des pulsions et la théorie de l’attachement. (Golse,
2004, p.13) » L’attachement, en outre, ne peut être appréhendé en termes uniquement
cognitifs. L’affect joue en effet un rôle crucial dans la mise en place des patterns
d’attachement, telle que la classification d’Ainsworth et al. (1978) le met en lumière. Les
schémas ou représentations d’attachement sont donc faits d’affectif et de cognitif : « l’objet
ou figure d’attachement se trouve être, dans le même temps, un objet à découvrir
cognitivement et un objet à investir affectivement (pulsionnellement) (Golse, 2007, p. 19) ».
Le débat entre attachement et psychanalyse trouve une autre dimension dans les travaux
issus de l’attachement qui mettent en lumière les liens entre représentations d’attachement et
narrativité. Ces travaux se sont développés grâce à ceux de Main, sur «l’Adult Attachment
Interview » (AAI) puis à ceux notamment de Bretherton et de l’équipe de B. Pierrehumbert
avec les « histoires à compléter » chez l’enfant. Ces travaux mettent en lumière une
transmission intergénérationnelle ou transgénérationnelle des schémas d’attachement, et
renvoient aux mécanismes de la transmission fantasmatique tout autant qu’à ceux d’une
transmission plus cognitive à héritabilité supposée d’ordre plus ou moins génétique (Golse,
179
2007). Par ailleurs, les recherches sur l’AAI portent sur les représentations que l’adulte se fait
dans l’après-coup de ses propres liens d’attachement précoces. Or B. Golse (2007) insiste sur
le fait que ces représentations sont le fruit de toute une série de remaniements, de distorsions
et de refoulements secondaires en lien avec l’histoire du sujet constituée, entre autres, de sa
névrose infantile et de sa conflictualité œdipienne. Par conséquent, dans l’attachement comme
dans la psychanalyse, la question du rapport entre le récit reconstruit et la réalité historique du
sujet, de même que celle du rapport entre le récit et les affects sont centrales.
« L’Adult Attachment Interview explore la concordance-discordance entre la mémoire
épisodique et la mémoire sémantique, en d’autres termes, entre les représentants-affects et les
représentants-représentations de mots, avec le recours aux représentants-représentations de
chose par le langage mimo-gestuo-postural (Zigante, 2012, d’après Roussillon, 2010) »
L’importance accordée aujourd’hui à la forme du récit dans la cotation de l’AAI permet de
dépasser l’aspect constructiviste et déterministe que l’on pourrait porter à la théorie de
l’attachement lorsque celle-ci ne s’intéresse qu’aux liens pouvant exister entre les
comportements et les représentations d’attachements (contenus). L’analyse de la structure
narrative du discours permet d’émettre l’hypothèse d’une éventuelle psychopathologie
développementale bien avant la connaissance du contenu et du passé de l’individu (Fava
Vizziello, 2004). De même, il nous semble que les systèmes de cotations développés par
l’équipe de B. Pierrehumbert s’intéressent, plus qu’aux seuls contenus (les représentations
d’attachement), à la forme (style) du récit de l’enfant. La prise en compte de l’aspect formel
du discours et de sa dimension dialogique permet de retrouver les traces de la pulsion et de la
sexualité dans la narration (Zigante, 2012). Les études sur la narrativité sont principalement
réalisées dans le cadre de la théorie de l’attachement, en raison du dogme central selon lequel
la structure de la narrativité (cohérence, fluidité, continuité du discours) se verrait étroitement
corrélée à la qualité des schémas d’attachement précoces, selon les travaux de Main (Golse,
2005). Toutefois, la narrativité constitue une charnière des plus précieuses entre la théorie de
l’attachement et la théorie psychanalytique puisqu’elle découle des travaux issus de
l’attachement qui, comme nous venons de le voir, représente un pont entre théorie des
pulsions et théorie des relations d’objets (Golse, 2005).
Nous ne cherchons pas à rassembler ou à superposer les deux théories mais, bien plutôt, à
les articuler pour enrichir nos réflexions cliniques et de recherche. Comme le souligne Zigante
(2012), le débat entre psychanalyse et attachement qui s’est déplacé à l’heure actuelle sur la
question des liens entre représentations d’attachement et narrativité, ouvre des pistes de
180
réflexion quant aux corrélations parfois stupéfiantes entre le récit des sujets et leurs
événements de vie, notamment en ce qui concerne les traumatismes, de nature différente et
souvent amalgamés, retrouvés dans leur passé. Ce débat interroge également sur l’utilisation
de la théorie de l’attachement en tant que moyen de traitement pour élaborer un récit cohérent
de l’histoire du sujet, le but d’une psychothérapie n’étant pas, toutefois, de construire un
narratif ou un récit de sa propre vie de la façon la plus structurée qui soit (Zigante, 2012). Si
les débats continuent entre les tenants des deux théories, un auteur comme P. Fonagy (2004)
montre bien qu’elles s’enrichissent mutuellement. L’évaluation des psychothérapies
analytiques, dans le cadre de la recherche réalisée par F. Zigante (2009, 2012) à l’aide des «
histoires à compléter », outils issus de l’attachement, en est une preuve. Ces travaux de
recherche montrent bien que « la narrativité, en tant qu’activité psychique fondée sur le jeu
des processus de liaison, peut se penser aussi bien en termes métapsychologiques qu’en
termes « attachementistes » (Golse, 2005, p. 18). »
Ainsi, la place attribuée à la cohérence du discours dans la théorie de l’attachement paraît
être une charnière essentielle entre théorie de l’attachement et psychanalyse, source « d’une
authentique dimension de scientificité » apportée à la psychopathologie voire à la
psychanalyse (Golse, 2005, cité par Zigante, 2012) au travers de l’étude de la narrativité.
181
182
VII.
Méthodologie de la recherche
A.
Cadre de la recherche : un dispositif
Notre recherche s’enracine dans un Projet Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC
1998 AOM 98 001) en Psychiatrie Périnatale intitulé « Genèse de la Maltraitance Infantile »
et qui avait débuté en 1998. Ce dernier était dirigé par le Dr Apter et visait à comprendre les
liens entre, les troubles de personnalité et les épisodes dépressifs maternels, et les
dysfonctionnements relationnels précoces mère-enfant au cours de la première année de la
vie. Il visait aussi à mesurer l’impact de ces dysfonctionnements puisque cette dysharmonie
est la source reconnue de négligences, de carences, de maltraitances voire de troubles du
développement de l’enfant.
Ce projet s’est déroulé dans le cadre d’un centre de consultations ambulatoires, l’Aubier,
centre psychologique du tout-petit. Il s’agit d’un centre de consultations spécialisées créé en
1992 qui prend place dans un service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent (7ème
intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile des Hauts-de-Seine appartenant à l’Etablissement
Publique De Santé Erasme). Il reçoit en consultation des futurs parents ainsi que des parents
accompagnés de leurs enfants normalement âgés de moins de 2 ans. Les suivis thérapeutiques
peuvent toutefois se prolonger au-delà des 2 ans de l’enfant. A l’origine, l’Aubier était un
centre à la fois de soin, de prévention, de recherche et de formation. Les prises en charge ainsi
que les consultations thérapeutiques et d’évaluation s’organisent autour d’une réflexion
psychodynamique mêlant le soin psychologique dans le cadre du service public et
l’exploration des conflits intrapsychiques d’approche psychanalytique. Les démarches de
recherche, inscrites dans la conception même du centre et dans son fonctionnement, ont nourri
les réflexions cliniques qui à leur tour ont été à la source de nouvelles hypothèses de
recherche. Dans ce cadre, les recherches se conçoivent au travers de la démarche freudienne
de la recherche psychanalytique, le but étant toujours de mettre à l’épreuve les observations et
les résultats qui en sont issus auprès des patients dans les approches psychothérapeutiques
offertes par l’Aubier. Il s’inscrit dans une démarche préventive proposant un lieu où diverses
problématiques du processus du « devenir-parent » (Missonnier, 2003) peuvent s’exprimer
dans leur conflictualité intrapsychique, qu’il s’agisse de prévenir une décompensation
psychiatrique ou bien de relancer ce processus mis à mal. La pensée psychanalytique dans son
approche du fonctionnement humain apporte un éclairage précieux pour les divers
183
intervenants exerçant à l’Aubier. Dans ce centre, les patients et les familles sont dans un
premier temps toujours reçus en co-consultation par un psychiatre ou un psychologue de
formation psychanalytique (consultant) et un professionnel de la petite enfance, une
puéricultrice ou une éducatrice de jeunes enfants. Cette consultation doit toujours intervenir
rapidement après la demande, c’est-à-dire environ dans la semaine qui suit. En fonction de ce
premier entretien, l’Aubier peut ensuite proposer des prises en charge telles que des
psychothérapies parents-bébé, des séances de psychomotricité du bébé ou de relaxation pour
la femme enceinte, des groupes parents-bébé, des prises en charge orthophoniques et des
groupes d’enfants âgés de plus de 18 mois. Les prises en charge de l’Aubier sont un des
maillons du système de soins du réseau périnatal 92 Sud. Il assure la continuité des liens pour
les patients entre les différentes structures de soins et les professionnels y exerçant :
maternités, centres de protection maternelle et infantile, crèches, unités d’hospitalisation
mère-bébé, psychiatrie adulte et de l’enfant, et autres. L’Aubier rencontre ainsi des patients
présentant différents troubles et pathologies, qui lui sont adressés par ses différents
partenaires, et provenant du sud des Hauts-de-Seine. L’Aubier n’a cessé de se développer au
fil des ans avec une augmentation toujours croissante de nouvelles demandes. Par ailleurs, il a
rapidement reçu de plus en plus de femmes enceintes et de nouveau-nés de moins de 6 mois.
Les patients sont issus de toutes les couches socio-économiques de la population avec souvent
une majorité de primipares. Toutes les pathologies habituellement rencontrées chez le jeune
enfant de moins de 3 ans et chez les mères se retrouvent au sein des familles reçues à l’Aubier
(Apter-Danon et al., 2004). Les différents troubles du jeune enfant sont évalués à partir de la
classification diagnostique « 0-to-3 » (Diagnostic Classification, 0-3, 1998). Celle-ci permet
un diagnostic de la symptomatologie observée chez l’enfant, des troubles de la relation mais
aussi des événements environnementaux. Dans ces trois dimensions, les patients reçus en
consultation à l’Aubier dessinent un large éventail, allant pour ce qui concerne la
symptomatologie de l’enfant, de l’absence de troubles à des pathologies du spectre autistique.
Du côté des parents, on retrouve ou non une psychopathologie, avec ou sans difficulté
interactive majeure dans la relation à l’enfant. Enfin, des facteurs de vulnérabilité peuvent être
observés dans l’environnement des familles. Les prises en charges thérapeutiques sont
proposées aux familles en fonction de la symptomatologie et de la psychopathologie des
membres de la famille, mais également de leurs capacités d’investissement de la prise en
charge, susceptible d’évoluer : ainsi l’Aubier peut-il proposer des visites à domicile dans un
premier temps avant que la famille ne soit en mesure de se rendre au centre.
184
B. Aspects éthiques et déontologiques des
recherches dans un cadre thérapeutique
La dimension éthique respectée dans les recherches menées à l’Aubier impose de
permettre l’accès au soin aux personnes participant aux recherches. Ainsi peuvent-elles
bénéficier des soins offerts par l’Aubier qui leur sont systématiquement proposés. Les
recherches sont effectuées avec l’accord des participants qui ont signé la feuille de
consentement éclairé et d’information (PHRC AOM 98-001) ainsi que l’autorisation d’être
filmés. Ces documents sont joints en annexe 1 et 2. Les recherches prospectives agréées par le
Ministère de la Santé ont obtenu l’autorisation du CCPPRB (Comité Consultatif pour la
Protection des Personnes dans la Recherche Biomédicale). Nos recherches ont fait l’objet
d’une réflexion éthique dans le cadre de l’enseignement dirigé par O. Bourguignon, à l’Ecole
Doctorale de Paris Descartes. Nous y avons souligné l’importance de faire un compte-rendu
oral aux mères ayant participé à notre travail sur l’ensemble des passations, et plus
particulièrement sur les difficultés éventuelles mises en évidence chez leurs enfants.
C. La problématique de la recherche et les
hypothèses générales
1. Cadre conceptuel et théorique : la recherche en
psychopathologie
« La recherche clinique vise à produire des connaissances nouvelles à partir de l’étude
approfondie du sujet humain considéré dans sa singularité » (Bourguignon & Bydlowski,
1995). Notre recherche clinique s’intéresse d’une part à la singularité de la dyade mère-bébé à
différents moments de leur existence. D’autre part, elle cherche à mieux appréhender l’impact
de la psychopathologie maternelle sur le développement de l’enfant, notamment de la qualité
de sa régulation émotionnelle et de ses comportements et représentations d’attachement ;
enfin, de son fonctionnement intrapsychique. Elle s’inscrit dans une démarche d’objectivation
de ce qui peut se transmettre, se mettre en place, au sein de la dyade mère-bébé, par
l’observation et la description des interactions. Nous rejoignons Fivaz-Depeursinge, 1995 :
« L’interaction visible non verbale […] ne peut pas ne pas avoir de rapport avec l’échange
invisible qui se passe entre les esprits. » « L’objet de la recherche clinique est l’étude des
processus psychiques. La méthode freudienne de la cure psychanalytique […] en fournit le
185
modèle exemplaire. Mais le dispositif a des critères d’inclusion précis et restrictifs. La théorie
qui le commande concerne le psychisme humain envahi par le sexuel ; elle ne peut se
présenter comme une théorie générale de l’être humain. L’accès aux processus psychiques
impose donc d’utiliser d’autres modes de dévoilement : […] l’observation directe devient la
méthode de choix lorsque l’on veut mettre en évidence d’autres expressions comme la
sémantique préverbale dans l’échange mère-bébé. C’est encore l’observation qui tente de
saisir la genèse de la pensée chez « l’infans » […] puisque le comportement résulte
d’opérations psychiques complexes non directement traductibles » (Bourguignon &
Bydlowski, 1995).
Notre recherche clinique s’inscrit ainsi dans une démarche de recherche en
psychopathologie, partant de l’analyse des interactions (comportementales, verbales,
émotionnelles et affectives) au sein de la dyade à différents moments de la vie du bébé, par le
biais des enregistrements vidéo et des grilles de cotations. Elle est appuyée par une réflexion
issue de plusieurs théories :
- psychanalytique :
- d’une part, sur les mécanismes projectifs parentaux et sur l’organisation
fantasmatique de leur parentalité ;
- d’autre part, sur les processus d’accès à l’intersubjectivité et de la construction
psychique du sujet
- attachementiste :
- sur les processus relationnels de transmission des patterns comportementaux puis,
des représentations d’attachement de la mère à l’enfant, fruits de l’intériorisation des
interactions
- sur la qualité des comportements puis des représentations d’attachement de l’enfant
- de la psychologie du développement.
Enfin, notre recherche s’inscrit dans le cadre d’une étude prospective longitudinale
cherchant à comprendre l’impact de la psychopathologie maternelle sur le développement de
l’enfant au cours de différentes étapes saillantes de ce dernier. Elle a pour but d’appréhender
la psychopathologie maternelle et le développement émotionnel et social du bébé en lien avec
le mode relationnel engagé par la dyade. Elle a pour objectifs :
186
- de mettre en évidence certains processus intrapsychiques chez la mère et le bébé par
l’étude des interactions précoces
- d’étudier la qualité des comportements d’attachement au moment de l’âge de la marche
- d’étudier la qualité des représentations d’attachement et du fonctionnement psychique
chez l’enfant d’âge scolaire par le biais de la narrativité. L’évaluation de la narrativité, c’està-dire, de la qualité de la forme et du contenu du discours de l’enfant, permet d’appréhender
le fonctionnement psychique de celui-ci, autrement que par le biais de l’évaluation des
symptômes et de la structure psychopathologique. Toutefois, en tant que test projectif au sens
large, une lecture psychodynamique de ces tests nous permettra d’avoir accès au
fonctionnement psychique des enfants. Nous aurons donc une double lecture des narratifs.
2. Problématique de la recherche
Les mères présentant un trouble de personnalité borderline établissent des relations
interpersonnelles chaotiques marquées par le recours à leurs mécanismes de défenses
primaires reflétant la fragilité de leur moi et de leur narcissisme. Elles oscillent entre des
mouvements de rejet de l’autre et des relations de type anaclitique sous-tendues par la crainte
de l’abandon. Leurs relations d’attachement précoces et leur histoire infantile sont le plus
souvent émaillées d’expériences douloureuses voire traumatiques. La grossesse représente
une véritable crise identitaire et narcissique qui nécessite un réaménagement des imagos de la
mère en devenir. Ce réaménagement vient ébranler l’identité de ces mères borderline déjà
fragilisée par un narcissisme défaillant. Le bébé impose une relation de dépendance à laquelle
la mère ne peut s’extraire. Les interactions précoces entre ces mères et leur bébé sont décrites
comme étant teintées par l’intrusivité et la répétitivité reflétant leur incapacité à s’accorder
aux rythmes propres et aux mouvements affectifs de leur enfant. Elles seraient en difficulté au
sein d’un partage intersubjectif troublé pour aider leur bébé à réguler leurs émotions (Apter,
2004). La naissance du bébé réactive le sentiment et l’angoisse du vide caractéristiques des
moments dépressifs de ces mères. Au travers d’identifications projectives maternelles, le bébé
est identifié aux figures parentales souvent très exigeantes et maltraitantes de leur histoire. Il
réactualise ainsi leurs douloureuses expériences infantiles et est donc difficilement rencontré
dans sa réalité et ses propres besoins. Pris dans les mouvements maternels de rejet et de
collage, le bébé est à risque de carences et/ou de maltraitances (Apter, 2004).
187
Le bébé est désormais appréhendé comme un être de communication à part entière avec
ses compétences propres en développement et ce, dès la naissance. Face au trouble de
personnalité borderline maternel, les dysfonctionnements interactifs soumettent le bébé à des
perturbations de son développement. Toutefois, chaque bébé ne réagit pas de la même façon
au regard d’une même pathologie maternelle donnée. Il met en place des capacités
d’adaptation (parfois de suradaptation) et des mécanismes de régulation (voire de
dysrégulation) ainsi que des mécanismes de défense parfois coûteux pour son propre
développement psychique (Apter, 2004). L’étude des interactions peut nous donner un aperçu
des modalités de la construction psychique du bébé. Le modèle de la régulation mutuelle
permet de mettre en évidence les patterns interactifs spécifiques d’une dyade donnée, lors de
séquences interactives mère-bébé (Cohn & Tronick, 1987, 1988). Nous nous intéresserons
particulièrement à la spécificité des mécanismes de régulation interactive au sein de nos
dyades ainsi qu’aux mécanismes d’autorégulation du bébé.
Compte tenu de l’importante prévalence des troubles de personnalité borderline et de leur
impact sur les relations interpersonnelles, les études sur les enfants de mères présentant ces
troubles ont commencé à se développer depuis une quinzaine d’années. Les interactions mèrebébé au sein de cette population ont ainsi été l’objet de quelques recherches avec la première
étude de Crandell et al. (2003) à laquelle d’autres ont succédé (Genet et al., sous presse). En
parallèle, des études ont montré que, derrière les épisodes dépressifs, notamment du postpartum, pouvaient se cacher des troubles de personnalité souvent peu recherchés et donc
insuffisamment pris en compte dans le traitement (Apter et al., sous presse). Le trouble de
personnalité borderline, en particulier, présente une importante comorbidité avec les épisodes
dépressifs. Il se pourrait même que les populations borderline présentent toutes des épisodes
dépressifs (White et al., 2011). Cette importante comorbidité se doit d’être mieux prise en
compte dans l’appréciation des répercussions de ce trouble tant chez les sujets eux-mêmes que
chez leurs enfants.
L’étude des interactions à 3 mois nous renseigne sur la qualité du partage émotionnel et
comportemental entre la mère et le bébé au sein de l’intersubjectivité primaire (Trevarthen,
1979, 1980, 1989). La qualité de leur partage interactif établit les bases de leur relation et
nous éclaire sur le mode de lien qui s’établit, et au sein duquel le bébé se construit. L’étude de
ces patterns interactifs, à ce moment particulier, nous éclaire sur les origines de la mise en
place de l’« accordage affectif » (Stern, 1985) observable plus tardivement au sein de la
dyade. En effet, des recherches ont montré une importante continuité des patterns interactifs
188
au sein des mêmes dyades pour une même situation expérimentale (Still-Face) à trois, six, et
neuf mois (Cohn & Tronick, 1987).
Comment le bébé se construit-il, au travers des interactions dysfonctionnelles de la
mère présentant un trouble de personnalité borderline/état-limite ? Quel impact visible
auront ces patterns interactifs sur le développement émotionnel et comportemental du
bébé et sur sa construction psychique ? Quelle attitude et quels mécanismes le bébé
adoptera-t-il face aux comportements maternels ?
Le trouble de personnalité borderline a pu être considéré, en partie, comme un trouble
grave de l’attachement de type désorganisé (Levy, 2005 ; Holmes, 2004). Les études évaluant
la qualité de l’attachement chez les mères borderline révèlent un attachement insécure ou
désorganisé, fortement corrélé à des attitudes maternelles chaotiques et incohérentes. Elles
mettent en évidence des comportements maternels intrusifs et des modes de communication
émotionnelle perturbés avec l’enfant (Lyons Ruth et al., 2005 ; Madigan et al., 2006 ; Hobson
et al, 2009). Une étude a montré un lien entre ces dysfonctionnements interactifs et le
développement chez ces enfants d’un attachement majoritairement désorganisé (Hobson et al.,
2005). Par ailleurs, la désorganisation de l’attachement chez les sujets présentant un trouble
de personnalité borderline est souvent liée aux antécédents d’événements traumatiques qu’ils
ont vécus. Se pose alors la question de la transmission intergénérationnelle de la qualité de
l’attachement de la mère à l’enfant.
L’évaluation des comportements d’attachement de l’enfant peut se faire, autour de l’âge
de la marche, par le biais d’une procédure standardisée : la Situation Etrange (Ainsworth et
al., 1978). La qualité des comportements d’attachement est le reflet de la qualité des relations
établies entre l’enfant et ses figures d’attachement, en particulier la mère. Cette évaluation
met l’enfant en situation d’activation de ses besoins d’attachement et permet donc d’observer
comment la mère aide ce dernier à se réconforter face au stress qu’instaurent les brèves
séparations. Cette procédure donne accès à la qualité des comportements maternels face au
stress ou à la détresse de l’enfant ainsi qu’aux patterns d’attachement de celui-ci. Il s’agit
d’observer comment la mère aide l’enfant à réguler les émotions négatives générées par la
situation. La régulation des émotions repose sur une compréhension de l’expérience interne,
qui s’acquiert dans le contexte de la relation dyadique de soins précoces (Gergely et Watson,
1996). Une affectivité négative vient souligner l’absence de capacité centrale à réguler
189
correctement les émotions négatives dans les relations interpersonnelles. Nous nous
interrogeons sur la qualité des patterns comportementaux d’attachement des enfants de notre
population.
Chez l’enfant plus âgé (d’âge scolaire), la qualité de l’attachement peut s’évaluer par le
biais des représentations d’attachement au travers d’un test d’histoires à compléter
(Bretherton et al., (1990) : (ASCT ou Attachment story completion task). L’évaluation des
représentations d’attachement de l’enfant permet d’observer si les parents, en particulier la
mère, constituent une base de sécurité pour l’enfant. De plus, les particularités du récit de
l’enfant sont le reflet de ses capacités de régulation émotionnelle. Une seule étude, au sein
d’une population d’enfants de mères présentant un trouble de personnalité borderline, a mis
en évidence la mauvaise qualité des représentations d’attachement de ces derniers (Macfie et
Swan, 2009).
Les études réalisées au sein d’échantillons de dyades de cette population se sont toutes
penchées sur un âge donné mais aucune étude n’a encore recherché l’existence d’une
éventuelle continuité ou d’éventuels liens entre interactions précoces, qualité des
comportements d’attachement chez l’enfant autour de l’âge de la marche et qualité de ses
représentations d’attachement ainsi que de son fonctionnement psychique, à l’âge scolaire.
Notre recherche, en étant longitudinale, permettra de mettre en lien ces différents aspects.
Quel sera l’impact des patterns interactifs mère-bébé sur le développement des
comportements d’attachement de l’enfant, puis de ses représentations d’attachement ?
Retrouvons-nous une continuité en termes de qualité entre les résultats obtenus aux
interactions à 3 mois, les patterns d’attachement chez le jeune enfant et ses
représentations d’attachement entre 4 ans et 8 ans ?
Ce travail de recherche clinique en psychopathologie s’inscrit dans le cadre d’une étude
longitudinale prospective. Il se situe dans un cadre théorique précis et est guidé par des
hypothèses que nous développons ci-dessous. Cette étude longitudinale portant sur les enfants
de mères présentant un trouble de personnalité borderline, au fonctionnement état-limite,
s’inscrit dans une approche complexe et développementale dont la méthodologie et les outils
permettent un accès aux interactions mère-bébé, aux comportements et aux représentations
d’attachement de l’enfant et enfin, au fonctionnement psychique de l’enfant entre 4 ans et 8
ans. Cette étude longitudinale des 3 mois du bébé à l’enfant d’âge scolaire s’inscrit dans la
190
suite des études existantes dont les résultats ont orienté la formulation de nos hypothèses de
recherche. Cette étude longitudinale à la fois synchronique et diachronique est comparative :
- la comparaison de deux groupes de dyades mère-enfant, avec un groupe pour lequel les
mères présentent un trouble de personnalité borderline/état-limite et un groupe pour lequel les
mères ne présentent aucune psychopathologie avérée (ni trouble de personnalité, ni épisode
dépressif dans la période périnatale) permet de mettre en évidence les (éventuelles)
différences entre les deux populations.
- cette étude a également pour but d’effectuer des comparaisons intragroupe au sein du
groupe des dyades où la mère présente un trouble de personnalité borderline.
En résumé :
Les mères présentant un trouble de personnalité borderline/état-limite montreraient des
difficultés à aider l’enfant à se réguler émotionnellement, ce qui se traduirait par des
dysfonctionnements interactifs. De ce fait, leurs enfants seraient à risque de développer
précocement des troubles de la régulation émotionnelle, ce qui pourrait constituer un facteur
de risque pour le développement ultérieur du trouble de personnalité borderline à l’âge adulte.
Ces troubles de la régulation émotionnelle peuvent être appréhendés au sein d’une approche
développementale, dans une étude longitudinale alliant des éclairages théoriques
psychodynamique et psychopathologique, ainsi qu’attachementiste. L’étude des interactions
précoces et des stratégies comportementales d’attachement de l’enfant permettent d’objectiver
ces troubles par le biais de l’observation des patterns comportementaux, affectifs et
émotionnels chez le bébé puis chez le jeune enfant. Par ailleurs, l’étude des représentations
d’attachement et des qualités narratives de ces mêmes enfants entre 4 et 8 ans nous permet
d’avoir accès au mode de fonctionnement psychique de ces derniers.
3. Hypothèses de la recherche
Hypothèse générale :
Le fonctionnement des enfants, en termes de représentations d’attachement à l’âge
scolaire, s’inscrirait dans la façon dont se développent ses interactions précoces avec la mère
et ses comportements d’attachement autour de l’âge de la marche.
Hypothèses opérationnelles :
191
Du coté des mères : on observerait des différences entre les mères présentant un trouble
de personnalité borderline (TPB) et les mères contrôles au niveau de leurs comportements et
de leurs manifestations émotionnelles et affectives à chacun des deux moments interactifs de
la recherche. On observerait plus de dysfonctionnements interactifs à 3 mois puis à 13 mois
pour les dyades où la mère présente un TPB.
1. Ces différences seraient observables et quantifiables grâce à l’évaluation des
interactions mère-bébé à 3 mois au Still-Face.
2. Ces différences au niveau du comportement des mères et de leurs manifestations
affectives vis-à-vis de leur enfant seront aussi observables et quantifiables au cours de la
passation de la Situation Etrange aux 13 mois de l’enfant par le biais d’une grille de
comportements appropriée. Le besoin et la recherche de proximité de l’enfant à l’égard de la
mère, de même que les comportements d’exploration de l’enfant dans une situation où les
comportements d’attachement spécifiques de celui-ci sont activés seraient particulièrement
difficiles à gérer pour les mères présentant un TPB. Ces dernières présenteraient plus de
difficultés d’adaptation comportementale et affective aux besoins, demandes et signaux de
l’enfant dans une telle situation. On observerait notamment :
a) plus de comportements intrusifs
b) plus d’erreurs dans la communication émotionnelle et affective
Du côté des bébés : chez les bébés de mères présentant un TPB, du fait d’un défaut de
régulation émotionnelle maternelle, les manifestations émotionnelles et comportementales
seraient différentes qualitativement et quantitativement, comparativement à celles du groupe
contrôle.
1. Ces différences seraient observables au cours des interactions mère-bébé à 3 mois.
Les bébés de mères borderline :
a) exprimeraient plus d’émotions négatives
b) seraient plus en difficulté dans leur développement émotionnel et
comportemental, parce qu’ils seraient, du fait de la pathologie maternelle, sollicités au-delà de
leurs capacités émotionnelles et développementales. Ces difficultés se traduiraient par des
comportements de retrait interactifs.
192
2. A 13 mois, les bébés de mères présentant un TPB montreraient majoritairement un
attachement de type désorganisé, comparativement à ceux de la population contrôle.
3. A 3 mois et à 13 mois, plus les mères présenteraient des comportements
dysfonctionnels (intrusifs, manque de synchronicité, discontinuité) plus les bébés
manifesteraient, qualitativement et quantitativement, des difficultés dans leur régulation
émotionnelle.
Toutefois, on peut faire l’hypothèse que pour certaines dyades, le fait d’avoir bénéficié
d’une prise en charge précoce mère-bébé d’une durée suffisamment longue pourrait être un
facteur positif, dans le sens d’une meilleure qualité des comportements d’attachement chez
l’enfant à 13 mois.
Chez l’enfant en période d’âge scolaire (entre 4 ans et 8 ans) : on retrouverait des
différences entre les enfants des mères présentant un TPB et les enfants du groupe contrôle.
1. Les enfants de mères présentant un TPB obtiendraient plus de représentations
d’attachement de type désorganisé
2. Les représentations d’attachement étant évaluées par les caractéristiques du récit de
l’enfant lors des histoires à compléter, nous observerons des différences dans ces
caractéristiques entre les enfants de nos deux populations. Les récits des enfants de mères
avec un TPB se caractériseraient par :
a) Une moindre cohérence narrative, voire une incohérence
b) Des représentations parentales de moins bonne qualité
c) Des difficultés de « mentalisation », c’est-à-dire des difficultés à aborder les
émotions positives comme négatives
d) Des difficultés dans la régulation émotionnelle et affective lors de l’évocation de
thèmes en lien avec des problématiques activant le système d’attachement ou encore avec des
problématiques de perte, se traduisant par l’incohérence du récit et l’intrusion de thèmes
traumatiques
3. On observerait une continuité dans la qualité d’attachement de l’enfant entre ses
comportements d’attachement à 13 mois et ses représentations d’attachement à l’âge scolaire
4. Les enfants de mères borderline/état-limite présenteraient un fonctionnement
psychique qui se rapprocherait de celui de leur propre mère et auraient majoritairement
193
recours à l’utilisation de mécanismes de défense pathologiques tels que le clivage, le déni,
l’idéalisation primitive et les identifications projectives pathologiques dans leurs récits.
Toutefois, on peut aussi faire l’hypothèse que les enfants des dyades qui auraient
bénéficié d’une prise en charge psychothérapeutique mère-bébé d’une durée suffisamment
longue présenteraient un fonctionnement psychique de meilleure qualité.
D. Populations de la recherche : critères
d’inclusion et de non-inclusion des mères
Nos deux populations de dyades (cliniques et contrôles) sont issues de l’étude prospective
du PHRC citée plus haut, dirigée par le Dr Apter.
1. Echantillon d’origine issu du PHRC
A l’origine, les mères ont été sollicitées pour participer au protocole de recherche dans
quatre maternités ayant accepté d’y prendre part. Deux maternités publiques de niveau 2 et
deux maternités privées de niveau 1 ont été incluses. Les mères, avaient alors la possibilité
d’être prises en charge, pendant leur grossesse et/ou avec leur bébé à l’Aubier si elles le
souhaitaient. Par ailleurs, toutes les mères suivies à l’Aubier, au moment de ce protocole de
recherche, ou lorsqu’il a été terminé, se sont vues proposer de participer à cette recherche.
Celle-ci continue d’être proposée aux mères qui sont suivies à l’unité PPUMMA.
En 2007, l’Unité de Psychiatrie Périnatale d’Urgence Mobile en Maternité (PPUMMA) a
été créée. Cette Unité est un des constituants en amont de l’Aubier. Elle est aussi rattachée au
7e intersecteur et est reliée au pôle de Recherche en Psychiatrie et Psychopathologie
Périnatale de l’EPS Erasme. Il s’agit, par ailleurs, de notre lieu de travail. Cette unité mobile
d’intervention d’urgence intervient à la demande des professionnels des maternités et du
réseau pour répondre à l’urgence dans la période périnatale.
- Critères de non-inclusion des mères dans le PHRC
Les mères présentant des pathologies psychotiques avérées ou des troubles bipolaires
connus par leurs antécédents avant la consultation, ou révélées en cours de prise en charge,
ont été exclues du protocole de recherche. De même, les patientes ayant pris des toxiques
multiples et présentant une toxicomanie avérée au moment de la recherche ont également été
exclues de la recherche.
194
- Critères de non-inclusion des bébés dans le PHRC
Chez les bébés, du fait de possibles répercussions sur les interactions, certains critères
entrainaient leur non-inclusion. Ils ne devaient pas présenter à la naissance :
- de pathologie avérée
- d’anomalie génétique ou anomalie congénitale,
- de pathologie organique grave,
- Une prématurité et/ou une hypotrophie justifiant d’une séparation de la mère et du
bébé supérieure à 3 jours ou dans un autre établissement représentait également un critère de
non-inclusion. Il en était de même pour les naissances multiples.
Toutefois, le diagnostic de troubles graves du développement ou de retard psychomoteur
du bébé, sans pathologie organique majeure repérée en période postnatale, ne constituait pas
un critère d’exclusion. Un des buts de la recherche était précisément, en effet, d’évaluer s’il
existait des différences de développement psychomoteur, émotionnel et psychopathologique
du nourrisson en fonction de la psychopathologie maternelle et/ou de la qualité des
interactions.
2. Constitution des deux groupes de population de
notre recherche
Deux groupes de dyades ont été constitués dans le cadre de notre recherche sur le critère
principal du diagnostic maternel. Au sein de la population totale des dyades ayant participé au
PHRC depuis ses débuts, nous avons donc sélectionné :
- toutes les dyades pour lesquelles la mère présentait un trouble de la personnalité
borderline, selon un entretien semi-structuré : le SID IV11 avec ou sans épisodes dépressifs
évalué(s) par l’EPDS12 et la MADRS13. Les mères de ce groupe devaient donc remplir les
critères cliniques du TPB selon le DSM IV.
- toutes les dyades pour lesquelles la mère ne présentait aucun trouble de personnalité
ni trouble psychiatrique avéré selon le SIDP IV et les échelles de dépression de l’EPDS et de
la MADRS
11
Structured Interview for DSM-4 Diagnosis of Personality Disorder
12
Edinburgh Postnatal Depression Scale
13
Montgomery and Asberg Depression Rating Scale
195
Nous avons ainsi cherché à recontacter les mères qui possédaient ces critères et qui
avaient terminé le protocole de recherche du PHRC. Toutes les mères ayant participé avaient
été informées de la possibilité d’une suite, avec d’autres entretiens lorsque l’enfant serait plus
âgé. Ces dernières avaient elles-mêmes signalé qu’elles étaient disponibles pour être
recontactées. La plus grande difficulté a été de retrouver certaines d’entre elles, compte tenu
du déménagement de leur famille. Ainsi certaines des mères n’ont pu prendre part à notre
recherche car elles habitaient en province, d’autres parce que nous n’avons pas pu les
localiser, faute d’avoir soit leur adresse soit leur numéro de téléphone. Enfin, seules quelques
mères ont refusé de participer à notre recherche.
Finalement, nous avons réussi à constituer un échantillon de populations fait de :
- 13 dyades contrôles : « groupe contrôle »
- 14 dyades pour lesquelles la mère présente un trouble de personnalité
borderline avec ou sans épisode(s) dépressif(s) : « groupe TPB »
Il fallait que les enfants aient atteint un certain âge pour la passation des outils que nous
avons utilisés et que nous développons ci-après. Notre objectif est de continuer à recruter
d’autres dyades cliniques afin d’obtenir des résultats sur un échantillon plus large. Par
ailleurs, nous souhaitons également revoir ces dyades au moment de l’adolescence de l’enfant
pour obtenir d’autres données longitudinales. Cela fera l’objet d’un autre travail de recherche
plus long, non réalisable dans le cadre limité que représente celui d’une thèse de doctorat sur
4 ans.
Toutes les dyades du PHRC pouvaient bénéficier d’une prise en charge à l’Aubier.
