AUTOUR DU « PECHE MONETAIRE DE L’OCCIDENT »
Charles LE LIEN
INSTITUT TURGOT le 18 juin 2009
Sur l’invitation de Philippe SIMONNOT au séminaire monétaire de l’Institut
Introduction :
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Je souhaite remercier Philippe SIMONNOT pour la qualité de la
proposition de thème sur laquelle il m’invite à parler et qui me donne
toute liberté pour aller au fond de ces événements économiques et
financiers les plus contemporains qui ne sont tous au fond que des
métastases de ce que RUEFF appelle le péché monétaire de
l’Occident dans un ouvrage du même titre.
-
Je souhaite également remercier Henri LEPAGE pour son invitation à
parler dans le cadre de l’Institut TURGOT quil préside, occasion pour
moi de renouer avec le 35 ave Mac-Mahon, siège de l’ALEPS fondée par
Jacques RUEFF et Maurice ALLAIS en 1963, siège du Point de
Rencontre entre libéraux et chrétiens de Raoul AUDOUIN soutenu et
prolongé par Jacqueline BALESTIER et Arnaud PELLISSIER-TANON
que je remercie de leur présence, siège aussi de l’Institut Economique de
Paris, institut hayekien fondé en 1983 dans la foulée de l’attribution du
Prix Nobel à Friedrich HAYEK. Le 35 avenue Mac Mahon reste
décidément un important carrefour des rencontres libérales françaises. Je
suis très sensible à la présence ce soir de Jacques RAIMAN
1
, fondateur
notamment de l’Institut TURGOT, et je remercie les personnalités amies
qui me font l’honneur de leur présence. Je salue l’auditoire présent pour
cette conférence.
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Le langage utilisé pour cette conférence sera « barycentrique »,
susceptible d’être entendu autant par le milieu académique « main
stream » que par les institutions financières et les politiques ou « the
layman » (d’où le choix de la notion de convertibilité), de ce fait un peu
frustrant pour les auditeurs appartenant à des courants plus spécialisés
dans telle ou telle approche qui peuvent être représentées ici comme le
1
A cette occasion citons son très bel article dans le Figaro économique du 5 décembre 1996, en amont de la création de l’Euro : « Une autre
vue de la devise européenne » avec pour sous-titre « L’Europe ne doit pas abolir les monnaies européennes, mais y ajouter comme un nouvel
étalon-or ». Il y faisait notamment référence à la proposition du collectif international d’économistes réunis dans le « Groupe de Paris » qui
sous la signature d’Aristote avait proposé dans la Revue des Deux Mondes de juin 1996 la création d’une monnaie commune parallèle aux
monnaies nationales, dans un premier temps au moins, qui se serait appelé « Euro-or ». Philippe SIMONNOT avait salué à l’époque cette
initiative comme une expression du cercle des Rueffiens disparus (cf Le Monde du 3 juin 1996). Paul FABRA avait également salué cette
initiative dans les Echos du 12 juillet 1996 sous le titre « L’Euro : écouter l’insolite ».
1
courant de l’économie autrichienne, sachant que le point de vue présenté
ici n’y est bien entendu pas opposé. Ce choix est révélateur de l’espoir,
sans excès d’ illusion, que ce langage médian soit universalisable et
puisse être entendu par chacun dans les diverses sphères concernées, que
les thèses défendues ici en écho à la thèse rueffienne, plus modestement à
« l’observation raisonnée » des faits monétaires, puissent faire progresser
de quelques pas la réflexion collective à défaut de satisfaire à toutes les
exigences doctrinales particulières et à toutes les ambitions radicales de
réformes monétaires idéales, même si mon propos peut paraître déjà fort
radical à beaucoup.
-
Thème d’intervention idéal : « Autour du péché monétaire de
l’Occident », dont je vais essayer de profiter pleinement en déclinant par
niveau de gravité plusieurs types de « péché » monétaire, importation
bienvenue du langage biblique, puisque s’il est un lieu dapplication
pertinent à cette nouveauté de la doctrine sociale de l’Eglise qu’est le
concept de « structure de péché » (qui est au péché, sur un plan
institutionnel et collectif, l’équivalent de ce qu’est l’occasion de péché par
rapport au péché dans la vie morale) c’est bien dans le domaine de la
monnaie et des institutions monétaires, point aveugle des évolutions
économiques et financières les plus actuelles. Dès lors, par parenthèse, s’il
y a un rôle de l’Eglise en cette matière, c’est celui de faire éclore la vérité
sur cette question, dans la charité, car telle est sa vocation, plutôt que de
reprendre à son compte, sans recul suffisant et de manière complaisante,
le discours démagogique facile des puissants sur la faute des banquiers et
les exagérations du capitalisme.
