26 | MM41, 5.10.2015 | SOCIÉTÉ Environnement Des arbres urbains toujours plus stressés Les changements climatiques mettent à rude épreuve le patrimoine boisé de nos cités. Une étude de la Haute Ecole spécialisée bernoise cherche à déterminer quelles essences pourront résister aux conditions météorologiques de demain. Texte: Alexandre Willemin Photo: Keystone/ Björn Allemann U qui réduit considérablement leur ne espérance de vie raccourcie de approvisionnement en eau.» moitié. C’est la triste destinée des L’autre explication, c’est que les centresarbres qui grandissent dans nos villes, en raison de leur taux élevé de survilles. Et la situation est encore faces asphaltées, «enregistrent généraleplus précaire pour les plantes qui se situent ment des températures de 1 et 2 degrés plus en bordure directe de rues, dont l’existence hautes que la moyenne». Une situation qui est en moyenne divisée par quatre par rapport à leurs congénères qui ont la chance devrait empirer encore dans le futur: MétéoSuisse prévoit que le mercure grimpera ende se développer en pleine nature. core de 1,2 à 3 degrés au sein des grandes agDes spécialistes en sciences forestières de la Haute Ecole spécialisée bernoise (BFH) glomérations helvétiques d’ici à 2060. se sont penchés sur l’état de santé des arbres Anticiper les problèmes de demain en ville de Berne. Leur étude Urban Green «Il s’agit dès maintenant d’anticiper les & Climate Bern met en avant les conditions problèmes à venir et de trouver des solutions extrêmes auxquelles est soumis le pour maintenir les arbres en ville», estime le patrimoine boisé urbain, telles scientifique. Et d’autant plus que la qu’imperméabilité du sol, sel hivernal, végétation peut se révéler d’une aide pollution atmosphérique, ou encore précieuse pour la population lors de manque de place pour leurs racines. Si bien canicule: «En cas de forte chaleur, la que plus de la moitié des arbres inventoriés, situés directement le long des température aux abords d’un arbre en pleine ville est inférieure jusqu’à 6 degrés. Parce rues, sont dans un état jugé de médiocre à que la plante fournit de l’ombre, très mauvais. bien sûr. Mais aussi parce qu’elle Un facteur en particulier a transpire et évapore jusqu’à retenu toute l’attention des 600 litres d’eau par jour!» Des chercheurs bernois: le études ont montré qu’un arbre réchauffement climatique. «Les peut se montrer aussi efficace que sécheresses sont de plus en plus dix appareils de climatisation! fréquentes en été, indique Oliver Il n’y a pas que les étés qui Gardi, coauteur de l’étude. Les posent problème. Avec le réchaufarbres en milieu urbain y sont fement climatique, les hivers se particulièrement sensibles Oliver Gardi, font également plus courts. La puisqu’ils sont enracinés dans un coauteur de dormance hivernale des arbres ne sol peu terreux et imperméable, ce l’étude bernoise. SOCIÉTÉ | MM41, 5.10.2015 | 27 Victimes du manque d’eau, les arbres en bordure des avenues vivent généralement moins longtemps que leurs congénères des parcs et des forêts. Au fait, combien y a-t-il d’arbres sur Terre? Pour la première fois, une réponse fiable a pu être donnée récemment par un groupe de scientifiques internationaux: 3 041 173 150 000 (c’est-à-dire un peu plus de trois billions). C’est deux fois moins qu’au commencement de la civilisation. Premier responsable, l’homme, qui abat environ 15 milliards d’arbres chaque année. Pour parvenir à ce nouveau chiffre, les chercheurs ont combiné les images satellites et plus de 400 000 relevés de terrain récupérés auprès d’organisme nationaux ou dans la littérature scientifique. La Russie est le pays qui concentre le plus d’arbres, avec quelque 641 milliards d’individus, soit 4461 par habitant. En queue de classement on trouve le Bahreïn, petit pays situé en zone désertique, qui ne compte que 10 000 arbres. La Suisse, quant à elle, recense environ 500 millions d’arbres , soit environ 60 par habitant. SOCIÉTÉ | MM41, 5.10.2015 | 29 L’interview «Nos arbres ont souffert l’été dernier» Lausanne compte environ 10 000 arbres le long de ses axes routiers et quelque 80 000 dans ses parcs. Michaël Rosselet, responsable du patrimoine arboré, constate l’impact négatif du réchauffement climatique sur les allées boisées le long des avenues. A Genève, des employés du Service des espaces verts (SEVE) plantent un grand chêne. dure donc généralement que jusqu’en février, ce qui augmente considérablement le risque de gels tardifs printaniers. Tout le défi consiste aujourd’hui à sélectionner les essences qui