En ce qui concerne notre population clinique, certaines ont été suivies à l’Aubier. Les
approches thérapeutiques ont été variées tant dans leur durée que dans leur forme. La majorité
d’entre elles a donc bénéficié d’un suivi adapté. Le fait que les dyades de notre population
clinique n’aient pas toutes été suivies et/ou de différente manière et sur une durée plus ou
moins longue constitue un élément supplémentaire de difficulté dans l’analyse de nos résultats
finaux. Nous n’avions pas pour objectif d’évaluer les prises en charge de ces dyades,
toutefois, il nous est apparu au cours de notre travail de recherche, que le fait de revoir ces
enfants quelques années plus tard et d’évaluer la qualité de leur fonctionnement psychique
pouvait constituer une sorte d’évaluation des prises en charge. En effet, les prises en charge
précoces parents ou mère-bébé centrées sur ce dernier ont pour but d’apporter à l’enfant une
certaine autonomie psychique alors même que son fonctionnement psychique est en
196
construction et soumis aux aléas de la pathologie maternelle. Par conséquent, on peut
considérer, en partie, que la qualité de son fonctionnement psychique et de son attachement
seront en partie liés à cette thérapie. Cette évaluation des prises en charge d’inspiration
psychanalytique n’est pas le but de notre travail de recherche mais nous sommes conscients
que ces dernières ont influencé nos résultats. Zigante (2012), dans son travail de recherche, a
justement évalué les prises en charge psychanalytiques en pédopsychiatrie à Necker par le
biais des mêmes outils que nous avons utilisés, à savoir le test des histoires à compléter. Ses
résultats nous seront utiles dans notre discussion.
E.
Outils de recueil des données
Depuis plus de 10 ans, des dyades mères-bébés participent au protocole de recherche
élaboré dans un premier temps dans le cadre du PHRC. Ce protocole s’étale sur un peu plus
d’une année. Au-delà de la première évaluation effectuée lors des trois mois du bébé, il est
prévu trois autres temps d’évaluation, à 6 mois, 9 mois et 13 mois environ. Les dyades sont
donc vues au moins quatre fois pendant la durée de la recherche. Pour chacune d’entre elles,
nous avons entre autres, des films des interactions au jeu libre et au Still-Face, aux âges de 3,
6 et 9 mois du bébé et les résultats obtenus à chaque âge au test de développement du BrunetLézine. Enfin, nous disposons des résultats du SIDP IV pour les mères ainsi qu’aux échelles
de dépression et d’anxiété pour chaque âge qui correspond à un RDV de recherche. Nous
avons également la passation filmée de la Situation Etrange nous permettant de coter le type
d’attachement du bébé à l’âge de 13 mois. Ces mères ont été averties de la possibilité d’être
recontactées ultérieurement pour de plus amples recherches. Toutefois, nous sommes
conscients que le fait de rappeler ces mères pour participer à la suite d’un protocole de
recherche, plusieurs années après, peut constituer une source d’inquiétude, notamment en ce
qui concerne leur enfant. La demande des mères, à notre égard, était d’ailleurs parfois :
comment va mon enfant ?
Notre protocole de thèse a pour objectif d’obtenir des résultats concernant la qualité des
interactions mère-bébé au sein des dyades étudiées, la qualité de l’attachement de l’enfant et
de son fonctionnement psychique. Un autre objectif est la passation des tests des histoires à
compléter chez les enfants de ces dyades ayant au moins 4 ans, âge à partir duquel on peut
faire passer un narratif. Tous les enfants de la recherche qui passeront les tests narratifs
passeront également un test d’intelligence verbale afin de pouvoir écarter d’éventuels retards
intellectuels ou problèmes au niveau verbal qui pourraient nous mettre en difficulté pour
197
l’interprétation des résultats obtenus aux narratifs. Un ou deux rendez-vous avec l’enfant
seront donc proposés compte tenu de la longueur de la passation des deux tests cités ci-dessus.
Il s’agira ensuite de réfléchir aux différences au sein des narratifs en fonction de la classe
d’âge de l’enfant et de reporter les résultats obtenus aux normes retrouvées dans notre revue
de la littérature concernant les narratifs d’enfants.
Enfin, nous analyserons la passation des narratifs chez l’enfant par le biais d’une lecture
psychodynamique. En tant que test « projectif », l’analyse de la qualité du jeu et du discours
de l’enfant nous donnera un aperçu de son fonctionnement psychique. Celle-ci nous permettra
donc de soulever des hypothèses quand au fonctionnement psychique de l’enfant en utilisant
les grilles du diagnostic structurel de l’enfant réalisées par Palacio-Espasa et Dufour (1994)
autour de l’analyse de nombreux entretiens avec des enfants du même âge que ceux de notre
population. Nous aurons donc recours à chaque fois à :
- l’étude détaillée de la grille clinico-dynamique de chaque enfant que nous tenterons de
rapprocher d’une grille type d’organisation de la personnalité de l’enfant
- l’étude des éléments cliniques recueillis à l’aide des dossiers médicaux ou de cas
cliniques ayant été réalisés au sujet de ces dyades
- l’étude des données anamnestiques retrouvées au cours de l’entretien avec la mère, pour
chaque enfant (symptomatologie précoce et actuelle, situation scolaire, familiale et éléments
anamnestiques significatifs).
1. Outils utilisés provenant des entretiens du
protocole du PHRC
a)
Du côté des mères : les données cliniques des
mères
(1)
Le diagnostic de trouble de personnalité : le SIDP IV
- Le SIDP IV : (Structured Interview for Diagnosis of Personality disorder for DSM IV),
est un entretien semi-structuré développé par Pfohl et al. (1995) et basé sur les critères du
DSM IV (axe 2). Nous avons utilisé la version française de Pham & Guelfi, (1995). Il permet
d’évaluer de façon catégorielle les 10 troubles de personnalité différents dont les critères
correspondent à ceux développés dans le manuel du DSM IV. Il a été administré aux mères
lors du premier entretien aux 3 mois de l’enfant ou bien, en plusieurs fois, lors des entretiens
198
cités au-dessus. Il s’agit d’un instrument valide abondamment utilisé dans la littérature sur les
troubles de personnalité et en particulier ceux du cluster B (Narcissique, Borderline et
Histrionique) (Skodol et al., 1999). Toutefois, il semble qu’il repère un nombre plus important
de troubles borderline dans une consultation tout-venant par rapport à une consultation
clinique basée sur un entretien non-structuré (Zimmerman & Mattia, 1999). La fidélité est
relativement bonne dans le temps (entre deux passations à court et moyen intervalle) pour les
troubles du cluster B, donc borderline (Bouvard, 1999), comme le relève Apter (2004).
Le SIDP-IV est constitué de 86 questions réparties en 10 sections :
A. Intérêt et activités
B. Façon de travailler
C. Relations avec les proches
D. Relations sociales
E. Emotions
F. Critères d’observation
G. Perception de soi
H. Perception des autres
I. Stress et colère
J. Conformité sociale
Le sujet doit répondre aux questions en ne considérant que les 5 dernières années de sa
vie, c’est-à-dire qu’il doit juger de ces comportements et ressentis seulement au regard de
cette période de sa vie. Le diagnostic ne peut se faire qu’au regard de l’ensemble des réponses
données par le sujet à la totalité de l’entretien semi-structuré. Les réponses à plusieurs
questions sont parfois nécessaires pour remplir un critère d’un des troubles de personnalité.
La cotation est assez simple ; toutes les réponses peuvent obtenir un score compris entre 0 et 3
points de la façon suivante : comportement absent (0), relativement présent (1), présent (2),
fortement présent ou très représentatif (3). La grille finale donne un aperçu de tous les items
remplis pour chacun des troubles de personnalité de l’axe II du DSM-IV. Ainsi, si l’aspect
catégoriel est premier, il est possible pour chaque trouble de personnalité de retrouver à quel
critère renvoie chacune des questions. Cela permet d’appréhender, à l’intérieur d’une
catégorie, les aspects dimensionnels de chaque trouble. Aussi le trouble de personnalité
199
borderline peut-il être associé à plusieurs autres troubles de personnalité si tous les critères
sont remplis.
Les critères cliniques retenus pour poser le diagnostic maternel de trouble de personnalité
borderline (TPB) ont donc été ceux de l’Axe 2 du DSM-4 (au moins 5/9 des critères du
tableau). Cette définition est largement recouverte par celle des caractéristiques structurales
des personnalités borderline de Kernberg. Par ailleurs, les mères pouvaient également réunir
les critères pour d’autres troubles de la personnalité associés au (TPB).
Selon la classification du DSM 4, la définition des troubles de personnalité borderline
comporte au moins cinq des neufs éléments suivants :
1. les efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés ;
2. les modes de relations interpersonnelles instables et intenses caractérisés par l’alternance
entre des positions extrêmes d’idéalisation excessive et de dévalorisation ;
3. la perturbation de l’identité : instabilité marquée et persistante de l’image de soi ;
4. l’impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet :
dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile dangereuse, crises de boulimie (ne pas
inclure les comportements suicidaires et auto-mutilatoires) ;
5. la répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires, ou d’auto-mutilation ;
6. l’instabilité affective due à une réactivité marquée de l’humeur, dysphorie
épisodique intense, irritabilité ou anxiété de quelques heures à quelques jours maximum ;
7. les sentiments chroniques de vide ;
8. les colères intenses et inappropriées ou difficultés à contrôler sa colère ;
9. la survenue transitoire dans des situations de stress d’une idéation persécutoire ou de
symptômes dissociatifs sévères.
200
Tableau 1. Répartition des traits borderline chez les mères des dyades cliniques de
notre population
DYADES BL1 BL2 BL3 BL4 BL5 BL6 BL7 BL8 BL9 Total
D1
1
D2
D3
1
1
1
D4
1
1
1
1
1
1
1
1
1
5
1
1
5
1
1
1
8
1
1
1
1
6
1
1
1
1
8
1
1
D6
1
1
1
1
1
5
D7
1
1
1
1
1
5
D8
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
5
1
1
1
1
1
1
7
1
1
1
1
1
1
8
1
1
1
1
5
1
1
6
1
1
D11
D12
1
1
1
D13
D14
1
1
1
1
1
D10
(2)
1
1
D5
D9
1
1
1
1
6
5
L’évaluation de la dépression par les échelles
A chaque RDV de recherche, les différentes échelles de dépression ont été administrées
aux mères. Nous avons donc les résultats pour ces différentes échelles aux 3 mois et aux 13
mois de l’enfant puis, lorsque nous les avons revus pour notre recherche entre 4 ans et 8 ans.
L’utilisation d’un auto-questionnaire comme instrument de dépistage de la dépression permet
un repérage des femmes déprimées, de façon plus ou moins sensible et spécifique selon
l’instrument et le seuil choisis; les femmes ayant obtenu un score égal ou supérieur à ce seuil
seront alors considérées comme ayant une très grande probabilité d’être dans un état de
dépression du post-partum (Glangeaud-Freudenthal, 1999).
- L’EPDS ou Edinburgh Postnatal Depression Scale
L’échelle de dépression post-natale d’Edimbourg est un outil psychométrique
internationalement reconnu dans l’aide au dépistage de la dépression post-natale (Cox et al.,
1987). Il s’agit d’un auto-questionnaire en 10 items cotés chacun sur une échelle de 0 à 3, le
score total s’étendant donc de 0 à 30. Sa validité n’est plus en question et a même été
démontrée en prénatal (Murray et Cox, 1990). L’EPDS a été traduite par Guédeney et
201
Fermanian (1998). Cet outil a été initialement utilisé pour dépister à 6 semaines des éléments
dépressifs spécifiques de la période post-natale. L’EPDS est un outil fiable et facile
d’utilisation qui peut-être présenté à plusieurs reprises au cours du temps. Sa spécificité et sa
sensibilité sont excellentes. Un score >11 est considéré comme pouvant prédire un épisode
dépressif entre 8 et 12 semaines après la naissance. Il a récemment été argumenté qu’un score
supérieur à 10 en période périnatale immédiate (durant le séjour à la maternité) était
également fortement corrélé à un épisode dépressif aux 2 mois de l’enfant. De plus, l’EPDS
dépisterait également les femmes qui dénieraient leur dépression avec un score de 0, par
exemple. Un score < 3 serait lui aussi associé à des manifestations dépressives et des
distorsions interactives à 4 mois (Beebe et al., 2004 ; Tronick et al., sous presse). Cet outil est
de plus en plus utilisé en postnatal immédiat ou en prénatal et ses multiples utilisations ont
confirmé ses qualités dans la période périnatale (Tesseidre et Chabrol, 2004). Enfin, une revue
qualitative de la littérature sur les études portant sur la validation de l’échelle conclue que
« l’EPDS, de par sa simplicité d’utilisation, ses propriétés psychométriques et sa large
diffusion internationale, demeure un outil de choix dans l’aide au dépistage de la dépression
postnatale. Au delà du score, ce sont les éléments cliniques et/ou l’utilisation d’un outil
diagnostique validé qui permettent d’utiliser cette mesure de manière satisfaisante. (Jardri,
2004) »
- La MADRS ou Montgomery and Asberg Depression Rating Scale
La MADRS a été conçue pour évaluer les modifications des troubles de l’humeur sous
l’effet des thérapeutiques (Montgomery & Asberg, 1979). Elle a été validée en Français et
reste très utilisée en Europe (Peyre et al., 1989). Elle semble d’une meilleure sensibilité à la
gravité et au changement que l’autre outil de la dépression abondamment utilisée en
recherche, la Hamilton Rating Scale (Kearns, 1982)
Contrairement à l’EPDS, cette échelle doit être administrée à la patiente. Elle possède 10
items cotés de 0 à 6. La note seuil de la dépression retenue dans la littérature est de 15. La
MADRS potentialise moins les aspects somatiques que les autres échelles également utilisées
dans la littérature telle l’échelle de Hamilton. Compte-tenu des nombreuses plaintes
somatiques souvent évoquées en fin de grossesse qui expriment à la fois un mal-être de
l’anxiété et/ou de la dépression, une échelle centrée sur l’humeur a paru plus appropriée pour
la période périnatale. Toutefois, une récente étude a observé que les scores à l’EPDS en
prénatal étaient directement corrélés positivement au nombre de plaintes somatiques durant la
202
grossesse (Apter et al., sous presse). Plus les plaintes somatiques étaient nombreuses, plus le
score à l’EPDS augmentait et par conséquent le risque d’une dépression.
b)
(1)
Du côté des bébés puis des enfants
L’échelle de développement psychomoteur de Brunet-Lezine
A chaque RDV de recherche, le développement psychomoteur du bébé a été évalué afin
d’écarter d’éventuels troubles du développement à l’aide du test du Brunet-Lézine à 3, 6, 9 et
13 mois.
Il s’agit de l’échelle d’évaluation psychomotrice du très jeune enfant de moins de 30 mois
la plus utilisée en France ; elle a été révisée récemment et donc validée à nouveau et réétalonnée (Brunet & Lezine, 1951, 2001). L’évaluation s’effectue selon quatre axes : la
posture, la coordination oculomotrice, la socialisation et la motricité. Elle permet d’obtenir un
quotient de développement. Des différences au niveau de ce quotient de développement, au
cours des deux premières années de la vie, ne sont pas obligatoirement corrélées au quotient
intellectuel ultérieurement. Aussi cette échelle donne-t-elle un aperçu du déroulement du
développement précoce de l’enfant. Elle peut, par exemple montrer comment un enfant, dans
son développement va favoriser tel ou tel aspect, selon les axes. Enfin, elle possède des
éléments de correspondance avec l’échelle de développement de Bayley (1969) dont la
traduction n’est pas validée en français.
Recueil prospectif des vidéos
Chaque entretien de recherche a été effectué à un moment où les mères étaient
disponibles et imaginaient que leur bébé le serait aussi, dans le but de réaliser les films sur les
interactions ainsi que le bilan de développement. La passation du Still Face, plus délicate pour
la dyade, était précédée d’un temps de jeu libre au tapis afin de familiariser la mère et le bébé
avec leur environnement et de les mettre à l’aise. Les psychologues cliniciennes de l’équipe
de recherche faisaient en sorte de faciliter la détente du bébé et de sa mère. En général, les
mères comprennent bien la consigne concernant la passation du Still-Face. Cependant,
certaines n’arrivent pas à maintenir un visage impassible durant tout le temps du SF à
proprement parlé.
Les vidéos des interactions filmées au cours d’une séquence de jeu libre de 10 min à 3, 6
et 9 mois n’ont pas été traitées pour les résultats dans le cadre de notre recherche.
203
c)
L’évaluation des interactions par la situation
expérimentale du « Still-Face » ou « visage impassible »
Dans le cadre de notre recherche, nous n’avons coté et analysé que les vidéos des
interactions mère-bébé au cours du Still-Face lorsque ce dernier avait 3 mois. Celles obtenues
à 6 et 9 mois feront l’objet d’un travail de recherche ultérieur.
Le paradigme du Still-Face a pour but d’explorer les interactions en situation
expérimentale. Cette approche a été développée par Tronick et Cohn dans une tentative de
modélisation de la structure des interactions mère-bébé. Elle a abouti à la mise en place du
modèle de la régulation mutuelle (Cohn & Tronick, 1987, 1988 ; Weinberg & Tronick, 1996 ;
Weinberg et al., 1996). Depuis, ce paradigme a été utilisé dans de nombreuses études, dans
plusieurs pays de cultures différentes (Mesman et al., 2009) avec, entre autres, des mères
présentant une psychopathologie dépressive ainsi qu’avec des bébés prématurés (PeleazNogueras et al., 1996 ; Bingen & Hopkins, 1999).
Lors de l’expérience du Still-Face, le bébé est placé en face à face vis à vis de sa mère
dans un siège adéquat (type transat) de façon à ce que sa mère se trouve dans son champ de
vision. Il est proposé à la mère et au bébé de jouer ensemble pendant deux minutes, sans
l’utilisation volontaire d’objets ludiques. Au bout de deux minutes, la mère se fige sur ordre et
reste face à son bébé, sans réagir et sans lui parler, en faisant un visage impassible. Elle est là
sans être là, immobile. Elle doit garder le visage impassible pendant deux minutes sauf si les
manifestations de l’enfant sont insupportables. Elle reprend ensuite, toujours sur ordre,
l’interaction pendant deux minutes. Cette expérience représente une épreuve pour le bébé. Ses
réactions face à ce stress sont visibles par ses comportements, ses expressions émotionnelles
et tonico-motrices traduisant son état psychique et les modes de régulation et de défenses qu’il
déploie au cours de l’épreuve ainsi que lors de l’arrêt de celle-ci.
Lors de la première phase du Still-Face, le temps de jeu (T1), la mère et le bébé
établissent un mode d’échange en face à face dont les caractéristiques vont servir de base et
de comparaison pour les deux autres épisodes, à savoir le temps du Still-Face (SF) à
proprement parler pour le bébé, et le temps des retrouvailles. Il est généralement décrit un
temps d’échange où s’installe une mutualité relative, succession de phases interactives
d’échanges et de micro-ruptures embrayant sur de nouveaux échanges interactifs.
L’interruption brutale et imprévue pour le bébé, l’arrêt et l’échange avec la mère sont très
rapidement perçus. Le bébé s’étonne, s’interrompt et manifeste de façon plus ou moins visible
204
son étonnement et progressivement son mécontentement. Il tente de rappeler ou d’effectuer
des manœuvres diverses pour inciter sa mère à reprendre le contact avec lui (Weinberg &
Tronick, 1996). L’absence de réaction de la part de sa mère et l’inutilité de ses tentatives pour
la « récupérer » aboutissent, peu à peu, à des manifestations de dysrégulation relative
accompagnées de réactions d’auto-réconfort et d’auto-apaisement, face à l’impassibilité
maternelle. Le temps des retrouvailles (T2) se fait alors que le bébé a retrouvé un équilibre
auto-régulatoire. Ce temps représente, de ce fait, une deuxième épreuve pour lui. La mère,
lorsqu’elle le peut, propose des tentatives d’approche les plus adaptées possibles. Elle va
essayer de reprendre le dialogue interactif avec plus d’ajustement et plus de synchronie que
dans la première phase plus « libre » du jeu dans un mouvement de « compensation » par
rapport à la rupture. D’abord envisagée comme un temps de « dépression maternelle » où le
Still-Face représenterait un « moment de mère déprimée, figée » (Apter, 2004), pour le bébé,
l’expérience du visage impassible est aujourd’hui perçue comme un stress, une atteinte aux
règles attendues vis-à-vis des interactions précoces. Il s’agit d’une situation expérimentale de
stress provoqué. L’événement est inattendu et transgresse les attentes du nourrisson.
Néanmoins, son caractère se rapproche de situations de la vie quotidiennes survenant au
domicile (une mère, en train de jouer avec son bébé, peut être interrompue à tout moment par
un événement extérieur qui l’oblige à modifier radicalement son attitude à l’égard de l’enfant,
de même elle peut parfois être absorbée par ses pensées). Le caractère perturbateur de la mère,
présente physiquement sans être là psychiquement, peut aussi se rapprocher de la mère
préoccupée par ses soucis internes tout en demeurant à proximité de son bébé.
La coordination (contingence), et la synchronie de l’interaction sont volontairement
perturbées par un phénomène dont on cherche à observer les conséquences sur la dyade.
L’analyse des trois temps se fait dans l’hypothèse que cette situation paradigmatique
expérimentale éclaire le fonctionnement général des interactions de la dyade.
Le dispositif initial de l’équipe de Tronick comporte deux caméras avec un écran de
réunion des deux images par un mixage. Compte-tenu des moyens modestes de notre
laboratoire, nous avons opté pour un système avec une caméra placée face au bébé tandis
qu’un miroir situé derrière celui-ci reflète le visage de la mère. Ce dispositif a également été
utilisé dans de nombreuses recherches sur les interactions à domicile (Devouche & Gratier,
2001 ; Murray & Trevarthen, 1985).
(1)
Méthode d’analyse des interactions
205
- Le codage micro-analytique : le Maternal Regulation Scoring System (MRSS) et
l’Infant Regulation Scoring System (IRSS)
Les systèmes de codages micro-analytiques du Still-Face MRSS et IRSS développés par
Weinberg et Tronick (1994) ont permis de démontrer à quel point les comportements du bébé
étaient cohérents. Son expression émotionnelle, son tonus, la direction de son regard et ses
gestes traduisent un état global de satisfaction ou d’absence de celle-ci allant du plus positif
au plus négatif en passant par un état neutre par le bais d’un engagement social ou encore
d’un retrait interactif.
La cotation est toujours effectuée en binôme, par deux personnes formées au système
utilisé par le Dr G. Apter qui a été elle-même formée par Tronick. De plus, dans ce binôme,
une des personnes ne connaissait pas le diagnostic maternel posé grâce au SIDP IV.
Le codage s’effectue seconde par seconde grâce au logiciel The Observer (Noldus).
Chaque classe de comportement est cotable pour chaque seconde. A l’intérieur des classes
comportementales, il existe des comportements mutuellement exclusifs (par exemple, les
deux partenaires ne peuvent regarder l’autre partenaire et un objet au cours de la même
seconde). Le visionnage se déroule toujours en temps réel mais l’arrêt ou le passage au ralenti
permettent, d’une part, de repérer la seconde exacte à laquelle commence et se termine le
comportement ainsi que la variante de la classe comportementale codée (par exemple la
qualité du toucher ou le contenu de la vocalisation…).
Les comportements du bébé se divisent en plusieurs classes : le regard, les vocalisations,
les gestes, les comportements d’auto-réconfort, les manifestations du Système Nerveux
autonome (SNA), la distanciation (c’est-à-dire les mouvements de recul du corps entier du
bébé).
Les comportements maternels se répartissent également en plusieurs catégories : la
distance par rapport au bébé, les vocalisations et la nature de leur contenu, la qualité du
toucher, les soins prodigués à l’enfant, l’engagement social ou avec un objet, les sollicitations
et les conduites d’évitement.
Le regroupement des comportements en vue des analyses statistiques
Weinberg et Tronick (1994) ont émis l’hypothèse selon laquelle les modalités du
comportement du bébé âgé de 6 mois (regard, vocalisation, geste, autorégulation, retrait)
associées à son expression faciale pouvaient être regroupées en des unités affectives et
comportementales fondamentales cohérentes, et susceptibles d’être reliées à des contextes
206
interactifs particuliers. Ils ont analysé 50 dyades mère-bébé, dont les bébés étaient âgés de 6
mois, et les ont filmées et cotées au cours d’un Still-Face. Les résultats révèlent 4
configurations affectives et comportementales différentes : l’engagement social, l’engagement
objectal, le retrait passif et la protestation active.
Pour tenter de mettre en évidence d’éventuelles différences au sein des patterns interactifs
entre les deux groupes, nous avons regroupé certains comportements en nous basant sur une
méthodologie déjà utilisée dans la littérature établie à partir des grilles de Weinberg et
Tronick (1994) (Apter et al., sous presse, a).
•
Les groupes comportementaux et émotionnels concernant le bébé
Le regard du bébé. Ce groupe est composé de 2 sous-groupes :
- L’attention portée à la mère, comprenant l’item : « regarde le visage de la mère »
- L’attention vers un objet, regroupant les 2 items : « regarde un nouvel objet » et
« regarde le même objet ».
Les vocalisations du bébé. Ce groupe est composé de 2 sous- groupes :
- Les vocalisations positives, comprenant l’item : « vocalisation neutre/positive ».
- Les vocalisations négatives, regroupant les 2 items : « vocalisation négative/râle » et
« pleurs ».
L’autorégulation du bébé :
- Les comportements d’autorégulation regroupent 4 items : « s’auto-étreint du coté
droit », « s’auto-étreint du coté gauche », « auto-oralité droite », « auto-oralité gauche ».
Les comportements de régulation par le Système Nerveux Autonome (SNA) chez le
bébé :
- Ils regroupent tous les items correspondant à des manifestations du SNA :
« régurgitation », « hoquet », « bâillement », « toux », « régurgitation + hoquet », « autre
manifestation du système nerveux autonome ».
Ils peuvent être le témoin d’une dysrégulation chez le bébé.
Les mouvements de recul du corps entier du bébé :
- Ils regroupent tous les items correspondant à ces mouvements : « s’arque-boute », « se
détourne + s’arque-boute », « se penche en avant ».
207
•
Les groupes comportementaux concernant la mère
Le toucher maternel. Ce groupe est composé de 2 sous-groupes :
- Le toucher « non intrusif », regroupant 14 items : « touche avec main gauche »,
« touche avec main droite », « tient/contient avec main gauche », « tient/contient avec main
droite », « repositionne avec main gauche », « repositionne avec main droite », « chatouille
avec main droite », « chatouille avec main gauche », « mouvement rythmique avec main
droite », « mouvement rythmique avec main gauche », « touche + mouvement rythmique avec
main droite », « touche + mouvement rythmique avec main gauche », « tient/contient +
mouvement rythmique avec main droite », « tient/contient + mouvement rythmique avec main
gauche »
- Le toucher « intrusif », regroupant 6 items : « pousse avec le doigt gauche », « pousse
avec le doigt droit », « tire avec la main droite », « tire avec la main gauche », « balance le
bébé avec la main droite », « balance le bébé avec la main gauche »
L’engagement social de la mère vis-à-vis du bébé
Les comportements d’engagement social regroupent : « engagement visuel » et
« engagement visuel furtif »
Les émotions de la mère et du bébé
Les émotions sont composées de deux sous-groupes :
- Les émotions positives regroupent les émotions qui ont été observées chez le bébé et
chez la mère : « joie » et « surprise »
- Les émotions négatives regroupent : « tristesse », « colère », « dégout », « détresse » et
« excitation »
Les sourires de la mère et du bébé
Les sourires ont également été codés en proportion pour la mère et le bébé au cours des
trois temps de la procédure.
•
Traitements et analyses statistiques des données recueillies
Les proportions de chacun de ces comportements ou groupe de comportements ou
émotions ont été calculées pour chaque temps de la procédure. Un pourcentage est donné pour
chaque catégorie et pour chaque temps (SF, T1, T2). De plus, les proportions aux SF et au T2
sont comparées (%SF-%T1) et (%T2-%T1), donnant des indices qui éclairent la façon dont
208
chaque comportement évolue au cours du temps, en fonction des épisodes. Ces indices varient
donc autour de 0, une valeur négative traduisant une diminution de la proportion du
comportement. Au contraire, une valeur positive indique l’augmentation de la proportion.
Nous avons effectué un traitement statistique des données recueillies à chaque moment de
notre recherche par la méthode ANOVA (test t, test F).
d)
L’évaluation des comportements d’attachement au
cours de la passation de la Situation Etrange
Nous avons évalué la qualité des patterns d’attachement chez l’enfant lorsque celui-ci
avait 13 mois lors de la passation de la Situation Etrange (Ainsworth et al., 1978). Ce
dispositif d’observation a été décrit au début de notre chapitre IV, il a pour but d’ « activer »
les comportements d’attachement de l’enfant. Rappelons qu’il s’agit d’évaluer la capacité de
l’enfant à chercher du réconfort auprès de sa mère lors des moments de retrouvailles.
Cette évaluation nous a permis d’observer la façon dont l’enfant organise son
comportement envers la figure parentale, ici, la mère. Nous avons respecté scrupuleusement le
protocole de son déroulement détaillé dans le chapitre IV. Par ailleurs, nous avons été formés
à la cotation de la qualité des patterns d’attachement par Ayala Borghini, docteur en
psychologie à l’Université de Lausanne, qui a reçu la formation officielle pour cette cotation.
Elle a également coté nos protocoles d’évaluation de sorte que nous avons pu obtenir une
triple cotation avec celles de deux membres de notre unité de recherche, dans le but d’obtenir
une bonne fiabilité.
Cette situation peut être stressante pour l’enfant qui peut réagir fortement aux moments
des séparations. Une psychologue chercheur s’occupait des caméras d’enregistrement, tandis
que nous étions plus disponibles pour la mère, lorsqu’elle quittait la pièce. Toutefois, la
question déontologique de savoir que faire en cas de détresse de l’enfant se pose dans ce
genre d’évaluation. En ce qui nous concerne, dans notre unité de recherche, nous demandions
à la mère, lorsqu’elle devait quitter la pièce, de venir dans le local où se faisait
l’enregistrement de la vidéo. Elle pouvait donc observer les réactions de son enfant avec nous.
Lorsque l’enfant était en détresse, nous nous concertions avec la mère pour décider ou non
d’abréger l’épisode en cours.
Ainsi, nous avons classé les enfants selon la qualité de leurs comportements
d’attachement en fonction des critères de chacune des 4 catégories décrites dans littérature
209
(Cf. chapitre IV) : Sécure (B), Insécure-évitant (A), Insécure-ambivalent/résistant (C) et enfin
désorganisé (D). Pour cette dernière catégorie nous avons attribué à l’enfant une seconde
catégorie (sécure ou insécure), comme le font la majeure partie des études.
Par ailleurs, les trois catégories (B, A et C) présentent des sous-catégories.
Au sein de la catégorie sécure (B) : les enfants B1 ne cherchent pas activement le contact
et la proximité de la mère. Ils se contentent de peu, interagissant à distance avec cette dernière
et ils activent plus facilement leurs comportements d’exploration. Ce sont des enfants qui
peuvent paraître proches des A car ils peuvent montrer des comportements d’évitement tout
en cherchant à interagir. Ils ne pleurent pas forcément lors des séparations. Les enfants B2
sont difficiles à coder car ils peuvent être très proches des A lors des premières retrouvailles.
Toutefois, leurs comportements d’attachement s’activent lors des dernières retrouvailles. Ils
acceptent le contact mais ne résistent pas lorsqu’ils sont reposés. De même, ils montrent peu
de détresse lors des séparations. Les enfants B3 sont ceux pour lesquels la balance entre les
comportements d’attachement et d’exploration est la plus équilibrée. Lors des séparations, ils
activent leurs comportements d’attachement mais reprennent très rapidement l’exploration
lorsque la mère est de retour. L’interaction entre ces enfants et leur mère est de qualité et est
caractérisée par un réel partage affectif. Les enfants B4, eux, aiment être cajolés et activent
beaucoup plus leurs comportements d’attachement que d’exploration. Ils peuvent être
particulièrement stressés par les séparations et mettre du temps à se calmer en s’agrippant et
en résistant au fait d’être reposés.
Au sein de la catégorie insécure-évitant (A) : les enfants A1 ne pleurent pas ou presque
lors des séparations. Ils semblent être mieux avec l’étrangère qu’avec la mère. Lors des
retrouvailles, ils montrent beaucoup de comportements d’évitement. S’ils sont pris dans les
bras, ils ne cherchent pas à maintenir le contact. Les enfants A2 ressemblent aux A1 mais ils
montrent moins d’évitement, par exemple, ils peuvent saluer la mère à son retour. Ils sont plus
affectés par les séparations, ils peuvent s’agripper un peu s’ils sont pris dans les bras et
montrer des comportements plus mixtes.
Au sein de la catégorie insécure-ambivalent-résistant (C) : les enfants C1 cherchent
activement et intensément la proximité et désirent maintenir le contact lors des retrouvailles,
toutefois, leurs comportements de résistance sont très présents. On perçoit ainsi leur colère et
leur ambivalence. Ils donnent l’impression de ne pas savoir ce qu’ils souhaitent et n’arrivent
pas à se calmer en présence de la mère. Les enfants C2 se caractérisent par leur grande
210
passivité. Ils activent seulement leurs comportements d’attachement, si bien que leur
exploration est très limitée. Ces enfants n’arrivent pas à se calmer en présence de la mère, ils
se montrent très résistants. Ils signalent leur détresse passivement plutôt que d’avoir une
approche active ou de protester conte le fait d’être reposés.
Le système de codage mis au point par (Ainsworth et al., 1978) permet de classer les
comportements d’attachement de l’enfant dans les catégories décrites ci-dessus. Il se présente
sous la forme de 4 échelles auxquelles l’examinateur doit attribuer un score pour chacun des
deux épisodes des retrouvailles avec la mère. Une liste décrivant le score à attribuer à chaque
échelle, en fonction des comportements de l’enfant, permet cette cotation. Ces quatre échelles
décrivent les comportements d’attachement de l’enfant lorsqu’il retrouve sa figure
d’attachement :
- PS (Proximity seeking) : elle correspond, chez l’enfant, aux comportements de
recherche de la proximité de la mère
- CM (Contact maintainning) : comportements visant à maintenir le contact avec la mère
- CR (Contact resistant) : comportements de résistance au contact
- PA (passive avoidant) : comportements d’évitement
Les scores de ces échelles peuvent aller de 1 à 7 points (1 point traduisant l’absence du
comportement, tandis que plus le score augmente, plus les comportements sont présents lors
des retrouvailles). Pour chaque échelle, on obtient un score pour les deux épisodes de
retrouvailles (notés par exemple PA1 et PA2).
Les comportements désorganisés de l’enfant ont été codés grâce à la procédure
développée par Main et Solomon (1990). Nous avons rassemblé ces comportements dans un
tableau réunissant les données observées au cours de la Situation Etrange.
Enfin, nous avons aussi observé et évalué les comportements et les modes de
communication affective et émotionnelle maternels perturbés, tels qu’ils ont été décrits dans
les travaux de K. Lyons-Ruth et de son équipe au travers de la grille de cotation
AMBIANCE14 (Lyons-Ruth et al., 1999). Cette méthode se centre sur les ruptures au sein de
la communication affective et émotionnelle, et sur les effets perturbateurs d’affects maternels
non intégrés de peur, d’hostilité ou d’anxiété. Des études ont montré que de tels affects étaient
14
(Atypical Maternal Behavior Instrument for Assessment and Classification. Lyons-Ruth, Bronfman et Parsons,
1999).
211
fortement liés, d’une part aux états d’esprits non résolus en lien avec un trauma ou une perte à
l’AAI chez la mère et d’autre part, à l’attachement désorganisé chez l’enfant. En effet, selon
Lyons-Ruth et al. (2005), la perturbation de la communication maternelle permet d’expliquer
la relation entre des représentations d’états d’esprit « hostiles/impuissants » qui reflètent le
type d’attachement maternel et l’attachement désorganisé chez l’enfant. Par ailleurs,
Grienenberger et al. (2005) ont montré que sur une population de 45 mères et de leurs bébés
âgés de 10 à 14 mois, un score élevé obtenu à l’échelle AMBIANCE était inversement corrélé
aux scores concernant la fonction réflexive maternelle. Les études montrent que ces processus
perturbés de la communication affective entre 12 et 18 mois sont associés significativement
aux comportements d’attachement désorganisé de l’enfant, dans les familles à bas comme à
haut risque (Lyons-Ruth, 2005 d’après Goldberg et al., 2003 ; Grienenberger & Kelly, 2001 ;
Madigan, 2002)
Cette échelle permet ainsi de coder les comportements que les auteurs ont fréquemment
observés chez les mères dont les enfants présentent un attachement désorganisé. Elle a été
élaborée à partir d’autres échelles de comportements maternels atypiques décrits par d’autres
auteurs dont ils se sont inspirés (Main & Hesse, 1992 ; Sroufe et al., 1985 in Lyons-Ruth et
al. , 1999). Ces comportements se déclinent selon les catégories suivantes (Lyons-Ruth et al.,
1999) :
- Les erreurs dans la communication affective. Elles incluent aussi bien des signaux
affectifs conflictuels simultanés à l’adresse de l’enfant que le fait de ne pas répondre aux
signaux affectifs manifestes de ce denier (Lyons-ruth, 2005) : « adresse des signaux
contradictoires à l’enfant, « rit face à son enfant qui pleure ou qui est en détresse », « présente
des affects inauthentiques (trop enjoués) face à son enfant », « est dans l’incapacité de poser
des limites appropriées à l’enfant », « invite l’enfant à s’approcher d’elle puis crée une
distance », « adopte une attitude menaçante tout en parlant d’un ton d’un ton amical »,
« dirige l’enfant pour qu’il fasse quelque chose puis fait l’inverse », « ne réconforte pas, ou
n’aide pas l’enfant lorsqu’il est tombé »
- La confusion des rôles : qui consiste, pour la mère, à attirer l’attention de l’enfant sur
soi en fonction de son propre référentiel, sans tenir compte des signaux ou demandes de celuici, « chercher du réconfort auprès de son enfant » ou « s’adresse à l’enfant de façon inadaptée,
de façon sexualisée »
212
- Les comportements effrayés, désorientés ou désorganisés : « affiche une expression
de frayeur », « fait preuve d’un changement d’humeur soudain, sans lien direct avec
l’environnement », « porte l’enfant comme s’il était inanimé », « utilise une voix effrayante ».