-
Il convient sans doute de partir : 1) de ce que Jacques RUEFF (1890-
1978) appelé « Le péché monétaire de l’Occident » dans un livre paru
chez Plon en 1971, il raconte les avatars du Gold Exchange Standard
(GES) ou l’étalon de change-or (la possibilité octroyée à côté de l’or au
dollar et à la livre sterling de servir d’actifs de réserve comme devises-
clés convertibles en or dans l’actif des banques centrales) recommandé
par la Conférence de nes en 1922 face à la « pénurie d’or », jusqu’au
largage international des amarres monétaires et à l’embarquement des
économies et des marchés financiers sur les flots de plus en plus agités
des changes flottants et des monnaies discrétionnaires, c’est-à-dire jusqu’à
la disparition en 1971-1973-1976 de toute trace d’étalon-or dans le
monde, en passant par l’étape BRETTON-WOODS de 1944 de remise en
selle du GES exclusivement avec le dollar cette fois. Car il faut rendre
cette justice à l’analyse rueffienne très factuelle des évènements, qu’elle
fournit encore aujourd’hui la meilleure clé d’explication des évolutions
les plus récentes de la finance (et d’ailleurs toutes celles qui ont un intérêt
2
explicatif véritable lui sont redevables même si elles lui payent rarement
des droits d’auteur).
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Il faut ensuite convenir aujourd’hui que 2) : la thèse rueffienne doit être
dépassée et repensée dans une perspective historique plus large prenant en
compte l’histoire moderne des banques d’émission, dépassement qui
invite malheureusement à abandonner ce que j’appellerai l’idéalisme
rueffien et à faire le constat d’une pathologie encore plus sérieuse et plus
profonde qu’il ne l’imaginait des « institutions monétaires modernes »
modernes au sens historique du terme. A la lumière de lhistoire, il se
pourrait que l’apogée monétaire que constitue l’étalon-or soit l’un des
plus beaux exemples de résultat inattendu de l’action des hommes et non
de leur dessein. Ainsi ce qui apparaît à Jacques RUEFF comme une
malencontreuse décadence liée à une incompréhension contingente de la
situation monétaire de l’après première guerre mondiale serait le reflet de
la volonté captatrice profonde des Etats manifestée lors de la création des
banques d’émission et que l’étalon-or n’ait été en quelque sorte qu’une
concession temporaire des Etats à l’intention de citoyens habitués à la
monnaie métallique, destinée à disparaître depuis le part lorsque le
moment serait venu. Dans cette perspective historique de long terme
l’optimisme de RUEFF, déclarant dans les années 70, que « s’il ne savait
pas quand l’étalon-or serait rétabli, il était sûr qu’il ne pouvait pas ne pas
être rétabli », paraît difficile à partager, sauf à conjuguer de manière
gramscienne l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence.
Le péché monétaire de l’Occident au 20
ème
siècle relèverait alors d’un vice
de système plus ancien qui en serait la cause formelle et matérielle et qui
refléterait le moyen technique moderne d’appropriation de la production
de monnaie, par la substitution de la monnaie fiduciaire à la monnaie
réelle ou métallique dont la valeur marchande n’est pas sans rapport avec
la valeur faciale. Ainsi la création de banques d’émission de billets de
banque soumises aux Princes et peu à peu érigées en monopoles serait
l’un des actes fondateurs de l’Etat moderne et sa puissance relative.
-
Ceci invite 3) à une déclinaison encore plus radicale du thème du
« péché » en matière de monnaie, et à dénoncer en réalité, tout en se
gardant du penchant à la polémique facile, le péché de « mensonge
officiel » en ce qui la concerne. Empruntant à Andreï SAKHAROV le
titre de son fameux livre de 1975 : « Au pays du grand mensonge », il me
paraît de plus en plus incontestable de soutenir que le domaine monétaire,
la monnaie, est devenu le lieu du grand mensonge de l’Occident réputé
capitaliste. Un mensonge que nous analyserons sous sa double forme de
a) mensonge par commission : la propagation des contre-vérités
officielles, et b)) de mensonge par omission : la disparition progressive du
3
champ de l’information publique des faits ou des chiffres qui pourraient
donner à réfléchir et de presque tout enseignement substantiel des
questions monétaires, qui passe d’abord par un enseignement honnête de
l’histoire de la monnaie, même si l’on peut comprendre à quel point il est
difficile d’enseigner honnêtement une histoire malhonnête, ou plutôt
l’histoire d’une malhonnêteté croissante.
