Une espérance de vie raccourcie de
moitié. C’est la triste destinée des
arbres qui grandissent dans nos
villes. Et la situation est encore
plus précaire pour les plantes qui se situent
en bordure directe de rues, dont l’existence
est en moyenne divisée par quatre par
rapport à leurs congénères qui ont la chance
de se développer en pleine nature.
Des spécialistes en sciences forestières
de la Haute Ecole spécialisée bernoise (BFH)
se sont penchés sur l’état de santé des arbres
en ville de Berne. Leur étude Urban Green
& Climate Bern met en avant les conditions
extrêmes auxquelles est soumis le
patrimoine boisé urbain, telles
qu’imperméabilité du sol, sel hivernal,
pollution atmosphérique, ou encore
manque de place pour leurs racines. Si bien
que plus de la moitié des arbres
inventoriés, situés directement le long des
rues, sont dans un état jugé de médiocre à
très mauvais.
Un facteur en particulier a
retenu toute l’attention des
chercheurs bernois: le
réchauement climatique. «Les
sécheresses sont de plus en plus
fréquentes en été, indique Oliver
Gardi, coauteur de l’étude. Les
arbres en milieu urbain y sont
particulièrement sensibles
puisqu’ils sont enracinés dans un
sol peu terreux et imperméable, ce
qui réduit considérablement leur
approvisionnement en eau.»
L’autre explication, c’est que les centres-
villes, en raison de leur taux élevé de sur-
faces asphaltées, «enregistrent nérale-
ment des températures de 1 et 2 degrés plus
hautes que la moyenne». Une situation qui
devrait empirer encore dans le futur: téo-
Suisse prévoit que le mercure grimpera en-
core de 1,2 à 3 degrés au sein des grandes ag-
glomérations helvétiques d’ici à 2060.
Anticiper les problèmes de demain
«Il s’agit dès maintenant d’anticiper les
problèmes à venir et de trouver des solutions
pour maintenir les arbres en ville», estime le
scientique. Et d’autant plus que la
tation peut se révéler d’une aide
précieuse pour la population lors de
canicule: «En cas de forte chaleur, la
température aux abords d’un arbre en pleine
ville est inférieure jusqu’à 6 degrés. Parce
que la plante fournit de l’ombre,
bien sûr. Mais aussi parce qu’elle
transpire et évapore jusqu’à
600 litres d’eau par jour!» Des
études ont montré qu’un arbre
peut se montrer aussi ecace que
dix appareils de climatisation!
Il n’y a pas que les étés qui
posent problème. Avec le réchauf-
fement climatique, les hivers se
font également plus courts. La
dormance hivernale des arbres ne
Environnement
Desarbres
urbains
toujours plus
stressés
Les changements climatiques mettent à rude épreuve le
patrimoine boisé de nos cités. Une étude de la Haute Ecole
spécialisée bernoise cherche à déterminer quelles essences
pourront résister aux conditions météorologiques de demain.
Texte: Alexandre Willemin
Oliver Gardi,
coauteur de
l’étude bernoise.
Photo: Keystone/ Björn Allemann
26 |MM41,5.10.2015 | SOC
Au fait,combien
ya-t-il d’arbres
surTerre?
Pour la première fois,
une ponse able a pu
être donnée récemment
par un groupe de scienti-
ques internationaux:
3041173150000
(c’est-à-dire un peu plus
de trois billions). C’est
deux fois moins qu’au
commencement de la ci-
vilisation. Premier res-
ponsable, l’homme, qui
abat environ 15 milliards
d’arbres chaque année.
Pour parvenir à ce nou-
veau chire, les cher-
cheurs ont combiné les
images satellites et plus
de 400 000 relevés de
terrain cupérés auprès
d’organisme nationaux
ou dans la littérature
scientique. LaRussie
estle pays quiconcen-
trele plusd’arbres,
avecquelque 641mil-
liardsd’individus,soit
4461 parhabitant. En
queue de classement on
trouve le Bahreïn, petit
pays situé en zone déser-
tique, qui ne compte que
10 000 arbres.
LaSuisse,quantàelle,
recenseenviron500
millionsd’arbres, soit
environ 60 par habitant.
Victimes du manque
d’eau, les arbres en
bordure des avenues
vivent néralement
moins longtemps que
leurs congénères des
parcs et des forêts.
SOC|MM41,5.10.2015 | 27
L’interview
«Nos arbres
ont souertl’été
dernie
Lausanne compte environ10 000 arbresle long de ses
axes routiers et quelque80 000 dans sesparcs.