- Les comportements verbaux et physiques, négatifs ou intrusifs : « fait taire l’enfant,
lorsqu’il pleure », « se moque de l’enfant », « tire l’enfant par le poignet », « enlève un jouet à
l’enfant alors même qu’il joue avec », « refuse de donner un jouet à l’enfant qui le demande ».
- Les comportements de retrait ou de mise à distance de l’enfant : « tient l’enfant à
distance, loin de soi ».
Cependant, nous n’avons fait que nous référer à cette grille de comportements maternels,
nous n’avons pas utilisé le système AMBIANCE dans sa globalité. D’un point de vue
qualitatif, nous souhaitions relever ces comportements lorsqu’ils étaient présents car ils
constituaient un indice dans la qualité des interactions entre la mère et l’enfant à 13 mois lors
de la Situation Etrange.
e)
L’évaluation des représentations d’attachement et
des caractéristiques de la narrativité chez l’enfant entre
4 et 8 ans
Les représentations d’attachement des enfants ont été évaluées à l’aide des histoires à
compléter (Attachment Story Completion Task ou ASCT) ou test du complément des
débuts d’histoires qui a été mis au point par Bretherton, Ridgeway et Cassidy (1990). Il
peut être utilisé avec des enfants à partir de 3 ans et initialement jusqu’à environ 7 ans mais il
a aussi été utilisé avec des enfants plus âgés jusqu’à 12 ans (Zigante, 2009, 2012).
Les enfants de nos deux populations, ceux des mères présentant un trouble de
personnalité borderline et ceux des mères contrôles, étaient âgés d’au moins 4 ans lors de la
passation du test des histoires à compléter. Ils avaient entre 4 et 8 ans. Toutefois, les enfants
du groupe contrôle étaient en moyenne plus âgés que ceux du groupe clinique (7.8 ans en
moyenne, avec une étendue allant de 5.4 ans à 8.7 ans pour les contrôles vs. 6.0 ans en
moyenne, allant de 4.2 ans à 7.7 ans pour les cliniques). Nous nous sommes heurtés à la
difficulté de constituer des échantillons pour lesquels les enfants auraient le même âge au
moment de la passation des narratifs dans les deux populations. Cette difficulté s’explique par
le fait que les dyades n’ont pas débuté la recherche au même moment. De plus, les dyades
« tout-venant » ont cessé d’être incluses à la fin du PHRC alors que des dyades provenant des
populations cliniques issues des lieux de consultations continuent, encore aujourd’hui, d’être
213
incluses. Cela explique que les enfants de notre population « contrôle » soient, de façon
générale, un peu plus âgés que ceux des dyades où la mère présente un trouble de personnalité
borderline.
Le test des histoires à compléter est une procédure relativement standardisée avec un
matériel défini : des personnages représentant une famille (mère, père, grand-mère et deux
enfants du même sexe que celui de l’enfant évalué et un chien) auxquels s’ajoutent quelques
accessoires (table, verre, rocher, lit, voiture et niche). Cette épreuve consiste à proposer à
l’enfant 6 débuts d’histoires qu’il doit continuer en mettant en scène ces personnages. Les six
histoires induisent des situations de plus en plus activatrices du système d’attachement.
La première histoire a pour but d’établir un contact avec l’enfant et de l’habituer à la
situation, elle représente une sorte « d’échauffement » et ne comptera pas pour les codages. A
ce moment, là, l’examinateur présente à l’enfant tous les personnages de la famille et lui
raconte que ces derniers s’apprêtent à fêter un anniversaire. A chaque fois, l’examinateur
commence un début d’histoire et demande à l’enfant de la compléter en lui demandant :
« peux-tu me dire et me montrer ce qu’il se passe ensuite ? » Les histoires suivantes mettent
en scène des situations où l’enfant se retrouve en demande d’aide et dans lesquelles ses liens
avec les parents sont mis à l’épreuve et son système d’attachement activé ou sollicité. Elles
suscitent donc différentes émotions en lien avec ses figures d’attachement.
La première histoire qui compte pour le codage met en scène une situation où l’enfant
peut se faire gronder ; le personnage-enfant (auquel l’enfant peut s’identifier) renverse un
verre de sirop alors que la famille est à table. Ensuite, la famille est au parc et le même
personnage monte sur un rocher. Il tombe et se fait mal au genou. L’enfant est donc mis dans
une situation de demande d’aide et de réconfort, suite à sa blessure, alors même que les
parents l’avaient mis en garde. Dans l’histoire suivante, l’enfant est confronté à la peur
d’avoir un monstre sous son lit alors qu’il va se coucher dans sa chambre et demande à ses
parents de le protéger. Enfin, pour terminer, les dernières histoires mettent en scène des
situations de séparations et de retrouvailles. Les parents partent en week-end en confiant les
enfants à la grand-mère et reviennent ensuite à la maison ; puis une histoire de perte et de
retrouvaille du chien.
(1)
Système de codage des histoires à compléter
Nous avons choisi de coder les narratifs à l’aide du « tri de Cartes pour le Complément
d’Histoires ou CCH » mis au point par B. Pierrehumbert et son équipe (Miljkovitch et al.,
214
2003 ; Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Ces auteurs ont élaboré ce système de codage,
entre autres, grâce à l’analyse des résultats des études portant sur l’investigation des
représentations d’attachement chez l’enfant au travers de ses récits à l’ASCT. Ils ont pu en
extraire des éléments de réponse pertinents et en ont déduit la manière dont ces éléments
peuvent être interprétés en termes de stratégies d’attachement (Miljkovitch et al., 2003). Ce
système de codage évalue ainsi le contenu des narratifs (c’est-à-dire la qualité des
représentations parentales) et leurs qualités (c’est-à-dire la forme du discours de l’enfant). Il
évalue également la capacité de l’enfant à s’appuyer sur l’examinateur au cours de la
passation. Ce système de codage se rapproche de celui de l’AAI développé par Main. Ainsi,
permet-il de mesurer les stratégies d’attachement des jeunes enfants (au niveau des
représentations) et de caractériser leur façon de construire un narratif.
Les auteurs ont créé un ensemble de 65 cartes comprenant des affirmations en lien avec le
contenu ou la forme du discours de l’enfant. Les codeurs doivent les classer selon la
procédure du tri de carte (ou Q-sort en anglais), selon 3 tris successifs (deux libres puis un
forcé), après avoir regardé la vidéo de la passation du test avant chaque tri. Les codeurs
doivent dire si les affirmations sont vraies ou fausses. La question centrale étant de savoir si
les narratifs de l’enfant présentent les figures parentales comme étant une base de sécurité.
Ainsi, chaque item (carte) doit être placé du plus vrai au plus faux, en fonction de son
degré de ressemblance avec l’enfant. Plus l’item est caractéristique de ce dernier, plus il aura
un score élevé (les scores vont de 1 à 7 points). Le fait de coder certains items comme n’étant
pas caractéristiques de l’enfant permet de relever l’absence de certains comportements. Cela
renseigne l’observateur sur la présence de restrictions au niveau des représentations chez
l’enfant.
Lorsque toutes les cartes ont été triées comme étant plus ou moins caractéristiques de
l’enfant, des scores lui sont attribués. Ces scores seront alors corrélés avec ceux de chaque
prototype que les auteurs ont définis selon des critères basés sur leur revue de la littérature
(Miljkovitch et al, 2003).
Afin d’avoir accès aux Modèles Internes Opérants (MIO) de l’enfant par le biais de ses
représentations d’attachement, les auteurs ont élaboré 4 prototypes d’attachement (Sécure,
Désactivé, Hyperactivé et Désorganisé) basés sur ceux des études utilisant la Situation
Etrange ou l’AAI (Miljkovitch et al., 2003 ; Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Les
215
représentations d’attachement mesurées reflètent ainsi les stratégies d’attachement sousjacentes ou les MIO de l’enfant.
Le tri des cartes permet une comparaison statistique à chacun des 4 prototypes
d’attachement dans le but d’obtenir un coefficient de corrélation Q. Il s’agit de déterminer
dans quelle mesure les stratégies d’attachement de l’enfant se rapprochent de chacun des 4
prototypes. Ainsi le CCH fournit-il des indices qui sont quantitatifs ou dimensionnels. Cette
démarche cherche moins à classer l’enfant dans un style précis d’attachement qu’à le situer
entre ces 4 pôles d’attachement ou dimensions (Zigante, 2012). Il s’agit d’une question
d’épistémologie que de savoir si la notion d’attachement se réfère par essence à une typologie
ou si elle gagne à être comprise dans un sens dimensionnel, comme le permet la procédure du
CCH (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Il nous semble, pour notre part, que l’approche
dimensionnelle renseigne de façon plus complète sur les stratégies et représentations
d’attachement de l’enfant. Si leurs prototypes représentant les 4 dimensions d’attachement ont
été élaborés auprès d’enfants âgés de 5 à 7 ans, ils ont cependant servi de référence pour des
études évaluant des enfants plus âgés (Zigante, 2009, 2012).
La cotation a donc pour but d’évaluer l’enfant d’après la qualité de son récit et de son jeu,
au travers de leur degré de ressemblance avec les quatre dimensions ou style d’attachement
suivants :
- Le prototype sécure : dans son attitude, l’enfant est à l’aise dans le jeu et disposé à
jouer, il collabore facilement avec l’examinateur et peut s’appuyer sur lui, il ne montre pas de
détresse face aux thèmes abordés. Il présente « une grande ouverture par rapport aux
informations relatives à l’attachement » (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008) et peut ainsi
produire un narratif fluide, cohérent avec des résolutions où il peut s’impliquer et au sein
duquel les histoires sont vivantes et les relations non stéréotypées. Il peut aborder les aspects à
la fois négatifs et positifs des histoires et montrer différents états émotionnels « en incluant
les émotions négatives telles que la tristesse ou la colère […] il dépeint des relations
sensibles, marquées par le partage des émotions (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008) ». Il
réagit activement aux thèmes de séparation et son système d’attachement ainsi activé le mène
à chercher à rétablir un sentiment de sécurité en s’appuyant sur ses figures d’attachement.
- Le prototype Désactivé : il correspond à une inhibition du système d’attachement,
c’est-à-dire à l’attachement Insécure Evitant. « L’enfant détourne son attention de tout ce
qui relève de l’attachement car cela éveille un sentiment de détresse important » (Miljkovitch
216
et al., 2003). Il peut être anxieux ou montrer des signes d’inconfort et « réticent à compléter
les histoires ». Il peut aussi compléter les histoires en s’impliquant mais de façon
superficielle. Il rapporte des histoires stéréotypées sans introduire d’émotions ni de
véritables échanges affectifs entre les personnages. Il a tendance à ignorer les aspects
négatifs des histoires et les parents ne sont ni soutenants ni protecteurs. Enfin, il peut éviter
la scène des retrouvailles ou l’empêcher.
- le prototype Hyperactivé correspond à une hyperactivation du système d’attachement,
c’est-à-dire, au type d’attachement insécure Ambivalent-Résistant. Dans ce cas, l’enfant
focalise son attention sur les émotions négatives et a du mal à retrouver sa sérénité face à
des thèmes qui activent son système d’attachement. Il est en difficulté pour gérer les
émotions que ces thèmes suscitent, ces derniers pouvant même provoquer chez lui un
sentiment de colère ou une détresse l’empêchant de rester dans le jeu. Il semblerait qu’il ait
du mal à construire un narratif car « il n’arrive pas à continuer les histoires de manière
constructive et à élaborer un déroulement heureux » (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008) : il
n’y a pas de résolution aux histoires. Il cherche à abréger le moment de la séparation sans
pouvoir mettre en scène des retrouvailles heureuses.
- le prototype Désorganisé : l’enfant « propose des déroulements marqués par une perte
de contrôle de la situation, avec des fins catastrophiques ou des personnages représentés
comme totalement impuissants et seuls » (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Des thèmes
de « désintégration des personnages ou de la famille elle-même », des punitions exagérées
voire violentes ou des « thèmes d’agression ou de destruction sont souvent abordés »
(Miljkovitch et al., 2003). Enfin, il arrive que les personnages enfants adoptent un rôle de
parent ou que les rôles parents-enfants soient inversés. Soit les narratifs sont « désorganisés,
incohérents » soit l’enfant peut « rester totalement muet (voire mutique), inhibé et
anxieux » voire effrayé.
Les narratifs obtenus à l’aide du test des histoires à compléter révèlent des
caractéristiques de jeu et des contenus de représentations plus spécifiques de l’enfant. Les
résultats sont obtenus grâce au tri non forcé et regroupés en 7 échelles décrivant les
narratifs sous ses aspects formels et sémantiques (Miljkovitch et al., 2003 ; Miljkovitch et
Pierrehumbert, 2008). Selon les méthodes de calculs détaillées, on obtient un score pour
chaque échelle par la moyenne des scores correspondant aux items la composant. Ces échelles
sont les suivantes : « Collaboration, Représentations de soutien parental, Narratif positif,
Expression d’affects appropriée, Réaction à la séparation, Distance symbolique, Faible
217
compétence narrative ». Elles sont décrites ci-dessous selon Miljkovitch et al. (2003) dans ce
qu’elles mesurent :
- Collaboration : cette échelle « renvoie surtout à l’attitude de l’enfant pendant
l’évaluation et renseigne sur sa volonté de se prêter au jeu et à participer. Elle mesure
l’intérêt de l’enfant pour la tâche et sa disposition à porter son attention sur les thèmes qui
sont évoqués par l’examinateur. L’enfant qui collabore, complète facilement les débuts
d’histoire et tente de rendre son récit vivant. Au contraire, l’enfant qui collabore peu se
montre anxieux, inhibé ou évitant. Cette échelle est susceptible de nous renseigner sur les
restrictions au niveau des représentations de l’enfant, en ce sens que s’il ne collabore pas,
cela peut revenir à un refus ou à une incapacité de porter son attention sur des questions
d’attachement. »
- Représentation de soutien parental : cette échelle renvoie plus à des contenus de
représentations. Lorsque le score à cette échelle est élevé, il « laisse penser que l’enfant a
intériorisé un modèle de relation dans lequel ses parents sont perçus comme sensibles,
sécurisants […] ils sont présentés comme disponibles, protecteurs et source de soutien ».
« Par contre, un faible score suggère une absence de soutien parental, les parents étant
présentés comme rejetants, contrôlants, indisponibles ou attendant que les enfants s’occupent
d’eux. »
- Narratif positif : cette échelle mesure la tendance à présenter des histoires sous un jour
positif. « La tonalité est positive, les figures parentales sont présentées comme étant
affectueuses et les enfants comme étant heureux. » Peu d’événements négatifs sont introduits,
voire aucun.
- Expression d’affects appropriés : un score élevé à cette échelle montre que « l’enfant
évoque spontanément des états émotionnels appropriés, médiatisés par le jeu (c’est-à-dire
qu’ils sont attribués aux personnages de l’histoire) ». En revanche, un score faible à cette
échelle montre une tendance chez l’enfant à « exprimer les émotions d’une manière directe et
inappropriée » (par exemple, par des passages à l’acte sur le matériel, ou encore de façon
discordante par rapport aux thèmes abordés) et non par le biais symbolique du jeu. « Cette
échelle renseigne donc sur la capacité de l’enfant à évoquer et à contenir les affects. Une
tendance au débordement peut indiquer que le fait de se représenter des scènes d’attachement
mobilise fortement ses émotions voire même le déstabilise. »
218
- Réaction à la séparation : cette échelle renseigne, lorsque son score est élevé, sur « la
disposition de l’enfant à ne pas accepter le départ des parents et à employer des stratégies
pour les empêcher de partir. Les personnages ne se soumettent pas à la séparation et l’enfant
peut être amené à précipiter les retrouvailles. » Lorsque l’enfant représente les personnages
comme acceptant la séparation et y faisant face, le score à cette échelle est faible.
- La distance symbolique : cette échelle renvoie à la capacité à maintenir une distance
par rapport aux actes et aux émotions qui sont évoqués lors du jeu et, par conséquent, par
rapport à l’histoire racontée. L’enfant se distingue clairement des personnages de l’histoire, la
distance symbolique est claire (par exemple, il n’utilise pas le matériel comme s’il était luimême un des personnages).
- La faible compétence narrative : « se traduit par une incapacité à construire des
narratifs cohérents et structurés. L’enfant n’arrive pas à trouver des solutions aux débuts
d’histoires et il n’évoque que des comportements passifs de la part des personnages. Des
incohérences ou une mauvaise verbalisation (narratifs inintelligibles) rendent les histoires
difficiles à suivre ». Au contraire, un score faible à cette échelle rend compte d’une capacité à
compléter les histoires avec facilité, l’expression est cohérente, intelligible et facile à suivre.
Lorsqu’un thème négatif est introduit, les personnages y réagissent alors activement.
Comme le soulignent Miljkovitch et Pierrehumbert (2008), ces échelles ne relèvent pas
toutes de l’attachement. Toutefois, comme Main et Hesse l’ont suggéré au travers de l’AAI, la
capacité à construire un narratif autour des thèmes de l’attachement dépend de la manière
dont le narrateur interrogé parvient à réguler ses émotions concernant les problématiques
évoquées. Si ces dernières éveillent un sentiment d’insécurité trop fort, le sujet se trouvera
alors en difficulté et son histoire manquera de cohérence et de clarté. Il lui sera difficile de
faire preuve de collaboration.
Les scores Q peuvent être transformés en « format T » qui consiste à ramener tous les
indices à une même moyenne et à un même écart-type dans le but de faciliter les
comparaisons des différents indices entre eux (on peut ainsi établir des profils d’indices).
Cette transformation permet, en outre, une comparaison sur n’importe quel indice, d’un sujet
ou d’un groupe de sujets avec une population de référence virtuelle. Nous avons comparé nos
résultats à ce test à ceux issus d’une population de référence (de 187 sujets) et donnés par la
grille de cotation élaborée par B. Pierrehumbert et son équipe article (Miljkovitch et al.,
2003).
219
Le CCH semble constituer un outil d’investigation intéressant en ce qu’il renseigne tant
sur l’organisation des représentations d’attachement de l’enfant que sur les contenus, deux
facteurs qui sont déterminants dans le développement psychoaffectif de l’enfant. Il représente
donc une fenêtre sur son monde interne.
Influence de l’âge sur les narratifs d’attachement
D’après les analyses des narratifs d’enfants (de respectivement 36 mois (3 ans), 42 mois
(3 ans ½), 45 mois (3ans 9 mois) et 5 ans) utilisant la méthode du CCH, il a été démontré que
l’âge de l’enfant pouvait jouer un rôle sur les capacités des enfants liées aux différentes
échelles décrites ci-dessous. Il semble qu’à l’âge de 45 mois s’effectue chez l’enfant « un
tournant » avec une augmentation nette des scores au-delà de cet âge. D’autre part, les enfants
de 45 mois décrivent des relations parentales au travers de termes plus négatifs que les enfants
de 5 ans, cela de façon significative (Miljkovitch et al., 2003). On peut aussi percevoir une
certaine maturation cognitive chez les enfants au travers de l’augmentation sensible de la
distance symbolique entre 45 mois et 5 ans.
Les auteurs ont observé qu’avec l’âge, les enfants réagissent moins au thème de
séparation. On peut expliquer cela par leur gain en autonomie, tant sur le plan moteur que
cognitif (ils sont de plus en plus à même de concevoir la relation en termes psychologiques et
moins en termes de proximité). A 5 ans, grâce à leur maturation cognitive, ils sont plus en
capacité de se représenter une scène dans laquelle ils ne sont pas directement impliqués
(Miljkovitch et al., 2003).
Par ailleurs, les enfants de 5 ans décrivent des relations parents-enfants en des termes plus
positifs que les enfants plus jeunes, notamment de 45 mois. Or c’est justement entre 4 et 5 ans
que les enfants acquièrent la capacité de se rendre compte des écarts entre leur propre point de
vue et celui de leurs figures d’attachement (Miljkovitch et al., 2003, d’après Marvin, 1977).
Les auteurs ont apporté de probables explications à l’augmentation des représentations
positives chez les enfants de 5 ans, comparativement à celles des enfants plus jeunes. Avec
une plus grande aptitude à la compréhension des états mentaux et des motivations de leurs
figures d’attachement, les enfants sont capables de plus d’ajustement entre leurs deux
perspectives (selon les termes de Bowlby, d’un « partenariat rectifié quant au but »)
(Miljkovitch et al., 2003). D’une part, il s’agit pour les enfants, face aux thématiques
d’attachement, de comprendre que les parents peuvent, même en leur absence, vouloir
maintenir le lien qu’ils entretiennent avec lui. D’autre part, le maintien d’un sentiment de
220
sécurité ne repose plus seulement sur le maintien de la proximité physique, les relations
parents-enfants peuvent être vécues de façon plus sereine. Toutefois, Miljkovitch et al.,
(2003) soulignent également que, plus l’enfant grandit, plus il devient sensible aux normes
sociales, ce qui pourrait expliquer la tendance à apporter des descriptions familiales plus
conformistes.
Influence du sexe de l’enfant sur les narratifs d’attachement
Les auteurs du CCH ont relevé une influence du sexe (en ayant contrôlé l’effet de l’âge) :
les filles présentent des moyennes plus élevées aux échelles de « représentations de soutien
parental », de « narratif positif » et « d’expression d’affects appropriée » (Miljkovitch et
Pierrehumbert, 2008). Ils ajoutent (d’après Bretherton, Page & Golby, 1998) que leurs
résultats vont dans le même sens que d’autres études qui ont montré que les filles présentaient
davantage d’interactions positives entre parents et enfants et davantage de thèmes prosociaux.
Au niveau de leurs stratégies d’attachement, les garçons présentent des scores de
désorganisation plus élevés, comme l’ont montré d’autres recherches (Carlson, Cicchetti,
Barnett, & Braunwald, 1989) concernant des enfants maltraités à l’attachement
désorganisé/désorienté (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008).
Influence du QI des enfants sur les narratifs d’attachement
D’après un calcul de corrélations entre les scores obtenus au CCH (ceux des 4
dimensions et des 7 échelles) et ceux obtenus aux échelles d’aptitude de Mc Carthy, les
auteurs ne retrouvent pas de lien significatif, ce qui suggère que les scores au CCH ne sont
pas influencés par un facteur d’intelligence (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008). Toutefois,
seule l’échelle de distance symbolique semble influencée par le QI.
f)
Evaluation du fonctionnement psychique des
enfants au travers des résultats obtenus au test des
histoires à compléter
Le test des histoires à compléter offre un mode d’accès au fonctionnement psychique de
l’enfant, en cela, il constitue un test projectif par le biais duquel l’enfant projette quelque
chose de sa propre conflictualité interne. Bien que ce test s’inscrive au sein de la théorie de
l’attachement et permette d’évaluer, en premier lieu, la qualité des représentations de l’enfant
dans ce domaine, certains auteurs ont procédé à une analyse psychodynamique des narrations
de l’enfant issues de ces tests. Von Klitzing et Lutz-Latil (2003) ont évalué d’un point de vue
analytique le contenu des narrations d’enfants ayant vécu des traumatismes au test des
221
histoires à compléter de Mac Arthur. Ce test a été développé par R. Emde et son équipe
(Emde et al., 1997) et est largement utilisé dans les études sur les narrations chez l’enfant.
Ils insistent sur le fait que les enfants développent, dans leurs narrations, beaucoup
d’éléments individuels et caractéristiques qui permettent d’orienter leurs diagnostics lors d’un
entretien pédopsychiatrique. Le test des débuts d’histoires peut être envisagé comme un
instrument pouvant aider à différencier les narrations d’enfants présentant des troubles
psychiques de celles d’enfants asymptomatiques (Von Klitzing et Lutz-Latil, 2003).
Dans la littérature concernant les études réalisées chez les enfants au moyen de ces tests,
on retrouve des liens entre des caractéristiques de la narration et des troubles du
comportement internalisés ou externalisés. Les troubles internalisés font référence aux
symptômes dépressifs, aux troubles anxieux et somatoformes. Les troubles externalisés
renvoient aux problèmes d’agressivité, d’opposition et d’hyperactivité. Dans le but de mettre
en relation les résultats obtenus au CCH et la présence de troubles du comportement chez
l’enfant, Miljkovitch et al. (2003) ont retenu certaines variables des échelles du CCH comme
étant prédictives de certains troubles ; l’échelle « Collaboration » a été retenue pour être
prédictive des troubles d’externalisation et l’échelle « Représentations de soutien parental » a
été retenue pour les troubles d’internalisation.
Une étude de Miljkovitch et al., (2007) a mis en lien les caractéristiques des narratifs
d’enfant de 3 ans évaluées à l’aide du CCH et la présence de troubles du comportement
évalués par les réponses maternelles (et paternelles) au Child Behavior Checklist (Fombonne,
1989). Les enfants qui présentaient des troubles d’externalisation refusaient ou étaient en
difficulté pour construire et se représenter un narratif d’attachement, ils étaient anxieux,
inhibés ou évitants pendant la passation. Les troubles d’externalisation et l’absence de
collaboration lors de la passation de l’ASCT semblent participer d’un même processus qui est
celui de se détourner des informations source d’insécurité (Miljkovitch et al., 2003).
Les troubles du comportement internalisés étaient négativement corrélés aux
représentations de soutien parental de mauvaise qualité ; les parents étaient perçus comme peu
sensibles, peu protecteurs et l’enfant ne mettait pas en scène des attitudes parentales
sécurisantes et réconfortantes (Miljkovitch et al., 2007). Ces résultats confirment l’idée de
Bowlby selon laquelle les personnes présentant une symptomatologie dépressive ou anxieuse
auraient intériorisé un modèle de relation (des MIO) où l’assistance des parents fait défaut et
ne peut être obtenue (Miljkovitch et al., 2003). Ce manque de confiance en eux serait à
222
l’origine d’un sentiment d’insécurité pouvant conduire à des niveaux élevés d’anxiété
(Miljkovitch et al., 2003, d’après Bowlby, 1973).
Dans notre étude, nous avons analysé les narratifs d’enfant d’un point de vue
psychodynamique, en analysant le contenu de ces derniers mais également la façon dont
l’enfant se présentait au cours de la passation. Nous avons donc analysé les passations au
travers des grilles servant au diagnostic structurel chez l’enfant, élaborées par Palacio-Espasa
et Dufour (1994). Ces grilles ont été établies dans le but de préciser des éléments
psychopathologiques différents chez des enfants suivis en psychothérapie analytique et ayant
tous reçu le diagnostic de « trouble de la personnalité ». Ils se sont particulièrement intéressés
à la conflictualité dépressive chez les enfants dont ils ont étudié le fonctionnement psychique
au travers de consultations de prise en charge psychanalytique, par le biais de l’analyse du jeu
de l’enfant et de ses productions (dessins). Leur étude diagnostique « à l’aveugle » s’est basée
sur l’analyse de 144 enfants âgés de 3 ans ½ à 7 ans ½. Leur grille diagnostique clinicodynamique que nous avons utilisée se présente de la façon suivante :
- impression générale
- relation avec l’examinateur
- fonctions du Moi : motricité, intelligence, langage, test de réalité et conscience des
difficultés, cours de la pensée
- affects
- mécanismes de défense
- pulsions (expression et contrôle des pulsions agressives et libidinales) et fantasmes
- Surmoi, Idéal du Moi
- conception du Self, Identifications
Les données que nous avons pu recueillir sur ces items lors de la passation du test des
histoires à compléter nous ont permis d’émettre des hypothèses quand à la présence d’un
trouble de personnalité éventuel chez les enfants de notre population dont la mère présente un
trouble de personnalité borderline. Nous avons également pris en compte les divers éléments
cliniques et anamnestiques concernant les enfants et leurs parents : présence de symptômes
actuels ou antérieurs, situations scolaire et familiale, éléments anamnestiques significatifs.
223
Nous avons présenté ces données sous la forme de cas cliniques dans notre analyse
psychodynamique des passations. Ces derniers sont regroupés en annexe 3 et des tableaux
récapitulatifs en présentent les données essentielles dans l’analyse de nos résultats.
g)
Evaluation du QI verbal des enfants au moment de
la passation du test des histoires à compléter
Nous avons fait passer les échelles verbales des tests d’intelligence pour enfants à tous les
enfants de nos deux populations. Cette passation avait seulement pour but d’écarter
d’éventuelles difficultés liées à l’intelligence verbale chez ces enfants, difficultés qui auraient
pu diminuer leurs capacités au niveau de leur narration. Etant donné que les enfants n’avaient
pas tous le même âge, nous avons dû utiliser les échelles verbales de deux tests d’intelligence.
L’échelle verbale de la WPPSI-R (Wechsler Preschool and Primary Scale of IntelligenceRevised, Wechsler, 1991) concerne les enfants de 2 ans et 11 mois à 7 ans et 3 mois. Pour les
enfants plus âgés, nous avons eu recours à l’échelle verbale de la WISC-III (Wechsler
Intelligence Scale for Children-Third Edition, Wechsler, 1996). Cette dernière peut être
utilisée pour des enfants âgés de 6 à 16 ans.
Tableau 2. Tableau récapitulatif des données recueillies à chaque âge
Age du bébé
3 mois
13 mois
Entre 4 et 8 ans
Echelles verbales
Outils bébé
Brunet-Lézine
Brunet-Lézine
de la WPPSI-R ou de
la WISC-III
Outils mère
EPDS/MADRS
Still-Face :
interactions mèrebébé
224
EPDS/MADRS
Situation Etrange :
Comportements
d’attachement de
l’enfant
MADRS
Narratifs (test des
histoires à
compléter) :
représentations
d’attachement et
fonctionnement
psychique de l’enfant
VIII. Analyses des résultats
A. Données naissance et
sociodémographiques des deux groupes
L’étude porte sur 13 dyades contrôles pour lesquelles les mères ne présentent aucun
trouble psychique et 14 dyades pour lesquelles les mères présentent un trouble de personnalité
borderline (TPB). Les 27 enfants sont nés entre 37 et 41 semaines d’aménorrhée (SA), sans
différence significative de nombre de SA à la naissance entre les deux groupes (t(25) <1). Les
conditions d’accouchement (par voie basse vs instrumentale) sont par ailleurs comparables
dans les deux groupes (Chi²(1) <1).
L’échantillon est constitué de 14 filles et 13 garçons, inégalement répartis dans les deux
sous-groupes (9 filles dans le groupe contrôle et 5 dans le groupe TPB ; Chi²(1)=3.03, p=.08).
Le nombre de primipares est de 6 sur 13 dans le groupe TPB et de 3 sur 14 dans le groupe
contrôle (Chi²(1)=1.85, p=.17).
Le Tableau 3 montre par ailleurs que les deux groupes ne diffèrent pas du point de vue de
l’âge des parents, du score Apgar à 1 et 5 minutes, du poids et de la taille à la naissance ou
encore du rang dans la fratrie. Seul le périmètre crânien à la naissance apparaît
significativement plus élevé chez les bébés du groupe TPB (35.3 cm vs 34.2 cm ; t(25)=2.20 ;
p=.04).
Tableau 3. Données naissance et sociodémographiques pour chaque groupe.
Age de la mère (en années)
Age du père (en années)
Age à la naissance (en SA)
Apgar à 1 minute
Apgar à 5 minutes
Poids à la naissance (en kg)
Taille à la naissance (en cm)
Périmètre crânien à la naissance (en
cm)
Rang dans la fratrie
Groupe
Contrôle
(N=13)
M
s
32.6
3.82
33.3
3.77
39.4
1.18
9.5
1.45
9.8
0.58
3.2
0.38
49.5
1.47
Groupe TPB
(N=14)
M
s
34.1
4.30
37.5
6.30
39.7
1.09
9.8
0.80
9.9
0.27
3.5
0.45
50.5
2.02
Test t
(25)
Seuil
p
0.92
1.96
0.48
0.64
0.55
1.75
1.36
ns
0.062
ns
ns
ns
0.092
ns
34.2
1.53
35.3
1.03
2.20
0.038
1.7
0.75
1.9
0.62
0.90
ns
225
B.
Caractéristiques du groupe « TPB »
Les mères du groupe TPB qui sont de fait diagnostiquées comme ayant un trouble de
personnalité borderline par le SIDP4 présentent entre 5 et 8 critères sur les 9 existants dans le
DSM IV qui permettent d’établir le diagnostic. Rappelons qu’il est nécessaire que le sujet ait
au moins 5 des critères.
Tableau 4. Types et nombre total de critères rencontrés pour chaque mère du groupe
TPB.
DYADES
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D 10
D 11
D 12
D 13
D 14
Crit.1 Crit.2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Crit.3 Crit.4 Crit.5
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Crit.6
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Crit.7 Crit.8
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Crit.9 Total
5
1
5
1
8
1
6
1
8
5
5
6
5
1
5
1
7
1
8
1
5
1
6
Légende : Crit. 1 : Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés. Crit. 2. : Mode de
relations interpersonnelles instables et intenses. Crit. 3 : Perturbation de l’identité : instabilité
marquée et persistante de l’image de soi. Crit.4 : Impulsivité dans au moins deux domaines
potentiellement dommageables pour le sujet. Crit. 5 : Répétition de comportements, de gestes ou de
menaces suicidaires, ou d’automutilation. Crit. 6 : Instabilité affective. Crit. 7 : Sentiments chroniques
de vide. Crit. 8 : Colères intenses et inappropriées ou difficultés à contrôler sa colère. Crit. 9 :
Survenue transitoire, dans des situations de stress, d’une idéation persécutoire ou de symptômes
dissociatifs sévères.
De plus, d’après le Tableau 5 ci dessous, nous observons que toutes les mères du groupe
TPB ont au moins un autre trouble de la personnalité. Sur les 14 mères du groupe, 9
présentent un autre trouble, 3 en présentent 2 autres, et 2 en présentent respectivement 5 et 6.
Seules 2 mères présentent des troubles de personnalité appartenant exclusivement au cluster
B. Les troubles des 12 autres mères appartiennent aux clusters A et B (n=4), B et C (n=4) et
A, B et C (n=4). Les autres troubles de personnalité les plus fréquemment observés chez nos
mères borderline sont le trouble de personnalité paranoïde (n=8) et le trouble de personnalité
obsessionnel-compulsif (n=4).
226
Tableau 5. Troubles de la personnalité associés pour chaque mère du groupe TPB.
Dyades TPB
D1
D2
D3
D4
D5
D6
D7
D8
D9
D 10
D 11
D 12
D 13
D 14
BL
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
PA
X
X
SZ
ST
X
AN
HY
NA
X
X
X
X
X
X
EV
X
DE
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
OB Somme
1
X
1
X
5
1
X
1
2
1
2
X
4
1
1
1
1
2
Légende : BL : Borderline ; PA : Paranoïde ; SZ : Schizoïde ; ST : Schizotypique ; AN : Antisociale ou
psychopathie ; HI : Hystérique ; NA : Narcissique ; EV : Evitante ; DE : Dépendante ; OB :
Obsessionnelle compulsive.
Le Tableau 5 a pour but de mettre en évidence le nombre de troubles de personnalité
associés au trouble de personnalité borderline pour chacune des mères du groupe TPB. Il
permet de montrer la complexité de la pathologie maternelle, à titre indicatif. Toutefois, nous
n’avons pas pris en compte la présence de ces autres troubles de personnalité dans l’analyse
de nos résultats, compte tenu de la relative petite taille de notre échantillon.
C. Données recueillies au moment des 3
mois du bébé : l’étude des interactions
mère-bébé, au cours du paradigme du StillFace
Le Tableau 6 met en évidence que les deux groupes ne diffèrent pas du point de vue de
l’âge du bébé au moment de la passation, ou des scores aux échelles du Brunet-Lézine. En
revanche, les deux sous-groupes diffèrent significativement du point de vue des scores aux
227
échelles de dépression : les mères du groupe TPB présentent en moyenne un score plus élevé
à l’EPDS (10.8 vs. 2.8 ; p<.0001) et à la MADRS (19.5 vs. 7.7 ; p<.0005).
Le score à la MADRS à partir duquel on peut considérer que les sujets sont à risque de
présenter un épisode dépressif est de 15. Par conséquent, en moyenne, au moment des 3 mois
du bébé, les mères du groupe TPB présentent un état dépressif (M=19.5). En ce qui concerne
les scores obtenus au même moment à l’EPDS au sein du groupe TPB, on peut aussi estimer
que les mères sont à risque de dépression s’il on opte pour un seuil à 10.5 (M=10.8).
Toutefois, dans la littérature, les scores seuils (ou cut-off) ne sont pas toujours identiques.
Tableau 6. Données recueillies aux 3 mois du bébé dans chaque groupe : l’âge en
jours et les données relatives aux 4 dimensions du Brunet-Lézine pour le bébé, et les
scores aux échelles de dépression pour la mère.