-
Trois parties donc pour cette conférence que je souhaiterais cependant
suffisamment concise pour permettre l’échange, ce qui supposera de
tailler dans le vif de développements qui pourraient être présentés plus
complètement dans un contexte de temps approprié ou dans une version
rédigée, celle que le lecteur a sous les yeux désormais.
1) Le péché monétaire de l’Occident selon RUEFF
Le péché monétaire de l’Occident selon RUEFF consiste à avoir détruit l’étalon-
or classique (s’il est possible de parler d’un étalon-or2) au profit d’un étalon de
rechange, l’étalon de change-or (Gold Exchange Standard ou GES), censé être
plus performant et destiné à remédier à la situation supposée de « pénurie d’or »
ou de pénurie de « base monétaire » au lendemain de la seconde guerre
mondiale, au début de laquelle la règle universelle de la convertibilité
métallique, applicable depuis plus d’un siècle en France et en Europe
continentale et plus de deux siècles au Royaume Uni avait été abrogée ou plutôt
suspendue en attendant les jours meilleurs d’un retour à une vie pacifique et la
réapparition du libre-échange
3
. En effet, les prix nationaux avaient explosé du
fait de l’inflation de guerre et à peu près été multipliés par 3 en 5 ans de guerre,
2
Il serait sans doute plus exact historiquement de parler d’étalon métal, tant ce que l’histoire a réunifié sous un nom slogan recouvre de
diversités, dans la signification du terme étalon et dans les métaux qui servent de référence aux systèmes monétaire modernes, le bi-
métallisme tient en fait la plus grande part avant de céder à l’étalon-or à proprement parler au 20 ème siècle avec le Gold standard Act
américain de 1900. Sur les différents sens du terme étalon, et sur les évolutions historiques de l’étalon-métal le livre de René SEDILLOT sur
l’Histoire de l’Or est une vraie « mine » (Fayard, 1974, chapitre 4 en particulier sur « l’or étalon »). Précisons que des deux principales sur
les quatre définitions qu’il propose de l’étalon-or, nous privilégions la seconde, la moins exigeante, que nous combinons avec la troisième,
qui mettent l’accent sur la vertu de régulation cybernétique de l’économie globale qui nous intéresse principalement dans ce système. Pour la
plus exigeante : « l’étalon-or est le système monétaire que caractérise une circulation de pièces d’or, ayant seules plein pouvoir libératoire, et
de frappe libre ». Dans la seconde : « l’étalon-or n’est plus que l’adoption d’une définition en or de la monnaie », alors que pour la
troisième : il y a étalon-or si la Banque centrale accumule essentiellement (ou exclusivement) de l’or dans ses réserves et si elle assure aux
billets la monnaie fiduciaire qui se substitue à l’or dans la circulation) une libre conversion en or (en pièces d’or pour le gold specie
standard, ou en lingots d’or pour limiter la conversion dans le cas du gold bullion standard). Cette préférence a aussi pour intérêt de
souligner que ce qui importe dans ce système, c’est plus la définition précise de l’unité monétaire et la clause de convertibilité qui en assure
la pérennité, que la matière or et donc que la problématique est purement rationnelle. Plus l’étalon-or au sens défini est garanti, moins l’or est
visible dans l’économie monétaire. Qui dit étalon-or ne dit en fait nullement retour à l’or, mais utilisation des qualités de l’or et de son
attractivité universelle qui en fait de la monnaie en soi, comme base du système monétaire. En ce sens, les réflexions d’avenir quant à la
réforme monétaire nécessaire au rétablissement de la stabilité financière et à la orientation économique du système financier vers le
financement de la croissance doivent s’attacher à l’essentiel de ce régime monétaire, c’est-à-dire au « mécanisme d’auto-régulation de la
masse monétaire autour d’une définition de l’unité monétaire en un actif réel » et non à l’accessoire qu’est la matière or, dont le choix
progressif n’a reposé historiquement au fond, comme l’a si précisément cerné De Gaulle dans sa grande conférence de presse de février
1965, que sur le caractère « fiduciaire » observable et rifiable de l’or, puisqu’il a toujours susci la confiance du public et que les
institutions qui n’en font plus rien se gardent bien de s’en défaire significativement.
