Commentaire Bénissez-moi, parce que j’ai péché ... Changement comportemental et confessionnal Fok-Han Leung MD MHSc CCFP Andrew Leung MDiv A u cours de la dernière décennie, les frontières de la pratique médicale se sont élargies pour inclure certains aspects de la psychologie et du changement comportemental1,2. Plus les médecins s’impliquent dans le changement comportemental, plus les patients attendent du counseling de leur part1, en particulier de leurs médecins de famille. Les patients consultent leur médecin de famille non seulement pour faire soigner leurs maladies physiques, mais aussi pour régler leurs problèmes spirituels et mentaux. La médecine familiale devient plus holistique et complète et la gamme des problèmes que présentent les patients suit la même tendance. Parallèlement, la pratique religieuse est en déclin3 tout comme le nombre de personnes qui vont au confessionnal4,5. À bien des égards, les médecins, surtout les médecins de famille et les psychiatres, deviennent les «confesseurs» de leurs patients. De quelle autre source que l’Église catholique, l’une de plus anciennes organisations humaines, pouvons-nous le plus apprendre au sujet de la confession, où elle est pratiquée depuis près de 2 000 ans? Confession On désigne maintenant à meilleur escient la confession sous le nom de réconciliation. La racine latine du mot réconciliation est reconcilius: con signifiant avec. Cilius veut dire cheveu ou cil. Ensemble, la signification devient «ciller», tandis que ré confère le sens de «répétition». Quand nous cillons, nous nettoyons nos yeux pour voir plus clairement. Par conséquent, réconciliation se rendrait par ciller pour nettoyer ses «yeux spirituels» ou son âme afin de voir à nouveau avec une clarté, une harmonie et une vision renouvelées6. Depuis des siècles, les catholiques romains se confessent dans leur cheminement vers une vie plus vertueuse et, en définitive, pour être sauvés. Aux tout débuts de l’Église, pour faire pardonner ses péchés, il fallait se repentir publiquement7. Au VIe siècle, le repentir public a progressivement été remplacé par la confession individuelle à un guide spirituel comme un moine ou un prêtre4,7. La conception que se fait l’Église moderne de la confession demeure traditionnelle dans sa doctrine, mais elle se concentre maintenant plus sur ses aspects pastoraux et spirituels4,8. Parallèles Examinons les étapes de la confession. D’abord, il y a l’examen de conscience, puis la confession elle-même et enfin un acte de contrition et la pénitence4-8. Existe-til des parallèles entre un prêtre et un pénitent au confessionnal et un médecin et un patient dans le cabinet du médecin? Dans l’examen de conscience avant la confession, les pénitents sont appelés à examiner de manière rigoureuse et structurée chaque aspect de leur vie en fonction des écritures, des commandements et des enseignements chrétiens. Parallèlement, les méthodes de counseling médical envisagent aussi un examen structuré; les préoccupations comportementales sont analysées sous l’angle du fonctionnement domestique, familial et occupationnel. Cet exercice permet au patient et au médecin de mieux cibler le problème et indique au médecin l’orientation à donner au counseling1. Après l’examen de conscience, la confession commence. «Pardonnez-moi mon Père, parce que j’ai péché…» Dans le cabinet du médecin, le patient, qui a été invité à la discussion après quelques questions ouvertes, commence à se confier. «En passant, docteur, je suis inquiet de…» «Ma dernière confession remonte à…», poursuit le pénitent. On incite les catholiques à se confesser le plus souvent possible, tant la confession des péchés graves que la confession dévotionnelle (péchés véniels)8; cette pratique met en évidence l’importance de la régularité, de la rigueur, de l’habitude et de la structure. La confession s’apparente au counseling en soins de santé en ce sens qu’un suivi régulier est souvent nécessaire, parce qu’une exploration en profondeur de problèmes psychosociaux complexes en une seule visite n’est pas raisonnable1. «Ma situation personnelle est…» Avec la description de la situation de vie du pénitent (p. ex., marié, enfants, emploi), le prêtre peut mettre la confession en contexte, car diverses circonstances et milieux de vie présentent aux pénitents différentes tentations et occasions de pécher8,9. Pour le pénitent, cette réflexion sur sa situation de vie lui apprend à mieux se connaître8. Pour le médecin, elle est pareillement utile pour obtenir du patient qu’il explique comment il comprend son propre contexte et ainsi manifester sa motivation, son intelligence et son intuition, qui sont tous d’importants facteurs à considérer dans le counseling1. «…et voici mes péchés.» Suit alors une liste des péchés (p. ex., la confession réelle et des «excuses» pour les fautes commises)4,6-8. Même sans s’aventurer dans la théologie de la confession, sa nature cathartique est Commentaire évidente. Sans interruption, le pénitent se confesse jusqu’au bout de sa liste. Cette même catharsis et libération se produisent quand un patient dévoile ses désappointements, ses anxiétés et ses échecs perçus. La leçon à tirer ici pour les médecins, c’est d’accorder du temps au patient sans interruption avant de répondre1,2. À la fin de la confession, le pénitent récite l’acte de contrition8: «Mon Dieu, j’ai l’extrême regret… je prends la ferme résolution de ne plus vous offenser et de faire pénitence». Dans la perspective de la psychothérapie, l’acte de contrition est la déclaration d’un engagement à changer9. Mais, bien avant l’actuel modèle transthéorique10-13, sur lequel repose la compréhension par la profession