Groupe
Contrôle
(N=13)
M
s
Bébé
Age (en jours)
Le Brunet-Lézine
Postural
Coordination
Langage
Sociabilité
Mère
EPDS
MADRS
Groupe TPB
(N=14)
M
s
Test t
(25)
Seuil p
98.8
11.6
99.8
25.4
-0.12
Ns
1.05
1.00
1.11
1.01
0.16
0.16
0.18
0.21
0.99
1.01
1.09
0.99
0.31
0.24
0.24
0.20
0.56
-0.18
0.27
0.28
Ns
Ns
Ns
Ns
2.8
7.7
3.48
5.88
10.8
19.5
5.45
7.90
-4.47
-4.38
<.0001
<.0005
1. Analyses des dimensions comportementales et
émotionnelles au cours du paradigme du Still-Face
a)
Le temps T1
Le Tableau 7 compare les proportions associées à chaque comportement, groupe de
comportements ou émotions dans les deux groupes.
228
Tableau 7. Proportions de comportements et d’émotions observées chez la mère et le
bébé dans les deux groupes au temps 1 (T1).
Temps 1: face-à-face (FF)
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=13)
(N=14)
S
s
M
M
Bébé
Regarde le visage de la
mère
Regarde un objet
Vocalisations positives
Vocalisations négatives
Autorégulation
SNA
Mouvements du corps
Sourires
Emotions positives
Emotions négatives
Mère
Engagement social
Toucher intrusif
Toucher non intrusif
Sourires
Emotions positives
t(25)
Seuil p
47.1 34.7
61.7 26.5
-1.23
ns
23.5
15.4
6.6
16.1
5.6
0.6
23.0
4.3
0.9
13.6
14.1
7.2
10.0
0.7
7.1
38.0
2.1
1.2
14.5
16.1
16.0
13.9
2.2
15.6
41.2
3.2
2.5
1.36
<1
<1
<1
1.02
-1.49
-1.08
1.28
<1
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
88.4 16.7
1.7 3.5
37.2 57.0
63.8 32.7
1.5 3.9
1.48
<1
<1
<1
1.94
ns
ns
ns
ns
.063
22.6
19.3
16.0
25.8
17.7
1.4
29.9
5.3
2.8
95.9 7.4
2.0 5.7
38.1 51.2
65.2 26.8
5.6 6.6
Au niveau de l’échantillon, les bébés du groupe TPB se caractérisent par davantage de
temps passé à regarder le visage de leur mère (61.7% vs. 47.1%) et moins de temps passé à
regarder un objet (13.6% vs 23.5%). Du point de vue de la régulation, les bébés du groupe
TPB présentent en moyenne moins d’autorégulation (10% vs. 16.1%) et moins de
manifestation du Système nerveux autonome (SNA) (0.7% vs. 5.6%). Les bébés du groupe
TPB sourient plus (38% vs. 23%) mais manifestent globalement deux fois moins d’émotions
positives (4.3% vs. 8.6%). Enfin, les bébés du groupe TPB présentent davantage de
mouvements de recul du corps entier (7.1% vs. 0.6%).
Les mères du groupe TPB sont en moyenne moins engagées socialement avec leur bébé
(88.4% vs. 95.9%) et manifestent moins d’émotions positives (1.5% vs. 5.6% ; p=.063).
b)
Le temps du SF
Le Tableau 8 compare les proportions associées à chaque comportement, groupe de
comportements ou émotions dans les deux groupes au cours de l’épisode du SF en lui-même.
Il permet aussi de visualiser l’ensemble des variations pour chaque comportement dans les
229
deux groupes entre le T1 et le SF. Nous considérons que les résultats sont à interpréter par
rapport au T1 car ce dernier constitue un temps d’interaction libre dont les particularités
influencent le déroulement des deux autres temps de la procédure.
Tableau 8. Proportions de comportements et d’émotions observées chez la mère et le
bébé dans les deux groupes au temps du SF, et différences de proportions entre le temps
T1 et le temps SF.
Temps du still face (SF)
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=13)
(N=14)
M
s
M
S
Bébé
Regarde le visage de la
mère
Regarde sur objet
Vocalisations positives
Vocalisations négatives
Autorégulation
SNA
Mouvements du corps
Sourires
Emotions positives
Emotions négatives
43.4 31.3
29.3 22.0
9.6
7.4
23.3
14.1
12.1
3.4
1.7
0.5
4.3
11.3
8.7
28.0
23.3
4.3
12.0
10.3
0.8
9.5
11.8
11.1
26.8
18.7
28.1
8.8
3.1
0.6
6.3
11.7
11.3
34.7
23.8
10.7
26.3
27.7
1.9
13.5
Perturbation (SF-FF)
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=13)
(N=14)
M
s
M
S
-3.7 33.4
-13.9
-8.0
16.7
-2
6.5
2.8
-21.4
-3.8
3.5
18.4
18.7
30.8
20.7
33.6
9.1
29.7
5.2
7.4
-32.3 23.9
-2.3
-5.4
20.9
13.2
3.6
4.9
-27.8
-1.3
8.3
13.8
8.5
29.5
22.2
11.0
31.8
44.4
2.7
12.1
t(25)
Seuil p
2.58
.016
-1.86
<1
<1
-1.84
<1
<1
<1
<1
-1.25
.075
ns
ns
.077
ns
ns
ns
ns
ns
Chez les bébés du groupe TPB qui avaient la caractéristique de passer davantage de
temps à regarder leur mère au cours du T1, on observe une chute très importante de ce temps
passé à regarder cette dernière (-32.315), une diminution significative comparativement au
groupe contrôle dont le temps passé à regarder la mère varie peu (-32.3 vs. -3.7 ; p=.016). Les
bébés du groupe TPB regardent également moins des objets (-2.3). Ils se caractérisent par
davantage de mouvements de recul du corps entier (4.9 vs. 2.8).
Ces résultats suggèrent que ces bébés se caractérisent par un évitement franc du
regard de leur mère au moment du SF.
Les bébés du groupe TPB augmentent considérablement leurs comportements
d’autorégulation comparativement aux bébés du groupe contrôle qui ont moins recours à ces
manifestations qu’en T1 (13.2 vs. -2 ; p=.077). Conjointement, on observe que les bébés du
15
230
Les valeurs sont des différences entre deux pourcentages et s’expriment en points de pourcentage.
groupe TPB présentent une augmentation des émotions négatives qui est plus importante que
celle du groupe contrôle (8.3 vs. 3.5). Ainsi, même si les bébés du groupe TPB ont plus
recours aux comportements d’autorégulation ils présentent plus d’émotions négatives.
Les bébés du groupe TPB seraient, compte tenu des différences observées du point
de vue des émotions négatives, beaucoup plus stressés que ceux du groupe contrôle (8.3
vs. 3.5). Par ailleurs, ce stress se manifesterait par davantage de comportements
d’évitement du regard de leur mère et davantage de mouvements de recul du corps
entier.
c)
Le temps T2
Le Tableau 9 compare les proportions associées à chaque comportement, groupe de
comportements ou émotions dans les deux groupes au cours de l’épisode du T2, c’est-à-dire le
temps des retrouvailles. Il permet aussi de visualiser l’ensemble des variations pour chaque
comportement dans les deux groupes entre le T1 et le T2.
231
Tableau 9. Proportions de comportements observées chez la mère et le bébé dans les
deux groupes au temps T2, et différences de proportions entre le T1 et le T2.
Bébé
Regarde le visage de la
mère
Regarde sur objet
Vocalisations positives
Vocalisations négatives
Autorégulation
SNA
Mouvements du corps
Sourires
Emotions positives
Emotions négatives
Mère
Engagement social
Toucher intrusif
Toucher non intrusif
Sourires
Emotions positives
Temps 2 (RE)
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=13)
(N=14)
Réunion (RE-FF)
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=13)
(N=14)
M
s
M
S
M
29.9
30.3
38.3
29.3
-17.3 33.3
16.6
5.2
16.7
15.1
7.7
2.0
10.6
0.8
4.7
27.7
10.7
30.0
25.4
26.6
5.1
14.4
0.8
9.7
16.8
8.3
29.4
14.4
10.4
14.2
13.6
0.6
11.0
22.0
11.2
38.5
20.7
26.2
34.1
25.8
1.5
16.1
-6.8
-10.2
10.1
-1
2.2
1.4
-12.5
-3.5
3.9
93.4
3.1
37.3
56.2
1.8
6.4
5.8
26.0
37.3
3.9
96.1
0.59
42.6
42.2
2.9
5.7
1.5
24.5
31.6
6.8
-2.5
1.2
-0.8
-9.0
-3.8
t(25)
Seuil
p
-23.4 28.5
<1
ns
23.4
23.7
35.3
20.8
33.0
5.4
32.5
5.6
10.5
3.2
-5.9
22.2
4.3
9.7
7.1
-24.4
-1.5
9.9
22.6
8.1
29.0
23.6
26.5
40.1
49.4
2.9
14.7
-1.13
<1
<1
<1
<1
<1
<1
<1
-1.22
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
ns
9.1
7.0
27.3
29.7
7.4
7.8
-1.1
5.4
-21.6
1.3
16.8
3.9
19.1
28.0
7.3
-1.95
1.05
<1
1.14
-1.81
.063
ns
ns
ns
.082
s
M
S
Si l’on compare les proportions de chaque comportement entre le T1 et le T2, on observe
que les bébés du groupe TPB augmentent légèrement leur temps passé à regarder des objets
(3.2) tandis que ce temps avait diminué au SF comparativement au T1. Les vocalisations
négatives des bébés du groupe TPB sont plus élevées qu’en T1 (22.2), comme au SF (20.9), et
de manière plus marquée comparativement aux bébés du groupe contrôle (22.2 vs. 10.1). Les
bébés du groupe TPB augmentent toujours plus leurs comportements d’autorégulation (4.3)
comparativement aux bébés du groupe contrôle pour lesquels on observe une légère
diminution de ces comportements (-1). Les bébés du groupe TPB augmentent également les
comportements du SNA plus que les bébés du groupe contrôle (9.7 vs. 2.2). Enfin, on observe
une plus grande augmentation des mouvements de recul du corps entier chez les bébés du
groupe TPB, comparativement à ceux du groupe contrôle.
232
Les bébés du groupe TPB présentent presque 3 fois plus d’émotions négatives (9.9 vs.
3.9) comparativement à ceux du groupe contrôle et sourient deux fois moins, entre le T1 et le
T2, comparativement aux bébés du groupe contrôle (-24.4 vs. -12.5).
Les mères du groupe TPB se caractérisent par une augmentation significative de
l’engagement social du bébé, entre le T1 et le T2, comparativement à celles du groupe
contrôle (7.8 vs. -2.5, p=.063). De plus, les mères du groupe TPB diminuent leur toucher
intrusif entre le T1 et le T2 contrairement aux mères contrôles qui l’augmentent (-1.1 vs. 1.2)
mais elles augmentent leur toucher non-intrusif tandis que les mères du groupe contrôle le
diminuent (5.4 vs. -0.8). Ce résultat paraît contradictoire à la littérature qui décrit les mères
présentant un TPB comme étant plus intrusives à l’égard de leur bébé (Genet et al., sous
presse). Toutefois, cette différence pourrait s’expliquer par la méthode choisie pour
l’analyse des résultats, ici nous parlons de proportions de comportements, nous ne
pouvons pas dire jusqu’à quel point le toucher peut être intrusif dans sa fréquence ou
encore dans sa répétition. Par exemple, des comportements au caractère intrusif plus
variés pourraient être finalement moins intrusifs pour le bébé que des comportements
dit non-intrusifs mais répétés. Cette difficulté avait été soulignée dans l’étude de Garez
et al. (soumis) comparant les interactions mère-bébé entre un groupe contrôle et un
groupe avec des mères borderline, à 3 mois.
Les mères du groupe TPB diminuent plus leurs sourires que les mères du groupe contrôle
(-21.6 vs. -9.0). Les mères du groupe TPB présentent une augmentation de leurs émotions
positives (1.3) tandis que les mères contrôles, elles, présentent une diminution de ces
dernières (-3.8). Les mères du groupe TPB continuent d’engager socialement leur bébé et
montrent plus de touchers non-intrusifs, plus d’émotions positives bien qu’elles sourient
moins. Les bébés montrent toujours plus d’émotions négatives et de vocalises négatives alors
même qu’ils augmentent toujours leurs comportements d’autorégulation.
233
2. Analyses de l’évolution des comportements et des
émotions des bébés et des mères au cours des trois
temps de la passation du SF
Nous ne présentons ici que les résultats concernant l’évolution des comportements qui
nous ont semblé pertinents. Les figures permettent de mieux visualiser les différences dans les
évolutions des comportements et des émotions entre le groupe TPB et le groupe contrôle.
a)
(1)
Du côté du bébé
Les regards
Figure1. Evolution des regards vers la mère au cours des trois temps dans les deux
groupes
Nous observons que les bébés du groupe TPB regardent en moyenne plus leur mère que
ceux du groupe contrôle. L’épreuve du SF entraine une diminution des regards vers la mère,
une diminution qui ne s’explique pas par davantage de regard vers les objets mais par plus de
regards ailleurs comparativement à ceux du groupe contrôle dont la proportion de regards
dirigés vers la mère chute moins. Le T2 (temps des retrouvailles ou du retour de la mère) est
un moment où les bébés des deux groupes réagissent différemment. Les bébés du groupe TPB
vont augmenter les regards vers leur mère (par rapport au SF) contrairement aux bébés
contrôles qui continuent de diminuer ces regards.
234
(2)
Les comportements d’autorégulation
Figure2. Evolution des comportements d’autorégulation du bébé au cours des trois
temps dans les deux groupes
Au temps T1, les bébés du groupe TPB présentent moins de comportements
d’autorégulation que ceux du groupe contrôle. L’épreuve du SF entraine chez eux une très
forte augmentation de ces comportements d’autorégulation comparativement à ceux du
groupe contrôle qui varient peu. Les retrouvailles entrainent une diminution importante de ces
comportements d’autorégulation chez les bébés du groupe TPB tandis qu’ils restent stables
chez les bébés du groupe contrôle.
(3)
Les manifestations du Système Nerveux Autonome
Figure3. Evolution des manifestations du SNA (Système Nerveux autonome) au
cours des trois temps dans les deux groupes
Au T1, les bébés du groupe TPB présentent moins de manifestations du SNA
comparativement à ceux du groupe contrôle. L’épreuve du SF entraîne une augmentation de
ces manifestations dans les deux groupes mais de façon plus prononcée chez les bébés du
groupe TPB. Le T2 (retrouvailles) est un moment où les bébés des deux groupes réagissent
différemment en ce qui concerne ces manifestations du SNA. Tandis que ces dernières
235
continuent d’augmenter chez les bébés du groupe TPB, elles diminuent chez les bébés
contrôles.
(4)
Les vocalisations négatives
Figure4. Evolution des vocalisations négatives au cours des trois temps dans les
deux groupes
Bien que les deux groupes partent d’une proportion de vocalisations négatives
équivalente en T1, et réagissent de manière similaire à l’épreuve du SF, le T2 (retrouvailles)
est un moment où les bébés des deux groupes réagissent différemment. En effet, au cours des
retrouvailles, les bébés du groupe TPB continuent d’augmenter sensiblement leurs
vocalisations négatives tandis que celles-ci diminuent chez les bébés du groupe contrôle.
(5)
Les émotions négatives
Si les profils de variations des émotions négatives au cours des 3 épisodes de la passation
sont similaires au sein des deux groupes, on observe cependant une proportion d’émotions
négatives plus importante chez les bébés du groupe TPB.
Figure5. Evolutions des émotions négatives au cours des trois temps pour les deux
groupes
236
Figure6. Evolutions des émotions positives au cours des trois temps pour les deux
groupes
Au T1, les bébés du groupe TPB manifestent beaucoup moins d’émotions positives
comparativement à ceux du groupe contrôle. L’épreuve du SF génère une diminution plus
importante des émotions positives chez les bébés contrôles comparativement à ceux du
groupe TPB. A nouveau, le T2 (retrouvailles) est un moment où les bébés des deux groupes
réagissent différemment en ce qui concerne les émotions positives. En effet, au T2, les
émotions positives continuent de diminuer chez les bébés du groupe TPB tandis que celles-ci
augmentent chez les contrôles.
(6)
Les mouvements de recul du corps entier
Figure7. Evolution des mouvements de recul du corps entier au cours des trois temps
pour les deux groupes
L’évolution des mouvements de recul du corps entier est différente au sein des deux
groupes. Dans le groupe TPB on observe une évolution croissante importante de ces
237
mouvements de recul du corps entier au cours du temps tandis que dans le groupe contrôle,
ces mouvements augmentent au cours du SF mais diminuent au T2.
La proportion plus importante des mouvements de recul du corps entier ainsi que
leur augmentation au cours du temps seraient le signe de la désorganisation des bébés
du groupe TPB. Chez ces bébés, le retour de la mère ne permet pas de diminuer ces
comportements, au contraire, la proportion de ces comportements continue d’augmenter au
T2.
b)
(1)
Du côté des mères
L’engagement social
Figure8. Evolution des comportements d’engagement social maternel entre le T1 et
le T2 pour les deux groupes
Au T1, les mères du groupe TPB sont moins engagées socialement avec leur bébé que les
mères contrôles. Le T2 (retrouvailles) est un moment où les mères des deux groupes
réagissent différemment en ce qui concerne l’engagement social : les mères du groupe TPB
augmentent leurs comportements d’engagement social contrairement aux mères contrôles qui
les diminuent.
238
(2)
Le toucher
Figure9. Evolution du toucher non-intrusif entre le T1 et le T2 dans les deux groupes
Nous avons vu que les touchers non-intrusifs maternels au sein des deux groupes se
caractérisaient par une évolution différente dans les deux groupes entre le T1 et le T2. Les
mères du groupe TPB augmentent nettement leur toucher non-intrusif au T2 tandis que les
mères du groupe contrôle le diminuent légèrement. Ce résultat pointe le fait qu’il est difficile
d’analyser le toucher maternel seulement au travers d’une proportion de comportements, et
peut-être aussi une décision abusive quant à la répartition de nos catégories concernant le
toucher maternel en «toucher non-intrusif » et en «toucher intrusif ».
(3)
Les émotions positives
Figure10. Evolution des émotions positives maternelles entre le T1 et le T2 pour les
deux groupes
Au T1, les mères du groupe TPB présentent moins d’émotions positives comparativement
aux mères contrôles. Le T2 (retrouvailles) est un moment où les mères des deux groupes
réagissent différemment en ce qui concerne les émotions positives : ces dernières augmentent
chez les mères du groupe TPB tandis qu’elles diminuent fortement chez les mères contrôles.
239
D. Données recueillies aux 13 mois de
l’enfant : l’évaluation des comportements
d’attachement au cours de la Situation
Etrange
Nous n’avons pas pu évaluer la qualité des comportements d’attachement à 13 mois pour
2 enfants du groupe TPB. Il nous manque également l’évaluation d’un enfant dans la
population contrôle. Le manque de données au sein de la population TPB met en lumière la
difficulté de suivre cette population dans le cadre d’une étude longitudinale.
1. Données générales obtenues au moment des 13
mois de l’enfant
Le Tableau 10 ci-dessous, indique que l’âge des bébés des deux groupes, au moment de
l’évaluation des comportements d’attachement, ne diffère pas significativement. Ils étaient en
effet tous âgés d’environ 13 mois au moment de la passation de la Situation Etrange. De
même, en ce qui concerne le bilan de développement réalisé à l’aide du Brunet-Lézine,
d’après le Tableau 10, nous n’observons aucune différence significative à 13 mois, entre les
bébés du groupe TPB et ceux du groupe contrôle, d’un point de vue développemental. Le QD
global ou quotient de développement global à 13 mois est en moyenne légèrement plus élevé
(96.8 vs. 93.5) au sein du groupe contrôle comparativement à la moyenne de celui du groupe
contrôle, mais cette différence est non significative.
En ce qui concerne la dépression chez les mères, lorsque les bébés sont âgés de 13 mois,
on observe une différence significative concernant le risque d’épisode dépressif maternel
évalué à la MADRS. Le score à la MADRS a baissé dans les deux groupes comparativement à
l’évaluation réalisée à 3 mois postpartum. Cette diminution peut s’expliquer du fait qu’à 13
mois, on ne se situe plus réellement dans la période périnatale qui est connue pour majorer le
risque d’épisode dépressif. Les scores moyens faibles à l’EPDS observés dans les deux
groupes tendant à étayer cette explication : l’EPDS étant conçue pour évaluer le risque de
dépression chez les jeunes mères durant la période péripartum, elle ne serait probablement
plus assez sensible aux 13 mois du bébé. Les mères du groupe TPB restent en moyenne
significativement plus déprimées comparativement aux mères du groupe contrôle (14.5 vs.
5.75).
240
Tableau 10. Données recueillies aux 13 mois du bébé dans chaque groupe : l’âge en
jours et les données relatives aux 4 dimensions du Brunet-Lézine pour le bébé, et les
scores aux échelles de dépression pour la mère.
Groupe
Contrôle
(N=12)
M
S
Bébé
Age (en jours)
Le Brunet-Lézine
QD Postural
QD Coordination
QD Langage
QD Sociabilité
QD Global
Mère
EPDS
MADRS
Groupe TPB
(N=12)
M
Test t
(22)
Seuil p
s
410
13
415
26
-0.59
ns
100.5
96.2
92.8
98.7
96.8
8.99
8.09
8.05
12.47
5.50
96.0
97.5
91.1
92.3
93.5
11.66
8.83
14.59
13.86
7.81
1.02
-0.37
0.34
1.13
1.14
ns
ns
ns
ns
ns
3.33
5.75
3.14
3.57
4.63
14.5
3.58
3.63
<1
3.89
ns
<.001
241
2. Analyse Comparative des résultats obtenus à la
Situation Etrange entre les groupes TPB et contrôle
a)
Analyse des catégories d’attachement retrouvées
chez les enfants à 13 mois dans les deux groupes
(1)
Qualité des comportements d’attachement des enfants du
groupe contrôle
Tableau 11. Classification de la qualité des comportements d’attachement à 13 mois
au sein des deux groupes.
Secure
B1 B2 B3 B4
Groupe
Contrôle
3
3
3
Insécure
ambivalentEvitant
résistant
A2
C2
Désorganisé
Sécure Insécure
D B2
D C1
Total n
0
12
3
12
3
0
0
0
1
2
17%
3
25%
1
100%
Groupe TPB
0
2
0
25%
33%
D’après le Tableau 11, tous les enfants de notre population contrôle (n=1216) présentent,
autour de l’âge de 13 mois, un type d’attachement sécure (B) évalué lors de la Situation
Etrange. Ils se répartissent selon les différents sous-groupes catégorisés sécures. Ces
différents sous-groupes mettent en évidence des particularités du point de vue des
comportements d’exploration ou d’attachement. C’est-à-dire que tous les enfants classés
sécures (B) n’explorent pas l’environnement de la même façon et n’activent pas leurs
comportements d’attachement (recherche de proximité et maintien du contact avec la mère)
tout à fait de la même façon. Toutefois, ces différences sont minimes et soulignent des
différences de style à l’intérieur de la catégorie d’attachement sécure.
16
Un enfant du groupe contrôle n’a pas passé la Situation Etrange. Il a par ailleurs été évalué sécure par le biais
de l’évaluation de ses représentations d’attachement au test des histoires à compléter.
242
(2)
Qualité des comportements d’attachement des enfants du
groupe TPB
De façon générale, d’après le Tableau 11 et comparativement à la population contrôle, les
enfants de mères borderline présentent des patterns d’attachement de bien moins bonne
qualité.
En effet, au sein de cette population :
- seulement 25% des enfants (n=3) ont un attachement sécure.
- les enfants présentent donc majoritairement un type d’attachement insécure (42% ; n=
5) avec 17% d’attachement évitant (n= 2) et 25% d’attachement ambivalent résistant (n= 3).
- 33,3% des enfants ont un type d’attachement désorganisé (n=4). La majeure partie des
enfants à l’attachement désorganisé est secondairement classée ambivalent résistant (C1), seul
un enfant présente une catégorie secondaire sécure (B2).
3. Analyse des échelles de cotation des
comportements d’attachement des enfants des deux
groupes, lors des deux épisodes de retrouvailles de la
Situation Etrange
Les ovales sur la Figure 11 permettent de visualiser les différences significatives (p<.05 ;
post hoc HSD de Tukey) dans les moyennes obtenues aux quatre échelles de chaque groupe,
au sein d’un même groupe ou entre les deux groupes. En ce qui concerne les échelles PS et
CM, on observe une différence significative entre les scores obtenus par les enfants aux
échelles de comportements de recherche de proximité (PS) et de maintien du contact (CM) au
sein du groupe TPB. Pour l’échelle CR, les comportements résistants augmentent de façon
significative chez les enfants du groupe TPB comparativement à ceux du groupe contrôle.
Enfin, pour l’échelle PA, au sein du groupe TPB, les comportements d’évitement sont
significativement plus importants lors des premières retrouvailles comparativement au groupe
contrôle.
243
Score
Score
7.0
6.5
6.0
5.5
5.0
4.5
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
PS1
7.0
6.5
6.0
5.5
5.0
4.5
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
PS2
CM1
7.0
6.5
6.0
5.5
5.0
4.5
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
Maintien du contact
Score
Score
Recherche de proximité
CR1
CR2
Comportements résistants
CM2
7.0
6.5
6.0
5.5
5.0
4.5
4.0
3.5
3.0
2.5
2.0
1.5
1.0
PA1
PA2
Comportements d'évitement
Figure 11. Comportements d’attachement observés chez les enfants des deux groupes
lors des deux épisodes de retrouvailles à la Situation Etrange.
Note. Les traits pleins correspondent au groupe contrôle et les pointillés au groupe TPB. Les ovales
signalent les comparaisons 2 à 2 significatives (HSD de Tukey, p<.05). Les barres verticales
représentent les intervalles de confiance à 95% pour chaque groupe
Tableau 12. Comportements d’attachement observés chez les enfants des deux
groupes lors des deux épisodes de retrouvailles à la Situation Etrange.
PS
CM
CR
PA
Retrouvailles 1
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=12)
(N=12)
M
M
S
s
5.1 1.94
3.5 2.14
4.2 2.05
2.8 2.24
1.6 0.70
2.3 1.45
2.3 1.08
3.8 1.96
Retrouvailles 2
Groupe
Groupe
Contrôle
TPB
(N=12)
(N=12)
M
M
S
S
5.1 1.32
4.8 1.42
5.0 1.92
4.8 1.83
1.6 0.71
3.2 1.66
2.2 1.03
2.7 1.53
Légende : PS : « Proximity Seeking/recherche de proximité », CM : « Contact Maintaining/maintien
du contact », CR : « Contact Resistant/résistance au contact », PA : « Passive
Avoidance/comportements d’évitement.
244
D’après le Tableau 12, les bébés du groupe TPB recherchent, en moyenne,
significativement moins la proximité de leur mère lors des deux épisodes des retrouvailles
(3.5 vs. 5.1) puis (4.8 vs. 5.1) comparativement à ceux du groupe contrôle. Les bébés du
groupe TPB présentent plus de comportements de résistance lors de l’épisode des deuxièmes
retrouvailles, comparativement à ceux du groupe contrôle (3.2 vs. 1.6).
Enfin, d’après le Tableau 12, nous observons en moyenne que les bébés du groupe TPB
se caractérisent par le fait que tous leurs résultats aux échelles changent entre le premier et le
deuxième épisode des retrouvailles, contrairement à ceux des bébés contrôles qui n’évoluent
pas ou très peu. Par conséquent, les réactions à la séparation en termes de comportements
d’attachement des bébés du groupe TPB sont particulièrement variables d’une séparation à
une autre. A l’opposé, les bébés du groupe contrôle réagissent de façon quasi-similaire, ils ont
seulement tendance à augmenter leurs comportements visant à maintenir le contact avec la
mère lors de la deuxièmes retrouvaille.
a)
Analyse comparative des comportements
maternels perturbés lors des épisodes de retrouvailles à
la Situation Etrange
Les comportements maternels lors de la Situation Etrange ont été évalués par le biais de
la grille de cotation AMBIANCE17 (Lyons-Ruth et al., 1999). De façon générale, ces
comportements maternels perturbés n’étaient pas présents chez les mères du groupe contrôle,
en dehors de deux mères qui présentaient respectivement un total de 2 et de 1 comportements
perturbés. Nous observons une grande différence entre le groupe TPB et le groupe contrôle en
ce qui concerne le nombre total de ces comportements maternels perturbés (T= 38 vs. 3).
(1)
Au sein du groupe TPB
D’après le Tableau 13 ci-dessous, de façon quantitative, dans le groupe TPB, nous
observons plus de comportements maternels perturbés chez les mères des enfants à
l’attachement désorganisé puis chez les mères des enfants insécures ambivalents résistants.
Ces comportements se caractérisent essentiellement par des erreurs dans la communication
affective maternelle et par des comportements qualifiés de négatifs ou d’intrusifs.
17
(Atypical Maternal Behavior Instrument for Assessment and Classification. Lyons-Ruth, Bronfman et Parsons,
1999).
245
Tableau 13. Comportements maternels perturbés envers l’enfant évalués lors de la
Situation Etrange, selon la grille AMBIANCE (Lyons-Ruth et al., 1999).
Erreurs dans la
communication affective
Désorientation
Comportements
Négatif/Intrusif
Confusion
des rôles
Retrait
TOTAL1
0
- Tient l’enfant
à distance, bras
tendus
- Tient l’enfant
à distance, bras
tendus
B (n=3)
- Ne console pas l’enfant
quand il pleure
- Rit quand l’enfant pleure
A (n=2)
- Fait taire l’enfant
quand il pleure
- Se moque de
l’enfant quand il
pleure
1
1
4
0
- N’offre pas de réconfort à
l’enfant quand il chute
Invite
l’enfant
à
s’approcher puis crée une
distance
- Rit quand l’enfant pleure
C (n=3)
- Fait preuve d’affect enjoué
inauthentique avec l’enfant
- Rit quand l’enfant pleure
- N’offre pas de réconfort à
l’enfant quand il chute (2)
DB2 Invite
l’enfant
à
s’approcher puis crée une
distance
- N’offre pas de réconfort à
- porte l’enfant
l’enfant quand il chute
comme s’il était
- Ne console pas l’enfant
inanimé
quand il pleure
D (n=4)
- Prend l’enfant par
le poignet
- Fait taire l’enfant
quand il pleure
- Se moque de
l’enfant quand il
pleure
- Tient l’enfant
à distance, bras
tendus
- Demande
- Se moque de
à l’enfant
l’enfant quand il
de
la
pleure
réconforter
4
- Tient l’enfant
à distance, bras
tendus
5
- fait preuve de
comportements
brusques
- Tient l’enfant
à distance, bras
tendus
5
- N’arrive pas à poser des
limites appropriées à l’enfant
- Ne console pas l’enfant
quand il pleure
- N’offre pas de réconfort à
l’enfant quand il chute (2)
- Rit quand l’enfant pleure
- Fait preuve d’affect enjoué
inauthentique avec l’enfant
- Fait taire l’enfant
quand il pleure
- Se moque de
l’enfant quand il
pleure
- Demande
à l’enfant
de
la
réconforter
Chaque ligne du tableau représente une dyade du groupe TPB. 1. Le total renvoie au nombre de
comportements maternels perturbés observés au cours de la Situation étrange dans les interactions
avec l’enfant. 2. DB = attachement désorganisé secondairement sécure. 3. DC = attachement
désorganisé secondairement insécure ambivalent-résistant.
246
5
- Prend l’enfant par
le poignet
- Prend l’enfant par
le poignet
- fait preuve de
comportements
brusques
DC3
2
4
7
E. Analyse du lien entre la qualité de
l’attachement à 13 mois et les données
recueillies à 3 mois au Still-Face au sein du
groupe TPB
Nous avons analysé les comportements des bébés du groupe TPB et leur évolution au
cours des trois temps du Still-Face en lien avec la qualité de leurs comportements
d’attachement évaluée à 13 mois. Dans cette partie, nous ne présenterons pas de statistique
inférentielle car l’ANOVA comparant 4 sous-groupes de 2 ou 3 sujets est extrêmement
sensible à l’hétérogénéité intragroupe dont nous soulignons qu’elle est parfois très marquée.
Les analyses de variance effectuées pour chacun des indices se sont en effet révélées quasisystématiquement non significatives malgré des différences au niveau descriptif parfois très
importantes.
A nouveau, nous ne présentons ici que les résultats qui nous semblent pertinents en ce qui
concerne l’évolution des comportements et des émotions des bébés à 3 mois et de la mère, au
cours de la procédure du SF, en fonction de la qualité de leur attachement évaluée à 13 mois.
1. Analyse des comportements des bébés à 3 mois
au cours du paradigme du SF en lien avec la qualité
de leurs comportements d’attachement à 13 mois
a)
Regard vers la mère et regard vers objet
Figure12. Evolution des regards vers la mère (A gauche) et regard vers objet (à
droite) au cours des 3 temps dans les 4 sous-groupes de bébés du groupe TPB.
247
D’après la Figure12, au sein du groupe TPB, nous observons au T1 que les bébés
ultérieurement classés (A) se caractérisent par moins de regards dirigés vers la mère
comparativement aux bébés des trois autres groupes. Au T2, nous observons que les bébés
classés ultérieurement (C) et (A) présentent une augmentation des regards vers leur mère
tandis que les bébés (B) diminuent les regards vers leur mère. Au T2, chez les bébés classés
ultérieurement (D), les regards vers la mère restent stables par rapport au SF.
Au T2, les bébés ultérieurement classés (B) présentent une nette augmentation des
regards vers les objets tandis que les bébés des trois autres groupes augmentent ces regards
vers les objets de façon très légère.
b)
L’autorégulation
Figure13. Evolution des comportements d’autorégulation au cours des 3 temps dans
les 4 sous-groupes de bébés des mères du groupe TPB
D’après la Figure13, nous pouvons observer qu’au sein du groupe TPB, les bébés
ultérieurement classés insécures évitant dans leur attachement (A) présentent très nettement
plus de comportements d’autorégulation au moment du SF comparativement à ceux des autres
catégories d’attachement (p<.02). Les enfants ultérieurement classés insécures ambivalent
résistants (C) sont ceux qui présentent le moins de comportements d’autorégulation
comparativement aux autres enfants. Par ailleurs, les enfants ultérieurement classés insécures
ambivalent résistants (C) sont les seuls qui continuent à augmenter leurs comportements
d’autorégulation au T2, tandis que tous les autres diminuent ces comportements entre le SF et
le T2. Par ailleurs, nous observons que les bébés ultérieurement classés (A) présentent une
grande variation dans leurs comportements d’autorégulation, comparativement aux autres.
248
c)
Les manifestations du SNA
Figure14. Evolution des manifestations du SNA au cours des trois temps dans les 4
sous-groupes du groupe TPB.
Nous avions vu que les variations du SNA entre les bébés du groupe contrôle et ceux du
groupe TPB étaient très différentes puisque les bébés du groupe contrôle diminuaient leurs
manifestations du SNA entre le SF et le T2.
D’après la Figure14, au T2, nous observons que les bébés classés ultérieurement (B) sont
les seuls qui présentent une diminution des manifestations du SNA tandis que celles-ci
augmentent au sein des trois autres groupes (A, C, D). Nous observons qu’au sein du groupe
TPB, les bébés ultérieurement classés insécure ambivalent résistants (C) dans leur
attachement présentent une augmentation très importante de leurs manifestations du SNA au
moment du T2. Les bébés ultérieurement désorganisés dans leur attachement (D) augmentent
aussi leurs manifestations du SNA au cours du T2 de façon importante mais moins que les
bébés (C).
d)
Les émotions négatives
Figure15. Evolution des émotions négatives au cours des 3 temps dans les 4 sousgroupes de bébés du groupe TPB.
249
D’après la Figure15, nous observons au T2 que les bébés ultérieurement (D) et (A)
présentent une augmentation des émotions négatives de façon importante ; Chez les bébés
ultérieurement (B), cette augmentation est très légère. Au contraire, au T2, les bébés classés
ultérieurement (C) présentent une diminution des émotions négatives.
2. Analyse des comportements des mères des bébés
à 3 mois au cours du paradigme du SF en lien avec la
qualité des comportements d’attachement de l’enfant
à 13 mois
a)
L’engagement social
Figure16. Evolution de l’engagement social chez les mères du groupe TPB en
fonction des 4 sous-groupes de bébés entre le T1 et le T2.
D’après la figure 16, on observe qu’au sein du groupe TPB, seules les mères des bébés
ultérieurement (A) diminuent leurs comportements d’engagement social avec leur bébé. Les
mères des bébés ultérieurement (C) et (D) augmentent fortement leurs comportements
d’engagement social entre le T1 et le T2, tandis que les mères des bébés ultérieurement (B)
augmentent également leurs comportements d’engagement social mais très légèrement.
250
b)
Le toucher maternel
Figure17. Evolution des touchers intrusifs (A gauche) et touchers non-intrusifs (à
droite) entre le T1 et le T2 chez les mères dans les 4 sous-groupes de bébés du groupe
TPB.
D’après la Figure17, nous observons qu’entre le T1 et le T2, seules les mères des bébés
ultérieurement classés (D) augmentent leurs touchers intrusifs alors que de façon générale, les
mères des bébés des trois autres groupes diminuent leurs touchers intrusifs (Les mères des
bébés (C) restent à 0).