3
Ceci s’est fait de manière très simple par l’article 3 de la Loi du 5 août 1914 « portant augmentation de la faculté d’émission des Banque de
France et de l’Algérie, établissant à titre provisoire le cours forcé de leurs billets… » (on ne saurait mieux illustrer a contrario le caractère
contraignant pour la création monétaire de la convertibilité métallique des monnaies fiduciaires). Cet article stipule que : « Jusqu’à ce qu’il
en soit disposé autrement par une loi, la Banque de France et la Banque de l’Algérie sont dispensées de l’obligation de rembourser leurs
billets
en espèces ». Sa formulation rappelle que le billet de banque n’était alors considéré que comme un substitut de la monnaie métallique
et que les billets n’avaient pas encore valeur d’espèces monétaires courantes.
4
alors que les pairs métalliques des monnaies étaient restés les mêmes, sans poser
de problème d’hémorragie de métal puisque la clause de convertibilité était
suspendu par le décret généralisé du cours forcé de toutes les monnaies
européennes. De ce fait il y avait une disproportion apparente entre les masses
monétaires, les montants des échanges internationaux et des déficits de balances
des paiements en valeur courante et les bases monétaires et les stocks d’or
mesurés en valeur constante à la parité monétaire d’avant-guerre. D’où le
diagnostic, apparemment justifié mais en réalité erroné, de pénurie d’or et de
liquidités internationales et d’où l’idée faussement « géniale » qui a germé à la
Conférence de Gênes en 1922 d’y suppléer par un étalon de substitution en
devises-clés de réputation internationale, la Livre Sterling et le Dollar américain.
La solution pertinente permettant de sauver l’étalon-or, en tenant compte du
nouveau paysage des valeurs courantes, eût été la dévaluation conséquente des
devises, la modification des pairs métalliques pour rendre proportionnelle la
valeur des actifs en or dans les bilans des banques centrales au niveau des prix
pratiqués dans les échanges nationaux et internationaux. C’est la solution
adoptée en France en partie à l’instigation de l’inspecteur des finances RUEFF
en 1928, avec la substitution du « Franc POINCARE » à la valeur d’un
cinquième du « Franc Germinal » de 1800. C’est la solution qu’a refusé
d’adopter CHURCHILL en 1925, en rétablissant la convertibilité de la livre à la
parité de 1914, avec les conséquences déflationnistes imputées à tort à l’étalon-
or, puisque la parité métallique (le pair) n’est au fond qu’un accessoire de
l’étalon-or. Son ancienneté bi-séculaire faisait percevoir à tort par le public et
certains politiques cette parité comme consubstantielle à la promesse d’assurer
la convertibilité métallique, seule « clause essentielle » du « régime de
convertibilité métallique » de la monnaie fiduciaire dit « d’étalon-or », puisque
c’est par elle que l’équilibre économique global est assuré de manière pérenne.
« L’étalon-or » un mécanisme d’équilibre économique global durable
Il faut en effet bien comprendre ce qui se cache sous ce terme d’étalon-or, qui
suscite en général chez ses opposants une hystérie proportionnelle à la
faiblesse de l’argumentation qui lui est opposée4, et une violence
disproportionnée par rapport au nombre très réduit de ses défenseurs dans le
monde et à sa faiblesse objective dans le champ politique, il fait figure de
trouble-fête. L’étalon-or désigne en fait le régime contractuel de la création de
monnaie en économie de marché, c’est-à-dire un régime monétaire adéquat
aux principes fondamentaux de l’économie de marché, le consommateur
4
Comme le dit fort bien René Sédillot dans son Histoire de l’or : « Lorsque des gouvernements édictent des mesures contre l’or, ce n’est pas
parce qu’ils ne l’aiment pas, c’est parce qu’ils l’aiment trop et qu’ils veulent se le réserver, ou parce qu’ils n’en ont pas. » (idem, p. 107).
Alan Greenspan écrivait quant à lui dans son célèbre article de 1966 sur « L’or et la liberté économique » : « Un antagonisme presque
hystérique à l’encontre de l’étalon-or est ce qui unit les étatistes de toute livrée. On dirait qu’ils sentent peut-être plus clairement et plus
subtilement que bien de défenseurs cohérents de l’étalon-or - que l’or et la liberté économique sont inséparables, que l’étalon-or est un
instrument du laissez-faire et que l’un implique nécessairement l’autre. » (The Objectivist juillet 1966).
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