médicale de la relation entre le counseling et le changement comportemental, le confessionnal de l’Église, à toutes fins pratiques, se servait de stratégies cognitives et fondées sur le rendement pour aider les pénitents à en arriver à un équilibre décisionnel. Les patients qui consultent un médecin de famille pour avoir un counseling médical ressemblent aux pénitents qui vont se confesser, parce qu’ils doivent eux aussi faire leur examen de conscience et surmonter la résistance à se confier et à discuter. C’est là une progression du «précontemplatif» au «contemplatif». Une autre ressemblance avec le modèle du counseling médical se situe dans la suggestion d’une pénitence par le prêtre; en proposant une pénitence, les prêtres font en fait passer les pénitents de la «contemplation» à «l’action», et par conséquent, font pencher la balance décisionnelle en faveur du changement comportemental. Véhicules de changement La médecine a abordé le changement comportemental à la suite d’études rigoureuses14-16. L’Église catholique a abordé le changement comportemental en se fondant sur des siècles de réflexion sur l’expérience pratique des confessions entendues7. Que peuvent apprendre la médecine et l’Église l’une de l’autre? Si l’absolution spirituelle ne relève pas de la médecine, la médecine peut mettre davantage à contribution le pouvoir de guérison des rituels. Au lieu d’être une punition pour les péchés, les aspects rituels de la pénitence (p. ex., jeûne, offrandes et prière) peuvent en réalité distraire la personne de ses péchés et l’aider à se concentrer davantage sur faire le bien17. Cette dimension curative et spirituelle de la pénitence offre des idées à la profession médicale. La médecine devrait considérer le potentiel thérapeutique de la pénitence et donner au processus du counseling une dimension plus «sacrée». Le counseling dans les soins de santé est souvent axé sur les solutions. La question de culpabilité et l’idée du «péché» sont rarement explorées5,8,9. C’est très différent du processus de la confession. Si la plupart des médecins sont habituellement mal à l’aise ou peu habiles dans la discussion du péché ou de la culpabilité, ces questions peuvent quand même peser lourd sur les pénitents et sur les patients5. Comment la médecine peut-elle mieux examiner et aborder les crises morales des patients qui sont parfois à la source de leurs autres présentations cliniques? Il existe des possibilités en counseling médical d’étudier plus en profondeur les confessions. L’Église peut aussi apprendre de la compréhension médicale contemporaine et de l’exécution du changement comportemental; la formation dans les séminaires catholiques peut bénéficier d’un enseignement plus rigoureux et structuré du changement comportemental. La formation actuelle des séminaristes et du clergé est souvent faible et non systématique. Les théories du counseling peuvent aider les prêtres à mieux comprendre les principes qu’ils appliquent au quotidien pour mieux conseiller leurs pénitents. Le confessionnal traditionnel cache à la fois le pénitent et le confesseur; un grillage de bois dissimule souvent les 2 parties l’une à l’autre dans un lieu sombre. Depuis la fin des années 1960, après le Concile Vatican II, la plupart des prêtres entendent les confessions en dehors du traditionnel confessionnal; le pénitent et le confesseur se parlent face à face sans cacher leur identité. Comment cette pratique change-t-elle la dynamique de la confession? L’Église peut bénéficier de la rigueur de l’approche médicale pour répondre à ces questions. La confession, ou sacrement de réconciliation, offre aux pénitents la promesse de l’absolution. Le counseling dans le cabinet du médecin offre aux patients la promesse du changement d’un comportement malsain. Il y a des parallèles et de la convergence dans le style, le contenu et le processus. Les 2 sont des véhicules dans lesquels les gens recherchent le «salut». La confession est passée de la pénitence à la réconciliation; la médecine est passée d’une approche centrée sur la maladie à une approche holistique. Si de moins en moins de pénitents se confessent, de plus en plus de patients demandent du counseling à leurs médecins. L’Église est aux prises avec le défi de rendre le sacrement de la réconciliation plus attrayant et efficace et la médecine doit relever le défi d’accroître la pertinence et l’accessibilité du counseling. L’Église et la médecine ont beaucoup à apprendre l’une de l’autre. Dr Leung est médecin membre du personnel et chargé de cours au Département de médecine familiale et communautaire de l’University of Toronto au St Michael’s Hospital en Ontario. Révérend Leung est pasteur associé à la paroisse St Basil à l’University of St Michael’s College de l’University of Toronto. Intérêts concurrents Aucun déclaré Correspondance Dr Fok-Han Leung, St Michael’s Hospital, Département de médecine familiale et communautaire, 30 Bond St, Toronto, ON M5B 1W8; téléphone 416 8677426; télécopieur 416 867-7498; courriel [email protected] Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada. Références 1. Harris RD, Ramsay AT. Health care counselling: a behavioural approach. Sydney, Austral: Williams & Wilkins and Associates Pty Ltd; 1988. Commentaire 2. Tim Bond. The nature and the role of counselling in primary care. Dans: Keithley J, Bond T, Marsh G, rédacteurs. Counselling in primary care. 2e éd. Oxford, RU: Oxford University Press; 2002. p. 3-24. 3. Center for Applied Research in the Apostolate [site Web]. Washington, DC: Center for Applied Research in the Apostolate at Georgetown University; 2008. 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