En revanche, en dehors des mères des bébés ultérieurement classés (A), les mères des
trois autres groupes augmentent leurs touchers non-intrusifs. Par ailleurs, si les mères des
bébés (C) ne présentent pas de comportements intrusifs, elles augmentent le plus nettement
leurs comportements non-intrusifs entre le T1 et le T2, comparativement aux mères des bébés
(B) et (D).
c)
Les émotions positives maternelles
Figure18. Evolution des émotions maternelles positives au sein du groupe TPB en
fonction des 4 sous-groupes de bébés entre le T1 et le T2.
251
D’après la Figure18, nous observons qu’entre le T1 et le T2, les mères des bébés
ultérieurement classés (D) ne manifestent pas d’émotions positives. Les mères des bébés
ultérieurement classés (B) sont les seules à diminuer leurs émotions positives. Enfin, les
mères des bébés ultérieurement (A) et (C) augmentent leurs émotions positives entre le T1 et
le T2.
F.
Données recueillies entre 4 et 8 ans
D’après le Tableau 14, nous observons qu’au moment de la passation des tests des
histoires à compléter entre 4 et 8 ans, la moyenne des âges des enfants du groupe contrôle
était significativement plus élevée que celle des enfants du groupe TPB (7.8 vs. 6.0 ;
p<.0001). Nous avons expliqué cette différence d’âge dans notre méthodologie. Le Tableau
14 indique également que les enfants des deux groupes ne diffèrent pas d’après la moyenne
des scores obtenus au QI verbal et à l’échelle de vitesse de traitement. Toutefois, la moyenne
des scores aux QIV des enfants du groupe TPB est légèrement supérieure à celle des enfants
du groupe contrôle (120.1 vs. 113.5). La moyenne des scores à la vitesse de traitement des
enfants du groupe TPB est en revanche plus faible que celle des enfants du groupe contrôle
(99.1 vs. 104.4). Ces résultats au QIV nous ont permis de considérer que les capacités
verbales des enfants des deux groupes n’étaient pas significativement différentes, ce qui nous
paraissait important dans la mesure où les capacités verbales peuvent influencer les capacités
narratives des enfants.
Tableau 14. Données recueillies à 4-8ans chez les enfants de chaque groupe : l’âge en
années et les données relatives au quotient intellectuel verbal (QIV) et au score à la
vitesse de traitement et les scores aux échelles de dépression pour la mère.
Age (en années)
QIV
Vitesse de traitement
Groupe
Contrôle
(N=13)
M
S
7.8
0.89
113.5 14.12
104.4 19.67
Groupe TPB
(N=12)
Test t
(22)
Seuil p
M
6.0
120.1
99.1
4.12
-1.16
0.69
<.0001
Ns
Ns
S
1.30
14.44
18.53
Légende : Données concernant les moyennes d’âge des enfants des deux groupes ainsi que les
résultats obtenus au QIV et à la vitesse de traitement selon les échelles de la WISC III ou de la
WPPSI-R.
252
Mère
MADRS
Groupe
Contrôle
(N=13)
M
s
Groupe TPB
(N=11)
M
S
Test t
(25)
Seuil p
7.1
15.5
-2.26
0.037
6.37
9.45
Légende : Données concernant les moyennes obtenues à l’échelle de dépression de la MADRS chez les
mères des deux groupes.
Au moment du dernier RDV de notre recherche, lorsque les enfants avaient entre 4 et 8
ans, on observe, en moyenne, que les mères du groupe TPB restent déprimées (score de 15.5)
contrairement aux mères du groupe contrôle (score de 7.1). Notons également que le niveau
de dépression n’a guère varié relativement à l’évaluation réalisée aux 13 mois du bébé.
Au sein du groupe TPB, nous avons pu avoir un entretien avec toutes les dyades lorsque
les enfants avaient entre 4 et 8 ans pour la passation du test des histoires à compléter.
Toutefois, nous n’avons pas pu faire passer ce test à 3 des enfants de cette population. L’un
d’entre eux présentait un mutisme sélectif extra-familial, il refusait donc de communiquer
avec nous et nous n’avons pas pu non plus évaluer son QIV. Un autre enfant a refusé de jouer
avec les personnages d’une famille en raison de conflits au sein de sa propre famille, mais a
accepté de passer l’échelle verbale. Enfin, pour le dernier enfant, la passation a été débutée
mais a du être écourtée face à l’inhibition massive générée par la deuxième histoire. Pour ce
dernier enfant, nous n’avons pas pu continuer les passations des deux tests.
Le codage « CCH » permet d’obtenir des indices quantitatifs ou dimensionnels
concernant la qualité des représentations d’attachement, ces indices peuvent donner plus
d’informations sur la qualité de l’attachement d’un enfant ou d’une population d’enfants.
253
G. Analyses des données recueillies chez
les enfants âgés de 4 à 8 ans par le biais du
test des histoires à compléter, au sein des
deux groupes
Nous rappelons que la méthode utilisée des indices Q en format T calculée à partir des
données issues des travaux de Miljkovitch et Pierrehumbert (2008) permet d’obtenir les
scores aux quatre dimensions de l’attachement pour chaque enfant. Le Tableau 15 et la
Figure19 présentent les résultats obtenus pour chacune des quatre dimensions au sein du
groupe contrôle, du groupe TPB et du groupe « de référence », c’est-à-dire « tout-venant ».
Par ailleurs, la désactivation correspond à l’attachement insécure évitant et l’hyperactivation à
l’attachement insécure ambivalent résistant.
1. Analyses des résultats concernant la qualité de
l’attachement évaluée par le biais des
représentations de l’enfant, âgé de 4 à 8 ans, au sein
des deux groupes
a)
Au sein du groupe contrôle
Nous observons d’après le Tableau 15 et la Figure19, que chez les enfants du groupe
contrôle, la dimension sécure est en moyenne la plus élevée (60.9), suivie de l’hyperactivation
(54.8), puis de la désorganisation (44.6). La dimension la plus faible est celle de la
désactivation (41.6) de l’attachement.
Tableau 15. Comparaison des moyennes obtenues au test des histoires à compléter
(ASCT) entre les 4 dimensions de l’attachement et les échelles descriptives du CCH entre
les deux groupes et entre ces deux groupes et le groupe de référence.
M
S
Comparaiso
n à la
norme
(M=50)
Seuil p
60.9
41.6
45.8
44.6
6.7
5.9
5.4
5.7
<.0001
0.0003
0.0166
0.006
Groupe
Contrôle
(N=13)
Dimensions de
l’attachement
Secure
Désactivation
Hyperactivation
Désorganisation
254
S
Comparais
on à la
norme
(M=50)
Seuil p
Test t
Seuil p
10.8
7.9
12.1
16.7
0.011
0.004
ns
0.06
5.84
-6.10
-0.80
-3.22
<.0001
<.0001
ns
0.004
Groupe
TPB
(N=11)
M
39.9
58.8
48.8
60.5
Comparaison
Contrôle-TPB
Echelles
descriptives
1. Collaboration
58.6
5.6
<.0001
40.0
8.9
0.004
6.21
<.0001
2. Représentations
51.7
6.7
Ns
44.2
8.5
0.045
2.43
0.024
de soutien parental
3. Narratif positif
54.0
9.0
Ns
37.7
15.0
0.021
3.29
0.003
4. Expression
58.9
6.9
0.0005
43.0
14.9
Ns
3.45
0.002
d'affects appropriée
5. Réaction à la
49.2
8.4
Ns
50.9
11.1
Ns
-0.43
ns
séparation
6. Distance
54.4
5.9
0.02
48.2
13.7
Ns
1.48
ns
symbolique
7. Faible
compétence
45.6
6.6
0.03
60.3
6.4
0.0004
-5.50
<.0001
narrative
Légende : Moyennes obtenues aux 4 dimensions d’attachement et aux échelles descriptives des
narratifs, pour les enfants des groupes contrôle et TPB. La norme dont la moyenne est à 50 est celle
donnée par B. Pierrehumbert et son équipe dans la feuille de calcul des scores des différentes échelles
aux tests des histoires à compléter. Elle a été obtenue à partir d’une population de 187 sujets « toutvenant » qui constitue une population de référence. Les scores en format T ont été obtenus à partir de
cette population de référence. Pour les scores T, la moyenne est à 50 et l’écart-type est à 10.
Figure19. Répartition des différentes dimensions de l’attachement chez les enfants
des trois groupes
(1)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux dimensions
d’attachement entre le groupe « tout-venant » de référence et le
groupe contrôle
D’après le Tableau 15 et la Figure19 ci-dessus, nous observons, en moyenne, que les
enfants du groupe contrôle présentent des scores significativement différents de ceux du
groupe de référence. Les enfants du groupe contrôle ont, en moyenne, un score
significativement plus élevé à la dimension sécure comparativement à la population de
référence (60.9 vs. 50 ; p<.0001). Ils présentent au contraire, en moyenne, des scores
significativement plus bas aux dimensions : désactivée (41.6 vs. 50 ; p=0.0003), hyperactivée
255
(45.8 vs. 50 ; p=0.0166) et désorganisation (44.6 vs. 50 ; p=0.006), comparativement à la
moyenne de la population de référence. A nouveau cette différence peut s’expliquer par le fait
que notre population contrôle n’est pas une population tout-venant, comme nous l’avons déjà
expliqué.
b)
Au sein du groupe TPB
D’après le Tableau 15 et la Figure19, nous observons que chez les enfants du groupe
TPB, la dimension désorganisée de l’attachement est en moyenne la plus élevée (60.5) suivie
de celle de la désactivation de l’attachement (58.8) puis de celle de l’hyperactivation (48.8).
La dimension de la sécurité de l’attachement est la plus basse au sein du groupe TPB (39.9).
(1)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux dimensions
d’attachement entre le groupe « tout-venant » de référence et le
groupe TPB
Les enfants du groupe TPB présentent, en moyenne, un score à la dimension sécure
significativement plus bas comparativement à celui issu de la population de référence (39.9
vs. 50 ; p=0.011). Au contraire, ils présentent, en moyenne, des scores significativement plus
élevés aux dimensions de désorganisation (60.5 vs. 50 ; p=0.06) et de désactivation de
l’attachement (58.8 vs. 50 ; p=0.004). Les enfants du groupe TPB présentent, en moyenne, un
score plus bas à la dimension hyperactivée comparativement à la population de référence mais
cette différence n’est pas significative (48.8 vs. 50).
Par conséquent, du point de vue des représentations d’attachement, on observe que
les enfants du groupe TPB, entre 4 et 8 ans, sont en moyenne significativement moins
sécures et plus désorganisés et désactivée dans leurs dimensions d’attachement,
comparativement à une population de référence « tout-venant. »
c)
Analyse comparative de la qualité de l’attachement
entre le groupe contrôle et le groupe TPB
(1)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux 4 dimensions
de l’attachement entre le groupe contrôle et le groupe TPB
Les enfants du groupe TPB présentent, en moyenne, un score à la dimension désorganisée
significativement plus élevé comparativement à ceux du groupe contrôle (60.5 vs. 44.6 ;
p=0.004).
256
De même, les enfants du groupe TPB ont un score significativement plus élevé à la
dimension désactivée comparativement à ceux du groupe contrôle (58.8 vs. 41.6 ; p<.0001). En
revanche, les enfants du groupe TPB ont un score significativement moins élevé à la
dimension sécure que les enfants du groupe contrôle (39.9 vs. 60.9 ; p<.0001). On ne retrouve
pas de différence significative pour la dimension d’hyperactivation entre les deux groupes.
(2)
Analyse des résultats concernant la qualité de l’attachement des
enfants des deux groupes
Le « CCH » permet également d’obtenir une typologie d’attachement pour les enfants
évalués afin d’obtenir des données qualitatives18.
Tableau 16. Qualité de l’attachement évaluée par le biais des représentations
d’attachement au test des histoires à compléter (ASCT) chez les enfants du groupe
contrôle et du groupe TPB.
Insécure
Secure
Groupe contrôle
N=13
13
Désorganisé
Désactivé
Hyperactivé
0
0
0
13
2
0
5
11
100%
Groupe TPB
N=11
4
36,4%
18,2%
0%
45,4%
Légende : qualité de l’attachement des enfants, au sein des deux groupes, évaluée par le biais du test
des histoires à compléter.
(a) Au sein du groupe contrôle
D’après le Tableau 16 ci-dessus, et d’un point de vue qualitatif, nous observons que tous
les enfants du groupe contrôle 100% (N=13) présentent un type d’attachement sécure évalué
par le biais des représentations d’attachement.
(b) Au sein du groupe TPB
D’après le Tableau 16, nous observons que chez les enfants du groupe TPB, le prototype
désorganisé est le plus représenté 45.4% (N=5). Dans le groupe TPB, on observe 36.4%
(N=4) d’enfants dont les représentations d’attachement sont sécures et 18.2% (N=2) d’enfant
dont les représentations d’attachement sont désactivées. Le prototype hyperactivé des
représentations d’attachement n’est représenté dans aucun des deux groupes.
18
Pour se faire, nous avons eu recours à une méthode de seuils donnée par Miljkovitch et Pierrehumbert, (2008).
257
2. Analyses des résultats obtenus aux échelles
descriptives du codage « CCH » chez les enfants des
deux groupes
Le Tableau 15 permet également de visualiser les moyennes des 7 échelles descriptives
obtenues dans les deux groupes. Compte tenu du nombre important de nos résultats nous ne
présentons que les analyses comparatives des moyennes obtenues aux différentes échelles
entre les différents groupes. Nous rappelons que 4 échelles renseignent sur le style du
discours de l’enfant (Collaboration, expression d’affects appropriée, distance symbolique et
faible compétence narrative) ; les 3 autres échelles renseignent sur le contenu du discours
(Représentation de soutien parental, narratif positif et réactions à la séparation). Les échelles
réaction à la séparation et faible compétence narrative se lisent dans le sens inverse des
autres.
a)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux
échelles descriptives entre le groupe de référence et le
groupe contrôle
D’après le Tableau 15, nous observons que les enfants du groupe contrôle obtiennent des
moyennes significativement plus élevées aux 4 échelles qui concernent le style du discours
comparativement aux moyennes des enfants du groupe de référence. Les enfants du groupe
contrôle présentent en moyenne une meilleure collaboration (58.6 vs. 50 ; p<.0001), une
meilleure expression des affects appropriés (58.9 vs. 50 ; p =0.0005), une meilleure distance
symbolique (54.4 vs. 50 ; p=0.02) et une meilleure compétence narrative (45.6 vs. 50 ;
p=0.03). On ne retrouve pas de différence significative pour les moyennes obtenues aux 3
autres échelles qui concernent le contenu du discours entre le groupe contrôle et le groupe de
référence. Toutefois, on observe que les moyennes obtenues à ces trois échelles ont tendance
à être plus élevées au sein du groupe contrôle comparativement au groupe de référence.
b)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux
échelles descriptives entre le groupe de référence et le
groupe TPB
D’après le Tableau 15, on observe des différences entre les moyennes obtenues aux
échelles descriptives du groupe TPB et celles du groupe de référence. En moyenne, les
258
enfants du groupe TPB obtiennent de moins bons résultats à toutes les échelles descriptives
comparativement à ceux des enfants du groupe de référence.
Du point de vue du style du discours des enfants : les résultats des enfants du groupe
TPB aux échelles collaboration et faible compétence narrative sont, en moyenne,
significativement moins bons, comparativement à ceux du groupe de référence
(respectivement 40.0 vs. 50 ; p<0.004 et 60.3 vs. 50 ; p=0.0004). Les résultats des enfants du
groupe TPB aux échelles distance symbolique et expression d’affects appropriée sont, en
moyenne, plus faibles comparativement à ceux des enfants du groupe de référence mais ces
différences ne sont pas significatives (respectivement 48.2 vs. 50 et 43 vs. 50).
Du point de vue du contenu du discours des enfants : Les résultats des enfants du
groupe TPB aux échelles représentations de soutien parental et narratif positif sont, en
moyenne, significativement moins bons, comparativement à ceux du groupe de référence
(respectivement 44.2 vs. 50; p=0.045 ; 37.7 vs. 50 ; p=0.021). Les résultats des enfants du
groupe TPB à l’échelle réaction à la séparation sont, en moyenne, moins bons
comparativement à ceux des enfants du groupe de référence (ce qui se traduit par un résultat
légèrement plus élevé 50.9 vs. 50) mais cette différence n’est pas significative.
c)
Analyse comparative des moyennes obtenues aux
échelles descriptives entre le groupe contrôle et le
groupe TPB
D’après le Tableau 15, on note de grandes différences entre les deux groupes. En
moyenne, les enfants du groupe TPB obtiennent de moins bons résultats à toutes les échelles
descriptives comparativement aux enfants du groupe contrôle.
Du point de vue du style du discours des enfants : les résultats des enfants du groupe
TPB aux échelles collaboration, expression d’affects appropriée et faible compétence
narrative sont significativement moins bons, comparativement à ceux du groupe contrôle
(respectivement 40.0 vs. 58.6 ; p<.0001, 43.0 vs. 58.9 ; p=.002, 60.3 vs. 45.6 ; p=<.0001).
Les résultats des enfants du groupe TPB à l’échelle distance symbolique sont plus faibles
comparativement à ceux des enfants du groupe contrôle mais cette différence n’est pas
significative (48.2 vs. 54.4).
259
Du point de vue du contenu du discours des enfants : les résultats des enfants du groupe
TPB aux échelles représentations de soutien parental et narratif positif sont significativement
moins bons, comparativement à ceux du groupe contrôle (respectivement 44.2 vs. 51.7;
p=.024 ; 37.7 vs. 54.0; p=.003). Les résultats des enfants du groupe TPB à l’échelle réaction à
la séparation sont moins bons comparativement à ceux des enfants du groupe contrôle (50.9
vs. 49.2) mais cette différence n’est pas significative.
H. Analyse de l’évolution de la qualité de
l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans
chez les enfants des deux groupes
Tableau 17. Evolution de la qualité de l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans au sein
des groupes.
Secure
B
14 contrôles
D8
D9
A
C
D
D2
D7
Désactivation
D3
Désorganisation
D12
Total
16
D1
D6
D14
2
3
D’après le Tableau 17 ci-dessus et la Figure 20 ci-dessous, nous observons deux
évolutions différentes en ce qui concerne la qualité de l’attachement au sein de nos deux
populations.
1. Au sein du groupe contrôle
Dans le groupe contrôle, la totalité des enfants étaient sécures dans leurs comportements
d’attachement à 13 mois et sont restés sécures d’après leurs représentations d’attachement à
l’âge de 4-8 ans. On observe donc une continuité dans la sécurité d’attachement au sein
des enfants de la population contrôle.
260
2. Au sein du groupe TPB
Figure 20. Evolution de la qualité de l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans au sein
des 9 enfants du groupe TPB ayant été évalués aux deux âges.
En ce qui concerne la population TPB, les enfants se caractérisent par des évolutions très
différentes au sein du groupe. Notre échantillon du groupe TPB était à l’origine constitué de
14 enfants. Nous avions réussi à revoir 12 enfants de cette population pour évaluer leurs
comportements d’attachement à 13 mois. La Figure 20 indique l’évolution de la qualité de
l’attachement des 9 enfants du groupe TPB ayant été évalués aux deux âges. On peut observer
que les deux enfants à l’attachement sécure (B) à 13 mois restent sécures entre 4 et 8 ans. Les
deux enfants qui avaient un attachement insécure ambivalent résistant (C) à 13 mois ont
évolué vers un attachement sécure. Parmi les deux enfants qui avaient un attachement
insécure évitant (A) à 13 mois, l’un d’eux a évolué vers un attachement désorganisé, l’autre
est resté insécure évitant (désactivé). Enfin, parmi les trois enfants qui avaient un attachement
désorganisé (D) à 13 mois, l’un d’eux a évolué vers un attachement insécure évitant et les
deux autres sont restés désorganisés.
D’après le Tableau 18 ci-dessous, du point de vue des dimensions de l’attachement, nous
observons que les 2 enfants qui avaient un attachement insécures ambivalent résistant (C) à 13
mois et qui ont évolué vers un attachement sécure à 4-8 ans, présentent à cet âge, une forte
dimension de désactivation de l’attachement (55.8). Les deux enfants qui avaient un
attachement insécure évitant (A) à 13 mois et qui ont évolué différemment à 4-8 ans,
présentent à cet âge une forte dimension de désactivation (63.6) mais également une forte
dimension de désorganisation de l’attachement. Enfin, les 3 enfants qui avaient un
attachement désorganisé (D) à 13 mois et qui ont évolué différemment à 4-8 ans, présentent à
261
cet âge, une forte dimension de désactivation (64.9) ainsi qu’une forte dimension de
désorganisation de l’attachement (69.3).
Tableau 18. Comparaison des moyennes obtenues aux 4 dimensions de l’attachement
et des moyennes obtenues aux échelles descriptives du CCH chez les enfants du groupe
TPB en lien avec la qualité de leur attachement à 13 mois.
Dimensions de l’attachement
Secure
Désactivation
Hyperactivation
Désorganisation
Echelles descriptives
1. Collaboration
2. Représentations de soutien parental
3. Narratif positif
4. Expression d'affects appropriée
5. Réaction à la séparation
6. Distance symbolique
7. Faible compétence narrative
B
n=2
A
n=2
C
n=2
D
n=3
F
Seuil
p
54.2
48.1
35.6
42.2
32.7
63.6
50.2
69.6
49.0
55.8
36.8
42.4
31.2
64.9
56.4
69.3
25.3
6.3
12.6
5.4
0.002
0.038
0.009
0.050
49.7
49.9
51.6
53.7
48.0
52.4
56.2
35.3
42.7
27.0
45.4
59.4
46.4
60.3
43.3
55.1
53.8
44.4
37.7
53.6
55.4
36.3
36.9
32.4
33.0
54.6
47.2
62.4
1.1
3.8
2.7
<1
1.7
<1
<1
Ns
<.10
Ns
Ns
Ns
Ns
Ns
I. Analyse de la qualité des échelles
descriptives des narratifs des enfants du
groupe TPB, en fonction de la qualité de
leur attachement à 13 mois
D’après le Tableau 18, nous observons au sein des enfants du groupe TPB des différences
qualitativement parfois très importantes aux échelles descriptives entre les 4 groupes
d’enfants constitués d’après la qualité de leur attachement à 13 mois. Le faible nombre
d’enfants par groupe ne permet toutefois pas de généraliser ces résultats, en témoigne la nonsignificativité des tests F.
Les enfants qui étaient sécures (B) à 13 mois, en ce qui concerne le style du discours,
présentent de meilleurs résultats aux échelles collaboration (49.7) et expression d’affects
appropriés (53.7) et de façon relative, aux échelles distance symbolique (52.4) et faible
compétence narrative (56.2), comparativement aux enfants des autres groupes. En ce qui
concerne le contenu du discours, ces enfants présentent des résultats aux échelles
262
représentations de soutien parental (49.9), narratif positif (51.6) et réaction à la séparation
(48.0) qui restent proches de la moyenne des enfants de la population de référence (50).
Les enfants qui étaient insécures évitants (A) à 13 mois, en ce qui concerne le style du
discours, présentent de faibles compétences narratives (60.3) et le plus faible score à l’échelle
de collaboration (35.3) comparativement aux enfants des autres groupes. Chez ces enfants, en
ce qui concerne le contenu du discours, ils présentent le score le plus élevé à l’échelle de
réaction à la séparation (59.4) et le score le plus bas à l’échelle narratif positif (27.0),
comparativement aux enfants des autres groupes.
Les enfants qui étaient insécures ambivalents résistants (C) à 13 mois, en ce qui
concerne le contenu du discours, présentent les scores les plus élevés aux échelles de
représentations de soutien parental (55.1) et narratif positif (53.8), comparativement aux
enfants des autres groupes. En revanche, en ce qui concerne le style du discours, ils
présentent le score le plus bas à l’échelle réaction à la séparation (37.7) comparativement aux
enfants des autres groupes.
Les enfants qui étaient désorganisés (D) à 13 mois, de façon générale présentent de très
mauvais scores aux échelles descriptives. En ce qui concerne le style du discours, ils
présentent les scores les moins bons aux échelles expression d’affects appropriés (33.0) et
faible compétence narrative (62.4) comparativement aux enfants des autres groupes. Leur
score à l’échelle collaboration est également très bas (36.3). En ce qui concerne le contenu
du discours, ils présentent le score le plus bas à l’échelle de représentations de soutien
parental (36.9) comparativement aux enfants des autres groupes. Enfin, leur score à l’échelle
narratif positif est également très bas (32.4).
Si en moyenne, nous avions vu que les résultats aux échelles descriptives des enfants
du groupe TPB étaient significativement moins bons, comparativement à ceux des
enfants des groupe contrôle et de référence, nous observons que les enfants du groupe
TPB qui étaient sécures à 13 mois ont tendance à obtenir de meilleurs résultats aux
échelles comparativement aux autres. En revanche, les enfants qui étaient désorganisés
tendent à avoir de moins bons résultats à ces échelles. Les enfants qui étaient sécures
dans leur attachement à 13 mois ont donc en moyenne de meilleures capacités
narratives.
263
J. Analyse des résultats concernant
l’évaluation du fonctionnement psychique
des enfants du groupe TPB par le biais de la
passation du test des histoires à compléter
à l’âge de 4-8 ans
Nous avons réalisé, pour les dyades du groupe TPB, une évaluation du fonctionnement
psychique des enfants à l’âge de 4-8 ans, au travers d’une lecture psychodynamique aidée par
les grilles du diagnostic structurel de l’enfant de Palacio-Espasa et Dufour (1994). Ces
évaluations sont présentées sous la forme de cas cliniques qui reprennent également
l’ensemble des éléments anamnestiques et symptomatiques concernant les dyades du groupe
TPB. Ces données sont issues des entretiens que nous avons réalisés avec les mères du groupe
TPB ainsi que des dossiers médicaux des dyades ou encore de cas cliniques ayant été réalisés
par les thérapeutes de l’Aubier ayant suivi ces patients. Par ailleurs, nous présentons de façon
détaillée les passations des Situations Etranges pour mettre en lumière la qualité des
interactions mère-bébé à 13 mois. Nos cas cliniques, pour plus de clarté, sont présentés en
Annexe 2.
Compte tenu de l’hétérogénéité et du nombre important de ces résultats, nous avons
choisi de ne les présenter que dans notre discussion, dans le paragraphe qui aborde le
fonctionnement psychique des enfants du groupe TPB à l’âge de 4-8 ans. L’ensemble des
résultats issus des cas cliniques est résumé sous la forme de deux tableaux (Tableau 19 et
Tableau 20).
264
IX. Discussion des résultats
A. Eléments de discussion concernant les
données recueillies aux 3 mois du bébé au
cours de la procédure du Still-Face
Les études micro-analytiques chez les bébés se caractérisent par de grandes différences
intra individuelles (c'est-à-dire chez un même bébé au cours du temps) mais aussi au sein d’un
même groupe. Ces difficultés sont liées aux variabilités qui s’inscrivent comme autant de
styles différents que de dyades différentes. Ces variabilités peuvent être mises en lumière par
les grands écarts-types que nous observons souvent dans l’observation d’un même
comportement au sein d’un groupe donné, qui font que souvent les résultats de l’analyse
comparative entre les deux groupes ne sont plus significatifs. Toutefois, nos résultats ont mis
en évidence des différences significatives ou importantes entre le groupe contrôle et le groupe
TPB.
1. Le temps T1
Les comportements de régulation permettent au bébé de lui apporter un sentiment de
continuité d’exister selon les termes de Winnicott. Lorsque les comportements
d’autorégulation du bébé augmentent fortement, on peut penser qu’il est face à la nécessité de
puiser dans ses capacités de régulation propres, peut-être dans ce que l’on pourrait appeler une
« hyper-autorégulation ». On peut se demander si cette augmentation excessive se fait au
détriment du développement du bébé, par exemple, au détriment de ses capacités
d’exploration ?
Chez les bébés, le regard vers le regard maternel constitue un des mécanismes de
régulation (Apter, 2008). En quoi, chez les bébés du groupe TPB, le regard vers celui de la
mère représenterait une source particulièrement importante de régulation à laquelle ils
auraient massivement recours ?
Au T1, qui peut représenter un moment d’interaction « normal » ou « banal », les bébés
du groupe contrôle montrent une plus grande variabilité de leurs comportements de régulation
(regards mère, regard objet, autorégulation) comparativement aux bébés du groupe TPB.
265
Au contraire, les bébés du groupe TPB semblent comme « fascinés » par le regard de leur
mère, comparativement aux bébés contrôles. Les bébés du groupe TPB paraissent accrochés
au regard de leur mère, comme si, habitués à l’imprévisibilité des réactions maternelles liée à
la pathologie borderline, ils y réagissaient par cet accrochage du regard et, par conséquent, par
moins de regard vers des objets. Cet accrochage du regard constituerait un mécanisme
d’adaptation des bébés face à l’imprévisibilité maternelle. Cette « hyperadaptation » aurait
pour conséquence de diminuer leurs comportements d’exploration, nécessaires à leur bon
développement.
De plus, le fait que les bébés du groupe TPB présentent moins de comportements
d’autorégulation au T1, traduirait, chez ces derniers, de moindres capacités de se réguler par
ce biais là, comparativement aux bébés contrôle. Les bébés du groupe TPB se réguleraient
beaucoup plus en regardant leur mère tandis que les bébés contrôles montreraient des façons
plus variées de se réguler par le regard.
Par ailleurs, les bébés du groupe TPB présentent déjà au T1 des différences significatives
au niveau de l’expression d’émotions positives, comparativement à ceux du groupe contrôle.
Nous observons qu’ils présentent moins d’émotions positives. De plus, les bébés du groupe
TPB présentent moins de manifestations du SNA au T1 ; nos résultats vont donc à l’encontre
de ceux de l’étude d’Apter et Candilis-Huisman (2005) qui avaient trouvé que les bébés de
mères borderline se présentaient déjà différemment des bébés contrôle au T1 en présentant
plus de manifestations du SNA. Cependant, notre résultat n’est pas significatif et cette
différence pourrait s’expliquer par un écart-type élevé (S=17.7) retrouvé pour la moyenne du
groupe contrôle.
La variabilité des comportements chez les bébés du groupe contrôle (regards mère,
regards objets, autorégulation) serait plus importante que celle des bébés du groupe
TPB. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle les bébés du groupe TPB auraient déjà,
à 3 mois, moins de possibilités différentes pour s’exprimer et se réguler.
Au T1, les mères contrôles présentent plus de comportements d’engagement social et
significativement plus d’émotions positives avec leur bébé comparativement à celles du
groupe TPB. Toutefois, les bébés du groupe contrôle regardent moins leur mère que ceux du
groupe TPB.
Par conséquent, face à la disponibilité maternelle, les bébés du groupe contrôle
auraient développé plus de capacités d’exploration comparativement à ceux du groupe
266
TPB soumis à l’imprévisibilité maternelle qui les empêcherait de se détourner de leur
regard. Ces résultats iraient dans le sens de ceux de Cohn et Tronick (1988) qui ont mis en
évidence que les taux de synchronie au sein d’interactions de bonne qualité n’excédent pas
30%. Le « trop ou le pas assez » de synchronie s’inscrivent comme des témoins de
dysfonctionnements interactifs. Cet excès de regards vers la mère des bébés du groupe
TPB, s’accompagnant d’un excès d’engagement maternel seraient en faveur
d’interactions trop contrôlantes, répétitives et intrusives comme le souligne G. Apter
(2011). Finalement, les bébés du groupe contrôle auraient la possibilité de ne pas toujours
répondre à l’engagement maternel, ce qui serait le signe d’une bonne adaptation ouvrant à
l’exploration.
2. Le temps du SF
Au moment du SF, on observe que les comportements et émotions des bébés varient dans
le même sens au sein des deux groupes sauf les comportements d’autorégulation qui
augmentent au sein du groupe TPB et qui diminuent dans le groupe contrôle.
Les bébés du groupe TPB seraient beaucoup plus stressés et désorganisés par
l’épreuve du SF que les bébés du groupe contrôle. Le SF entrainerait chez les bébés du
groupe TPB un stress responsable d’une dysrégulation émotionnelle.
Nos résultats suggèrent que chez les bébés du groupe TPB, ce stress (ou cette détresse) se
manifesterait par un évitement franc et massif du regard de leur mère au moment du SF,
cet évitement du regard s’accompagne d’une proportion importante de comportements de
recul du corps entier qui traduisent des comportements de mise à distance et de retrait
interactif majeur. Parallèlement, ce stress se traduit par une augmentation considérable de
leurs comportements d’autorégulation mais également de leurs émotions négatives et
d’une augmentation légère des manifestations du SNA. G. Apter (2004) avaient trouvé les
mêmes résultats et concluait également que les difficultés dans l’autorégulation se traduisaient
par ces mêmes comportements.
Face au stress du SF, même leur recours important aux comportements
d’autorégulation ne suffirait pas à les réguler. L’augmentation des émotions négatives
chez ces derniers, malgré le recours important à l’autorégulation, serait le signe de leur
dysrégulation émotionnelle.
267
Face au stress du SF, les bébés du groupe TPB présenteraient une dysrégulation
émotionnelle et auraient besoin d’avoir plus recours aux mécanismes d’autorégulation
pour tenter (en vain) de retrouver un état d’équilibre.
3. Le temps du T2 : le retour de la mère
Le « retour de la mère » au T2 ne permet pas aux bébés du groupe TPB de s’apaiser
et de trouver du réconfort, suite au stress du SF, contrairement aux bébés contrôles :
Malgré le retour de la mère, les bébés du groupe TPB continuent d’augmenter
sensiblement leurs vocalisations négatives et se caractérisent par l’expression de plus
d’émotions négatives comparativement aux bébés du groupe contrôle. Les bébés du groupe
TPB continuent de montrer des signes de désorganisation et de dysrégulation
émotionnelle au cours du T2 :
Ils se caractérisent par l’augmentation des mouvements de recul du corps entier, des
mouvements qui par ailleurs sont beaucoup plus présents aux trois temps comparativement au
groupe contrôle. Ces mouvements de recul du corps entier constitueraient des
mécanismes d’évitement et de retrait interactif auxquels les bébés du groupe TPB
auraient recours de façon massive en plus du retrait du regard.
Par ailleurs, chez ces bébés, les manifestations du SNA continuent d’augmenter
fortement, signant leur désorganisation. Les manifestations du SNA chez les bébés du
groupe contrôle diminuent au T2.
Face à un stress mineur, à 3 mois, les bébés du groupe TPB ne pourraient pas
s’appuyer sur la mère pour retrouver un état d’équilibre comportemental et émotionnel.
On peut donc s’interroger sur les raisons de cette incapacité et par conséquent, sur les
capacités maternelles de régulation du bébé, suite à cet épisode de stress. L’étude de White et
al. (2011) avait montré que chez des mères borderline, les comportements insensibles
augmentaient à mesure que la détresse de l’enfant durait au cours de retrouvailles à la
Situation Etrange à 12 mois. Nos résultats pourraient suggérer que les mères du groupe TPB
seraient en difficulté pour aider le bébé à se réguler. Leurs difficultés pourraient être en lien
avec un manque de capacité de fonction réflexive, rendant difficile la compréhension du vécu
du bébé et particulièrement de son état de détresse (Fonagy, 2003). De même, cette incapacité
pourrait être liée à la particularité de leur fonctionnement psychique. Le stress provoqué par le
SF pourrait avoir ravivé en elles des émotions douloureuses contre lesquelles, elles ont érigé
268
des mécanismes de défense tels que le déni de leur propre vie psychique. Ce manque de
conscience de leurs mouvements affectifs et émotionnels ferait qu’elles seraient également,
par moment, (peut-être malgré elles) dans le déni de la vie psychique du bébé (Le Nestour et
al., 2007). Les manifestations de retrait interactif du bébé pourraient raviver les angoisses
maternelles d’abandon, les mères réagiraient donc de façon inadaptée, dans leurs interactions,
face aux manifestations de stress de leur bébé.
Comment les mères des deux groupes réagissent-elles, face aux manifestations de stress
de leur bébé ?
Les mères du groupe TPB, face à la détresse de leur bébé, seraient envahies par leurs
propres difficultés de régulation émotionnelle et seraient dans l’incapacité de s’adapter au
bébé. Face à la détresse du bébé, elles feraient preuve de comportements paradoxaux.
L’augmentation significative de l’engagement social maternel au sein du groupe TPB,
comparativement au groupe contrôle, pourrait être en faveur d’un surinvestissement du
regard du bébé qui deviendrait alors intrusif, même si le regard constitue un
comportement maternel dit « distal ».
Au moment du T2, les mères du groupe TPB qui continuent d’engager leur bébé,
montrent, par ailleurs, plus de touchers non-intrusifs et significativement plus d’émotions
positives bien qu’elles sourient moins comparativement au groupe contrôle. Ces réactions
maternelles paradoxales amplifieraient les réactions négatives des bébés du groupe TPB ; ces
derniers montrent :
- toujours plus d’émotions négatives et de vocalises négatives,
- plus de comportements du SNA,
- plus de mouvements de recul du corps entier
- et continuent toujours d’augmenter leurs comportements d’autorégulation.
Face à la détresse de leur bébé, les mères du groupe TPB font preuve d’une réaction
émotionnelle paradoxale qui se traduit par l’augmentation de l’expression d’émotions
positives, alors qu’elles seraient elles-mêmes en proie à un vécu douloureux. De même,
l’expression d’émotions positives en face de leurs bébés qui eux, expriment plus
d’émotions négatives, serait particulièrement non contingente face au vécu du bébé.