sauront le mieux résister à ces conditions météorologiques extrêmes. Un travail très complexe puisqu’il doit tenir compte de nombreuses contraintes: «Les arbres doivent notamment pouvoir résister au chaud, au froid et au sel des routes. Finalement, et c’est là le plus grand défi, il faut juger de leur contribution à la biodiversité… Déjà soumise à une grande pression en Suisse!» Logiquement, la priorité est donc donnée à des espèces locales. Photo: Keystone/Martial Trezzini Des arbres de type méditerranéen Mais d’autres pistes sont également prises en compte pour les spécialistes en sciences forestières. «Nous avons remarqué que le climat qui régnera dans les villes suisses dès 2030 ressemblera aux conditions météo actuelles de la Croatie ou la Bosnie. D’où notre proposition de réfléchir à implanter chez nous des arbres de type méditerranéen, capables de résister autant à des sécheresses l’été qu’à des températures négatives en hiver.» Quelques-unes de ces essences, notamment l’orme de montagne, le charme houblon, le chêne chevelu, le frêne à fleurs ou encore le chêne de Hongrie, sont déjà présentes dans nos villes. Le bienfait des arbres en ville n’est plus à prouver. S’ils sont d’agréable compagnie en cas de canicules, ils participent également à absorber une partie du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Selon la Haute Ecole spécialisée bernoise, la surface couverte par des arbres en ville de Berne a augmenté de 18% pendant les trente dernières années. Ces arbres ont permis de compenser quelque 250 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 100 vols à destination de la Thaïlande. Un apport modeste, certes, mais qui, selon Oliver Gardi, «pourrait jouer un rôle non négligeable à l’échelle de la planète, où déforestation et urbanisation progressent tous deux à grands pas». Michaël Rosselet, responsable du Service des parcs et domaines de Lausanne. Quels sont les arbres qui souffrent du changement climatique à Lausanne? A Lausanne, comme à Berne ou dans les autres cités helvétiques, nous connaissons les mêmes contraintes d’un point de vue climatique. Une souffrance accrue de nos arbres a d’ailleurs été constatée lors de la canicule de l’été dernier. Nous remarquons que ce sont les spécimens situés dans des zones largement bétonnées qui rencontrent les plus graves problèmes. Le taux de renouvellement des arbres sur avenue est d’environ 2% par année, ce qui signifie qu’ils vivent en moyenne une soixantaine d’années. Dans les parcs en revanche, ce taux se monte à 0,4% avec des plantes qui vivent généralement en moyenne jusqu’à 250 ans! Comment expliquez-vous cette différence? La raison principale est que le sol aux abords et sous les routes est aujourd’hui constitué essentiellement de matériaux construits et minéraux. Il est donc de plus en plus difficile pour les arbres de grandir dans cet environnement peu terreux et très sec. Le sel, répandu en hiver sur les routes et qui s’infiltre jusque dans le sous-sol, renforce d’ailleurs les problèmes de dépérissement. Finalement, les arbres sur allées sont également victimes de la circulation. Un problème qui a tendance à s’aggraver puisque le trafic a considérablement augmenté ces dernières années… Quelles sont vos pistes pour améliorer la situation? Je crois que cela passe d’abord par une amélioration des conditions des sous-sols aux abords des allées boisées. Depuis quelques années, nous utilisons un mélange terre-pierre permettant à la fois une bonne stabilité du sol et une quantité de terre suffisante pour que les arbres puissent s’y développer convenablement. Depuis une dizaine d’années nous privilégions la réalisation de fosses de plantation le plus larges possible. Mais nous manquons encore de recul pour juger de l’efficacité sur le long terme de ces aménagements. Vous n’envisagez donc pas la piste d’essences d’origine méditerranéenne? Nous privilégions tant que possible les essences indigènes, qui sont les plus intéressantes en termes de biodiversité. Mais nous réfléchissons aussi à d’autres pistes… Plusieurs espèces étrangères sont déjà présentes en ville de Lausanne, par exemple des marronniers d’Inde. Il y a quelques décennies, nos avons planté des micocouliers de Provence. Une plante qui semble très adaptée au stress urbain. La piste d’autres arbres méridionaux est étudiée. Peut-être anticiponsnous seulement leur processus naturel… puisque, avec le réchauffement climatique, il est probable que ces espèces remontent naturellement la vallée du Rhône pour parvenir finalement jusque chez nous. MM