MichlRosselet,responsabledu patrimoine arbo,
constate l’impact gatifdu réchauement
climatique surlesallées boisées le long desavenues.
dure donc ralement que jusqu’en fé-
vrier, ce qui augmente considérablement le
risque de gels tardifs printaniers. Tout le dé
consiste aujourd’hui à sélectionner les es-
sences qui sauront le mieux résister à ces
conditions météorologiques extrêmes. Un
travail très complexe puisqu’il doit tenir
compte de nombreuses contraintes: «Les
arbres doivent notamment pouvoir résister
au chaud, au froid et au sel des routes. Fina-
lement, et c’est là le plus grand dé, il faut ju-
ger de leur contribution à la biodiversité…
Déjà soumise à une grande pression en
Suisse!» Logiquement, la priorité est donc
donnée à des espèces locales.
Des arbres de type méditerranéen
Mais d’autres pistes sont également prises
en compte pour les spécialistes en sciences
forestières. «Nous avons remarqué que le
climat qui régnera dans les villes suisses
dès 2030 ressemblera aux conditions
météo actuelles de la Croatie ou la Bosnie.
D’où notre proposition de rééchir à
implanter chez nous des arbres de type
méditerranéen, capables de résister autant à
des sécheresses l’été qu’à des températures
négatives en hiver.» Quelques-unes de ces
essences, notamment l’orme de montagne, le
charme houblon, le chêne chevelu, le frêne à
eurs ou encore le chêne de Hongrie, sont
déjà présentes dans nos villes.
Le bienfait des arbres en ville n’est plus à
prouver. S’ils sont d’agréable compagnie en
cas de canicules, ils participent également à
absorber une partie du dioxyde de carbone
présent dans l’atmosphère. Selon la Haute
Ecole spécialisée bernoise, la surface
couverte par des arbres en ville de Berne a
augmenté de 18% pendant les trente
dernières années. Ces arbres ont permis de
compenser quelque 250 tonnes de CO2par
an, soit l’équivalent de 100 vols à destination
de la Thaïlande. Un apport modeste, certes,
mais qui, selon Oliver Gardi, «pourrait jouer
un rôle non négligeable à l’échelle de la
planète, où déforestation et urbanisation
progressent tous deux à grands pas».
A Genève, des employés du Service des espaces
verts (SEVE) plantent un grand chêne.
Quels sont les arbres qui
sourent du changement
climatique à Lausanne?
A Lausanne, comme à Berne ou
dans les autres cités helvétiques,
nous connaissons les mêmes
contraintes d’un point de vue
climatique. Une sourance
accrue de nos arbres a d’ailleurs
été constatée lors de la canicule
de l’été dernier. Nous
remarquons que ce sont les
spécimens situés dans des zones
largement bétonnées qui
rencontrent les plus graves
problèmes. Le taux de
renouvellement des arbres sur
avenue est d’environ 2% par
année, ce qui signie qu’ils
vivent en moyenne une
soixantaine d’années. Dans les
parcs en revanche, ce taux se
monte à 0,4% avec des plantes
qui vivent ralement en
moyenne jusqu’à 250 ans!
Comment expliquez-vous cette
diérence?
La raison principale est que
le sol aux abords et sous les
routes est aujourd’hui constitué
essentiellement de matériaux
construits et minéraux. Il est
donc de plus en plus dicile
pour les arbres de grandir
dans cet environnement peu
terreux et très sec. Le sel,
répandu en hiver sur les routes
et qui s’inltre jusque dans le
sous-sol, renforce d’ailleurs les
problèmes de dépérissement.
Finalement, les arbres sur allées
sont également victimes de
la circulation. Un problème
qui a tendance à s’aggraver
puisque le trac a
considérablement augmenté ces
dernières années…
Quelles sont vos pistes pour
améliorer la situation?
Je crois que cela passe d’abord
par une amélioration des
conditions des sous-sols aux
abords des allées boisées. Depuis
quelques années, nous utilisons
un mélange terre-pierre
permettant à la fois une bonne
stabilité du sol et une quantité
de terre susante pour que les
arbres puissent s’y développer
convenablement. Depuis une
dizaine d’années nous
privilégions la réalisation de
fosses de plantation le plus
larges possible. Mais nous
manquons encore de recul pour
juger de l’ecacité sur le long
terme de ces aménagements.
Vous n’envisagez donc pas la
piste d’essences d’origine
méditerranéenne?
Nous privilégions tant que
possible les essences indigènes,
qui sont les plus intéressantes
en termes de biodiversité. Mais
nous rééchissons aussi à
d’autres pistes… Plusieurs
espèces étrangères sont déjà
présentes en ville de Lausanne,
par exemple des marronniers
d’Inde. Il y a quelques décennies,
nos avons planté des
micocouliers de Provence. Une
plante qui semble très adaptée
au stress urbain. La piste
d’autres arbres méridionaux est
étudiée. Peut-être anticipons-
nous seulement leur processus
naturel… puisque, avec le
réchauement climatique, il est
probable que ces espèces
remontent naturellement la
vallée du Rhône pour parvenir
nalement jusque chez
nous. MM
MichaëlRosselet,
responsable du
Service des parcs
et domaines de
Lausanne.
Photo: Keystone/Martial Trezzini
SOC|MM41,5.10.2015 | 29
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