Cela traduirait leur incapacité à aider ce dernier à se réguler dans ses émotions.
269
Enfin, cette non-contingence serait le signe d’une difficulté chez ces mères à « réfléchir »
l’expérience émotionnelle du bébé de façon adéquate de par leur manque de fonction réflexive
(Fonagy et al., 2003). Ce manque de contingence fragiliserait la capacité du bébé à faire
l’expérience du sens de son soi, expérience qui s’établit normalement grâce aux
capacités d’identifications maternelles au bébé. Cette incapacité maternelle signerait à
nouveau un défaut d’identifications au vécu du bébé qui serait donc lui-même dans
l’impossibilité d’intérioriser son propre vécu émotionnel. Les mères du groupe TPB ne
pourraient pas jouer le rôle de miroir des émotions du bébé (Winnicott). Nos résultats
rejoignent les descriptions de G. Apter (sous presse) « Les mères borderline continuent de
solliciter et de fixer leur bébé, y compris lorsque ceux-ci sont désorganisés, comme si elles
ne pouvaient pas tenir compte des manifestations du bébé pour modifier leur propre
conduite. » La détresse de leur enfant les rendrait encore moins contingentes et plus
insensibles, comme si elle venait accroître leurs propres difficultés de régulation des
émotions. Ces résultats rejoignent ceux de Kiel et al. (2011) qui avaient montré que plus la
détresse des enfants âgés de 12 mois, lors d’une situation Etrange augmentait, plus les mères
borderline faisaient preuve de comportements insensibles à leur égard.
Face aux réactions non contingentes maternelles, le bébé serait amené à puiser dans
ses propres capacités d’autorégulation, au-delà de ses possibilités. L’augmentation
constante des manifestations du SNA signerait une régulation plus archaïque, au sein de
laquelle l’expérience du sens de soi serait biaisée puisqu’elle passerait par une régulation
plus somatique neuro-végétative, donc plus « automatique ou inconsciente » (Apter,
2004). Ce type de régulation pourrait entraver le développement du bébé.
Toutefois, ce trouble de la régulation émotionnelle dyadique se retrouverait au sein des
interactions pour l’ensemble des dyades dont la mère est atteinte d’un TPB, mais n’aurait pas
les mêmes conséquences chez tous les enfants. Ces différences au niveau des conséquences
sur l’enfant pourraient notamment se percevoir au travers du développement de différentes
stratégies comportementales d’attachement.
Nos résultats concernant le toucher nous ont amené à une interprétation un peu différente.
En effet, plus que le type de toucher, ce qui pourrait parfois être qualifié « d’intrusif » pour le
bébé, serait le caractère répété de ce toucher. Le toucher est un comportement maternel dit
« proximal » et son surinvestissement seraient intrusif. L’augmentation des touchers non270
intrusifs chez les mères du groupe TPB au T2 pourrait alors traduire leur plus grande
difficulté à supporter l’épreuve du Still-Face. Si l’on peut expliquer l’intensification des
touchers maternels vers le bébé, comme étant un défaut de régulation de ce dernier, amplifié
par l’épreuve du Still-Face, la légère diminution des touchers non-intrusifs au cours du T2,
chez les mères contrôles, s’expliquerait par une moindre déstabilisation de ces dernières et par
leur adaptation à la moindre disponibilité du bébé.
Au contraire, le fait que les mères contrôles soient moins engagées socialement avec leur
bébé au T2, comparativement au T1, représenterait une adaptation face à la détresse du bébé
générée par le SF. Ayant perçu, chez ce dernier, le stress entrainé par l’épreuve du SF, elles
continueraient d’engager leur bébé au T2 mais de façon légèrement moindre. Cela
constituerait une réponse adaptée face à la réaction négative du bébé qui est de fait moins
disponible en T2 pour interagir. Elles montreraient également au bébé qu’elles ont perçu leur
stress par la diminution de l’expression d’émotions positives.
B. Eléments de discussion concernant les
données recueillies aux 13 mois de l’enfant
Nos résultats ont mis en évidence des grandes différences au niveau de l’expression des
comportements d’attachement entre les deux groupes et entre les 2 moments de retrouvailles
lors de la Situation Etrange.
De façon générale, les enfants du groupe contrôle sont en moyenne très constants dans
l’expression de leurs comportements d’attachement d’une séparation à une autre, seuls les
comportements visant à maintenir le contact avec la mère augmentent légèrement. Cette
augmentation, entre les deux épisodes de retrouvailles, marque ainsi qu’ils ont besoin de
maintenir un peu plus le contact avec la mère car ils ont été plus stressés par la 2ème
séparation. Les enfants du groupe contrôle montrent en moyenne une constance dans leurs
comportements d’attachement entre deux séparations. On peut penser que cette constance
permet à la mère d’anticiper les comportements de son enfant et donc d’y répondre avec plus
de facilité.
271
Au contraire, chez les bébés du groupe TPB, la grande variabilité des réactions dans les
comportements d’attachement activés par des épisodes de séparation constituerait une
difficulté chez les mères pour anticiper leurs réactions. Cette difficulté amplifierait les
fragilités maternelles dans la relation à l’enfant. Cela représenterait une difficulté
supplémentaire dans leur capacité à répondre de façon adaptée aux besoins d’attachement de
l’enfant lors d’un moment de détresse suscité par une séparation.
On peut penser toutefois que la pathologie borderline, par le biais des comportements
maternels, entrainerait plus de comportements d’attachement insécure et/ou désorganisé chez
l’enfant. Les difficultés dans les comportements d’attachement liés à ces types d’attachement
amplifieraient les fragilités relationnelles mère-enfant déjà présentes. On observerait un effet
de feed-back interactif négatif entre les réponses maternelles inadaptées aux besoins
d’attachement de l’enfant et les réactions variables des enfants lors de séparations.
Le bébé à 13 mois, est dans un mouvement d’autonomisation, notamment parce qu’il est
capable de se déplacer seul et d’explorer. On peut penser que chez les mères borderline, ce
mouvement pourrait être difficile à vivre, car il serait susceptible de réactiver leurs angoisses
d’abandon. La perturbation de la communication affective et émotionnelle et les
comportements négatifs-intrusifs que nous avons pu observer chez la plupart des mères du
groupe TPB traduiraient leur propres difficultés de régulation émotionnelle ainsi que les
discontinuités de leur fonctionnement psychique sous-jacentes. Par ailleurs, nous avons pu
observer différents styles chez ces mères dans leur façon de favoriser l’expérience du bébé de
la « capacité d’être seul en leur présence », en termes winnicottien. Il nous semble en effet,
que le premier épisode de la Situation Etrange pourrait se caractériser par un moment où
l’enfant fait cette expérience de la capacité d’être seul en présence de la mère. Certains des
enfants acceptaient facilement, d’autres plus difficilement. De même, certaines des mères
étaient particulièrement en retrait, d’autres, au contraire, étaient particulièrement présentes,
voire intrusives.
Au sein du groupe TPB, les comportements en faveur d’une perturbation de la
communication émotionnelle et les comportements négatifs-intrusifs (AMBIANCE19 ;
Lyons-Ruth et al., 1999) étaient majoritairement présents chez les mères des enfants qui
avaient développé un type d’attachement désorganisé, puis chez celles dont l’enfant
19
(Atypical Maternal Behavior Instrument for Assessment and Classification. Lyons-Ruth, Bronfman et Parsons,
1999).
272
avait développé un attachement insécure ambivalent-résistant. D’un point de vue
qualitatif, au sein de ces dyades, ces comportements maternels perturbés étaient
principalement :
- des erreurs dans la communication affective
- et des comportements négatifs/intrusifs.
De façon générale, ces comportements maternels perturbés n’étaient pas présents chez les
mères du groupe contrôle. Nos résultats rejoignent ceux des études de Lyons-Ruth et al.
(1999) qui retrouvaient davantage de comportements maternels perturbés chez les mères des
enfants à l’attachement désorganisé. Ils rejoignent également les résultats de la méta-analyse
de Madigan et al. (2006), qui avait montré que la perturbation de la communication affective
maternelle était liée à l’attachement désorganisé de l’enfant (r= .35). Les enfants de mères
manifestant des patterns de communication affective perturbée obtenaient, un taux
d’attachement désorganisé jusqu’à 5 fois plus élevé (Madigan et al., 2006).
Nos résultats rejoignent également en partie ceux de l’étude d’Hobson et al. (2009) qui
avaient observé que la quasi-totalité des mères avec un TPB de leur population faisaient
preuve de patterns de communication affective perturbée à l’égard de l’enfant, contrairement
à des mères déprimées et à des mères sans pathologie. En revanche, Hobson et al. (2009)
retrouvaient chez les mères TPB significativement beaucoup plus de comportements de type
effrayés ou désorientés et concluaient que ce type de communication affective perturbée était
spécifique aux mères présentant un TPB. Dans notre étude, nous n’avons que très peu observé
de tels comportements au sein du groupe TPB.
Par ailleurs, Grienenberger et al. (2005) avaient montré que sur une population de 45
mères et de leurs bébés âgés de 10 à 14 mois, un score élevé obtenu à l’échelle AMBIANCE,
était inversement corrélé aux scores concernant la fonction réflexive maternelle. Ces résultats
suggéreraient que les mères du groupe TPB qui présentent un score élevé de
comportements perturbés auraient de faibles capacités de fonction réflexive. Ces
comportements seraient le signe d’une difficulté d’identification au vécu négatif du bébé
et de leur incapacité à y répondre de façon adaptée. Cela rejoint ce que nous avons pu
observer chez les mères du groupe TPB dans les interactions à 3 mois.
Par ailleurs, l’étude prospective longitudinale de Lyons-Ruth (2005) a montré que la
perturbation de la communication affective et émotionnelle maternelle contribuait à l’échec de
273
la régulation intersubjective entre la mère et l’enfant. Cette perturbation de la communication
précoce mère-bébé (à 18 mois) et la désorganisation de l’attachement chez l’enfant étaient
liées à l’incidence des symptômes borderline ou dissociatifs à l’adolescence. Toutefois, dans
leur étude, le retrait maternel avait le plus fort impact comparativement aux comportements
négatifs-intrusifs. Face à ces résultats, on peut émettre l’hypothèse que certains des
enfants désorganisés de notre groupe TPB pourraient être à risque de développer de tels
symptômes.
Enfin, de façon plus générale, à 13 mois, face à leur grande variabilité dans l’expression
de leurs comportements d’attachement, les enfants du groupe TPB pourraient être en difficulté
pour donner des « codes » clairs aux autres afin qu’ils puissent anticiper leurs réactions. On
peut penser notamment à toutes les personnes qui prennent en charge ces enfants
(institutrices, thérapeutes…).
Synthèse des résultats concernant la qualité de
l’attachement des enfants au sein des deux groupes
1.
Nos résultats ont mis en évidence des grandes différences au niveau de l’expression des
comportements d’attachement entre les deux groupes et entre les 2 moments de retrouvailles
lors de la Situation Etrange.
a)
Dans le groupe contrôle
Tous les enfants de notre population contrôle présentaient des comportements
d’attachement sécures à 13 mois. Nous pouvons penser que l’absence de troubles psychiques
chez la mère pourrait en partie expliquer le fait que les enfants de notre population contrôle
soient tous sécures dans leur comportements d’attachement. L’absence de troubles psychiques
maternels constituerait un élément favorisant la sécurité d’attachement chez l’enfant. En effet,
au sein d’une population tout-venant, Ainsworth et al. (1978) avaient observé seulement 66%
d’enfant à l’attachement sécure. Le fait que nous retrouvions un taux supérieur au sein de
notre échantillon contrôle s’expliquerait par l’exclusion des dyades pour lesquelles les mères
présentaient un trouble psychique. Nous pouvons penser qu’il existe un faible pourcentage de
troubles psychiques maternels dans les dyades dites « tout-venant » qui ne serait pas pris en
compte.
274
b)
Dans le groupe TPB
Le taux d’attachement désorganisé que nous avons observé au sein du groupe TPB était
de 33.3%. Selon la méta-analyse de Van Ijzendoorn et al. (1999) on retrouve 15% d’enfants à
l’attachement désorganisé au sein des populations non cliniques (population générale) et 24%
dans les groupes de faible niveau socio-économique. Par conséquent, notre taux est nettement
supérieur (plus du double) à celui retrouvé dans la population générale, il est également
supérieur à celui retrouvé dans les populations de faible niveau socio-économique.
Nos résultats rejoignent en partie ceux de l’étude d’Hobson et al. (2005) qui constitue la
seule étude ayant évalué la qualité de l’attachement d’un échantillon d’enfants de mères
borderline, par le biais de la Situation Etrange, en dehors de la nôtre. Ils ont évalué les
patterns d’attachement de ces enfants à 12 mois, au sein d’une population de 10 dyades mère
borderline-bébé comparativement à ceux d’enfants de dyades contrôles pour lesquelles la
mère ne présentait aucune pathologie psychiatrique. Comme eux, nous observons qu’un
nombre élevé d’enfants de mères borderline (33.3%) développent un attachement désorganisé
comparativement à la population contrôle. Toutefois, dans leur étude, 80% des enfants avaient
un attachement désorganisé et 20% des enfants avaient un attachement sécure. Nous obtenons
donc un taux d’attachement désorganisé inférieur à celui observé par Hobson et al. (2005). De
plus, la catégorie la plus représentée dans notre échantillon est celle de l’attachement insécure
(42%) qui n’était pas représentée dans l’échantillon d’Hobson et al. (2005). Cependant, au
regard de leurs autres données, les auteurs avaient insisté sur le fait que les deux seuls enfants
pour lesquels ils obtenaient un style d’attachement sécure (B2) présentaient « un évitement
instable », ce que nous retrouvons chez les deux enfants du groupe TPB à l’attachement B2. Il
est vrai que les enfants classés B2 sont parfois difficiles à coter car ils présentent beaucoup de
comportements d’évitement ce qui les rapprochent en partie des enfants à l’attachement
insécure-évitant.
En ce qui concerne la qualité des comportements d’attachement des enfants du groupe
TPB, nous obtenons des résultats très hétérogènes. Il nous semblait donc intéressant
d’observer les comportements interactifs à 3 mois au sein des dyades du groupe TPB, en lien
avec la qualité d’attachement observée ultérieurement chez ces enfants à 13 mois.
275
C. Eléments de discussion concernant la
mise en Lien des données à 3 mois et celles
de l’attachement à 13 mois dans le groupe
TPB
Notre questionnement était de savoir si l’on pouvait observer, au sein du groupe TPB, des
profils interactifs particuliers chez les bébés à 3 mois, en fonction de la qualité de leur
attachement évaluée à 13 mois.
Nous avions observé des différences de profils interactifs marquées chez les bébés entre
le groupe contrôle et le groupe TPB pour les comportements ci-dessous :
- regard vers la mère
- autorégulation
- manifestation du SNA
Chez la mère, nous avions observé des différences marquées de profils entre les deux
groupes pour les comportements ci-dessous :
- engagement social
- toucher non-intrusif
- émotions positives
Nous avons donc choisi de ne discuter que les résultats obtenus pour ces comportementslà, en fonction de la qualité de l’attachement ultérieur des bébés. Nous souhaitions pouvoir
comparer les résultats obtenus à 3 mois dans le groupe TPB, en fonction de l’attachement
ultérieur de l’enfant. Une des pistes était notamment d’observer si le profil des enfants classés
ultérieurement (B) dans le groupe TPB se rapprochait de celui des bébés du groupe contrôle
qui avaient tous été classés (B).
1. Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement
classés (B) : sécures dans leur attachement à 13
mois
Nous avons observé que les bébés ultérieurement classés (B), comparativement aux
bébés des autres groupes, présentaient :
276
- une légère diminution de leurs regards vers la mère en T2, contrairement aux bébés
des autres groupes qui les augmentent.
- la plus forte augmentation de leurs regards vers les objets en T2.
- la plus forte capacité d’autorégulation en T1
- une diminution des manifestations du SNA au T2 contrairement aux bébés des autres
groupes qui les augmentent.
L’évolution des regards des bébés ultérieurement classés (B) mettrait en lumière leur
capacité d’exploration. La reprise de l’exploration en T2 serait le signe d’une bonne capacité
d’adaptation. Par ailleurs, la baisse des manifestations du SNA qui s’accompagne d’une
diminution des comportements d’autorégulation, au moment du retour de la mère, serait en
faveur d’une certaine capacité à retrouver un état d’homéostasie en présence de leur mère
après le moment de stress du SF.
Nous avons observé que les mères des bébés ultérieurement classés (B),
comparativement à celles des bébés des autres groupes, présentaient :
- une très faible variation de leurs comportements d’engagement social
- une forte diminution des émotions positives ente le T1 et le T2, contrairement aux
mères des autres groupes qui les augmentent
-une augmentation de leurs touchers non-intrusifs
Nous observons donc que les mères des bébés ultérieurement classés (B) présentent
des comportements interactifs qui se rapprocheraient de ceux des mères du groupe
contrôle, en dehors des touchers non-intrusifs qui différent.
La bonne adaptation des bébés ultérieurement classés (B) suite à l’épreuve du SF, de
même que la bonne qualité des réponses maternelles au moment du T2, se rapprochent de ce
que nous avons observé au sein du groupe contrôle.
On peut penser que ce que nous observons chez les bébés ultérieurement classés (B)
serait déjà en faveur du développement d’un attachement sécure. Ce développement serait
favorisé par les comportements maternels observés qui suggèrent que la mère, au sein de ce
sous-groupe, constituerait une base de sécurité pour l’enfant.
277
2. Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement
classés (A) : insécure évitant dans leur attachement
à 13 mois
Nous avons observé que les bébés ultérieurement classés (A), comparativement aux
bébés des autres groupes, présentaient :
- de façon générale, de nombreux regards ailleurs puisqu’ils regardent peu la mère et
peu les objets
- l’augmentation et le taux le plus important de comportements d’autorégulation au
SF. Nos résultats rejoignent ceux de l’étude de Fuertes et al. (2006) qui se sont intéressé au
tempérament du bébé et à ses stratégies d’auto-réconfort à 3 mois et qui avaient observé que
les futurs enfants évitants faisaient preuve de plus de comportements d’auto-réconfort au
cours du SF.
- une faible augmentation des manifestations du SNA au moment du T2
On observe donc chez les bébés ultérieurement classés (A) des comportements
d’évitement du regard. L’augmentation massive des comportements d’autorégulation au
moment du SF serait en faveur d’une dysrégulation face au stress. Toutefois, ces bébés
continuent de détourner le regard au T2 ce qui signifierait qu’ils ne cherchent pas à se réguler
par les regards vers la mère, ni vers les objets. Ces comportements traduiraient-ils déjà le
développement d’un attachement insécure évitant ?
Nous avons observé que les mères des bébés ultérieurement classés (A),
comparativement à celles des bébés des autres groupes, présentaient :
- une très forte diminution des comportements d’engagement social entre le T1 et le
T2 contrairement aux mères des autres groupes qui les augmentent
- la plus forte diminution du toucher non-intrusif
- la plus forte augmentation des émotions positives
Nous observons ainsi que suite à l’épreuve du SF, les mères des bébés ultérieurement
classés (A) semblent se retirer de l’interaction par la diminution de leurs comportements
« distaux » et « proximaux » alors qu’elles présentent paradoxalement plus d’émotions
positives au T2.
278
D’un point de vue interactif, nous pouvons penser qu’il s’établit, au sein des dyades
des bébés ultérieurement classés (A), une sorte de « feed-back négatif » entre les
comportements maternels et ceux du bébé qui signerait un évitement qui se renforcerait
mutuellement.
3. Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement
classés (C) : insécure ambivalent résistant dans leur
attachement à 13 mois
Nous avons observé que les bébés ultérieurement classés (C), comparativement aux
bébés des autres groupes, présentaient :
- le taux le plus important de regards vers la mère en T1 et en T2
- le taux le plus bas de comportements d’autorégulation en T1. Leurs comportements
d’autorégulation augmentent en T2 contrairement aux bébés des autres groupes qui les
diminuent.
- l’augmentation la plus importante des comportements du SNA en T2.
Les bébés ultérieurement classés (C) lors d’une interaction normale (T1) regarderaient
beaucoup leur mère et montreraient peu de capacité d’exploration. Lors du T2, les bébés (C)
regarderaient à nouveau leur mère dans le but de se réguler mais l’augmentation massive des
manifestations
du
SNA,
conjointement
à
l’augmentation
de
leur
comportement
d’autorégulation seraient le signe de leur dysrégulation émotionnelle. Ces bébés seraient mis
en échec dans leur tentative d’adaptation ou dans leur tentative de retrouver un état
d’équilibre (homéostasie). On peut considérer que les manifestations du SNA représentent un
moyen de régulation très archaïque pour le bébé, moins évolué que les comportements
d’autorégulation. Face à cette dysrégulation (ou régulation plus archaïque), on peut à nouveau
penser que l’expérience du sens de soi du bébé serait biaisée puisqu’elle passerait par une
régulation plus somatique neuro-végétative (Apter, 2004).
Nous avons observé que les mères des bébés ultérieurement classés (C),
comparativement à celles des bébés des autres groupes, présentaient :
- une très forte augmentation de leurs comportements d’engagement social
- une légère augmentation de leurs émotions positives
- la plus forte augmentation des touchers non-intrusifs
279
Les mères du groupe TPB dont les bébés sont classés ultérieurement (C), face à la
détresse de leur bébé, seraient les mères les plus envahies par leurs propres difficultés de
régulation émotionnelle et seraient incapables de s’adapter au bébé. Face à la détresse de ce
dernier, elles feraient preuve de comportements paradoxaux. L’augmentation des
comportements d’engagement social chez ces mères serait en faveur d’un surinvestissement
du regard du bébé qui deviendrait alors intrusif, même si le regard constitue un comportement
maternel dit « distal ». Les mères feraient comme s’il ne s’était rien passé au moment du T2.
L’augmentation des touchers maternels non-intrusifs entre le T1 et le T2, chez les mères des
bébés ultérieurement classés (C) serait en faveur de l’intrusion maternelle. L’augmentation
des touchers non-intrusifs s’ajoute à celle des comportements d’engagement social, en
faveur de l’intrusion maternelle, tandis que les bébés montrent des signes de
dysrégulation.
Les comportements maternels au sein du groupe des bébés (C) suggèrent que les
mères ne semblent pas s’adapter à l’épreuve du SF. Leurs comportements et leur
évolution différent tous de ceux des mères du groupe contrôle. De même, les bébés
ultérieurement classés (C) semblent être ceux qui montrent le plus de signes de
dysrégulation malgré leur tentative de régulation par leurs regards vers la mère.
Peut-on penser que la conjonction de l’augmentation des manifestations du SNA et de
celle des regards vers la mère serait déjà, à 3 mois, le signe du développement d’un
attachement insécure ambivalent-résistant ?
D’un point de vue interactif, on peut penser que la dysrégulation émotionnelle du
bébé en même temps que l’augmentation de ses regards vers la mère et les
comportements maternels inadaptés se renforceraient mutuellement.
4. Profil interactif à 3 mois des bébés ultérieurement
classés (D) : désorganisés dans leur attachement à
13 mois
Nous avons observé que les bébés ultérieurement classés (D), comparativement aux
bébés des autres groupes, présentaient :
- une faible variation des regards vers la mère en T2
280
- une forte augmentation des manifestations du SNA en T2
L’augmentation des manifestations du SNA chez les bébés (D) serait le signe d’une
désorganisation, particulièrement d’une dysrégulation, créée par l’épisode du SF. On peut
s’interroger sur les conséquences de cette régulation très archaïque pour le bébé, moins
évoluée que les comportements d’autorégulation. Nous avons émis l’hypothèse d’une
expérience du sens de soi du bébé qui serait biaisée puisqu’elle passerait par une régulation
plus somatique neuro-végétative (Apter, 2004).
Nous avons observé que les mères des bébés ultérieurement classés (D),
comparativement à celles des bébés des autres groupes, présentaient :
- une très forte augmentation de leurs comportements d’engagement social
- une légère augmentation des touchers non-intrusifs et des touchers intrusifs
Les mères des bébés classés ultérieurement (D) ressemblent beaucoup, dans leur profil
comportemental interactif, au cours de la procédure du SF, à celles des bébés (C). Ce sont
très nettement les mères des bébés (C) et (D) qui augmentent leurs comportements
d’engagement social et leurs touchers, celles-ci montreraient donc de plus grandes
difficultés d’adaptation au bébé car ce « trop plein » de comportements en T2 ne les
aiderait pas à reprendre une interaction normale comme au T1 mais, au contraire,
augmenterait leur dysrégulation. Ces comportements au moment du T2, auraient un
caractère intrusif pour les bébés ultérieurement (C) et (D).
Nous nous interrogeons sur les éléments qui favoriseraient le développement de
l’attachement insécure ambivalent-résistant (C) et sur ceux qui favoriseraient le
développement de l’attachement désorganisé (D). Toutefois, les bébés de ces deux sousgroupes semblent être les plus en difficulté, au travers de leurs signes de dysrégulation
émotionnelle, comparativement aux bébés des autres sous-groupes de la population
TPB.
281
D. Discussion concernant les résultats
obtenus lors des évaluations des enfants
entre 4 et 8 ans au test des histoires à
compléter
1. Eléments de discussion concernant les résultats
obtenus à l’évaluation des représentations
d’attachement chez l’enfant
a)
Au sein du groupe contrôle
A nouveau, nos résultats pourraient suggérer, comme ceux obtenus à la Situation Etrange,
que l’absence de troubles psychiques maternels pourrait être un facteur favorisant le
développement d’un type d’attachement sécure chez l’enfant autour de l’âge de la marche
mais aussi du point de vue de ses représentations d’attachement entre 4 et 8 ans. De plus, nous
observons donc une continuité entre la qualité de l’attachement évaluée par le biais des
comportements d’attachement à 13 mois et par le biais des représentations d’attachement
entre 4 et 8 ans au sein du groupe contrôle. L’absence de troubles psychiques maternels
pourrait également être un élément favorisant la stabilité de l’attachement sécure chez
l’enfant.
b)
Au sein du groupe TPB
D’après nos résultats concernant la qualité de l’attachement des enfants du groupe TPB
évaluée par le biais de leurs représentations d’attachement, nous observons un taux beaucoup
plus important d’attachement désorganisé comparativement à celui retrouvé dans la
population générale (45.4% vs. 7%). De plus nous observons un taux moins important
d’attachement sécure au sein des enfants du groupe TPB comparativement à celui retrouvé
dans la population générale (36.4% vs. 69%) (Miljkovitch et Pierrehumbert, 2008).
D’un point de vue dimensionnel, nous avons observé qu’en moyenne les enfants du
groupe TPB présentaient une forte dimension de désorganisation puis de désactivation de
l’attachement. Ces résultats pourraient suggérer que les enfants de mères borderline
pourraient être à risque de développer des patterns d’évitement dans la relation à autrui. Cela
rejoint l’hypothèse qui avait été soulevée par Newman et al. (2007) selon laquelle les enfants
de mères borderline pourraient être à risque de développer des patterns évitants au sein des
282
relations interpersonnelles puisqu’ils avaient tendance, au cours des interactions avec leur
mère (entre 3 et 36 mois), à faire preuve de plus de comportements de retrait relationnel.
Comme nous l’avons vu d’après nos analyses à 13 mois, nos résultats obtenus entre 4 et 8
ans suggèrent que la pathologie borderline chez la mère serait un facteur défavorable pour le
développement d’une base de sécurité pour l’attachement chez l’enfant. Le trouble de
personnalité borderline favoriserait le développement chez l’enfant de l’attachement insécure
voire désorganisé. On peut penser que l’insécurité ou encore la désorganisation de
l’attachement chez l’enfant accentueraient les difficultés maternelles déjà présentes à
répondre de façon adaptée à la détresse de l’enfant.
2. Description qualitative des résultats aux échelles
descriptives des enfants du groupe TPB
Nos résultats ont montré, en moyenne, de grandes différences aux échelles descriptives
entre le groupe contrôle et le groupe TPB. Nous discutons ici des résultats obtenus par les
enfants du groupe TPB pour en appréhender les particularités.
a)
Qualité du style des narratifs des enfants du
groupe TPB
•
Le score faible à l’échelle de collaboration montre qu’en moyenne, les
enfants du groupe TPB sont en difficulté pour porter leur attention sur les thèmes qui sont
évoqués. Ils font preuve d’anxiété, d’inhibition ou d’évitement ou au contraire, répondent de
manière inappropriée et montrent une certaine instabilité motrice. Selon Miljkovitch et al.
(2003), cette non-collaboration peut être le signe d’un refus ou d’une incapacité de porter son
attention sur des questions d’attachement.
Par ailleurs, Miljkovitch et al. (2003) ont montré qu’un faible score à l’échelle
Collaboration peut être prédictif de troubles d’externalisation chez l’enfant (problèmes
d’agressivité, d’opposition et d’hyperactivité). En effet, Miljkovitch et al., (2007) dans leur
étude ont mis en lien les caractéristiques des narratifs d’enfant de 3 ans évaluées à l’aide du
CCH et la présence de troubles du comportement évalués par les réponses maternelles (et
paternelles) au Child Behavior Checklist (Fombonne, 1989). Dans cette étude, les troubles
d’externalisation et l’absence de collaboration lors de la passation de l’ASCT semblaient
participer d’un même processus qui est celui de se détourner des informations source
283
d’insécurité (Miljkovitch et al., 2003). Les enfants qui présentaient des troubles
d’externalisation refusaient ou étaient en difficultés pour construire et se représenter un
narratif d’attachement, ils étaient anxieux, inhibés ou évitants pendant la passation, ce que
nous avons retrouvé de façon fréquente chez les enfants du groupe TPB. Miljkovitch et al.
(2003) ont discuté de l’origine de ces troubles d’externalisation. Ces enfants présentent-ils des
stratégies représentationnelles limitées en lien avec un défaut de mentalisation, qui obligerait
ces derniers à avoir recours à l’agir pour soulager leur détresse ? Ou bien, est-ce que ce serait
cette tendance à l’agir qui serait à l’origine d’un défaut de mentalisation, où l’enfant serait
sans cesse dans l’action pour ne pas avoir à élaborer un travail de représentation, alors même
qu’il en serait capable ? Or, si l’enfant cherche à éviter de se confronter aux représentations
d’attachement, c’est pour éviter de se confronter au sentiment d’angoisse sous-jacent et à
l’insécurité contre lesquels il a érigé des défenses. Le refus de collaborer ainsi que les
troubles externalisés révéleraient chez l’enfant une tentative pour détourner son
attention des représentations difficiles, voire empêcher toute représentation angoissante
d’advenir.
Par conséquent, on peut penser qu’en moyenne, les enfants du groupe TPB
seraient à risque de présenter ou de développer des troubles du comportement
externalisés.
Par ailleurs, dans le groupe TPB, 3 des enfants ont refusé de passer l’évaluation des
narratifs, cela s’ajoute à la faible moyenne à l’échelle collaboration et pourrait suggérer que
ces enfants mettent en place des mécanismes d’évitement dans la relation à autrui.
Hypothèse que nous avions déjà soulevé au regard de l’importance de la dimension de
désactivation au sein du groupe.
•
Le faible score à l’échelle expression d’affects appropriée montre qu’en
moyenne, les enfants du groupe TPB ont tendance à exprimer leurs émotions de manière
directe, discordante ou par le biais de passage à l’acte sur le matériel, perdant le
caractère symbolique du jeu. D’autres enfants présentaient une inhibition en lieu et
place de l’expression des affects. Ils présentent une difficulté à évoquer les émotions (aussi
bien négatives que positives) qui se rattachent aux histoires ou bien ils sont débordés par les
affects suscités par les scènes d’attachement.
Ces résultats tendent à montrer que les enfants du groupe TPB seraient, en
moyenne, en difficultés dans la gestion de leurs émotions, en particulier lorsqu’il s’agit
284
d’émotions liées à l’attachement. On peut penser qu’ils auraient du mal à réguler leurs
émotions.
Nos résultats rejoignent ceux de l’étude de Macfie et Swan (2009) qui avaient montré que
des enfants de mères borderline âgés de 4 à 7 ans faisaient preuve d’une mauvaise régulation
émotionnelle lors d’une passation de tests d’histoires à compléter. Leur narration était alors
moins cohérente et laissait apparaître des intrusions de thèmes traumatiques.
Les résultats des enfants du groupe TPB à cette échelle étaient en moyenne
significativement moins bons comparativement à ceux de la population contrôle. Toutefois, si
leurs résultats à cette échelle n’étaient pas significativement différents de ceux de la
population de référence, mais toutefois moins bons (43), on peut soulever deux hypothèses.
D’une part, la population de référence constituée par B. Pierrehumbert est faite d’enfants en
moyenne plus petits que la moyenne des enfants du groupe TPB (6.0). L’âge en moyenne plus
élevé des enfants du groupe TPB pourrait avoir joué dans le sens d’une amélioration relative
de la moyenne obtenue à cette échelle. D’autre part, on observe au sein du groupe TPB, pour
l’échelle expression d’affects appropriés un écart-type important (s=14.9). Cela tend à
montrer des différences au sein des enfants du groupe TPB en ce qui concerne leur capacité à
exprimer leurs affects de façon appropriée.
•
Le score élevé à l’échelle de faible compétence narrative montre qu’en
moyenne, les enfants du groupe TPB sont en grande difficulté pour construire des récits
cohérents et structurés. Ils ont en moyenne du mal à trouver des résolutions aux histoires et
les personnages sont dépeints comme étant passifs. Les histoires sont donc difficiles à suivre.
Les enfants du groupe TPB présentent en moyenne des histoires au sein desquels
soit l’inhibition gène la capacité de narration et le déploiement de l’histoire soit les
thèmes agressifs voire catastrophiques qui se succèdent empêchent la narration de se
développer.
Ces résultats rejoignent également ceux de l’étude Macfie et Swan (2009) citée plus
haut qui avait observé que les enfants de mères borderline montraient peu de cohérence dans
leur récit, et apportaient peu de résolution aux histoires.
•
Le score à l’échelle distance symbolique des enfants du groupe TPB est
inférieur à celui du groupe contrôle mais pas de façon significative. En moyenne, les enfants
du groupe TPB présentent une légère tendance à utiliser le matériel comme s’ils étaient euxmêmes l’un des personnages. De façon générale, la distance symbolique chez l’enfant
285
augmente avec l’âge (Miljkovitch, 2003). La moyenne d’âge des enfants du groupe TPB étant
plus élevée que celle de la population de référence, on peut donc penser que les enfants du
groupe TPB présentent, en moyenne, des difficultés dans la gestion de la distance
symbolique.
b)
Qualité du contenu des narratifs des enfants du
groupe TPB
•
Le faible score à l’échelle de représentations de soutien parental met en
évidence qu’en moyenne, les enfants du groupe TPB présentent les figures parentales comme
étant peu soutenantes, contrôlantes, indisponibles et enfin peu protectrices.
Cela laisse penser que les enfants du groupe TPB ont, en moyenne, intériorisé un
modèle de relations dans lequel les parents sont perçus comme peu sensibles, peu
protecteurs et peu sécurisants.
Nos résultats rejoignent à nouveau ceux de Macfie et Swan (2009) dans lesquels les enfants
de mère borderline décrivaient des relations de mauvaise qualité entre les figures de soins et
les enfants ; des relations dont il se dégageait un sentiment de danger ou d’imprévisibilité. Les
personnages enfants montraient des attentes négatives vis-à-vis des personnages parents.
Dans l’étude de Miljkovitch et al., (2007), les troubles du comportement internalisés
(symptômes
dépressifs,
troubles
anxieux
et
somatoformes)
étaient
corrélés
aux
représentations de soutien parental de mauvaise qualité. Les auteurs ont précisé que ces
résultats confirment l’idée de Bowlby selon laquelle les personnes présentant une
symptomatologie dépressive ou anxieuse auraient intériorisé un modèle de relation (des MIO)
où l’assistance des parents fait défaut et ne peut être obtenue (Miljkovitch et al., 2003). Ce
manque de confiance en eux serait à l’origine d’un sentiment d’insécurité pouvant conduire à
des niveaux d’anxiété élevés (Miljkovitch et al., 2003, d’après Bowlby, 1973). Le fait de ne
pas trouver la protection dont ils ont besoin mènerait au « sentiment d’impuissance apprise »,
qui a pu être modélisé dans le cadre de la dépression (Bowlby, 1980), les enfants n’auraient
pas pu intérioriser un sentiment de confiance en leurs figures d’attachement et de capacité à
trouver en l’autre le réconfort dont ils ont besoin. Une autre étude avait montré que chez des
enfants plus grands, on pouvait observer une relation négative entre des représentations
positives de la mère et des problèmes d’internalisation chez l’enfant (Oppenheim et al., 1997).
286
Par conséquent, les enfants du groupe TPB pourraient, en moyenne, être à
risque de présenter ou de développer des troubles du comportement internalisés.
•
Le faible score à l’échelle narratif positif montre qu’en moyenne les enfants
du groupe TPB présentent des histoires à tonalité très négatives et dans lesquels les
personnages ont de très mauvaises relations. Les événements négatifs voire catastrophiques se
succèdent. On peut observer dans leurs histoires des contenus agressifs combinés à des
incohérences qui seraient en faveur de l’échec des mécanismes de défense et du contrôle
de l’impulsivité.
Les résultats que nous observons traduisent donc chez les enfants du groupe TPB des
difficultés dans leurs capacités narratives. Pour les enfants de ce groupe qui présentent des
troubles psychiques que nous abordons dans le chapitre suivant, ce manque de capacités
narratives pourrait partiellement mettre en échec une prise en charge psychothérapeutique.
E. Evolution des enfants entre 13 mois et
4-8 ans
1. Evolution de la qualité de l’attachement des
enfants dans les deux groupes
a)
Au sein de la population contrôle
Nous avons observé une stabilité de la qualité de l’attachement sécure chez les enfants du
groupe contrôle entre 13 mois et 4-8 ans. L’absence de troubles psychiques maternels pourrait
constituer un facteur très favorable pour la sécurité de l’attachement de l’enfant ainsi que pour
la stabilité de la sécurité d’attachement entre l’âge de la marche et l’âge scolaire, chez ce
dernier (4-8 ans). Par ailleurs, l’attachement sécure à 13 mois pourrait être un type
d’attachement stable au cours du temps. Ces résultats vont dans le sens des nombreuses
études qui ont montré des corrélations significatives entre les évaluations de l’attachement de
l’enfant à la Situation Etrange puis à l’ASCT (Bretherton et al., 1989 ; Bretherton et al.,
1990).
b)
Au sein du groupe TPB
Les résultats concernant la qualité de l’attachement évaluée à 4-8 ans sont différents de
ceux obtenus par le biais de l’évaluation des comportements d’attachement à 13 mois. Au sein
287
du groupe TPB, à 13 mois, nous observions moins d’enfants à l’attachement sécure (25% vs.
36,4%) et moins d’enfants désorganisés (33.3% vs. 45.5%) comparativement à 4-8 ans. Enfin,
à 13 mois, nous observions des enfants à l’attachement insécure ambivalent résistant, ce qui
n’est plus vrai à 4-8 ans.
Au sein du groupe TPB, nous observons une stabilité de la qualité de l’attachement
sécure. Ce résultat tend à montrer, à nouveau, que l’attachement sécure à 13 mois
pourrait être un type d’attachement stable au cours du temps.
En revanche, nous observons des changements importants dans la qualité d’attachement
chez les enfants du groupe TPB qui n’étaient pas sécures à 13 mois. L’insécurité et la
désorganisation de l’attachement seraient des qualités d’attachement plus sensibles au
changement au cours du développement. Ces changements pourraient s’effectuer dans un
sens positif comme négatif. Cela suggère que ces types d’attachement, d’un point de vue
positif, pourraient évoluer vers un attachement sécure, notamment grâce à une prise en charge
pédopsychiatrique ou à des événements de vie positifs. Le pendant négatif serait que les
enfants présentant un type d’attachement insécure ou désorganisé seraient plus sensibles à
leur environnement extérieur et aux événements de vie négatifs. Cela est d’autant plus
préoccupant que des études ont montré que les enfants de mères présentant un TPB étaient
soumis à de multiples changements négatifs au sein de leur environnement familial (Feldman
et al., 1995).
Nos résultats rejoignent les études qui ont montré que la stabilité de l’attachement était
moins nette et moins importante au sein des populations dites à risque (Weinfield et al., 2000 ;
Fonagy, 2004 d’après Grossman et al., 1999). D’autres études ont en effet montré que cette
stabilité était faible dans les échantillons d’enfants à haut risque où des changements majeurs
dans le fonctionnement familial sont courants (Fonagy, 2004, d’après Solomon et George,
1999). En revanche la stabilité de la catégorie désorganisée s’est montrée généralement plus
élevée au sein des études (Lyons-Ruth et al., 1991). Nous observons une relative stabilité de
l’attachement désorganisé puisque deux des enfants sont restés désorganisés dans leur
attachement, un des enfants a toutefois évolué vers un attachement insécure évitant mais
présentait un score important à la dimension désorganisée à 4-8 ans ainsi qu’une forte
inhibition lors de la passation des narratifs. De plus, l’enfant qui a refusé de continuer la
passation du test présentait un attachement désorganisé à l’âge de 13 mois, son refus et sa
forte inhibition pourraient également être en faveur de la désorganisation de l’attachement à
4-8 ans. Une importante inhibition, voire une inhibition totale, ont en effet été retrouvées dans
288
les récits des enfants qui présentaient un attachement désorganisé à 12 mois (Fonagy, 2004,
d’après Solomon et al., 1995).
L’attachement désorganisé chez l’enfant à 13 mois constitue un facteur préoccupant
du point de vue de l’attachement puisque les enfants tendent à conserver une forte
dimension de désorganisation de l’attachement à l’âge de 4-8 ans.
F. Fonctionnement psychique des enfants
du groupe TPB à 4-8 ans
Le Tableau 19 et le Tableau 20 ci-dessous rassemblent les éléments importants
concernant toutes les dyades du groupe TPB. Ils permettent de visualiser l’histoire maternelle,
(éléments psychopathologiques, antécédents majeurs, histoire conjugale) et de l’enfant
(éléments cliniques, symptomatiques et aspects psychopathologiques saillants).
L’analyse des évaluations des enfants par le biais du test des histoires à compléter, du
point de vue de l’attachement, a montré une importante instabilité et variabilité de la qualité
de l’attachement chez les enfants du groupe TPB entre les deux moments d’évaluation.
L’analyse d’un point de vue psychodynamique de la passation de ce même test a également
révélé une grande hétérogénéité des symptômes et des fonctionnements psychiques chez les
enfants du groupe TPB à l’âge de 4-8 ans.
En effet, nous avons observé chez ces enfants des recours à des types de mécanismes de
défenses différents et de plus ou moins bonne qualité traduisant des angoisses sous-jacentes
plus ou moins archaïques. Nous avons émis l’hypothèse, chez certains d’entre eux, de la
présence de troubles de la personnalité de différentes formes liés à la particularité de leur
organisation psychique. Ces troubles étaient en lien avec une plus ou moins bonne capacité
d’élaboration de la position dépressive comme le soulignent Palacio-Espasa et Dufour (1994).
Ces troubles de la personnalité renvoyaient donc à des manifestations thymiques plus ou
moins importantes chez ces enfants qui par ailleurs présentaient plus ou moins de symptômes
à coloration anxio-dépressive. Ces troubles rendaient parfois difficile l’adaptation scolaire.
Nos résultats issus de la passation du test des histoires à compléter ne nous permettent
toutefois que de formuler des hypothèses quant au fonctionnement psychique de ces enfants.
Ces résultats mériteraient d’être étayer plus largement par des tests projectifs comme le CAT
(Child Aperception Test) ou le Rorschach par exemple. De plus, on peut penser que chez ces
enfants, ce test axé sur des problématiques liées à l’attachement a pu générer ou accentuer
289
leurs angoisses. Nos évaluations n’ont pas été réalisées à partir d’un entretien où l’enfant joue
plus librement.
Toutefois, nos résultats rejoignent ceux de l’étude de Weiss et al. (1996) qui ont montré
que les enfants de mères présentant un TPB présentaient plus de diagnostics psychiatriques
dont le TPB, des troubles du comportement et du fonctionnement au sens large, entre 4 et 18
ans, comparativement à des enfants dont les mères présentaient un autre trouble de
personnalité. Nos résultats rejoignent aussi ceux de l’étude d’Abela et al. (2005) qui avaient
observé que des enfants (âgés de 6 à 14 ans) de parents présentant un TPB ainsi qu’un trouble
dépressif majeur, avaient plus de symptômes dépressifs et/ou étaient plus à risque de présenter
un épisode dépressif majeur.
Par ailleurs, parmi ces enfants, au moment où nous les avons revus entre 4-8 ans, seul un
enfant bénéficiait d’un suivi psychothérapeutique au CMP. Un autre enfant avait rencontré
une fois la psychologue de la PMI.
Selon nos résultats, nous n’observons pas de liens entre le suivi psychothérapeutique
mère-bébé (durée, fréquence) et la qualité de l’attachement des enfants à 13 mois, ni entre ce
suivi et la symptomatologie ou la qualité du fonctionnement psychique de ces enfants à 4-8
ans. Certains enfants qui avaient par exemple bénéficié d’un long suivi de ce type pouvaient
présenter une moins bonne qualité d’attachement ou une moins bonne organisation psychique
que d’autres enfants n’ayant pas été suivis.
En plus de l’absence de continuité dans la qualité de l’attachement entre 13 mois et
4-8 ans chez ces enfants, cette étude prospective tend à montrer que rien n’est
prédictible précocement, d’autant plus lorsqu’il s’agit de populations dites à risque au
sein desquelles tout l’environnement est touché par le trouble de personnalité borderline
et est susceptible d’être soumis à de multiples réaménagements.
290
Tableau 19. Données concernant les mères et les pères des dyades, le suivi psychothérapeutique et
la qualité de l’attachement de l’enfant à 13 mois et à 4-8 ans dans le groupe TPB.
nb
TP1
Dép.2
3 mois
Dép. 13
mois
Dép.
4-8 ans
D1 Léa
1
NON
NON
NON
D2 Chloé
1
OUI
OUI
NON
D3 Albert
5
OUI
OUI
D4 Anna
1
OUI
NON
NON
D5 Côme
1
OUI
NON
OUI
D6 Eloi
2
OUI
OUI
NON
D7 Cerise
1
NON
OUI
NON
D8 Paul
2
OUI
NON
OUI
D9
Mathieu
4
OUI
NON
NON
D10 Ali
1
OUI
OUI
D11
William
1
OUI
OUI
D12 Léon
1
OUI
OUI
OUI
D14
Justine
2
NON
NON
NON
Données mères :
Autres
Hospitalisation mère-bébé
durant 3 mois à la
naissance.
Alcoolisme paternel.
NEANT
Relations mère-fille
conflictuelles
Traumatisme sexuel,
relations mère-fille
conflictuelles et peu
sécurisantes, violence
conjugale
Maltraitances
émotionnelles maternelles,
relations conflictuelles
mère-fille
2ème union avec une
femme
Maltraitance maternelle
Décès paternel
traumatique durant
l’enfance
Maltraitance maternelle
puis familiale. Milieu
carencé
Trouble bipolaire, TS,
longue hospitalisation
pour épisode dépressif
autour des 4 mois du
bébé.
Maltraitance maternelle,
milieu carencé
Maltraitance parentale,
alcoolisme paternel et
décès tragiques des frères
de Mme.
Relations conjugales
conflictuelles
Décès maternel après
longue maladie durant
l’adolescence de Mme,
parents peu protecteurs.
Usage de toxiques
Relations conflictuelles
mère-fille
Attouchements sexuels
durant l’enfance
Cauchemars angoissants
pendant la grossesse à une
période inhabituelle
Données père
Suivi
13
mois
4/8ans
attach.3
absent,
Famille
recomposée
+
D
B2
Désact..4
Présent, en couple
NON
C2
Secure
Présent, en couple
NON
A2
Désact
Présent,
séparation
Toxicomanie
prison
Séquelles frontales
0+
C2
REFUS
Présent, Couples
homosexuels
0+
B4
REFUS
Présent, Divorce
0+
Présent, en couple
Absent, mais voit
son fils par
moments
++
D
C1
C2
++
B2
Secure
Inconnu de
l’enfant
++
B2
Secure
Séparation, père
maltraitant, frustre
et limité dans son
fonctionnement
intellectuel.
Violence conjugale
Mesure AEMO
++
D
C1
REFUS
Présent, en couple,
suspicion de
maltraitance
0+
Présent,
séparation, autres
unions
+
A2
Désorg
Présent, en couple
++
D
C1
Désorg
Désorg.5
Secure
Désorg
Note 1. Pour plus de clarté les suivis se distinguent de la sorte : NON : dyades n’ayant pas été prises en charge. 0+ : l’enfant
n’a pas été pris en charge avec sa mère mais celle-ci a bénéficié d’un suivi mère-bébé de longue durée pour un enfant aîné
(ou bien l’enfant a pu être présent lors de consultations familiales). + : la prise en charge de la dyade a été écourtée avant
les 6 mois de l’enfant. ++ : La dyade a été prise en charge durant une période allant de la fin de la grossesse jusqu’au-delà
des deux ans de l’enfant. Note. 2. 1. Nombre de TP associés au TPB. 2. Dép. = dépression. 3. attach = attachement. 4.
Désact. = désactivation. 5. Désorg. = désorganisation. Les cases grisées correspondent aux données manquantes.
291
Tableau 20. Données concernant les enfants du groupe TPB : qualité de
l’attachement à 13 mois et à 4-8 ans, éléments symptomatiques précoces et actuels,
éléments psychopathologiques saillants, qualité de la perception maternelle des
difficultés de l’enfant.
Age
13mois
Attach.
4-8ans
attach.
7 ans,
8mois
D1 Léa
D B2
Troubles précoces, symptômes
et éléments cliniques à 4-8ans
Qualité de la perception
maternelle des difficultés de
l’enfant
Hypotonicité, retrait, passivité et
évitement du regard précoces,
difficultés dans la relation mèrebébé
Gel des affects à 13 mois
Difficultés
scolaires,
timidité
excessive, inhibition et difficulté de
concentration,
manque
de
confiance en soi et dévalorisation
Hypothèse : trouble de la
personnalité de forme moyenne,
apparentée à une organisation
de type paradépressive de forme
inhibée
Désacti
vation
Mauvaise perception maternelle
des difficultés et troubles de
l’enfant
Timidité, rivalité fraternelle
D2
Chloé
C2
Secure
D3
Albert
A2
Désacti
vation
D4
Anna
C2
7ans,
7mois
21j
7ans,
3mois
29j
6ans,
5mois
REFUS
6ans,
5mois
13j
D5
Côme
292
B4
REFUS
Narratif
Bonne perception maternelle de
l’enfant
Pas de symptômes
Troubles précoces de la régulation
émotionnelle et du sommeil,
angoisses de séparation et troubles
oppositionnels
Mutisme sélectif primaire extrafamilial
Bonne perception maternelle
actuelle des troubles de l’enfant
Tristesse et anxiété, se renferme sur
lui, se ronge les ongles de manière
compulsive, crises de colère et
anxiété de séparation
Eléments à coloration anxiodépressive dans contexte de
conflit familial important
Bonne perception maternelle
Eléments psychopathologiques saillants
à 4-8 ans
Ralentissement psychomoteur, fuite des idées et
forte inhibition au premier plan, suspension du
cours de la pensée
Pauvreté des productions narratives et ludiques,
langage correct mais marqué par un manque
d’initiative, une tendance importante à
l’économie de moyens d’expression et un certain
laconisme.
Impression de fausseté et d’un manque
d’authenticité : faux-self
Dysphorie et moments de perplexité
Conflits déniés
Refoulement intense et massif de la vie affective
et fantasmatique qui entraîne une inhibition dans
le fonctionnement du moi, mécanisme d’isolation
de l’affect,
Surmoi œdipien sévère responsable de la
régression vers un niveau dépressif des fantasmes
de perte
Introjection d’un objet attaqué ou persécuteur
qui s’accompagne de sentiment d’incapacité ou
d’insuffisance et donc de dévalorisation
Apparence réservée, voire froide, peu
communicative, anxiété,
Inhibition,
sentiment
d’incapacité,
particulièrement à l’évocation des thèmes de
conflits
Refoulement des manifestations agressives,
Contrôle assez serré de ses manifestations
pulsionnelles, peu d’expression d’affects, histoires
factuelles, conventionnelles voire conformistes,
Pas d’éléments psychopathologiques saillants
6 ans,
9mois
8j
D6
Eloi
D C1
Désorga
nisation
actuelle des troubles de l’enfant
Difficultés relationnelles précoces
mère-bébé
Retard de langage et trouble du
langage
(zozotement),
tics
(mouvements de la tête)
Eléments à coloration anxiodépressive : colères inappropriées,
moments
de
tristesse,
somatisations
multiples,
comportements de mise en danger,
passages à l’acte auto-agressifs,
instabilité psychomotrice
trouble
de
Hypothèse :
personnalité
borderline
de
forme hypomaniaque
Perception
maternelle
troubles de l’enfant
banalisés
des
mais
6 ans
4mois
D7
Cerise
C2
Difficultés relationnelles mère-fille
Difficultés scolaires, manque de
confiance en soi, tendance aux
somatisations et à se faire mal
Hypothèse :forme paranévrotique
inhibée
oligo-dépressive
a
minima, soit une forme légère
de trouble de la personnalité
Secure
Banalisation maternelle
difficultés de l’enfant
5 ans
10mois
D8
Paul
B2
Secure
Attitude
contrôlante,
troubles
de
la
symbolisation, fantasmes de persécution, de
destruction et de mort abordés de façon
discordante, avec une certaine euphorie.
Emergence en processus primaires et angoisses
dépressives violentes (de type catastrophique)
Défense maniaque prépondérante, fantasmes
narcissiques de toute puissance liés à une
identification à un objet idéal persécuteur,
Fantasmes dépressifs sévères, mouvements
mélancoliques temporaires
Désorganisation émotionnelle et affective
des
Colères inappropriée, troubles de la
gestion
des
émotions.
Comportements contrôlants avec la
mère.
Difficulté d’insertion avec les
pairs à l’école avec instabilité
motrice vers 3 ans, suivi au
CMP depuis entrée à l’école
avec
amélioration
des
symptômes
Projections des imagos grand-maternelles de la
mère sur l’enfant qui semble parfois y être
identifiée
Légère anxiété et inhibition dépassées par le
recours à des histoires stéréotypées et répétitives :
contrôle fantasmatique et pulsionnel excessif qui
tend vers l’appauvrissement
Evitement des conflits
Refoulement important portant sur l’ensemble de
la vie pulsionnelle et particulièrement sur ses
manifestations agressives avec mécanisme
d’isolation de l’affect ;
impression d’une entrée dans la phase de latence
trop prononcée et trop intense, a minima d’un
manque d’authenticité (faux-self)
Bonne capacité d’expression par le jeu, légère
régression verbale
Bonne élaboration de la position dépressive
Refoulement majoritaire, bonne capacité de
symbolisation
Accès de colère en lien avec des angoisses de
perte de l’objet d’amour, responsable de
moments plus régressifs
Identifications de qualité au personnage enfant
Bonne perception maternelle
des difficultés de l’enfant
6 ans
D9
Mathieu
B2
Secure
Difficulté
de
concentration,
instabilité et agitation à l’école,
légère anxiété.
Hypothèse :Forme
paranévrotique inhibée oligodépressive, soit forme légère de
trouble de la personnalité
Perception difficile pour la mère
des difficultés de l’enfant
Mécanismes d’évitement dans la relation à autrui
(regard), semble ailleurs, attitudes étranges
refoulement et défenses obsessionnelles,
méticulosité, contrôle excessif de la vie
pulsionnelle et affective (mise en veille de
l’affect), émoussement des affects,
Bonnes capacités d’association mais relative
inhibition et répétitions dans le dénouement des
histoires (appauvrissement de la pensée)
Légère régression dans l’expression verbale
Présence d’éléments mélancoliques au sein d’une
problématique dépressive abordée lors du thème
des séparations
293
4 ans,
6mois
20j
D10 Ali
D C1
REFUS
Hypertonie, Hypervigilance et
troubles du sommeil précoces
Tristesse,
anxiété,
inhibition,
trouble du sommeil, difficulté de
séparation
En retrait et inhibé à l’école
Eléments à coloration anxiodépressive dans contexte de
séparation conjugale difficile
Inhibition massive et refus dès la 2ème
histoire,
Perplexité anxieuse
Bonne perception maternelle
des troubles de l’enfant
4ans
3mois
Désorg
anisatio
n
D11
William
Œsophagite précoce avec troubles
de l’alimentation et otites à
répétition, difficultés relationnelles
mère-enfant, instabilité et agitation
psychomotrices,
anxiété
de
séparation, trouble de l’expression
orale (en partie lié au bilinguisme)
Hypothèse :
Trouble
de
personnalité
borderline
de
forme lourde, hypomaniacoparanoïde
Mauvaise perception maternelle
des troubles de l’enfant qui sont
banalisées
4 ans,
2mois
25j
D12
Léon
A2
Désorg
anisatio
n
Instabilité
psychomotrice,
bégaiement
(par
moment),
difficulté
de
concentration,
somnambulisme,
somatisations
multiples, anxiété de séparation
dans contexte de séparation
conjugale,
Hypothèse : Forme moyenne de
trouble de la personnalité :
organisation
de
type
« paradépressive mixte »
Mauvaise perception maternelle
des troubles de l’enfant qui sont
banalisés
4 ans,
5m,
17j
D14
Justine
294
D C1
Désorg
anisatio
n
Troubles précoces du sommeil,
relations conflictuelles mère-fille,
éléments à coloration anxiodépressive, manque de confiance
en soi à l’école avec inhibition
intellectuelle lors de difficultés et
sentiment d’incapacité
Très bonnes capacités verbales
mais moments de régression
verbale
Hypothèse : forme moyenne de
trouble de la personnalité :
organisation
de
type
« paradépressive mixte »
Grande désorganisation du discours, thèmes
traumatiques, perte de cohérence, fantasmes de
destruction et de persécution
Instabilité motrice et des activités, fuite des idées
avec moments d’exaltation de l’humeur qui
alternent avec des angoisses archaïques (de type
paranoïde, d’anéantissement, de fusion, angoisses
du Self) générant des agirs et de l’excitation ou
des moments d’inhibition
Troubles de la pensée et de la symbolisation
(équation symbolique), émergence de processus
primaires
Défenses maniaques, fortes pulsions agressives
mal maitrisées, fantasmes narcissiques mal
organisés alternant avec des identifications à des
objets attaqués ou détruits
Déni de l’affect dépressif
Attitude contrôlante et désinvolte, alternant avec
des moments régressifs et de complaisance
Pensée désorganisée tendant vers la fuite des
idées
Défenses maniaques alternant avec moments
d’inhibition autour des thématiques de
séparation, d’agressivité, ou de mort, fantasmes
de violence, de destructivité, de mort et de
persécution
Difficulté dans la symbolisation avec présence
d’équation symbolique, émergence en processus
primaires
Difficultés de régulation émotionnelle avec
alternance de moments d’exaltation de l’humeur
et d’abattement. Perplexité anxieuse en lieu et
place des affects de tristesse et sentiment
d’incapacité
Projections des imagos grand-maternelles de la
mère sur l’enfant
Personnalité en « faux-self » avec une
identification trop conforme à des objets
idéalisés, possibilité d’expression de la vie
pulsionnelle et d’affirmation de soi réduites avec
difficulté d’expression de l’agressivité.
Des crises de colère alternent avec une
soumission compliante
Apparence adultomorphe,
Aisance relationnelle qui alterne avec des
moments d’inhibition face à des thématiques de
perte et moments de passivité régressive
Surinvestissement de l’intellect, particulièrement
de l’expression verbale,
Mauvaise perception maternelle
des difficultés de l’enfant qui
sont banalisées
Difficulté dans la symbolisation avec présence
d’équation symbolique, émergence en processus
primaires
et
fantasmes
archaïques
Désorganisation du discours, thématiques
traumatiques et morbides, de persécution et
d’agressivité
Inhibition de la fonction symbolique à la place
des affects dépressifs (moments d’effondrements
dépressifs et de vécus persécutoires)
Expression des affects superficielle alternant avec
perplexité anxieuse, dysphorie, isolation des
affects voire déni des affects à coloration
dépressive,
sentiment
d’incapacité
et
d’insuffisance de type dépressif
Défenses de type obsessionnel et maniaque
(toute puissance et identification à un objet
idéalisé avec caractéristiques de force
persécutrice) qui alternent avec l’inhibition
Nous avons souligné l’hétérogénéité de nos résultats quant à la qualité de l’attachement
des enfants et à leurs modalités de fonctionnement psychique, toutefois, quelques éléments
cliniques semblent présents pour la majorité des enfants du groupe TPB.
1. Des difficultés dans les relations avec autrui
Plusieurs résultats tendent à montrer que les enfants du groupe TPB pourraient être en
difficultés dans leurs relations sociales. Ces difficultés se traduiraient par une forte dimension
d’évitement voire de désorganisation dans la qualité de leur attachement. A l’âge de 13 mois,
nos résultats laissent supposer qu’ils auraient plus de mal à donner des codes clairs aux autres
permettant d’anticiper leurs comportements. Ces résultats rejoignent ceux obtenus à 4-8ans où
l’on observe une mauvaise collaboration de ces enfants lors des passations. Ce manque de
collaboration serait le signe d’une anxiété chez l’enfant et se traduit de différentes manières :
- des mécanismes d’évitement du regard, présents chez Mathieu (D9)
- une forte inhibition, comme par exemple, le cas d’Ali (D10) qui est resté presque
mutique après la 2ème histoire ou encore Côme (D5) qui a refusé de passer le test. Cette
inhibition se retrouvait chez Léa (D1) et était responsable des moments de suspension du
cours de la pensée.
- un refus total, comme par exemple le cas d’Anna (D4) qui présente un mutisme sélectif
extra-familial
- des moments d’inhibition qui alternent avec des défenses maniaques, comme chez
William (D11) ou Justine (D14)
295
- des défenses maniaques chez Eloi (D6) et Léon (D12)
- un manque de confiance en soi responsable d’une timidité excessive chez Chloé (D2)
2. Des troubles de la gestion des émotions ou de la
régulation émotionnelle
Du point de vue de l’attachement, les enfants du groupe TPB sont en difficultés pour
exprimer des affects appropriés aux histoires qu’ils racontent, c’est-à-dire qu’ils ont du mal à
aborder des émotions aussi bien positives que négatives. Les histoires abordant des thèmes
d’attachement semblent mettre en lumière leur difficulté de régulation émotionnelle.
Cette difficulté à réguler leurs émotions serait également responsable soit de leurs
moments d’inhibition soit de leur instabilité motrice qui parfois s’exprime par des passages à
l’acte sur le matériel du test.
3. Différentes conflictualités dépressives
D’un point de vue psychopathologique, les histoires confrontent les enfants au
traitement de la perte et à leur propre conflictualité dépressive face à laquelle ils mettent en
place des mécanismes de défense pathologiques. Ces mécanismes de défense, pour la majeure
partie des enfants du groupe TPB, traduisent une problématique en lien avec cette
douloureuse élaboration dépressive (Palacio-Espasa et Dufour, 1994) :
- l’inhibition plus ou moins marquée peut remplacer les affects à coloration
dépressive chez Léa (D1), chez Léon (D12) ou chez Justine (D14)
- des identifications mélancoliques à des objets abîmés ou malades, des éléments à
coloration mélancolique à l’évocation du thème de la séparation, par exemple chez
Mathieu (D9), à des objets attaqués ou détruits comme chez William (D11)
- le déni de l’affect dépressif comme chez William (D11), Léon (D12) et Eloi (D6) qui
s’accompagne de défenses maniaques avec une instabilité et une exaltation de l’humeur.
- des événements chaotiques voire traumatiques, au sein des histoires, sont exprimés
de façon légère, comme chez Justine (D14), voire dans un mécanisme d’isolation des
affects ou encore de manière discordante, de façon euphorique comme par exemple chez
Eloi (D6), William (D11) ou Léon (D12).
296
Enfin, on perçoit chez certains de ces enfants des manifestations négatives liées à un
manque d’estime de soi qui s’accompagnent de difficultés à prendre du plaisir et à maintenir
l’intérêt pour l’activité. Celles-ci s’observent chez Léa (D1), Côme (D5) et Justine (D14). A
l’inverse, certains enfants présentent une inflation de l’image de Soi avec une labilité
d’intérêts, comme chez Eloi (D6) ou Léon (D12).
4. Des éléments psychopathologiques en faveur
d’une hyperadaptation de l’enfant à l’environnement
Nous soulignons que la plupart des enfants du groupe TPB présentent un très bon QIV,
quelles que soient leurs difficultés de fonctionnement psychique.
Chez certains enfants, nous avons pu observer des éléments en faveur d’un
développement en « faux-self » :
- l’hyperinvestissement de l’intellect ou de l’expression verbale leur donnant un
aspect adultomorphe comme chez Justine (D14) qui présente une hypermaturité
intellectuelle contrastant avec son développement affectif et émotionnel.
- l’extinction pulsionnelle au profit d’histoires qui se terminent toujours de la même
manière ou bien qui traduisent le désir chez l’enfant de donner des réponses socialement
attendues. Les histoires de Cerise (D7) ou a minima, celles de Chloé (D2) en sont un exemple.
- la difficulté à percevoir ou à déceler les préoccupations authentiques de la vie
pulsionnelle et affective de l’enfant, par exemple chez Léa (D1).
L’inauthenticité des relations décrites par Winnicott (1969) chez le sujet en faux self
serait liée à la distorsion du processus « d’utilisation de l’objet » parce qu’il aurait connu une
désillusion trop brutale et prématurée de l’environnement (R. Roussillon, 2010). La
défaillance de l’environnement peut s’entendre sous la forme de l’excès, du défaut ou de
l’imprévisibilité qui se joue dans les interactions. Face à la menace de désorganisation, le
sujet réagit par un « auto-clivage narcissique » défensif et mutilant, à l’origine de la création
d’une nouvelle personnalité adaptée à l’environnement précaire extérieur. Cette personnalité
correspond à « la somme de réactions innombrables à une succession de défauts
d’adaptation (Ferenczi, 1982 ; Winnicott, 1955-1956, cités par de Parseval, 2007)»
L’hyperadaptation en faux-self chez ces enfants s’accompagne de l’absence de
symptômes importants. Pour certains, un manque de confiance en soi peut être repéré par
297
l’institutrice mais bien souvent, ces enfants sont aussi perçus comme « précoces ». Dans leurs
environnements familial et scolaire, ils sont plutôt décrits de façon positive et leurs difficultés
sont banalisées. Les mères de ces enfants (Justine (D14), Cerise (D7)) vont faire preuve d’un
mouvement d’idéalisation de l’enfant, confortées par les dires des institutrices. Ainsi, ce
mouvement d’idéalisation maternel pourrait-il renforcer l’hyperadaptation de l’enfant en fauxself. Si ces enfants sont asymptomatiques, à ce moment de leur développement, nous pensons
à l’instar de Manzano et al. (1999) que cela pourrait être lié à leur suradaptation à
l’environnement. Ces auteurs insistent, en effet, sur le fait que ces enfants ne sont pas vus en
consultations « puisqu’un équilibre se crée au sein duquel l’enfant s’accommode de la
pression projective parentale et qu’il joue le rôle qui lui est assigné, sans présenter de trouble
apparent de l’adaptation. » Ces différents éléments font qu’il est difficile d’apporter de l’aide
à ces enfants. Ils soulignent toutefois, que ceux-ci pourraient manifester des difficultés
psychologiques plus tardives. Le moment de l’adolescence voire de l’entrée dans l’âge adulte
pourrait être celui de la mise en lumière de leurs difficultés.
G. Perception maternelle des enfants de 48 ans
Si l’ensemble des mères du groupe TPB présentent toutes le même diagnostic, celui-ci
s’accompagne d’une plus ou moins grande comorbidité avec d’autres troubles de la
personnalité, des épisodes dépressifs voire un trouble bipolaire pour l’une d’entre elles. Cette
comorbidité a pu jouer en faveur de l’hétérogénéité symptomatique et de fonctionnement
psychique de ces dernières. Cette hétérogénéité a pu favoriser celle retrouvée du point de vue
de la qualité de l’attachement des enfants du groupe TPB et de leurs modalités de
fonctionnement psychique.
Les sujets présentant un trouble de personnalité borderline sont décrits comme ayant peu
de capacités de fonction réflexive (Fonagy). D’après nos entretiens avec les mères du groupe
TPB, nous avons observé ce manque de fonction réflexive chez certaines d’entre elles. Il se
traduisait par une incapacité ou des difficultés à percevoir les troubles de leur enfant. Par
exemple, la mère de Léon (D12) banalisait les symptômes de son fils voire, elle les valorisait
puisqu’ils étaient semblables aux siens. Les mères de Léa (D1), Eloi (D6), William (D11) et
Justine (D14) n’étaient pas en mesure de percevoir les troubles de leur enfant. En revanche,
298
certaines mères du groupe TPB présentaient plus de capacités de fonction réflexive et, par
conséquent, étaient plus en mesure de s’identifier à leur enfant et d’en comprendre leur vécu.
Ces mères étaient souvent celles qui avaient cherché de l’aide précocement, pour elle-même
et pour leur bébé. La mère de Côme (D5), consciente des répercussions du conflit familial sur
l’anxiété de son fils, nous a demandé des conseils pour adresser ce dernier vers un
psychologue. La mère d’Ali (D10) a également perçu les troubles de son fils et à pensé qu’il
serait bon qu’il puisse bénéficier d’un suivi. La mère de Paul (D8) l’accompagne au CMP
enfants. Enfin, Anna (D4) est suivie pour son mutisme séléctif extra-familial.
299
300
X. Discussion finale et réponses aux
hypothèses
Nous allons reprendre les résultats importants pour notre discussion finale et répondre à
nos hypothèses.
A.
Les interactions à 3 mois
1. Les principaux résultats
Les bébés du groupe TPB paraissent accrochés au regard de leur mère, comme si,
habitués à l’imprévisibilité des réactions maternelles liée à la pathologie borderline, ils s’y
adaptaient par cet accrochage du regard et, par conséquent, par moins de regard vers des
objets. Cette « hyperadaptation » aurait pour conséquence de diminuer leurs
comportements d’exploration nécessaires à leur bon développement. Face au stress du
SF, les bébés du groupe TPB présenteraient une dysrégulation émotionnelle et auraient besoin
d’avoir plus recours aux mécanismes d’autorégulation pour tenter (en vain) de retrouver un
état d’équilibre. Les bébés du groupe TPB ne pourraient pas s’appuyer sur la mère pour
retrouver un état d’équilibre comportemental et émotionnel au T2. A ce moment-là, ils
continuent
d’exprimer
plus
d’émotions
négatives
et
montrent
des
signes
de
désorganisation et d’une dysrégulation émotionnelle. Ils se caractérisent par
d’importants mouvements de recul du corps entier et l’augmentation constante de leurs
manifestations du SNA ainsi que moins de capacités à se réguler par le biais des
mécanismes d’autorégulation (comportements d’auto-oralité et d’auto-agrippement) qui
sont également des activités dites auto-apaisantes ou auto-érotiques.
On peut donc s’interroger sur les raisons de cette incapacité à retrouver un état
d’équilibre malgré le retour de la mère, et par conséquent, sur les capacités maternelles de
régulation du bébé, suite à cet épisode de stress.
Les discontinuités du fonctionnement psychique maternel se rejoueraient dans les
interactions avec leur bébé (Apter, 2004). Les mouvements de retrait interactif du bébé et ses
émotions négatives réactiveraient chez elles l’angoisse d’abandon. Les mères borderline,
prises dans leurs propres difficultés de régulation émotionnelle, seraient ainsi moins
contingentes par rapport aux réponses du bébé, cela serait le signe d’une difficulté chez elles à
301
réfléchir l’expérience émotionnelle du bébé de façon adéquate de par leur manque de fonction
réflexive (Fonagy et al., 2003). Ce manque de contingence fragiliserait la capacité du bébé
à faire l’expérience du sens de son soi, expérience qui s’établit normalement grâce aux
capacités d’identifications maternelles au bébé. Après le stress du SF, au moment des
retrouvailles, les mères du groupe TPB font preuve de comportements paradoxaux et intrusifs,
en augmentant leurs comportements d’engagement social, leur toucher non-intrusif et leurs
émotions positives. Les bébés seraient sollicités au-delà de leurs capacités émotionnelles
et développementales. Les mères du groupe TPB ne pourraient pas jouer le rôle de miroir des
émotions du bébé parce qu’elles seraient en difficulté pour s’identifier au vécu de leur bébé
(Winnicott). Face aux réactions non contingentes maternelles, les bébés seraient amenés à
puiser dans leurs propres capacités d’autorégulation, au-delà de leurs possibilités.
L’augmentation constante des manifestations du SNA signerait une régulation plus
archaïque, au sein de laquelle l’expérience du sens de soi serait biaisée puisqu’elle
passerait par une régulation plus somatique neuro-végétative, donc plus « automatique
ou inconsciente » (Apter, 2004). Ce type de régulation pourrait entraver le
développement émotionnel du bébé. Toutefois, ce trouble de la régulation émotionnelle
dyadique se retrouverait au sein des interactions, pour l’ensemble des dyades dont la mère est
atteinte d’un TPB, mais n’aurait pas les mêmes conséquences chez tous les enfants. Ces
différences au niveau des conséquences sur l’enfant pourraient notamment se percevoir au
travers du développement de différentes stratégies comportementales d’attachement.
Cependant, tous les enfants n’induisent pas, non plus, les mêmes mouvements et
identifications chez les mères.
2. Réponses aux hypothèses
Du coté des mères : nous répondons positivement à notre hypothèse puisque nous
observons des différences entre les mères présentant un trouble de personnalité borderline
(TPB) et les mères contrôles au niveau de leurs comportements et de leurs manifestations
émotionnelles lors des interactions au SF. Ces différences se traduisent par plus de
dysfonctionnements interactifs à 3 mois pour les dyades où la mère présente un TPB.
Du côté des bébés : Nous répondons également positivement à notre hypothèse : A 3
mois, chez les bébés de mères présentant un TPB, du fait d’un défaut de régulation
émotionnelle maternelle, les manifestations émotionnelles et comportementales sont
différentes qualitativement et quantitativement, comparativement à celles du groupe contrôle.
302
B.
Les données à 13 mois
1. Les principaux résultats
Il nous est apparu que la pathologie borderline, par le biais des comportements
maternels perturbés, (erreurs dans la communication affective et comportements négatifsintrusifs) entrainerait plus de comportements d’attachement insécure et/ou désorganisé
chez l’enfant. Ces comportements maternels perturbés observés chez la plupart des mères du
groupe TPB traduiraient leurs propres difficultés de régulation émotionnelle ainsi que les
discontinuités de leur fonctionnement psychique sous-jacentes. Face à leur grande variabilité
dans l’expression de leurs comportements d’attachement, les enfants du groupe TPB
seraient en difficulté pour donner des « codes » clairs aux autres afin qu’ils puissent anticiper
leurs réactions et cela amplifierait les fragilités relationnelles mère-enfant déjà présentes.
Enfin, on observerait un effet de feed-back interactif négatif entre les réponses
maternelles inadaptées aux besoins d’attachement de l’enfant et les réactions variables
des enfants lors de séparations.
2. Réponses aux hypothèses
Du côté des mères : nous répondons positivement à notre hypothèse. Nous observons
plus de dysfonctionnements interactifs à 13 mois au sein des dyades du groupe TPB.
Du côté des bébés : nous répondons en partie positivement à notre hypothèse puisque
les bébés du groupe TPB présentent à 13 mois un taux plus important d’attachement
désorganisé comparativement au groupe contrôle. Toutefois, nous avons également observé
un taux important d’attachement insécure chez les enfants du groupe TPB.
Nous ne pouvons pas répondre à notre hypothèse selon laquelle le fait d’avoir
bénéficié d’une prise en charge précoce mère-bébé, d’une durée suffisamment longue,
pourrait être un facteur positif dans le sens d’une meilleure qualité des comportements
d’attachement chez l’enfant à 13 mois. En effet, nos résultats sont hétérogènes quant à ce lien.
303
C. Les interactions à 3 mois en lien avec la
qualité de l’attachement à 13 mois
1. Les principaux résultats
Nous avons mis en évidence 4 types de profils interactifs à 3 mois, en fonction des 4
types d’attachement évalués chez les enfants à 13 mois.
La bonne adaptation des bébés ultérieurement classés (B) suite à l’épreuve du SF, de
même que la bonne qualité des réponses maternelles au moment du T2, se rapprochent de ce
que nous avons observé au sein du groupe contrôle.
D’un point de vue interactif, nous avons pensé qu’il pouvait s’établir au sein des dyades
des bébés ultérieurement classés (A) une sorte de « feed-back négatif » entre les
comportements maternels et ceux du bébé, qui signerait un évitement qui se renforcerait
mutuellement.
Ce sont très nettement les mères des bébés (C) et (D) qui augmentent leurs
comportements d’engagement social et leurs touchers, celles-ci montreraient donc de plus
grandes difficultés d’adaptation au bébé. Les bébés de ces deux sous-groupes semblent être
les plus en difficulté, au travers de leurs signes de dysrégulation émotionnelle,
comparativement aux bébés des autres sous-groupes de la population TPB.
2. Réponses aux hypothèses
Nous répondons positivement à notre hypothèse selon laquelle à 3 mois, plus les mères
présenteraient des comportements dysfonctionnels, plus les bébés présenteraient des
difficultés dans leur régulation émotionnelle.
D. Les données à 4-8 ans
1. Les principaux résultats
a)
La qualité de l’attachement
Comme nous l’avons vu d’après nos analyses à 13 mois, nos résultats obtenus entre 4 et 8
ans suggèrent que la pathologie borderline chez la mère serait un facteur défavorable pour le
développement d’une base de sécurité pour l’attachement chez l’enfant.
304
Le trouble de personnalité borderline chez la mère favoriserait le développement
chez l’enfant de l’attachement insécure voire désorganisé. De plus, on peut penser que
l’insécurité ou encore la désorganisation de l’attachement chez l’enfant accentueraient
les difficultés maternelles déjà présentes à répondre de façon adaptée à la détresse de
l’enfant.
b)
La qualité de la narration de l’enfant
Nos résultats ont montré, en moyenne, de grandes différences aux échelles descriptives
entre le groupe contrôle et le groupe TPB. Les enfants du groupe TPB présentent en moyenne
de moins bonnes compétences narratives qui se traduisent à la fois dans le style du discours
mais aussi dans son contenu, comparativement à ceux du groupe contrôle.
Les enfants du groupe TPB sont en grande difficulté pour construire des récits
cohérents et structurés. Ils présentent en moyenne des histoires au sein desquelles
l’inhibition gêne la capacité de narration et le déploiement de l’histoire, ou bien les thèmes
agressifs voire catastrophiques, qui se succèdent, empêchent la narration de se
développer. Les contenus agressifs combinés aux incohérences seraient en faveur de
l’échec des mécanismes de défense et du contrôle de l’impulsivité.
Les représentations de soutien parental des enfants du groupe TPB sont de moins bonne
qualité, laissant observer qu’ils ont en moyenne intériorisé un modèle de relations dans
lequel les parents sont perçus comme peu sensibles, peu protecteurs et peu sécurisants.
Les enfants du groupe TPB sont, en moyenne, en difficultés dans la gestion de leurs
émotions, en particulier lorsqu’il s’agit d’émotions liées à l’attachement. On peut penser
qu’ils auraient du mal à réguler leurs émotions. Ils ont tendance à exprimer leurs émotions
de manière directe, discordante ou par le biais de passage à l’acte sur le matériel ou enccore,
l’inhibition apparait en lieu et place de l’expression des affects.
Les enfants du groupe TPB sont en difficulté pour porter leur attention sur les thèmes
évoqués. Ils font preuve d’anxiété, d’inhibition ou d’évitement ou au contraire, répondent de
manière inappropriée et montrent une certaine instabilité motrice.
Toutefois, les enfants qui étaient sécures dans leur attachement à 13 mois ont obtenu en
moyenne de meilleures capacités narratives.
305
c)
Qualité du fonctionnement psychique de l’enfant
Nous observons différents types de fonctionnement psychique chez les enfants du
groupe TPB à 4-8 ans. Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle certains d’entre eux
présenteraient des troubles de personnalité d’intensité différente, et liés à une plus ou moins
bonne élaboration de la position dépressive ainsi qu’à différentes organisations psychiques
(Palacio-Espasa et Dufour, 1994). Chez ces enfants, ces troubles sont notamment mis en
évidence par leur recours à des mécanismes de défenses plus ou moins pathologiques.
Toutefois, les enfants du groupe TPB à 4-8ans présentent quelques points en commun :
- Des difficultés dans les relations avec autrui
- Des troubles de la gestion des émotions ou de la régulation émotionnelle
- Différentes conflictualités dépressives
- Des éléments psychopathologiques en faveur d’une hyperadaptation de l’enfant à
l’environnement
De plus, chez certains enfants, cette hyperadaptation à l’environnement s’accompagne
d’éléments en faveur d’un développement en « faux-self », le plus souvent avec une absence
de symptômes. Si ces enfants sont asymptomatiques, à ce moment de leur développement,
nous pensons à l’instar de Manzano et al. (1999) que cela pourrait être lié à leur
hyperadaptation à l’environnement. Ils soulignent toutefois, que ces enfants pourraient
manifester des difficultés psychologiques plus tardives. Le moment de l’adolescence voire
de l’entrée dans l’âge adulte pourrait être celui de la mise en lumière de leurs difficultés.
2. Réponses aux hypothèses
a)
La qualité de l’attachement
Nous répondons positivement à notre hypothèse, les enfants du groupe TPB présentent
plus de représentations d’attachement de type désorganisé mais aussi désactivé (c’est-à-dire
insécure évitant) comparativement à ceux du groupe contrôle.
306
b)
La qualité de la narration de l’enfant
Nous répondons positivement à notre hypothèse selon laquelle nous observons des
caractéristiques différentes dans les récits des enfants du groupe TPB comparativement à ceux
du groupe contrôle.
c)
La qualité du fonctionnement psychique de l’enfant
Nous répondons partiellement positivement à notre hypothèse selon laquelle les enfants
du groupe TPB présenteraient un fonctionnement psychique qui se rapprocherait de celui de
leur mère, face à l’hétérogénéité de nos résultats.
Nous ne pouvons pas répondre à note hypothèse selon laquelle le fait d’avoir bénéficié
d’une prise en charge précoce mère-bébé, d’une durée suffisamment longue, pourrait être un
facteur positif dans le sens d’un fonctionnement psychique de meilleure qualité. En effet nos
résultats sont hétérogènes quant à ce lien.
E. Evolution des enfants entre 13 mois et
4-8 ans
1. Les principaux résultats
Au sein du groupe contrôle, nous observons une stabilité de l’attachement sécure entre
13 mois et 4-8 ans.
Au sein du groupe TPB, nous observons une stabilité de la qualité de l’attachement
sécure. Ce résultat tend à montrer, que l’attachement sécure à 13 mois pourrait être un
type d’attachement stable au cours du temps. En revanche, l’insécurité de l’attachement
et la désorganisation seraient des qualités d’attachement plus sensibles au changement
au cours du développement.
2. Réponses aux hypothèses
Nous répondons partiellement positivement à notre hypothèse selon laquelle on
observerait une continuité dans la qualité de l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans. En effet,
on observe une stabilité de l’attachement sécure au sein du groupe contrôle ainsi qu’au sein du
groupe TPB, même si dans ce groupe celle-ci tend à être relative.
307
L’hétérogénéité des diagnostics des mères de ces enfants a pu favoriser celle
retrouvée du point de vue de la qualité de l’attachement des enfants du groupe TPB et
celle de leurs modalités de fonctionnement psychique. Les sujets présentant un trouble de
personnalité borderline sont décrits comme ayant peu de capacités de fonction réflexive
(Fonagy). D’après nos entretiens avec les mères du groupe TPB, nous avons observé ce
manque de fonction réflexive chez certaines d’entre elles, celui-ci a également pu influencer
la qualité de l’attachement de l’enfant.
3. Réponse à l’hypothèse générale
Selon la théorie de l’attachement, la narrativité porte la trace des interactions précoces
dont l’intériorisation permet de construire une représentation de soi, de l’autre et des relations
de soi avec l’autre (Pierrehumbert, 2003).
Nous répondons positivement à notre hypothèse générale selon laquelle le
fonctionnement des enfants, en termes de représentations d’attachement à l’âge scolaire,
s’inscrirait dans la façon dont se développent leurs interactions précoces avec la mère et leur
environnement, ainsi que dans leurs comportements d’attachement autour de l’âge de la
marche.
Nous observons que les difficultés d’autorégulation des bébés de mères borderline
perçues à 3 mois et liées en partie à un défaut de régulation émotionnelle maternelle se
retrouvent dans le développement de type d’attachement insécure ou désorganisé chez
l’enfant à 13 mois, puis à 4-8 ans. Ces mêmes difficultés de régulation émotionnelle
s’observent chez les enfants au sein de leur narration par un manque de capacités à aborder
des affects de façon appropriée, mais aussi par leur inhibition ou leurs passages à l’acte au
cours de leur récit d’attachement à 4-8 ans.
Les dysfonctionnements interactifs mère borderline-bébé à 3 mois puis à 13 mois signent
« un partage intersubjectif troublé » (Apter, 2004). Face au défaut de capacité d’identification
maternelle au vécu du bébé, celui-ci ferait l’expérience du sens de soi d’une façon plus
archaîque, somato-végétative. On peut alors penser que le bébé est en difficulté pour
construire précocément des identifications intra-corporelles (Haag, 1985), véritables
protoreprésentations de soi, de la mère et des relations entre soi et elle. Ces bébés montrent en
effet moins de comportements d’auto-réconfort.
308
Les récits des enfants de mères borderline à 4-8 ans montrent des représentations
parentales et de soi de moins bonne qualité, les parents sont présentés comme peu sécurisants
et peu protecteurs. Les relations parents-enfants sont souvent négatives et des thèmes agressifs
et chaotiques apparaissent.
La narrativité de ces enfants met en lumière de moins bonnes capacités de liaison entre
l’affect et les représentations et se caractérisent par l’émergence en processus primaires. On
observe chez eux différents types d’organisations psychiques avec des mécanismes de défense
de plus ou moins bonne qualité. Enfin, le développement d’une personnalité en faux-self chez
certains mettrait en lumière les défauts précoces d’adaptation de leur environnement. Ces
défauts d’adaptation au bébé sont en partie liés à la pathologie maternelle borderline et sont
mis en lumière au travers des dysfonctionnements interactifs mère-bébé.
Certains des enfants du groupe TPB, dans leur narration au cours du jeu, présentent des
ruptures dans leur distance symbolique, notamment dans les histoires chargées en affects
telles que celles des séparations et des retrouvailles. Dans notre chapitre III (C), au travers du
travail de R. Roussillon (2010) et de Winnicott, nous avons insisté sur l’importance de la
qualité de la réponse de l’objet à la destructivité primaire du sujet, dans l’élaboration du
processus de symbolisation de l’enfant. R. Roussillon (2010) insiste en effet, sur le fait que les
particularités de l’expérience primaire de la rencontre avec l’objet peuvent renvoyer, à un
« vécu de destruction des capacités de symbolisation ». Ce vécu doit interroger le clinicien sur
la présence éventuelle d’un traumatisme primaire et sur celle d’un vécu de destruction de
l’objet ou du lien à l’objet. « L’indisponibilité des mots ou de la matière pour symboliser
ouvre la question de la disponibilité de l’objet et la stéréotypie rigide des formulations ou du
style pose le problème de la sensibilité de l’objet [et de ses] zones d’insensibilité. (Roussillon,
2010, p. 145) » Les premières expériences interactives intersubjectives entre le bébé et la
mère influencent donc les capacités de représentations de l’enfant, et par conséquent, ses
capacités narratives. Les difficultés de symbolisation observées chez les enfants du groupe
TPB témoigneraient donc en partie de l’insuffisance du travail de reconstruction de l’appareil
psychique et seraient le témoin d’un vécu traumatique des relations primaires à l’objet. F.
Zigante (2012), dans son étude, avait observé cette atteinte des capacités de symbolisation au
sein des narratifs chez des enfants limites suivis en psychothérapie psychanalytique. Cet
auteur avait observé que ces enfants restaient pris dans la compulsion de répétition, rendant
difficile leur évolution au sein de la prise en charge. Chez certains des enfants du groupe TPB,
nous avons émis l’hypothèse de la présence de toubles de personnalité parfois borderline ou
309
limite. Par conséquent, au vu des résultats de F. Zigante, nous pouvons penser que les enfants
de notre cohorte présentant ce trouble de personnalité pourraient avoir plus de difficulté à tirer
bénéfice d’une psychothérapie psychanalytique.
Néanmoins, ce que nous percevons du fonctionnement des enfants à 4-8 ans n’est pas
seulement lié à ce que nous observons de leurs liens précoces mais est aussi le résultat de « la
complexité des réorganisations d’après-coup », comme le souligne R. Roussillon (2010).
F. Les épisodes dépressifs chez les mères
du groupe TPB
Nous avons vu que les mères du groupe TPB étaient particulièrement à risque de
présenter des épisodes dépressifs et/ou étaient déprimées aux trois moments de notre
recherche. Cela rejoint la littérature qui montre que les mères présentant un trouble de
personnalité borderline seraient très souvent déprimées, particulièrement en période périnatale
(Apter et al., sous presse, b ; White et al., 2011 ; Genet et al., sous presse). Les épisodes
dépressifs ont possiblement surajouté des difficultés au sein des interactions des mères avec
leur bébé à 3 mois, puis à 13 mois. Ces difficultés ont pu influencer nos résultats. Compte
tenu de la petite taille de notre échantillon, et puisque la majorité des mères étaient déprimées
à chaque âge, nous n’avons pas pu séparer notre population en deux groupes différenciés par
la présence ou non d’un épisode dépressif à chaque âge.
Les épisodes dépressifs chez les mères présentant un trouble de personnalité borderline
sont caractérisés par le sentiment de vide chronique qui les habite, alors amplifié. Face à cette
dimension du vide dépressif, au sein des interactions, le bébé par ses rythmes propres qu’il
impose, est à risque d’être pris dans les mouvements psychiques maternels. Ces mères
manifestent un besoin constant et paradoxal de relation de type anaclitique et simultanément,
l’angoisse d’abandon est d’autant plus forte. Le bébé peut être l’objet de mouvements de
collage puis de rejet, au gré des discontinuités psychiques maternelles. Toutefois, il est
difficile de quantifier les répercussions des épisodes dépressifs sur la symptomatologie du
TPB, tant elle se caractérise déjà en elle-même par un sentiment chronique de vide et des
angoisses d’abandon.
310
G. Réflexions quant aux modalités de prise
en charge de ces dyades
1. Quand intervenir ?
Le moment de la maternité est un moment particulièrement difficile pour les mères
présentant un TPB en raison de leurs difficultés dans les réaménagements des imagos
identitaires douloureux qui mettent à mal leur narcissisme déjà fragile. Peu des mères de notre
groupe avaient déjà consulté un psychiatre ou un psychologue avant leur grossesse. Cette
période constitue donc un moment privilégié pour les professionnels du soin psychique pour
leur proposer de l’aide. Cette aide peut être potentialisée par les particularités du
fonctionnement psychique en période périnatale (transparence psychique) favorisant les
réaménagements des imagos parentales source de souffrance.
Il est nécessaire, en amont, de sensibiliser les professionnels des maternités
(gynécologues, sages-femmes, généralistes..) au repérage des symptômes particuliers tels que
les angoisses intenses très précoces et les somatisations durant leur grossesse. De même, les
relations difficiles et chaotiques que ces femmes présentent souvent, doivent alerter. Ce sont
ces professionnels qui peuvent rapidement les orienter vers la psychologue de maternité et les
psychiatres périnatals. Des unités comme PPUMMA (Psychiatrie Périnatale d’Urgence
Mobile en Maternité) peuvent intervenir rapidement en se déplaçant dans les maternités, lors
des RDV des patientes, pendant la grossesse ou à l’accouchement. Il s’agit de repérer
rapidement ces femmes pour leur proposer de l’aide, parfois sans attendre leur demande. Cette
aide doit se faire dans le cadre d’un réseau périnatal de professionnels afin qu’elles puissent
également bénéficier d’autres soutiens tel que celui de la PMI (passages de la sage-femme à
domicile et des puéricultrices). Face aux répercussions du trouble de personnalité borderline
sur l’enfant, il est important que ces femmes soient prises en charge le plus précocement
possible.
Toutefois, ces mères ne sont pas toujours repérées lors de la grossesse mais parfois
seulement à l’accouchement, voire lorsque le bébé a déjà plusieurs semaines. Les mères
borderline demandent alors de l’aide pour elles-mêmes mais pas pour leur bébé, bien qu’il
leur soit proposé un suivi thérapeutique centré sur leur relation avec celui-ci. Or ces bébés
présentent parfois déjà des troubles (troubles fonctionnels, évitement du regard…) qu’elles
ont parfois du mal à appréhender.
311
2. Axes thérapeutiques
Il nous semble qu’une des différences majeures, que nous avons mise en lumière, se situe
dans la capacité de ces mères à pouvoir appréhender leurs propres troubles mais surtout les
difficultés de leur enfant. Nous avons vu que les mères borderline ne présentaient pas toutes
les mêmes capacités de fonction réflexive qui constituaient un facteur positif leur
permettant de demander de l’aide pour elles-mêmes et pour leur bébé, car elles pouvaient plus
facilement s’identifier au vécu de ce dernier. Il s’agit donc d’évaluer ces capacités chez les
mères afin de les renforcer, puisqu’elles constituent un facteur protecteur pour le bon
développement de l’enfant. Ces capacités leur permettaient aussi de pouvoir s’inscrire dans un
suivi psychothérapeutique plus long, tandis que d’autres l’arrêtaient trop précocement.
Les événements traumatiques de leur histoire, réactivés lors de la maternité, doivent
également être recherchés afin de leur permettre d’en élaborer les éléments douloureux. Les
affects qui s’y rattachent peuvent en effet peser lourdement sur la relation mère-bébé et les
mettre en difficulté pour répondre de façon adéquate à la détresse de celui-ci. Dans leurs
prises en charge thérapeutique, ces mères sont décrites comme étant prises dans la compulsion
de répétition (Le Nestour et al., 2007 ; Roussillon, 1991) paradoxalement rassurante parce
qu’elles n’ont connu, bien souvent, que des échecs et des relations interpersonnelles
conflictuelles. Ces relations sont pour elles particulièrement peu rassurantes voire
angoissantes, ce qui explique, en partie, leur difficulté à s’inscrire dans une prise en charge au
long court. Les ruptures sont fréquentes et brutales. Cet élément majeur s’ajoute à la difficulté
à pouvoir les aider et complique la continuité que l’on tente d’instaurer pour le bébé.
Cette étude prospective a montré l’absence de continuité dans la qualité de
l’attachement entre 13 mois et 4-8 ans chez ces enfants. Celle-ci tend à montrer que rien
n’est prédictible précocement, d’autant plus lorsqu’il s’agit de populations dites à
risque, au sein desquelles tout l’environnement est touché par le trouble de personnalité
borderline et est susceptible d’être soumis à de multiples réaménagements. Il peut s’agir
de multiples ruptures tant sur le plan conjugal que social mais également professionnel. Ces
événements fragilisent le fonctionnement maternel déjà précaire et se répercutent sur les
enfants. Certains enfants de notre population ont développé un attachement sécure mais pas
de façon absolue et ont conservé des fragilités, d’autres enfants ont amélioré la qualité de leur
attachement. Enfin, d’autres enfants ont gardé un attachement désorganisé et/ou l’ont
développé. Lorsque nous avons revu ces enfants entre 4 et 8 ans, ils étaient à une étape de leur
312
développement où ils présentaient des éléments de force mais aussi de vulnérabilité. Ces
enfants, pour certains, présentaient peu de symptômes et une bonne adaptation scolaire mais
celle-ci pouvait cacher un manque de confiance en soi et parfois un fonctionnement en fauxself. D’autres présentaient plus de difficultés dans leur fonctionnement psychique, notamment
autour de l’élaboration de la position dépressive et nous avons émis des hypothèses quant à la
présence de troubles de personnalité de différentes formes. Ces enfants étaient
particulièrement en difficulté dans l’expression de leurs affects et mettaient en place des
défenses à type d’inhibition ou des défenses maniaques. Ces troubles étaient peu souvent
repérés par leur mère au profit d’une banalisation ou encore de l’idéalisation de leur
hypermaturité intellectuelle. Il nous semble que ce qui rend leur avenir le plus imprédictible
est ce mélange de forces et de vulnérabilités parce qu’ils évoluent souvent dans un
environnement particulièrement délétère. Il nous faut donc soutenir ces enfants dans une
forme de protection plus grande en s’appuyant sur le potentiel stabilisateur de leur
environnement au sens large, c’est-à-dire, pas seulement familial puisque celui des
mères borderline tend malheureusement à ne pas l’être. On ne peut donc pas prendre en
charge un enfant, lorsque sa mère présente une pathologie lourde et chronique, sans tenter
d’agir sur tous les environnements au sein desquels il se socialise. « Ses capacités vont se
développer par les expériences qu’il fait dans ces espaces de vie et qui contribuent à sa
structuration comme au développement de sa personnalité. […] Les rencontres qui jalonnent
son parcours de vie contribueront au développement de sa personne, de sa personnalité et à
son intégration sociale. (Zaouche-Gaudron, 2010, p. 1-2) » Ces autres relations que l’enfant
créé en dehors de son environnement familial sont autant de possibilités pour se construire
différemment et qu’il s’agit de soutenir précocement. Les professionnels prenant en charge
ces mères en difficulté avec leur bébé peuvent par exemple soutenir l’obtention d’une place
en crèche.
Nous avons aussi observé que les enfants du groupe TPB présentaient de moins
bonnes capacités narratives, qu’ils étaient en difficulté pour exprimer leurs affects de façon
appropriée et mettaient alors en place des défenses parfois pathologiques. Cela pourrait les
mettre en difficulté dans le cadre d’une prise en charge psychothérapeutique, qui est justement
facilitée par de telles capacités. Les différentes prises en charge (psychothérapeutiques,
psychomotricité, groupes thérapeutiques..) des enfants de mères borderline devraient donc
soutenir les capacités narratives de ces enfants ou les aider à les développer.
313
3. Comment intervenir ?
Face au risque de rupture brutale dans la thérapie, il s’agit donc de leur proposer
plusieurs aides pour les soutenir elles et leurs bébés dans leur développement. Tout appui
extérieur étant bénéfique pour le bébé, pour lui permettre d’expérimenter d’autres « façons
d’être avec » : PMI, consultations mère-bébé, CMP adultes, puis CMP enfants, associations
d’aides aux mères…Il est important de « tenir » face au risque de ruptures, en les rappelant,
en les accompagnant, en allant au domicile, sans attendre une demande qui parfois ne vient
pas. Il semble qu’il faille repenser les prises en charge de façon plus globale, c’est-à-dire
en pensant la mère et ses enfants mais aussi la famille, au sein de leur environnement. Il s’agit
de mettre en place plusieurs actions au sein d’un réseau qui ne soit pas seulement
psychiatrique mais également social, éducatif et associatif pour elles et pour leurs
enfants. Chez ces mères, toute aide proposée au bébé comporte le risque de potentialiser des
mouvements de rivalité avec à nouveau un risque de rupture brutale. Pour contrecarrer ce
risque, on peut imaginer, entre autres, qu’il serait bon de repenser les prises en charge
éducatives. Lorsqu’elles sont proposées, celles-ci doivent l’être pour chacun des enfants de la
fratrie mais aussi pour la mère. Par ailleurs, les différents professionnels autour de ces
familles doivent pouvoir articuler leurs actions en réseau par le biais de réunions de
synthèse.
Nous avons vu que le trouble de personnalité est une pathologie lourde aux conséquences
importantes sur l’enfant et sur les environnements familial et social. Nos résultats ont montré
que lorsque les mères avaient bénéficié d’un suivi thérapeutique mère-bébé pour l’aîné de la
fratrie, parfois au-delà des 2 ans de l’enfant, cela n’était pas suffisant pour faire en sorte que
l’enfant suivant aille bien, même si ce dernier avait été présent lors de quelques consultations
familiales. La prise en charge des troubles de personnalité borderline est longue et
l’enfant se développe plus rapidement que s’effectuent les changements dans les
fonctionnements psychique et comportemental maternels. Chaque enfant réagit de plus
différemment au regard de la pathologie maternelle, de même que la mère peut être différente
avec chaque enfant. Il nous semble donc important que chaque enfant de la fratrie puisse
bénéficier d’un suivi mère-bébé centré sur lui, de façon systématique. Au travers de ce
suivi, il faut aussi évaluer la nécessité d’autres prises en charge pour l’enfant (par exemple,
psychomotricité).
314
Le centre de consultations thérapeutiques mère-bébé de l’Aubier reçoit des femmes
enceintes puis des mères ou des parents avec leur bébé, normalement jusqu’aux 2 ans de
celui-ci. Nous avons montré que ces dyades pouvaient renvoyer à ce que Manzano et al.
(1999) nomment les « scénarios narcissiques de la parentalité », par conséquent les thérapies
brèves, dans de telles situations, sont contre-indiquées. Notre recherche a pu montrer
également qu’une prise en charge sur 2 ans, voire parfois plus, n’était pas toujours
suffisante. Il était difficile, dans nos résultats, de rendre compte pour chaque dyade, de la
fréquence des consultations qui a pu être différente (à raison d’une fois par semaine, ou
encore d’une fois tous les 15 jours). Toutefois, bien souvent les consultations se sont espacées
au fil du temps. La reprise du travail vient également compliquer l’inscription dans la durée
de ce suivi. Cependant, nous ne pouvons pas affirmer que l’intensification des consultations
thérapeutiques mère-bébé puisse constituer un élément de meilleur pronostic pour le
développement des enfants au sein de ces familles. Nous pensons plutôt qu’il s’agit, encore
une fois, de penser la prise en charge de ces dyades en agissant sur leur environnement
au sens large.
315
316
XI. Limites de la recherche
Une des premières limites de notre recherche est due à la petite taille de nos groupes de
populations. Nos résultats, qui ont mis en évidence les répercussions du trouble de
personnalité borderline maternel sur l’enfant, mériteraient d’être mis en évidence sur une plus
grande population, ce que nous souhaitons faire, puisque nous continuons à inclure d’autres
dyades dans notre protocole de recherche. L’analyse des interactions au sein d’une dyade est
un art complexe dont les subtilités ne se laissent pas si facilement appréhender, nos résultats
mériteraient donc également de pouvoir être analysés sous l’angle de systèmes statistiques
plus complexes permettant un accès aux co-occurrences des comportements et émotions de la
mère et du bébé. Nous avons vu par exemple qu’il était difficile de dire à quel point un
toucher pouvait ou non être intrusif, il s’agirait d’en approcher non pas seulement sa durée,
mais également sa fréquence, sa qualité et le moment où il survient.
Une autre limite est due à l’hétérogénéité de notre groupe TPB. Cette hétérogénéité est
soulignée dans la littérature (Smith et al., 2004) et peut, dans notre étude, s’expliquer de
différentes façons. Tout d’abord, ce trouble de personnalité se caractérise par un ensemble de
critères nécessaires pour établir le diagnostic (5/9), par conséquent, les mères borderline
pouvaient parfois présenter des symptômes légèrement différents. Cette différence du point de
vue des critères est rarement mise en avant au sein des études. Par ailleurs, nous avons
retrouvé une importante comorbidité avec d’autres troubles de personnalité chez ces
mères, qui a pu contribuer à cette hétérogénéité. Les mères de notre étude pouvaient présenter
des fonctionnements psychiques différents les unes des autres et notamment, plus ou moins de
capacités d’identifications au vécu du bébé.
Notre groupe TPB était également hétérogène quant au suivi psychothérapeutique
mère-bébé : sa durée, son absence, ou encore, par le fait d’avoir bénéficié d’un suivi pour un
enfant aîné mais pas pour l’enfant étudié.
Un autre facteur important dans cette hétérogénéité réside dans les différences
retrouvées dans l’anamnèse et les antécédents de ces mères, en particulier du point de
vue des événements traumatiques qu’elles ont pu vivre. La littérature insiste sur la
présence importante de tels événements chez les sujets présentant un TPB, toutefois, nous
n’avons pas toujours retrouvé ces antécédents de traumatismes et lorsqu’ils étaient présents,
ceux-ci n’étaient pas similaires.
317
Un autre facteur important qui a contribué à l’hétérogénéité de notre groupe est lié à la
présence du père sur un plan symbolique ou réel. La présence du père constitue un facteur
important dans le développement psychique de l’enfant, son absence a donc pu influencer nos
résultats.
Cette hétérogénéité montre combien il est difficile d’étudier cette population. A cette
difficulté s’ajoute celle de pouvoir suivre celle-ci sur du long terme, dans le cadre d’une étude
longitudinale prospective, tant les sujets borderline ont du mal à s’inscrire dans un suivi au
long court.
318
XII.
Conclusion
Notre étude longitudinale a montré combien la pathologie borderline pouvait entraîner
des troubles graves de la régulation émotionnelle chez le bébé, puis chez l’enfant. Elle a aussi
mis en évidence plus de développement d’attachement insécure et désorganisé chez le jeune
enfant puis chez l’enfant d’âge scolaire. Nous avons pu mettre en évidence combien la qualité
de l’attachement de l’enfant semblait déjà se traduire par des différences de profils interactifs
au sein des dyades, aussi précocement qu’à 3 mois. Entre 4 et 8 ans, les enfants de mères
présentant un trouble de personnalité borderline montraient de façon générale, plus de
difficultés dans leur fonctionnement psychique mettant en évidence la présence éventuelle de
plus de troubles de la personnalité. Au même âge, ces enfants montraient de moins bonnes
représentations d’attachement et plus de difficultés dans leur narrativité. Toutefois, dans nos
résultats à 4-8 ans, nous avons retrouvé une grande hétérogénéité en termes de
fonctionnement psychique, de qualité d’attachement et de capacités narratives chez ces
enfants.
Cette hétérogénéité peut partiellement s’expliquer par celle fortement retrouvée au sein
des patients présentant un trouble de personnalité borderline (comorbidités, symptomatologie,
antécédents de traumatismes…). Cependant, il s’agit d’un trouble grave et chronique d’autant
plus difficile à prendre en charge pour les services de psychiatrie adulte, que ces patients
rejouent la discontinuité des liens qu’ils créent au sein de la relation thérapeutique par des
ruptures brutales.
Le moment de la maternité constitue un moment privilégié pour leur proposer un suivi
psychiatrique. La particularité du fonctionnement psychique durant cette période rend
vulnérables ces mères en devenir au narcissisme déjà fragile. La crise identitaire qu’elle
impose les confronte à de douloureux effondrements dépressifs et à des angoisses en liens
avec leurs limites corporelles et psychiques poreuses. Ces décompensations les amènent à
chercher de l’aide voire à accepter celle-ci sans demande, d’autant plus qu’elles sont
entourées par le corps soignant lors du suivi de grossesse. Par ailleurs, la grossesse impose un
suivi médical régulier en maternité qui permet au psychologue et/ou au psychiatre de pouvoir
les voir en se calant sur leurs rendez-vous. Enfin, ce soutien psychique leur est proposé pour
leur bébé à venir et pour elles-mêmes. Elles accepteraient cette aide plus facilement
puisqu’elle ne serait pas juste pour elles mais pour leur bébé en devenir, porteur de
319
changement et d’espoir alors qu’elles n’ont bien souvent connu que des répétitions
douloureuses, à l’identique.
Toutefois, la compulsion de répétition de ces patientes menace de rupture tous les liens
qui se créent et rend particulièrement difficile leurs suivis. Aussi, les prises en charge
psychiatriques de ces patientes bousculent-elles les cadres usuels ; elles demandent aux
psychologues et/ou aux psychiatres des capacités d’adaptabilité, de créativité et de
disponibilité. Ils doivent avoir pour ces patientes les caractéristiques de « l’objet malléable »
(Milner, 1977) dont elles n’ont pu bénéficier. De plus, il est nécessaire qu’ils articulent leur
travail à celui de tous les professionnels. Ce travail s’inscrit dans une optique de prévention
des troubles des interactions mère-bébé, et par conséquent de troubles du développement chez
l’enfant. Mettre en œuvre des démarches préventives, ou les soutenir, nécessite d’appréhender
le sujet au sein des différents environnements dont il dépend ou au sein desquels il évolue
parce qu’ils sont interdépendants, comme le souligne C. Zaouche-Gaudron (2006). « Les
réponses resteront inadaptées tant qu’elles prendront chaque domaine de vie de façon isolée
– emploi, santé, logement, éducation, modes de garde… –, alors que l’ensemble forme un tout
et que ces domaines d’existence ne sont pas isolés les uns des autres, mais forcément
interdépendants (Zaouche-Gaudron et Sanchou, 2005). Les réponses à adopter en matière de
prévention exigent, entre autres, cohésion, cohérence et complémentarité. (Zaouche-Gaudron,
2006)» Si pour l’auteur cette nécessité de travailler en réseau concerne la précarité, il nous
semble qu’elle s’applique également aux prises en charge des familles touchées par le trouble
de personnalité borderline. Il s’agit d’élargir les prises en charge aux différents domaines :
protection de l’enfance, éducatif, social, associatif.
La pathologie borderline est un trouble grave et chronique qui est « couteux » pour
l’Hôpital Public, et pour lequel, des moyens importants devraient pouvoir être mis en place au
même titre que pour les patients psychotiques. Il est nécessaire de repenser les politiques de
Santé Publique en termes de priorités pour ces patients aux pathologies lourdes qui ont des
conséquences importantes sur le développement de leurs enfants.
Les résultats de cette étude longitudinale ont ouvert de nouvelles pistes de recherche que
nous souhaitons entreprendre. Tout d’abord, afin de valider plus largement nos résultats
observés sur de petits échantillons de populations, nous continuons d’inclure d’autres dyades
dans notre protocole de recherche. Nous souhaitons également analyser les résultats des
320
interactions mère-bébé au Still-Face, mais aussi lors d’un jeu libre, à 6 mois et à 9 mois afin
d’évaluer jusqu’à quel point nous observons une continuité dans les patterns interactifs entre
ces différents moments. Nous souhaitons également pouvoir évaluer la qualité de
l’attachement, mais aussi du fonctionnement psychique de ces enfants, au moment de
l’adolescence. Cette période pourrait s’avérer difficile pour certains des enfants des mères au
trouble de personnalité borderline, compte tenu des réaménagements psychiques qui y sont
liés. Il serait aussi intéressant de pouvoir comparer nos résultats à ceux obtenus au sein d’une
cohorte d’enfants de mères présentant un TPB et ayant tous été suivis (en dehors des
psychothérapies mère-bébé), quel que soit le suivi (psychothérapies, consultations familiales,
psychomotricité, orthophonie…). Ces suivis amélioraient-ils la qualité de l’attachement et
celle de la symptomatologie des enfants, comparativement à ceux de notre groupe au sein
duquel seuls deux enfants bénéficient d’un suivi en CMP ? Enfin, une autre piste de recherche
serait d’évaluer la qualité des représentations d’attachement des mères présentant un trouble
de personnalité borderline puisque celle-ci pourrait avoir influencé la qualité de l’attachement
de l’enfant.
321
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351
352
XIV.
A.
Annexes
Annexe 1 : information et consentement
353
354
B.
Annexe 2 : autorisation de filmer
355
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